Des poubelles en or

Une poubelle du Symevad qui déborde

Reconnaissons que les ordures ménagères sont peu attirantes. Il serait pourtant dommage de ne pas s’y intéresser tant elles illustrent les turpitudes locales en termes de ponction fiscale, de gestion des deniers publics et d’aventurisme technique.

Vous avez aimé le tramway ? Vous aller adorer le SYMEVAD !

La TEOM nourrit le SYMEVAD

Le SYMEVAD alias « syndicat mixte d’élimination et de valorisation des déchets » a été créé en 2007 à destination de Douaizizaglo, la CA d’Hénin-Carvin et la CC Osartis. Cette grosse machine financière concerne une population de 350 000 habitants d’une centaine de communes du Nord et du Pas-de-Calais.
Outre le ramassage des ordures ménagères, elle dispose de 11 déchetteries et de 4 unités particulières : un centre de tri, un autre de valorisation organique, une ressourcerie et enfin et surtout un éléphant blanc dont nous allons beaucoup parler, le TVME d’Hénin-Beaumont, acronyme hermétique qui dit tout quand on le déploie : « Tri, Valorisation, Matière, Energie » .

Le calcul de la « taxe d’enlèvement des ordures ménagères » (TEOM) est étrange. La logique la ferait reposer sur le nombre d’habitants d’un logement ou, mieux, sur la quantité réelle d’ordures produites par chaque foyer. En fait, le taux s’applique sur la valeur locative du bien, ce fameux critère sur lequel repose l’inique taxe foncière. Elle est d’ailleurs, de la même façon, acquittée par les seuls propriétaires.

Pour résumer, une famille de 15 personnes entassées dans un studio acheté à bas prix dans le centre de Douai paiera moins que la mamie isolée dans sa grosse baraque familiale à côté.

A l’autre bout, la ponction doit être strictement affectée aux traitement des ordures ménagères. Cette précision n’est pas inutile. Il faut savoir ce qui rentre vraiment dans la dépense qui commande la hauteur de la taxe.
Des usagers ont ainsi contesté à ce titre un montant jugé excessif. Rassurons le lecteur, tout a été fait pour les empêcher d’avoir raison, notamment en mettant un maximum de charges – dont peut être le temps de cerveau des élus – dans le coût global.

Il y a de fortes disparités dans les taux des TEOM. La moyenne du Nord grimpe à 16% quand Paris est à 6%. La France se situe un peu en dessous de 12% pour un coût moyen pour l’usager de 175 euros.
Notons une décision plutôt intelligente de Douaizizaglo® de tendre vers un taux unique sur tout son territoire. On ne comprend pas très bien quand cela se réalisera – on parle de 2028 et même de 2035 – l’objectif étant pour toutes les communes d’atteindre, parait-il, 17,8 %.
Un détail piquant : outre que ça va augmenter pour tout le monde, ce sera de toutes les façons plus cher pour Douai qui n’est pas concernée par cette recherche de « l’équité » . Il semble que c’est parce que les éboueurs y passent plus souvent qu’à la cambrousse.

Selon le SYMEVAD lui même chaque habitant produirait 665 kg/an quand la moyenne nationale est à 580 kg/an. C’est dire qu’on peut encore progresser. Mais pas de panique. On nous reproche de remplir des poubelles qui réchauffent la planète mais il faut les comparer aux déchets dits « professionnels » : 14 tonnes par an et par habitant.

Les Douaisiens doivent maintenant se poser la question : pourquoi payent-ils de plus en plus cher l’enlèvement de leurs ordures ménagères ?

L’homme du SYMEVAD

Martial Vandewoestyne (pour soulager la claviste, on dira ensuite M. VW), fondateur du syndicat a cédé en septembre 2020 sa place de président à Christian Musial. Ce dernier, successeur de Michel Rodriguès à la mairie de Leforest, fait partie du petit groupe de « patrons » qui prospèrent dans le fromage communautaire.
Car il y a des classes dans la noblesse créée par Poiret du Nord. En sont exclus les opposants, pauvres manants. Sans existence, ils n’ont rien.
Ensuite, vient la masse des chevaliers sans fortune qui jouent les utilités. On attend d’eux qu’ils opinent au bon moment contre des repas gratuits.
Enfin, les aristocrates. D’abord les marquis prometteurs dont les prébendes sont le préalable à une possible accession à la classe suprême. Au dessus, les princes qui cumulent entre-soi, honneurs et indemnités. Ajoutons ce Musial au duo infernal Dumont-Hallé mais aussi bien évidemment M. VW.

Il y aurait beaucoup à dire sur l’ancien maire de Lambres. Il présente plutôt bien, aidé par sa haute taille et son allure distinguée. Ce sosie de Michel Barnier rappelle son modèle quand on cherche à savoir de quel bord politique il penche. Une seule certitude : l’intérêt personnel se confond admirablement avec celui du maître du Douaisis. Quand on sait que M. VW a accepté qu’on baptise de son nom un parc de sa commune, on se dit que la boucle est bouclée.
L’ex patron du SYMEVAD trimbale depuis ses débuts une réputation de technicien « toujours à l’avant-garde et en mode précurseur de l’écologie » selon son successeur à la mairie. Évidemment, ces dithyrambes sont à destination du bon peuple qui ne vérifie rien. Les informations qui suivent démontrent que les qualités de M. VW ne sont sans doute pas si assurées que cela. S’il a géré sa ville comme le syndicat, on peut supposer quelques loupés.

Un rapport en forme de tramway

La Cour régionale des comptes a publié voilà un an un rapport intitulé « SYMEVAD des communautés d’agglomération du Douaisis, d’Hénin-Carvin et de la communauté de communes Osartis-Marquion » . Comme toujours, on y trouve des choses incroyables en s’attristant que personne ne se soit saisi de ces conclusions pour agir, ni même ne l’ait un peu médiatisé.
Regardons de près ces éléments saillants, un sourire aux lèvres et la main sur le porte-monnaie.

On ne nous dit pas tout et on navigue à vue

Nos patrons aiment vivre heureux donc cachés, ce qui explique sans doute qu’ils limitent l’information donnée aux contribuables. Les juges sont plus curieux, indiquant qu’une « présentation brève et synthétique retraçant les informations financières essentielles (…) ne figure pas sur le site internet du syndicat. Il en est de même pour le rapport sur les orientations budgétaires » . On vérifiera si cette préconisation a été suivie d’effet, sachant que cette communication est obligatoire.

La CRC relève aussi que les séances du comité syndical des années 2019 et 2020 n’ont donné lieu à aucun compte-rendu. Il est évidemment utile que rien ne subsiste des débats et des décisions prises par ces hauts personnages. Ces derniers étaient d’ailleurs – si on comprend bien – illégalement pléthoriques car en septembre 2020 une délibération a fixé à 7 les vice-présidences, sachant que « les règles relatives à la composition du bureau n’étaient pas respectées » . On peut craindre que cette armée mexicaine ait été rémunérée.

Les magistrats regrettent que « le syndicat ne dispose pas d’un document stratégique pour le traitement et la valorisation des déchets » , manquement qui oblige à se demander comment on gère la prospective du machin. C’est logique puisque « l’assemblée délibérante n’a pas défini d’objectifs à atteindre » .
Tout au plus la Cour a-t-elle repéré quelques « données chiffrées » dans les rapports d’activité mais elles n’ont aucune relation « avec des objectifs préalablement définis, ce qui restreint toute démarche d’évaluation des résultats » . Bref, on navigue à vue…

On cache des sous pour augmenter la contribution des membres

Enfin, concernant la présentation des comptes, le SYMEVAD est un petit malin, procédant systématiquement à l’inscription d’une ligne budgétaire fantôme dont ses inventeurs imaginaient sans doute que son libellé ferait fuir les curieux.
Ainsi l’invention d’un compte « Fournitures scolaires » en fonctionnement de 2,2 M€ au plus bas (2016) et de 9,4 M€ au plus haut (2019). Même bricolage en investissement mais toujours aimable la Cour reconnait que c’est « dans une moindre mesure » . On est sauvés !

Stock de crayons, de gommes et de ciseaux
9 millions d’euros de gommes et de crayons, qui dit mieux ?

Mais pourquoi ce truc ? Les magistrats précisent qu’il « permet au SYMEVAD de maintenir le niveau de contribution demandé (aux CA et CC) sans mobiliser les excédents cumulés » .
Parabole de ce prodige à double détente :
1-vous avez 100 € dans la poche et 50 € planqués dans une tire-lire. Vous empruntez à votre voisin 100 € en évitant de lui dire que vous avez 50 € mis de côté. Car, s’il le savait, il ne vous donnerait que 50 €, peut être en plus en vous posant des questions gênantes.
2-avec vos trois sources, vous voilà à la tête de 250 €. Le voisin vous a aidé sans tout savoir et tant mieux. Ce budget vous permet peut être d’assurer une dépense que votre imprévoyance n’avait pas envisagée.

Plutôt habile, la manoeuvre sent un peu son Douaizizaglo®, mais elle est illégale comme le dit la CRC dans son style inimitable : « l’inscription d’une dépense qui n’a pas vocation à être exécutée altère la sincérité du budget et fausse l’information du comité syndical et des intercommunalités membres, sur le juste niveau de contribution nécessaire à son équilibre. (…) La chambre demande au syndicat mixte de mettre fin à cette pratique » .

L’unité miraculeuse nous coûte un bras

On dira peu du centre de valorisation organique qui a remplacé celui, à bout de souffle, de Sin-le-Noble. Mis en service en 2018 à Vitry-en-Artois, sa capacité est en théorie de 32 000 tonnes de déchets végétaux par an. Le projet initial était comme souvent mirifique, avec une production valorisée qui devait se diriger vers la belle piscine de la commune et… la chaufferie biomasse de « l‘éco-quartier à Sin-le-Noble » .
Le « hic » , c’est que cette idée géniale ne s’est pas concrétisée car « faute d’une étude de compatibilité préalable, ces équipements ne pouvaient pas utiliser le bois énergie produit » .

Ce ratage en annonce un autre, beaucoup plus remarquable, celui de la sublime unité TVME. On y trouve les fondamentaux d’un tramway qu’on pensait impossible à réitérer, faits d’imprévoyance, de défauts de conception et d’incurie dans la finition.
Cette usine, cette fois-ci offerte par les Germains et non les Bataves, est tellement innovante qu’elle ne fonctionne pas comme prévue, au point de plomber durablement les finances de notre SYMEVAD.`

L’usine d’incinération d’Hénin-Beaumont ne pouvant être reconstruite sur le même principe à cause de la défiance de l’opinion envers ces installations, on l’a remplacée par un truc qui existait nulle part.
L’unité, « unique en son genre sur le territoire national » , devait produire, à partir des déchets ménagers, du biométhane et surtout du « combustible solide de récupération » (sous forme de pellets) dont il était prévu qu’il alimente les cimenteries du coin.

Glissons sur les surcoûts de la construction du monstre – de 48 M€ à 55 M€ – pour nous concentrer sur le fonctionnement concret du projet « innovant » que le monde entier nous envie. Plusieurs « incidents ont mis en évidence que le procédé n’était pas tout à fait au point » , si bien qu’on a péniblement atteint en 2019 un volume de 60 000 t d’ordures traitées (soit 30% du volume total du territoire).

Sur les 32 500 t de CSR fabriqué, faute d’une prospection sérieuse au préalable auprès des entreprises du secteur, peu de débouchés alors que toute la machine reposait dessus. L’emploi – par un seul cimentier – n’a pas dépassé 6000 t. Si vous vous demandez ce qu’est devenu le reste, c’est simple, il a été incinéré ou enfoui, probablement dans les décharges de Lewarde ou d’Hersin-Coupigny.

Il est facile de comprendre que devant de telles difficultés, le « titulaire du marché » ait été dans l’obligation de renégocier les termes de son contrat à coups d’avenants, d’embauches de personnels supplémentaires et d’indemnisations diverses.
Il a fallu ensuite changer de prestataire. L’appel d’offre ayant échoué, Le SYMEVAD a fini par se résoudre à une procédure négociée avec Suez RV Nord Est pour un montant de 22 M€, alors même qu’il « ne dispose toujours pas des crédits budgétaires lui permettant de (le) rémunérer » .

Comme on peut s’en douter, ce nouveau titulaire du marché a bénéficié de conditions très généreuses pour qu’il accepte le « deal » , ainsi une réduction de ses obligations (objectifs de production du biométhane abaissés de moitié…) mais surtout la mise à la charge du syndicat de toute une série d’opérations (coûts d’entretien de l’unité, traitement des encombrants, refus de tri, gestion des ordures ménagères résiduelles etc.).

Le SYMEVAD est en péril

Cette affaire de TVME est inquiétante pour les surcoûts qu’elle induit. La hausse des charges du SYMEVAD en relève à 40% sachant qu’elles sont passées de 15,6 M€ à 26,6 M€.
Bien conscient du problème, le syndicat dans sa réponse à la CRC explique qu’il « se fixe comme objectif à moyen terme (2025) d’optimiser le coût de fonctionnement du TVME permettant de revenir à un coût compétitif de traitement des ordures ménagères résiduelles (comparativement à l’enfouissement) sous peine d’abandonner la filière prometteuse de valorisation des déchets par la production de combustibles de substitution ».
Cette formule alambiquée est traduite par les magistrats pour ce qu’elle est : « Le syndicat se donne donc la possibilité de fermer l’unité TVME pour revenir à un traitement par enfouissement, certes moins coûteux mais ne respectant pas la hiérarchie des modes de traitement » . Rien que ça…

Proposition de fermeture TVME Symevad
Rapport SYMEVAD 2022 : cf les deux premières propositions d’un scénario possible…. 55 Md’investissement pour ne rien en faire…

Les déchets se réduisent, les taxes explosent

Bien entendu, la solution se trouve comme toujours dans la poche des contribuables qui, ainsi que nous le savons tous, est sans fond. D’où l’augmentation de la contribution des intercommunalités (qui repose sur la TEOM) passée en 2021 de 15,1 M€ à 24,2 M€ (hausse de 40%, une paille…).

Dans les « éléments de langage » produits par M. VW devant la presse, on ne trouve jamais l’unité TVME pour expliquer cette explosion financière. Il évoque « les frais de collecte qui croissent naturellement » (ah bon ?) et puis le méchant État (ça ne mange pas de pain) qui obligerait l’usager à payer le « vrai prix » de la gestion des ordures ménagères.
Ah oui ! Il y aurait aussi « l’effondrement du prix des produits recyclés » . C’est vraiment pas de bol puisque le système génial repose sur cette solution miracle. Il oublie de rappeler qu’il y a un problème de débouché (cf le CSR dont les cimenteries ne veulent pas) plutôt qu’une histoire de prix. L’amusant – relevé par la CRC – c’est que le SYMEVAD n’a jamais prévu de récupérer le produit de cette vente éventuelle.

Comme toujours en termes d’écologie, la culpabilisation est un levier efficace, évidemment reliée à la punition habituelle : l’augmentation continue de la taxe.
Comme tous nos élus professionnels, M. VW est un adepte de la ponction fiscale sans limites : « La TOEM ne baissera pas dans les années à venir à moins que les tonnages de déchets baissent fortement. La priorité c’est celle-ci » .
Ce sont donc les usagers – et accessoirement ceux qui paient – qui sont les responsables du problème mais surtout pas ceux qui dépensent. La TEOM est déconnectée du volume des déchets produits. Quelle incitation financière pousserait le citoyen à les réduire ?

Autre paradoxe de ce dossier si mal géré par nos élus aristocrates : on a fortement réduit en dix ans le volume des déchets ménagers du territoire (moins 20%) pour une TEOM qui grimpe inexorablement.
Pour un peu, notre brave SYMEVAD est comme nos services publics : de plus en plus chers pour une performance de moins en moins efficace… Il est à parier que lorsque nous n’aurons plus aucun déchet ménager à mettre dans nos poubelles, on conservera cette taxe au titre de l’air qu’on respire.

Au delà de ces péripéties indignes, la performance du syndicat est médiocre, habilement masquée par un épais nuage de fumée recyclée. Nous conclurons par un seul chiffre qui remet tous ces experts élus rémunérés à leur juste place : quand le taux national de valorisation des déchets ménagers monte à 66%, le notre – avec cette débauche d’argent public gratuit qui est la marque du Douaisis – culmine péniblement à 31%.

Le barrage fuit

C’est fait. Dimitri du Bien est remplacé par Thibaut de Douai.
La mobilisation contre « l’extrême droite » organisée entre les deux tours dans la salle des fêtes de Cuincy « a fait pschitt » . On avait pourtant sorti de la naphtaline d’anciens caciques en espérant que ces gloires passées conjureraient le mauvais sort.
C’était oublier que l’évolution sociologique du territoire – favorisée par les mêmes quand ils étaient aux manettes – produit des effets électoraux contre lesquels plus personne ne peut plus rien.

Enfin, du nouveau au Palais Bourbon

On dira quelques trucs du résultat national que l’équipe technique bénévole de Douai Vox, imitant par paresse les instituts de sondages, n’avait pas anticipé. Personne n’a gagné si on part du principe qu’un succès législatif sous la V° République repose sur une majorité à l’assemblée. Ce n’est pas la première fois que les élections législatives débouchent sur cette configuration mais un tel déficit de sièges pour un président absolu sortant ne s’est jamais vu.

Il reste que ce résultat démontre de la finesse du peuple capable, par ce miracle du suffrage universel qui est une addition de choix individuels, d’envoyer un message collectif clair aux princes qui nous gouvernent.
Il avait choisi le jeune prodige aux présidentielles – parce que vraiment la dame ce n’était pas possible – mais sans donner au béjaune l’autorisation de faire n’importe quoi.
Comme il a joué au plus fin en évitant tous les sujets, avant de se mettre à parler ukrainien parce que les agences de comm’ lui disaient que ça payerait, le v’là sans majorité à l’assemblée.
Admirons cette sanction populaire qu’aucun état-major politique n’aurait été capable ni de concevoir, ni de réaliser.

Attendons la suite qui va, à n’en pas douter, nous réserver des surprises. Les rouages de nos institutions sont un peu rouillés quand on sait que la seule motion de censure réussie date de… 1962. Il n’est pas certain non plus que la machine, rapiécée par de nombreuses reprises (quinquennat entre autres), puisse fonctionner comme elle le devrait.
Si l’absence de majorité est un fait marquant, car les Marcheurs ont perdu pas mal de Dimitris, ils constituent toutefois le groupe le plus important de l’assemblée avec 245 sièges.
Le président absolu n’a pas dit son dernier mot.

Enfin, ça bouge dans les circonscriptions

Justement, parlons de nos deux battus de la 16° et la 17° circonscription.

Dimitri Houbron est emblématique de ces députés de circonstance nés dans la champignonnière macroniste sans passé militant, ni compétence particulière. Son bilan était mince, centré sur des sujets annexes qui ne font pas une stratégie, sans parler de l’absence totale de direction politique.
Ses prises de parole actant l’échec – le « au revoir » giscardien fait sourire – sont intéressantes pour ce qu’elles révèlent. Il se serait « engagé en 2017 pour éviter le Rassemblement National » . Ce héros combattant l’hydre aurait mieux fait durant son mandat de s’attaquer à ce qui nourrissait la bête qui l’a mangé tout cru.
A partir de ce vide mal compensé par une personnalité peu charismatique, les soutiens étaient rares dans la circonscription. Comptons pour rien l’appui anecdotique de pauvres centristes en rupture de ban et d’idées. Dimitri Houbron sera comme les inconnus célèbres qui ont traversé l’histoire de la ville. Tiens dans le genre Claude Wargnies ou Paul Moreau.

Alain Bruneel pourrait être l’opposé du précédent par l’âge, l’épaisseur militante et la solidité de l’étiquette politique. Cet apparatchik qui n’a jamais travaillé de sa vie, bénéficiait d’une sinécure de permanent depuis… 1968. Ce camarade communiste, maire de Lewarde de 1999 à 2017, a succédé la même année dans son fauteuil de député à deux parrains du PCF de la Belle Epoque. Le célèbre Georges Hage et le non moins connu Jean-Jacques Candelier, généreux employeur du fameux Roussel.
La chute d’Alain Bruneel, dernier représentant d’une idéologie évanouie et surtout dévoyée, est logique quand on observe ces élus capables de toutes les alliances dans un territoire qui, d’ailleurs, fut dans le passé plutôt SFIO, c’est à dire socialiste.
A l’inverse de son collègue Houbron auquel il s’était allié dans la détestation d’une « extrême-droite » menaçant leur mandat et leurs indemnités, Alain Bruneel pouvait se targuer d’une certaine activité. Ce spécialiste des transports gratuits et des lignes ferroviaires déficitaires n’a pas ménagé sa peine pour se faire connaître. Cette frénésie n’a pas suffi pour conjurer le sort mais rassurons nous : « Je travaillerai d’une autre manière. La lutte continue, je suis un militant » . On le savait et ce boulot sera même rémunéré.

Enfin, les élus rejoignent la sociologie locale

Ce dernier cas d’ailleurs permet de savoir ce qui se serait passé si le-elle-iel candidat-e de la Nups-e-s avait supplanté Dimitri Houbron au premier tour et donc si on avait assisté ensuite à un duel de titan entre « les extrêmes » . Sans doute le sortant sorti aurait-il appelé à voter pour la gauche, encore que ces préconisations, aujourd’hui démonétisées, n’ont pas toujours l’effet attendu. Il y a bien longtemps que les électeurs n’en font – et tant mieux – qu’à leur tête.
Plus précisément, on a, avec la chute du député Bruneel, un début de réponse. Dans la 16° comme la 17°, l’audience du Rassemblement National est devenue majoritaire. Il grignote peu à peu du terrain, cette progression profitant de candidats au profil bien meilleur que celui de l’époque pionnière.

On notera aussi l’opposition du centre contre sa périphérie qui retrouve l’antagonisme de la communauté d’agglomération. On sait qu’on a beaucoup enlevé à Douai pour consoler les communes autour de ne pas être la capitale mais il semble que cette stratégie ne fonctionne plus. Le RN arrive en tête quasiment partout (hors Esquerchin, Erchin et… Douai). On peut en déduire que ces électeurs ne sont pas contents de leur sort, ce qui serait sans doute différent si notre ville était plus prospère. Souvenons nous de ce proverbe chinois : « quand les gros maigrissent, les maigres meurent » .

Pour autant, à Douai, le RN fait à présent quasi jeu égal avec une « Gauche » protéiforme qui prospère sur les idées nouvelles qui adorent l’Autre (islam, immigration…) pour mieux détester le Vieux Pays.
Elle est largement soutenue dans notre ville, caractéristique qui devrait faire réfléchir tous ceux qui commencent à aiguiser leurs couteaux en prévision des municipales. Il y avait un agenda caché dans cette élection pour beaucoup de candidats : se faire connaître, compter ses forces et poser des jalons en prévision du Grand Soir Communal.

Il est étonnant en conclusion de voir combien notre ville et accessoirement la circonscription ont épousé les déterminations nationales. On a eu beaucoup d’abstentions, les « extrêmes » ont prospéré au détriment des sortants.
Mais il y a plus. Napoléon disait « qu’un État fait la politique de sa géographie » , celle de notre Douai dépend d’abord de sa sociologie.
L’évolution de la population, souvent évoquée dans ces pages, conduit peu à peu à y voir s’affirmer deux camps qui s’opposent sur à peu près tout. Le paradoxe, c’est que l’espace au milieu sera très convoité alors même qu’il se révélera – comme Macron et tout ce qui l’accompagne – une très étroite impasse.

Une lumière dans la nuit

Affiche du FIGRA 2021 Douai

Bon, on critique souvent, c’est d’ailleurs l’objet de ce blog car il faut avouer qu’il y a de la matière. Mais pour cette fois, un peu de nuance positive. Avez-vous entendu parler du FIGRA ? Sans doute pas, comme 99% des habitants du Douaisis mais c’est dommage.

Déménagé du Touquet voilà deux ans pour arriver à Douai, le Festival International du Grand Reportage d’Actualité permet durant une semaine de voir pour un prix modique toute une série de documentaires sur de nombreux sujets avec trois avantages absolus : le grand écran, le Dolby stéréo et des sièges confortables.

Bien sûr, on peut discuter de la programmation qu’on croirait sortie d’une grille de France Culture mâtinée de NUPES sur un zeste de ZADiste mais en y regardant bien, on y trouve des pépites étonnantes. Entre deux odes aux migrants et trois dénonciations du capitalisme, on donne au festivalier qui sait choisir la possibilité d’un autre regard sur le monde. Pourquoi s’en priver ?

On peut ainsi regarder tout ce qu’on ne peut voir à la télé dès l’instant où on cherche, sur ce stock de plus de 80 documentaires, des sujets originaux qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Bien traités pour la plupart, ils font partie des expériences qui vous donnent l’impression d’être plus intelligent en sortant qu’en y entrant.

Retenons ainsi l’extraordinaire « La mémoire de mon père » qui, loin des clichés dolosifs habituels, décrit l’accompagnement singulier offert par une fille à son géniteur. Quand rôde Alzheimer, cette célébration du présent – le passé s’évanouit, l’avenir est compté – vaut tous les messages du monde.

Pensons aussi au documentaire sur Robert Badinter, sa lutte contre la peine de mort qui ponctue un parcours d’exception. On ne peut s’empêcher d’avoir un brin de nostalgie devant ces images d’archives, celles d’une période si étrangère quand on observe le beau langage qui y était la norme et les DS 21 le mode de transport des ministres.

Bien sûr, le FIGRA douaisien en est à ses débuts, on doit faire le pari d’une amélioration de son organisation, avec le retour d’expérience qui convient.

D’abord sur la communication d’un évènement si rare dans notre ville. Sa célébrité viendra sans doute avec le temps mais l’enjeu d’une meilleure connaissance par l’opinion locale – pas seulement les intellos – ne serait pas inutile. On reconnait que ce genre de boulot est une gageure à Douai mais les marges de progrès sont là.

Pensons aussi à un lien plus net avec les commerces de la ville, en premier lieu les restaurants qui cette année – il faut le saluer – ont fait un effort sur l’heure de fermeture. On peut aussi espérer un palmarès plus sélectif quand on sait qu’environ un quart des documentaires sont primés, ce qui ne manque pas de diluer la force des prix.

Bref, en dépit de ces réserves mineures, c’était bien ce FIGRA. On y laisse des sous comme nous l’avons déjà expliqué mais c’est vraiment pour une bonne cause. Car, outre les découvertes médiatiques explosées plus haut, on peut faire le pari que tous ces « extérieurs » , amateurs, réalisateurs, producteurs, journalistes, découvrent pour la première fois notre ville. C’est une occasion parfaite pour la faire connaître au delà des bords de la Scarpe.

L’année prochaine, Douai Vox prend un « pass » hebdomadaire ! Faites comme nous !

La fonderie de Douai

Fonderie de Douai Tableau d'Heinsius ® museo.com

Les amateurs d’histoire locale savent que Douai, avant toute chose, était une place d’artillerie. Elle avait ses régiments, dont le fameux 15° RA dans la caserne Caux, ses écoles de tir, son polygone et surtout sa « fonderie de canons » depuis longtemps disparue mais dont nous pouvons deviner facilement les traces.

Le jardin des origines

Impossible, en effet, quand on passe près de St Amé, d’ignorer le portail imposant qui porte ce nom. Copie de l’original, il donne une certaine allure à la résidence qui accueille depuis 1990 les personnes âgées de la fondation Partage et Vie.

Portail du jardin de la fonderie en 2022.

En franchissant cette porte, on débouche sur un jardin. Il date un peu mais retenons l’innovation qui était la sienne quand il a été aménagé, intelligemment installé dans les vestiges de la fonderie ainsi conservés.

L’enceinte circulaire encore existante n’est pas celle des débuts. Si elle reprend plus ou moins une partie de l’emprise initiale, il s’agit de la « halle aux fontes » construite en 1825. Pour autant, du côté de St Amé, on repère des bases plus anciennes et même, ici ou là, des restes de la fortification médiévale.

Bases de la fonderie de Douai
Bases de la fonderie du côté de St Amé. Le soigneux calepinage des briques et des grès permet de dater ces arches du début du XVIII° siècle.

Mieux, bien avant l’invention des canons, sur cette hauteur artificielle, les Comtes de Flandre avaient construit la tour qui surveillait le gué de la Scarpe, alors ruisseau marécageux.

Nous sommes dans le Douai des origines.

Ces bâtiments, passés du bois à la pierre et agrandis au cours des siècles, existaient quand Louis XIV, qui venait de conquérir la ville, eut l’idée – sans doute soufflée par Louvoisd’y installer en 1669 une fabrique de « bouches à feu ».
Ce choix était des plus astucieux. On pouvait non loin de la frontière – comme à Pignerol et Perpignan – renforcer la défense du royaume en l’alimentant d’une artillerie toute neuve.
La Scarpe permettait les acheminements à une époque où la voie terrestre est impraticable, sans parler de la force motrice mise au service des machines. Enfin, la hauteur de la terrasse éloignait les fourneaux de la nappe phréatique, l’humidité faisant très mauvais ménage avec le bronze en fusion.

La fonderie royale de Douai

La mise en œuvre de la fonderie fut étonnamment rapide. Il est vrai qu’à l’époque, changer la destination d’un bâtiment ne posait pas trop de problèmes. On s’adaptait. Des murs, un toit, des portes, et hop, ça faisait l’affaire, un peu comme un hôpital devenant hôtel de luxe mais en plus vite et moins cher.
De janvier à mars 1669 étaient aménagés les murs extérieurs et la couverture dite « légère » du tout. Dans le même temps, les fourneaux furent construits avec des briques amenées d’Arras. Louvois de son côté avait envoyé un charpentier, un spécialiste, pour construire la machinerie, notamment l’alésoir. A la fin de l’été, la fonderie était en état de marche. Elle allait fonctionner jusqu’en 1867.

La fonderie de Douai en 1850
Plan Robaut de 1850. A noter : l’importante emprise de la fabrique, notamment les bâtiments à l’ouest de la halle des fontes et surtout les deux bails qui l’alimentaient.

Pour mener à bien l’abandon des achats de canons aux spécialistes étrangers, de Suède, d’Autriche ou de Hollande, Louis XIV recruta deux « fondeurs allemands », en fait des Suisses, les Keller.
Des deux frères, Balthazar (1638-1702) et Jean Jacques (1635-1700), le premier, nommé « commissaire des fontes » , contribua à créer – on n’ose dire fonder – l’industrie d’armement nationale.
En 1690, sa nomination à Paris pour terminer l’achèvement des statues royales oblige Louvois à le remplacer par son frère. L’aîné connaîtra moins de succès que le cadet. Accusé de malversations, Jean-Jacques, emprisonné en 1695, sera prestement remplacé par un de ses collaborateurs, ancien officier d’artillerie, Claude Berenger dit « de Falize » , dont les descendants dirigeront jusqu’en 1821 la fonderie.

Il y aurait beaucoup à dire sur ces « experts », toujours étrangers, que le roi s’attacha à prix d’or au point que ni leur origine, ni leur religion ne posaient problème. Ce qui comptait, c’était leur savoir familial accumulé depuis des générations. La connaissance des alliages et la maîtrise de la fusion étaient fondamentalement empiriques.

Les Keller, puis leurs successeurs Berenger, ne s’occupaient pas des opérations techniques. Ils étaient des sortes d’ingénieurs disposant d’une main-d’œuvre conséquente, pour partie originaire de leur patrie. Ils recevaient du roi une pension, un budget pour faire fonctionner la fabrique et des fonds pour acheter la matière première, opération étroitement surveillée car les fraudes étaient courantes.

François Berenger (1725-1801) par Heinsius (1773). Fils de François Simon (1690-1747), il lui succède à sa mort. Commissaire général en 1765, le roi l’anoblit en 1775. Ecarté par le Comité de Salut Public en 1793, il est rappelé deux ans plus tard. A noter, le compas posé devant la bouche du canon, preuve de sa pratique.
® RMN

A la fin du XVII° siècle, la fonderie employait une centaine d’ouvriers mais elle logeait dans son enceinte plus du double, ce coût revenant d’ailleurs à la ville. Dans cette main-d’œuvre, certains compagnons étaient spécialisés, ainsi les ciseleurs, mais la plupart avaient des attributions multiples souvent dangereuses.
Outre le poids des pièces, la chaleur de la fusion, la durée de la coulée où aucune pause n’était possible, les témoins du temps avaient noté que les vapeurs dégagées rendaient systématiquement malades les ouvriers qui en étaient chargés.

Le mystère de la fusion magique

La fonderie s’organisait en quatre ateliers : la « moulerie » pour la confection des moules, la « fonderie » pour la coulée, la « forerie » pour le forage, l’alésage et le tournage, la « ciselerie » pour la pose à froid des grains de lumière et les usinages extérieurs. Plusieurs portiques permettaient le déplacement des pièces à l’aide de poulies et de moufles.

Cette industrie évoluera peu pendant près de deux siècles. Ainsi, on ne saura pas, durant longtemps, analyser les matières sauf par l’observation aidée de l’expérience.
On repère la température à la vue par la couleur au feu. La pureté par le goût en portant la bouche sur le métal. La qualité se vérifie par le son après une percussion ou par l’aspect après une coupe. Les fondeurs les plus avertis savaient la juger selon les paillettes, les cristaux ou l’homogénéité qu’on trouvait sur la tranche.

La fonte de fer, connue depuis longtemps, n’ayant détrôné le bronze qu’à la fin du XIX° siècle, c’est ce dernier qu’on coule à Douai. Faite de cuivre, d’étain et de « letton » – toujours achetés à l’étranger – la mixture cherche le meilleur compromis entre la résistance, le poids et la facilité de l’usinage. Chaque coulée était un pari dont le résultat se vérifiait lors de l’épreuve de la pièce.
Ces « commissaires aux fontes » suscitaient, comme Vulcain ou Héphaïstos, autant d’admiration que de méfiance car ils tenaient leurs alliages secrets. Ce mystère ne manquait pas de susciter le soupçon chez les officiers chargés du contrôle des coûts.
Une analyse scientifique réalisée au milieu du XIX° siècle a révélé que les canons des Keller étaient composés de 91% de cuivre, de 7% d’étain et de 2% de plomb, dernier « ingrédient » qui étonna les savants par la fragilité qu’il pouvait donner aux pièces.

La fabrication commençait par les moules. Douai conservera longtemps la technique de la terre qui oblige à les détruire au moment du décoffrage. Mais à la fin du XVIII°siècle, une modalité moins fastidieuse et moins coûteuse – car réutilisable – marquait sur du sable une empreinte en creux ensuite contenue dans un châssis de fer.

Détail du tableau d’Heinsius. Au fond, la ciselure, au second plan le séchage des moules et au premier plan la pesée de la pièce.
® museo.com

Lors de la coulée, les Keller plaçaient un noyau réfractaire en argile au centre du canon, lequel, cassé, donnait l’ébauche de l’âme. En 1734, un fondeur suisse, Maritz, la coulait d’un bloc. Cette simplification reposait sur la phase suivante, la plus compliquée : l’alésage.

Au début, les Keller posaient la pièce verticalement sur l’outil. Le poids renforçait le mordant, mais la rotation du foret était très lente. Le calibre s’obtenait après plusieurs passes laborieuses et des vérifications constantes du centrage. Tout ratage obligeait à mettre la pièce au rebut.
Maritz enserrait le canon brut de décoffrage dans un cadre de bois mis en rotation à l’horizontale. L’alésoir, fixe, le perçait comme le font les tours d’usinage actuels. Une vis régulait l’avancement réalisé en une seule fois.

Heinsius (détail) A gauche, l’alésage, au centre, le sciage de la masselotte, à droite le décoffrage des pièces.
® museo.com

Avec ce système qui fut établi à Douai en 1748, les fondeurs parvenaient à un degré de précision remarquable, de l’ordre de quelques millimètres à une époque où étaient inconnus les roulement à billes, les bâtis en acier, la normalisation de l’outillage et surtout la mécanisation.

L’âme réalisée, la lumière de mise à feu était percée (à l’archet…) avant qu’elle ne soit finie par les ciseleurs. On vérifiait enfin la pièce selon un processus minutieux. Après avoir contrôlé la présence ou non de « chambres » (des creux dans le tube), des charges de poudre surdimensionnées étaient mises à feu pour en éprouver la solidité.
Chaque canon sorti indemne de ces épreuves (60 à 70% de la production, parfois moins) recevait une inscription : sa fonderie, sa date de fabrication et son nom, toujours ou presque une épithète bien choisie, parfois agrémentée d’une devise ou d’une dédicace au grand maître de l’artillerie.
On sait que le canon du jardin daté de 1744 s’appelle « la furibonde » . Meilleures que l’immatriculation moderne, ces personnalisations étaient sans limite : « le mignon » , « la vertueuse » , « le sot » , « la souffrante ». On trouve même un assez logique « l’ennemi » qui dit tout…
Magnifiques, ces canons sont proches des sculptures qui étaient l’autre spécialité de Balthazar Keller. Ces œuvres d’art témoignent du niveau d’exigence esthétique de la monarchie et celui des fondeurs douaisiens à son service.

Innovation contre obsolescence technique

Si les innovations restèrent modestes, il faut néanmoins les relier aux réformes militaires qui aboutirent peu à peu aux canons modernes. Durant longtemps, l’artillerie est d’une diversité incroyable entre les pièces de sièges, de marine ou de campagne, sans parler de celles, disparates, prises à l’ennemi. Pour un peu, chaque canon devait avoir un projectile particulier.

Pour rationaliser les parcs, en 1732, de Vallière uniformise les calibres tout en réduisant le nombre, ce qui facilite l’approvisionnement lors des campagnes.
A partir de 1765, Gribeauval invente un système complet d’armement, du fusil au canon, si innovant qu’il sera celui des campagnes de la Révolution comme de l’Empire et restera inchangé durant presque un siècle.
Sa première idée est d’alléger les pièces en raccourcissant le tube, décision qui suscitera des oppositions farouches de la part des tenants du système De Vallière qui en déduisent à tort que la précision des tirs sera inférieure.
Gribeauval annule ce risque par une rationalisation des fabrications qui réduit les tolérances d’usinage dont le fameux « vent du boulet » , jeu entre le projectile et le tube qui jouait sur la précision et usait rapidement l’âme (1000 coups à 1000 mètres et pas plus).
Des gabarits, des tables de construction et des outils de mesure sont distribués aux fonderies royales, lesquelles produisent des canons plus efficaces, plus mobiles et facilement réparables par l’interchangeabilité des pièces.

Les fontes donnaient une moyenne d’une dizaine de pièces par mois, soit près de 150 canons annuels. En vingt ans, Keller en produisit trois milliers. Les Berenger contribuèrent au même rythme, réussissant à atteindre au début du XIX° siècle 200 à 250 canons par an.
Cette quantité impressionnante – l’artillerie compte 40 000 bouches à feu en 1789 – explique la présence, à peu près sur tous les coins du globe, de canons douaisiens, laissés en cadeau à des alliés (ainsi par Rochambeau aux Américains) ou plus souvent pris par l’ennemi qui les a conservés comme trophées (en Russie, en Prusse, en Angleterre etc.).
A la fin de l’Empire, en 1815, le parc français, pourtant sans cesse alimenté depuis 1803, a perdu les 2/3 de ses pièces. Il reste à la Restauration dans les régiments d’artillerie à peine 14 000 canons de tous types.

L’obligation de renouveler l’armement après deux décennies de conflits, tout en tenant compte de leurs enseignements, ont augmenté les exigences de l’Etat en termes de qualité. Il s’en est suivi concrètement de nombreux rebuts qui ont affaibli l’intérêt des fondeurs, y compris à Douai où le dernier Berenger abandonne sa commission en 1821.

Ce glissement de l’entreprise vers la gestion directe – la régie – marque le début d’une modernisation des procédés de fabrication. Il est vrai que les pertes – dont ils devaient supporter les coûts – ne poussaient pas les fondeurs à sortir de la routine, sans parler de l’usure des pièces – inévitable avec le bronze – qui obligeait l’Etat à les remplacer régulièrement pour leur plus grand avantage. Sans le savoir, ils avaient inventé l’obsolescence programmée.

Tout change au début du XIX° siècle, quand la révolution industrielle impacte tous les secteurs économiques. L’armement est un des plus dynamiques. Les gouvernements restent toujours attentifs à ne pas se faire distancer par les voisins.
Les innovations techniques, qui se multiplient, vont de pair avec une formation des ingénieurs qui augmente leur expertise. Il est remarquable que tous les directeurs de la fonderie de Douai – sauf le premier, le commandant Gauche, mais il sort de Châlons – aient été issus de l’Ecole Polytechnique (De la Grange X1803, Dussaussoy X1803, Tournaire X1808, Mocquard X1810, David X1812 etc.).

Acte de décès du colonel Dussaussoy 1846
Janvier 1846. Acte de décès du colonel Dussaussoy, ancien directeur de la fonderie établi à Douai après sa retraite. Ce brave, originaire du Ternois, entré dans l’armée comme canonnier à 20 ans, ensuite élève de l’Ecole Polytechnique (X1803), a fait toutes les campagnes napoléoniennes dont l’expédition d’Egypte. Son successeur à la fonderie, Tournaire (X1808) signe l’acte.

Le passage en régie correspond d’ailleurs au moment d’une grande rénovation menée par le baron de La Grange, directeur de la fonderie de 1822 à 1826. On lui doit la halle en fer à cheval qu’il a recouverte d’une charpente métallique de son invention, technique ultra moderne pour l’époque dont les embases sont encore visibles. Elle supporte de plus un toit en deux parties permettant d’évacuer les gaz. La mécanisation s’améliore aussi avec l’installation d’une « machine à feu » de 25 CV qui entraine une forerie à quatre bancs.

En dépit de ces efforts, la fonderie de Douai aura beaucoup de mal à suivre les progrès de l’industrie d’armement, notamment la rayure des tubes, le passage à l’acier et surtout le chargement par la culasse. Les trois fonderies existantes, Douai, Strasbourg et Toulouse produiront des canons à âmes lisses jusqu’en 1861.

En 1867, le gouvernement impérial décide de les fermer pour créer à Bourges un grand établissement adoptant les méthodes modernes de production. Douai avait déjà mis en place des fabrications d’obus et de fusées plus mécanisées que la fonte des canons. L’entreprise sera donc dédiée à cette activité jusqu’à la Grande Guerre, le conflit laissant, comme une bonne partie de la ville, les bâtiments presque complètements détruits.

La fonderie en 1918. La halle a bien souffert…

Déclassé par l’armée en 1936, le site est acheté par la ville qui y construit après la Libération, sur la partie ouest rasée après 1918 devenue un jardin, un conservatoire et une bibliothèque municipale inaugurés en 1955. Sur le reste de l’emprise, elle installe un centre d’apprentissage technique, dit « Charcot » . Divers baraquements accueilleront jusque dans les années 60 des élèves de nombreux corps de métiers.

Le site de la fonderie sera ensuite laissée à l’abandon. Plusieurs destinations seront alors envisagées notamment, dans les années 70, un projet de logements dotés de parkings souterrains. A toute chose malheur est bon. L’imminence de cette destruction définitive a provoqué une fouille de sauvetage qui a permis de mieux connaître l’origine de Douai.
Pour autant, si ces habitations ne virent pas le jour, les travaux de la résidence Partage et Vie, dix ans plus tard, aboutirent à la disparition des derniers bâtiments encore debout, ainsi ceux, XVIII°, qui faisaient face à l’hôtel Romagnant, logement des commissaires des fontes, lourdement transformé en hôtel peu avant.

Cette longue histoire de destruction s’est heureusement arrêtée là. Les vestiges qui subsistent nous rappellent l’existence du passé et en empêchent l’oubli. Remercions tous ceux qui ont contribué à cette conservation miraculeuse.

EVEOLE : gratuité des transports, on passe à la caisse (2/2)

Des bus vus d'en haut

Après avoir posé le cadre général de cette affaire de gratuité, abordons ses effets en réponse aux nombreux objectifs que lui assignent ses inventeurs.

On aime la bagnole

D’abord, des chiffres parce qu’il n’y a que ça de vrai. Sur une population totale, le recours aux transports en commun reste marginal comparé à celui de la voiture. Cet objet, autrefois de désir et de liberté, est devenu depuis quelques temps un repoussoir absolu en dépit de son utilisation par tous les Français ou presque.

La part modale du déplacement collectif (on met le train dedans) est faible, à 5%, quand la voiture est à 68%, la marche à 25% et le vélo à 2%. D’après l’INSEE, dans le bassin minier, près de 83 % des actifs qui y travaillent (plus de 200 000 personnes) utilisent l’automobile pour se déplacer, proportion supérieure aux chiffres nationaux.

C’est dire que dans la masse, les habitants qui montent dans le bus sont rares. Notre taux moyen de voyages par habitant, déjà évoqué, est faible : 11 quand certaines AOM dépassent les 200.
Nous avons pourtant hérité d’un réseau plutôt bien fait. Il découlait des circuits professionnels montés par les entreprises, les charbonnages notamment, qui pouvaient déterminer le lieu d’habitation en fonction de la localisation des puits ou des usines.

Notre situation est aujourd’hui différente. La démocratisation de la voiture comme l’étalement de l’habitat – l’un s’est appuyé sur l’autre – ont bouleversé l’ancien système. L’INSEE indique que les 15 000 actifs du bassin minier qui utilisent les transports en commun réalisent des trajets de proximité (moins de 10 kms) ou de longue distance (plus de 35 kms).
Les circuits courts sont plutôt routiers tandis que les plus longs sont ferroviaires. On note que le Lensois et le Douaisis échangent de nombreux actifs mais la faiblesse de l’offre de transports en commun entre ces deux zones conduit les navetteurs à utiliser massivement la voiture.

En ayant ces grands nombres à l’esprit, il faut considérer les objectifs stratégiques qui justifient le passage d’Evéole au gratuit. On peut citer, entre autres, le tweet triomphal du député Bruneel qui a fait de ce sujet un de ses dadas : « une victoire collective qui va bénéficier à tous les citoyens et à l’environnement. Bravo ! ».
Gardons la tête froide. Nos élus sont, parmi les gens, les moins disposés à prendre les transports en commun alors même qu’ils s’en occupent beaucoup. Il serait facile de vérifier lors d’un conseil communautaire qui est venu à Douaizizaglo en bus. On n’ose évoquer le vélo.

Si le député Bruneel voit la gratuité comme une mesure sociale et environnementale, notre président ajoute à son tour qu’elle faciliterait « l’accès aux services publics et aux équipements culturels, sportifs et de loisirs » tout en étant « un levier d’animation et d’attractivité touristique ». Il considère, de plus, que la mobilité « serait un frein à l’emploi, à la formation et à l’accès aux soins sur notre territoire ».

Une panacée aux effets difficilement mesurables

A l’exemple des publications du GART, de l’INSEE ou même du Sénat, on dispose d’études fouillées sur la gratuité des transports. On épargnera leur détail aux lecteurs mais il est possible d’en tirer quelques conclusions en regard des nombreuses finalités qu’on assigne à cette décision improvisée.

La première est justement qu’il n’y a pas ou peu de constats avérés, faute de dispositifs fiables de recueil des données sur le mode « avant après ». Les agglomérations qui ont installé la gratuité éprouvent beaucoup de mal à mesurer les effets concrets de leur politique, hors la hausse de fréquentation la première année.

Concernant le « lien social » qui serait facilité, le GART indique que rien ne peut vérifier la réussite d’un tel objectif. Le problème tient à l’impossibilité d’isoler cette décision dans l’évolution des usages. Tout au plus, peut on peut postuler d’un effet possible sur le pouvoir d’achat par le transfert de la charge sur les citoyens imposables au bénéfice de ceux qui ne le sont pas.

L’employabilité empêchée par le prix des transports apparait tout autant aléatoire même si ce lien semble logique intuitivement. Il existe de nombreux dispositifs d’aide spécifiques pour les demandeurs d’emploi ou les « travailleurs pauvres » , notamment pour faciliter leurs déplacements.
Par ailleurs, comme le dynamisme des entreprises dont dépend le rendement du « Versement Mobilité », les déterminations de l’insertion professionnelle sont multi-factorielles. Si la mobilité joue un rôle, elle n’en est pas la clé absolue. Le problème de notre territoire est d’abord celui de la faiblesse de la formation de sa population.

L’accès à la santé est difficile à mesurer alors même qu’il existe une prise en charge par l’Assurance Maladie qui rembourse les frais de 65 % à 100 % selon les cas (cf prescription médicale de transport par le célèbre formulaire 11574*04). Là encore, surtout de nos jours, les difficultés du Douaisis se trouvent plus du côté de l’offre de soins que des moyens de transport pour y accéder.

Quant à la réduction de la pollution, objectif auquel aucune politique ne peut aujourd’hui échapper, des bus gratuits pousseraient sans doute des automobilistes à remplacer leur voiture par le Binbin pour sauver la planète.
S’il pollue beaucoup plus qu’une voiture (900 gCO2 contre 130), le gain du bus se trouve dans le rapport favorable passager/véhicule (avec 12 passagers, on tombe à 70 gCO2). C’est moins vrai en périodes creuses et surtout lors de l’inévitable haut-le-pied.
L’Ile de France a mené une étude sur les conséquences d’une éventuelle gratuité. Pour la région – très dense en réseau et en démographie – la réduction en bilan carbone monterait à 28 millions d’euros sur 4 milliards (soit 0,7%). Au final, la baisse du trafic routier serait de 2%, sachant que 90% des déplacements automobiles ne peuvent être reportés sur les transports en commun.

Une dernière finalité – sur une liste qui en coche déjà beaucoup – concerne la revitalisation du centre ville que cette gratuité soutiendrait. Malheureusement, là encore, le GART indique que la concrétisation de cet objectif est « difficilement appréciable » .
Il réclame en fait une bonne coordination à l’échelle territoriale et surtout, comme nous le verrons plus bas, une profonde réflexion sur l’intermodalité.

Ligne 4 Evéole
« The magic line » . Cette nouvelle n°4 coche toutes les cases : mobilité, événement, emploi, santé, commerce, entreprise, scolaire, loisir. Manque la lutte contre la pollution mais les bus roulent peut être au diesel.

Profils des utilisateurs

Quant aux effets de la gratuité, plusieurs études avancent le chiffre de 2 trajets d’usagers sur 10 qu’elle provoquerait.
L’étude francilienne, déjà citée, obtient une hausse théorique de la fréquentation de 6 à 10% selon les configurations. Dans celle-ci, la moitié proviendrait des marcheurs et des cyclistes (2/3, 1/3) et l’autre des automobilistes.

Amusons nous à définir des « personas » comme le font les spécialistes du marketing concernant le public futur d’Evéole :
-d’abord les voyageurs qui ne verront aucun changement, tout le public scolaire et les personnes aidées.
-ensuite les gens qui prennent déjà le bus et qui ne paieront plus.
Ces deux groupes pèseront peu sur l’augmentation de la fréquentation.
-après, les usagers abandonnant leurs anciens moyens de transport : la marche, le vélo puis la voiture.
-enfin, les nouveaux utilisateurs qui n’entrent pas dans les catégories qui précèdent. Ils sont hétérogènes, découlant de toutes sortes de considérations difficiles à connaitre (effet d’aubaine, recours aléatoire etc.).
L’enjeu d’une politique de gratuité se trouve évidemment dans ces deux dernières « personas » .

Quoi qu’il en soit, le GART, étudiant plusieurs réseaux gratuits notamment les plus anciens, note qu’après l’augmentation, une stabilisation de la fréquentation survient généralement au bout de deux ou trois ans. Le gisement des nouveaux usagers, saturé, ne progresse plus, sauf si l’offre est soutenue par des investissements conséquents.

En termes de profils, confirmés par diverses enquêtes locales, ce sont les jeunes et les personnes âgées qui augmentent leur usage. Les premiers, qui ne possèdent pas de voiture, préfèrent monter dans une rame gratuite plutôt que marcher. Pour les anciens, la notion de temps de trajet est pour eux moins essentielle tandis que leur pratique de l’automobile s’éloigne avec l’âge.

Pour comprendre les déterminations de l’impact du gratuit, deux facteurs sont à prendre en compte : l’accessibilité (la proximité des arrêts du lieu de départ et de destination) et la durée de trajet (comparé à un autre mode). Ce n’est pas le « gratuit » qui pousse l’usager à monter dans un bus. C’est l’avantage qu’il peut en tirer en termes d’arbitrage de plusieurs facteurs de mobilité.
A l’inverse du prix qui joue peu, le niveau de l’offre et la qualité du service interviennent majoritairement. D’après l’INSEE, 84 % des trajets domicile-travail sont en moyenne plus rapides par la route contre seulement 6 % par les transports collectifs.

L’intégration des politiques de mobilité

L’intermodalité cache derrière ce terme barbare une idée simple : on ne vit pas coupé de son environnement en termes de transport. Autrement dit, installer la gratuité d’un réseau pose la question des systèmes interconnectés avec lui.
Ainsi, d’autres modes de déplacement qui sont payants, le rail (TER, TGV) ou les circuits gérés par d’autres collectivités. C’est le cas des lignes Arc-en-Ciel régionales lesquelles, traversant notre territoire, obligent l’éventuel usager à jongler entre différentes obligations. Ces ruptures, qui résultent de l’improvisation, n’aideront pas.

L’intermodalité débouche sur l’intégration de cette décision dans d’autres politiques. Elle prend sa mesure pour Douai qui est en délicatesse avec sa périphérie mais surtout les maîtres absolus du territoire.
Comme le résume un spécialiste suisse (donc neutre) : « À elle seule, la gratuité paraît insuffisante pour parvenir à un véritable report modal. Il faut améliorer l’offre et réfléchir à l’organisation du territoire concerné. Si vous avez un centre-ville qui dépérit et que vous cherchez à le stimuler grâce à la gratuité des transports publics mais que dans le même temps vous avez inauguré deux ans plus tôt une gigantesque zone commerciale en périphérie, les transports publics, même gratuits, demeureront impuissants. »

Par ailleurs, au risque du décrochage des lecteurs parvenus jusqu’ici, il faut poser la question du gratuit en lui même, en termes de prospective mais surtout de pilotage. Quelles sont les limites d’un service offert sans aucune contrepartie ? Doit-on, dès l’instant où la gratuité existe, abandonner toute notion de rentabilité ? Cette dernière doit être mesurée par un suivi des usages comme des besoins de la population.

Ce sujet est essentiel comme il devrait l’être pour toute politique publique qui engage l’argent des contribuables. Dans un pays comme le Douaisis où rien n’est jamais documenté, on peut craindre quelques incertitudes, y compris sur les effets qui pourraient objectivement justifier cette mise en œuvre.

D’où deux propositions :
La gratuité ne doit pas impliquer obligatoirement la disparition de tout titre de transport. Il serait utile qu’on « bipe » à des terminaux pour qu’on puisse disposer de statistiques de fréquentation, seul moyen de connaître l’impact de cette invention miraculeuse.
Proposons, autant que faire se peut, aux agents qui ont découvert leur mise sur la touche sans aucun avertissement, de gérer ces données proche de leur fonction commerciale. Ils feraient cela très bien, il faut en être persuadés.

Le GART a souligné le manque flagrant de suivi des politiques de gratuité des transports publics.
Montrons l’exemple pour une fois !

EVEOLE : gratuité des transports, on passe à la caisse (1/2)

Eveole Le gratuit

Cette gratuité du réseau des transports douaisiens, Evéole, qui déboule le 1er janvier comme un cadeau de Noël, mérite qu’on s’y intéresse. On précise d’emblée que Douaivox® n’est ni pour, ni contre. On regarde les bus passer et on compte les passagers.

De l’univers des « AOM »

Dans le Douaisis, deux systèmes s’emboitent l’un dans l’autre, fruits de notre désastreuse histoire de tramway sur laquelle nous ne reviendrons pas.

La plus grosse entité, politique, est le célèbre « syndicat mixte des transports du Douaisis » (SMTD) dont le périmètre géographique recouvre 46 communes : les 35 de Douaizizaglo rejointes par 11 de la CCCCCO, adhérentes à titre individuel.

La seconde, créée en 2013, est le bras armé du transport dans le territoire. La « Société des transports de l’arrondissement de Douai » (STAD) est une société publique locale (SPL) possédée à 80% par le SMTD et à 10% chacune par la CAD et la CCCO. Les actionnaires de cette société anonyme (SA) sont les maires des communes citées plus haut.

Vous suivez toujours ? Depuis 2013, une subtilité terminologique couronne le tout. La STAD possède un nom commercial, en fait une marque, celle qu’on voit partout : Evéole. Quand on dit STAD c’est Evéole et quand on dit Evéole c’est STAD.

Il faut mettre des noms derrière cette subtile architecture. Le boss du SMTD, depuis le limogeage de Christian Hatu, est Claude Hego, ci-devant maire de Cuincy, qui préside un comité syndical de 46 personnes (les communes), assisté d’un bureau de 10 membres.
Retenons parmi ces derniers, élus de métier, trois noms. D’abord Robert Strzelecki, adjoint à Flers, accessoirement cadre de l’AFEJI, mais surtout le duo Jean Luc Hallé et Christophe Dumont, multi-cartes tout-terrain bien connus.

Le directeur général de la STAD-Evéole est Dimitri Defoort. Son parcours professionnel mérite d’être salué. De chauffeur de bus, il est devenu en quelques années le patron du transport douaisien public. Cette ascension fait accessoirement le lien avec la grosse boite du secteur, Place Mobilité, où il a travaillé jusqu’en 2013. Originellement hainuyère, cette société fondée par le père Auguste et dirigée par le fils Alain, est devenue douaisienne quand elle a absorbé en 1990 les « autocars Lolli » bien connus dans la cité de Gayant.

Observation principale de la CRC sur l’affaire du tramway, la confusion, illégale, entre la communauté d’agglomération et le SMTD a été réglée par la séparation de ce dernier avec la STAD-Evéole en 2013.
Retenons in fine le statut de celle-ci, bizarrerie qui mélange le privé et le public mais surtout permet aux collectivités de s’affranchir des contraintes de la comptabilité publique. On peut le voir aussi comme une transition entre la régie d’autrefois et l’entreprise privée.

Sait-on jamais ? Chargée d’une délégation de service public, une société de transport pourrait prendre en charge le matériel et le personnel d’Evéole sans aucune difficulté. Il suffirait que le patron le décide. Parions que le vote du SMTD serait unanime.

Des entreprises taxées

Dans les conséquences concrètes de la gratuité, notamment humaines, il faut évidemment penser au devenir des 17 personnes chargées d’une activité commerciale devenue sans objet. Tour de force qui mériterait une enquête plus fine, fort peu a jusqu’ici transpiré de l’acceptation ou non de cette mue professionnelle par les agents concernés.

Reste enfin, si on ose dire, l’aspect financier qui concerne la gratuité par définition. L’opinion a été abreuvée d’une « étude de faisabilité » de KPMG qu’on ne peut lire nulle part. Cette agence comptable a peut être envisagé le sujet par le seul prisme de son expertise financière.

De fait, les données dont on dispose relativisent le coût d’une gratuité déjà bien avancée, notamment par celle des scolaires depuis 2019 qui représentent 70% des usagers quotidiens d’Evéole. Pour en être convaincu, il suffit d’observer la contraction des dessertes lors des vacances.

Dans un budget d’environ 30 millions d’euros en 2020, les recettes commerciales (tickets, abonnements etc.) se montaient à 2,5 millions, soit à peine 10% du coût global. Le déséquilibre des ressources en comparaison de la moyenne française est manifeste. L’usager contribue pour 17% (SMTD: 10%), les fonds publics 35% (SMTD : 10 %) et le « Versement Mobilité » 47% (SMTD : 80%…).

Le bouclage financier dépend donc à Douai essentiellement du « VM ». Cette taxe, payée par toutes les entreprises de plus de 10 salariés, est intégralement affectée par la loi aux transports en commun d’un territoire. Le calcul du produit est simple : on prend la masse salariale sur laquelle on applique un taux. Celui du Douaisis est à 1,8% sachant que la fourchette nationale s’établit entre 1,5% et 3%.

La perte de 10% de revenus commerciaux pourrait apparaître négligeable. C’est ainsi qu’elle est présentée par l’inventeur du gratuit : « c’est un coût supplémentaire annuel de 2 millions d’euros environ pour l’agglomération. Nous avons des finances saines et faisons beaucoup de développement économique. (…) Je vous confirme qu’il n’y aura pas d’augmentation de fiscalité puisque cet argent vient de nos fonds propres ».

N’essayons pas de préciser le concept de « fonds propres » dans une comptabilité administrative mais plus loin, nous apprenons de la bouche du président Hego qu’il « y a à peu près 3 millions d’euros qui manquent. Les deux collectivités actionnaires de notre syndicat se sont engagées à compenser ces pertes ».
Ce sera 2 millions pour Douaizizaglo et 1 pour la CCCCCO. On ne sait pas si ces abondements compensent la disparition des revenus commerciaux ou s’ils sont une réponse à la hausse de la fréquentation d’Evéole que provoquerait la gratuité.

De l’avantage d’une élection

Les élections départementales ont été sans aucun doute l’élément déclencheur de cette décision précipitée. C’est d’ailleurs un beau coup de triangulation. Le patron tout puissant a fait ce que l’opposition apolitique de Gauche réclamait à grands cris depuis longtemps. Cet unanimisme ne manque pas d’inquiéter. Si tout le monde est pour, c’est qu’il y a un truc, pour sûr.

A l’inverse du Douaisis, tous les réseaux gratuits (on en compte 18 en France) ont agi progressivement avant de mettre en œuvre cette nouveauté. Des tests ont été organisés pour en mesurer l’attrait auprès du public, ainsi sur des périodes ciblées (le week-end ou certaines fêtes) ou encore ont été proposées des tarifications variables pour évaluer l’impact du prix sur la fréquentation, notamment au bénéfice des jeunes.

Dunkerque, souvent cité par nos décideurs, a préparé sa mise en œuvre par des investissements visant à augmenter l’offre de service tant qu’existaient les apports des usagers. L’agglo a mis en service de cinq lignes de Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) et a restructuré plusieurs lignes du réseau.

Le financement d’un service déconnecté de ses utilisateurs revient à l’assurer par d’autres moyens, notamment la fiscalité qui pèse sur tout le monde. Le « gratuit », ça n’existe pas. Un coût doit être assumé d’une manière ou d’une autre. Si vous vous posez la question, c’est que le payant c’est vous.

Outre ces considérations philosophiques de grande ampleur, il faut envisager les deux facteurs relatifs du coût et de la recette.

Pour cette dernière, si dans notre territoire, le nombre d’entreprises augmente, le « VM » pourrait s’accroître. S’il baisse, par exemple lors d’une crise économique, le produit attendu ne sera pas au rendez vous. Dans ce cas, seules des subventions compenseront le manque à gagner. Leur avantage, à l’inverse du prix d’un ticket de transport, est connu : elles n’ont pas de limites.

Quant au coût, toutes les études démontrent qu‘aucune gratuité ne peut réussir si l’offre de transport ne se développe pas en terme de dessertes et de fréquence des lignes, sans parler de l’augmentation partout vérifiée – pour la première année habituellement – du nombre d’usagers.

Il y aura évidemment un impact financier à la hausse qui ne se résumera pas aux chiffres annoncés.

De l’argument multiforme

Au delà de ces considérations générales, il faut se pencher sur les arguments – nombreux – mis en avant pour justifier cette gratuité des transports dans le Douaisis.

Certains sont amusants comme l’intérêt de la disparition du contentieux des fraudes dans les bus d’Evéole qui encombrerait le tribunal de Douai. Il en effet plus efficace de supprimer une règle que de la faire appliquer. Basique.

On a aussi la question de la « mise à jour » du système de billetterie. On lit ici ou là qu’elle aurait coûté 3 millions, exactement le montant – annuel – de la gratuité comme décrit plus haut. On peut regretter toutefois la mise au rebut d’infrastructures commerciales (les câblages, les bornes etc.) qui ont eu un coût. On a certes l’habitude en matière de transports de dépenser pour rien mais la question doit se poser.

Une autre justification, plus subtile quoiqu’elle aussi courante chez nous (cf la BNF ou le boulodrome), relève de la fierté collective locale. Irrationnelle, elle dépend plutôt d’un marketing territorial habilement distillé. Le SMTD serait « le plus grand réseau de France » à mettre en place la gratuité des transports avec ses 220 000 habitants dans le territoire. Nous devrions donc être reconnaissants d’une décision qui lui donne une image positive de modernité solidaire.

Cette gloriole confond habitants et voyageurs, sachant que sur ce point la performance de notre réseau est médiocre. La moyenne des voyages par habitant des très grandes agglomérations (plus de 400 000 habitants) est de 200 tandis qu’elle est dix fois moindre dans les plus petites (moins de 50 000 habitants). Le taux du SMTD apparait encore plus faible quand on considère la population concernée : 11 voyages par an par habitant du Douaisis.

Si on retient la taille du territoire, la gratuité apparait de plus discutable en termes financiers. Plus un réseau est étendu et plus sa rentabilité peut être forte, dès l’instant l’usager paie une partie du coût. Cette surface permet un bon taux de couverture des dépenses par effet de masse et de seuils. Dans les agglomérations les plus importantes, il approche les 40% tandis que les plus modestes atteignent péniblement les 15%.

Un grand réseau génère par définition de forts besoins d’investissements. L’option de la gratuité le prive de ressources alors même qu’il doit assurer constamment la qualité et la variété d’un service dont la taille génère des coûts considérables.

Le cas de Dunkerque, encore une fois, est éclairant. L’agglomération a refusé de toucher au taux du VM qui est resté à 1,55% (pour un produit de 27 millions d’euros). Par contre, le besoin de financement ayant augmenté, l’apport du budget communautaire a été multiplié par deux, passant de 11 à 22 millions.

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Donc si on résume, la gratuité, décidée un peu rapidement, ne parait pas trop chère quand on considère son financement actuel et la faible utilisation du réseau par les habitants du territoire. Nous examinerons, dans l’épisode suivant, les conséquences possibles de ce choix en nous appuyant sur diverses approches dûment documentées.

Douaixit en vue !

Un clash à Douaisis Agglo

Clash à Douaisis Agglo. Pour une fois, on ne parle pas pour notre chère CAD du cash qui en dégouline, encore que ces termes ne sont pas si opposés quand on observe le déroulement du dernier conseil communautaire.

Au fond les problèmes de cash ont provoqué le clash.

Douazizaglo débloque

Les douaisinologues dont nous sommes ont regardé en effet avec intérêt la passe d’armes musclée qui s’est déroulée entre Christian Poiret, le parrain départemental, et Frédéric Chéreau, le maire de Douai. Ce dernier, ulcéré de l’attitude méprisante et agressive du premier a quitté la séance avec fracas, emmenant  avec lui son équipe et quelques partisans des communes voisines.

Le point de départ est anodin. Une sombre histoire d’arbres coupés sans l’autorisation de la commune. Enfin, anodin en apparence car quand on regarde de près, nous avons un symptôme de tout ce qui débloque dans notre Douaisis.

D’abord, on comprend à demi-mots que cette bonne ambiance découle du risque mortel que court le président au carré (Douaizizaglo® + département). Le recours formé par Frédéric Chéreau auprès de la justice à la suite des élections départementales va être en effet bientôt jugé.

Avec quelques centaines de voix d’écart (345 sur 42514 inscrits), il y a un sujet pour notre parrain. S’il est invalidé, il lui faudra – si éligible – recommencer l’opération dans une configuration autrement plus compliquée qu’au mois de juin.
Mal élu, le président d’un des plus gros département de France est un colosse aux pieds d’argile. Il peut tout perdre sur ce coup de dé. On comprend sa fébrilité et l’agressivité envers celui qui incarne ce danger.

Il y a probablement aussi dans ce jeu d’oppositions, des deux côtés, des postures qui préparent l’avenir. Gardons les en tête, ce sera plus clair pour tout le monde.

Douaizizaglo s’occupe de tout

On découvre au détour de cette péripétie – ce n’est pas nouveau – le principe d’extraterritorialité qui paraît à présent revêtir toutes les interventions de la communauté d’agglo dans la commune. On se croirait dans l’Union Européenne quand elle nous vend pour notre bien ses normes supérieures.

On a ainsi les projets fous du Raquet menés sans tenir compte des avis de la municipalité mais aussi, comme le prouve l’algarade communautaire, des projets plus modestes qui foulent aux pieds son pouvoir, sinon ses choix écologiques, sur son propre territoire.

L’absence du moindre contact entre les deux entités politiques depuis les élections est surréaliste. On ne répond pas du côté de l’agglo aux courriers du maire tandis que les relations quotidiennes sont inexistantes.
Les différends se règlent donc au sein d’une instance qui n’est pas faite pour ça. Faut pas s’étonner que ça coince. Dans ce blocage, ne jamais oublier que celui qui a le pouvoir en est responsable par définition, puisqu’on a d’un côté celui qui peut et de l’autre celui qui ne peut pas.

Douaizizaglo « travaille »

Il y a dans ce conflit, surjoué du côté de Douai, outre la trouille du boss décrite plus haut, son désir de se faire bien voir des habitants de la ville centre.
Son discours de « protection » par devers eux, ces refrains du « on travaille, nous » font quand même sourire. On travaille d’accord mais pourquoi et pour qui ?
Douai Vox a suffisamment interrogé l’intérêt de ces projets dispendieux pour ne pas mettre en doute l’utilité d’un tel activisme.

Il est d’ailleurs à souligner à chaque fois qu’il la ramène sur ce terrain, qu’on a vraiment l’impression que le seigneur de Lauwin-Planque les finance de sa poche. Il serait bon qu’il n’oublie jamais qu’ils sont payés par nos impôts comme le sont ses confortables indemnités, ses importants frais de bouche et ses luxueux moyens de transport.

Quant à la théorie du « bouclier » de Douaizizaglo® contre son méchant maire, il suffit d’analyser les résultats des élections départementales pour vérifier le soutien dont il dispose dans la capitale. Le vent du beffroi ne se tourne pas vers le président de l’agglo. Il faudrait être aveugle pour soutenir le contraire.

Douai n’est pas soluble dans Douaizizaglo

Au final, cette bagarre à la Don Camillo est révélatrice de sa conception très particulière du débat et de la négociation. Deux positions sont attendues : l’adhésion ou la soumission. Cette incapacité au compromis pour un commercial de métier est surprenante.
Souvenons nous de ces invraisemblables nominations de vice-présidents au mépris de toutes les règles démocratiques. Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. La toute puissance n’est jamais bonne conseillère.

Cette gestion incroyable qui défie toute logique, sauf celle d’un pouvoir personnel que rien ne limite, fait ressortir avec un peu plus d’acuité l’absurdité des règles d’une communauté d’agglo qui nie les droits de Douai dont pourtant tout provient.

Super Chéreau survole le Douaisis

Probablement préparée depuis quelques temps, il faut voir l’esclandre douaisienne au conseil comme le premier pas de la seule stratégie possible pour la commune placée devant ces blocages absurdes.
Quand vos droits sont niés, que votre parole est devenue inaudible, qu’un conseil d’agglomération n’est qu’une chambre d’enregistrement, outre l’option du clash, il faut investir un terrain plus vaste. Celui qu’un parrain ne peut contrôler, la bataille de l’opinion publique.

En ces temps troublés, n’ayons pas peur, le Douaixit devient une option qu’on doit mettre sur la table. Franchement, il aurait une belle tête le logo aggloméré ainsi actualisé : « Sis Agglo »

La table des échevins

La table des échevins - ville de Douai

Tout le monde connaît le concept braudélien de « l’histoire immobile ». Pour le célèbre spécialiste de la Méditerranée, les permanences des sociétés humaines sont plus fortes que l’écume évènementielle. La France est dans la Gaule. Et sans doute la Gaule devait elle être dans un néolithique dont on ignore d’ailleurs tout.

Loin de ces problématiques générales, à une échelle plus modeste, il faut toujours garder en tête l’immobilité historique quand on se plonge dans le passé local. Les permanences se repèrent dans les habitudes sociales sinon politiques, dans les traditions culinaires, dans les limites géographiques. N’avons nous pas avec le Courant de Coutiches la frontière d’un « pagus » qui remonte à l’Antiquité ?

Un échevin raconte

Un article des « Souvenirs de la Flandre wallonne » prouve la validité du concept braudélien du côté de notre politique et notre gastronomie, les deux confondues comme nous le verrons.

Un des numéros de cette excellente revue présente en effet une source étonnante, le « Journal d’un échevin de Douai » rédigé aux XVIII° siècle. Ce document incomplet, échoué aux archives par on ne sait quel hasard, paraît du plus grand intérêt quant au lien que le passé entretient avec le présent.

L’auteur, Philippe Joseph Albert du Bois dit de Hoves était chevalier. Né à Lille en 1711 au sein d’une famille d’ancienne noblesse, il est devenu douaisien par son mariage avec une demoiselle Boulé en 1738. Si la mariée était plus âgée que l’époux, son père, seigneur du Petit-Fervaque, venait d’être anobli par l’empereur Charles VI.
Cette union permet à de Hoves de se faire recevoir bourgeois la même année puis d’entrer au « Magistrat » , nom qu’on donne à cette sorte de conseil municipal créé au Moyen-Age par la « loi de Douai ».

Epitaphe tournaisienne d’Augustin Dubois de Hoves, oncle de notre chevalier

Bourgeois, échevins et Magistrat

La « bourgeoisie » mériterait de longs développement, tant ce statut est curieux quand on le compare à la « citoyenneté » moderne. Elle ne concernait évidemment ni les femmes, ni les forains, ni bien sûr les pauvres. On possède ce droit par naissance ou après avoir été « reçu » . Si ce groupe est en théorie égalitaire, on y sépare dans la réalité les nobles des roturiers.

Quant au « Magistrat » parfois présenté comme une « proto démocratie » , le journal de Hoves démontre qu’il en est fort éloigné.
D’abord par son mode de désignation compliqué. L’élection est découpée en paroisses de tailles différentes, organisée à plusieurs degrés sur des critères d’inéligibilité parfois oubliés.
Avec une composition quasi entièrement aristocratique, le Magistrat connait un renouvellement aléatoire. Au XVIII° siècle, le roi nomme directement les remplaçants sur les postes vacants et reconduit les échevins titulaires sans élection, laquelle devait pourtant avoir lieu tous les treize mois.

Lorsqu’il écrit en 1741, de Hoves, qui y appartient depuis deux ans est aux prises avec un « arrière conseil » (les anciens membres) constitué en 1729 et un « conseil » (les échevins en fonctions) élu en 1732.

Échevins d’un jour, échevins toujours

On retrouve dans ces instances une stabilité qui rappelle celle de nos élus qui restent trente ans dans leurs mandats. Plusieurs noms se maintiennent durant des décennies. Certains se retrouveront même dans le conseil municipal du siècle suivant comme si la Révolution n’avait pas existé.

En 1740, le chef du conseil est le sieur Cardon de Rollencourt, écuyer. Les deux procureurs syndics, bras armé du Magistrat, sont des héritiers. Ainsi Evrard, qui succède à son père en 1733, laissera la charge à son fils en 1773. De même, l’ennemi personnel de Hoves, Dervillers, qui remplace son géniteur en 1733, quittera ses fonctions en 1764.

De Hoves, qui n’est pas douaisien, connaît d’innombrables conflits avec ses collègues. Il se fracasse à chaque fois sur l’entente secrète de ses adversaires que soude un intérêt personnel bien compris. On se croirait à Douaizizaglo® .

Les auteurs des « Souvenirs » brossent un portrait du diariste avec une nuance qui aurait été appréciée par Saint Simon : « C’était un esprit remuant, actif, très dévoué au bien public, n’hésitant jamais, qu’il s’agisse d’une fatigue ou même d’un sacrifice d’argent, et avec cela tenant énormément à ses idées, facile et âpre à la critique, trop enclin à prendre des commérages pour la vérité mais la rencontrant parfois à force de chercher.
Il paraît avoir été assez peu instruit. Il a des idées très arrêtées sur tout avec lesquelles il ne transige jamais, ce qui le rend intolérant pour l’opinion d’autrui.
Enfin, tout en se proclamant l’ami de la liberté du commerce, il est, sans s’en douter, le plus implacable partisan des restrictions, des entraves, pourvu qu’elles ne le gênent pas lui-même.
Avec ses qualités et ses défauts, il était, on le devine, un peu isolé au sein du corps municipal de Douai où, il faut bien le dire, dominait trop la préoccupation des intérêts personnels. Toujours occupé à pousser celui-ci, à retenir celui-là, il était particulièrement en lutte avec le chef du magistrat, Monsieur de Rollencourt et avec Monsieur Devillers l’un des procureurs syndics. »

La crise frumentaire de 1740

Le sujet principal du journal de Hoves concerne la célèbre disette de 1740 qui, à partir de 1738 et jusqu’en 1742, va s’étendre sur une bonne partie du royaume. Plusieurs étés « pourris », c’est à dire pluvieux et, pire encore, des hivers longs et froids, ont réduit les récoltes à peu de chose.
Si on ajoute une épidémie de « grippe pulmonaire » qui assaille la population (dont les enfants sont exempts, tiens, tiens…), le tableau était assez sombre, même si on échappe, heureusement, à une catastrophe du type de celle de 1709 (500 000 morts, soit 3% de la population).

L’impuissance des puissants

A partir de mai 1740, en décalage avec l’ouest du pays touché plus tôt, le prix du blé s’envole. Les péripéties de la lutte du Magistrat tournent autour de l’approvisionnement de la cité qui doit permettre la maîtrise des cours. Il importe moins de sauver la population que de la tenir tranquille. Les « émeutes de la faim » sont pour ces puissants un danger mortel.

Crise furmentaire - table des échevins Douai
On cuisine du choux dans les rues de Paris, les pauvres en mangent les feuilles

Les difficultés tiennent à des facteurs qui sont autant de déterminants intemporels de toute politique locale : complexité des règles, incompréhension des enjeux, incapacité prospective, conflits d’intérêts.
A cette époque et peut être un peu comme aujourd’hui, la réponse des pouvoirs publics est faite de contrôles et de sanctions. On interdit l’exportation des grains, on visite les greniers, on confisque, on punit.  Ces décisions conduisent à réduire encore plus la quantité de céréales sur les marchés. Les prix continuent de grimper.

Qui perd gagne

On tente alors d’acheter aux voisines, Arras et Cambrai, lesquelles se rebiffent, persuadées que Douai accapare à leur détriment. Elles bloquent les transports. Les Artésiens n’hésitent pas, même, à récupérer les blés les armes à la main jusqu’aux portes de la cité. Comme ils piétinent leur « droit d’étape » , les Douaisiens se vengent en supprimant les envois de charbon et de bois qui passent par la Scarpe.

L’autre solution se trouve à l’étranger. On espère acheter du riz ou de l’orge mais surtout pouvoir acquérir du froment en provenance de la Baltique, de l’Angleterre ou même de Méditerranée. On envoie des émissaires à Dunkerque. La difficulté réside dans la volatilité des prix. Quand la « rasière » (160 litres actuels, en gros un « setier » de Paris) vaut 25 livres à Douai, elle y est de moitié dans le port.

Mais la qualité joue alors, comme la possibilité d’une baisse de la valeur après achat. L’envoyé du Magistrat fait du zèle. Il prend 2000 rasières au lieu des 1000 attendues. On lui ordonne de se défaire de l’excédent. Mais les prix ont baissé et ses grains se découvrent de mauvaise qualité. Achetée 32 livres, la cargaison est revendue à 26 livres. La perte est conséquente. On n’a rien inventé avec l’hôpital général.

Ce jeu de hausse et de baisse est d’ailleurs la clé de la crise. On stocke, surtout si on a de quoi se nourrir, sans état d’âme, pour espérer réaliser un bénéfice substantiel. Certains retardent même l’emblavement pour vendre leurs semences à prix fort. Simplement en lâchant leur production en petites quantités, de gros propriétaires, notamment les abbayes, peuvent doubler ou tripler leur mise en quelques jours. Selon l’expression du temps, ce sont des « accapareurs » .

L’intérêt est une valeur sûre

Le Magistrat veut agir mais les caisses sont vides. Il faut emprunter. Tous les échevins, solidaires, garantissent un prêt de 100 000 livres. Ils préfèrent cette solution à une augmentation de l’impôt royal. Il est vrai qu’ils seront remboursés avec intérêt. Alerté, le roi abandonne d’ailleurs une partie de ses ponctions fiscales.

L’intendant, Bidé de la Grandville, intervient ici ou là. Il entretient avec certains membres éminents du Magistrat des liens secrets qui leur permettent de protéger leurs intérêts. Un passeport de la ville étant nécessaire pour en sortir des grains, Dervillers, un des syndics, le sollicite en douce pour faire casser cette décision. Une de ses parentes, « négociante interlope », peut ainsi continuer ses trafics au bénéfice de sa famille… élargie.

Pour autant, pas de conséquences.  L’impunité est totale. De Hoves peut s’insurger, il ne peut rien. Parfois même, à son grand dépit, ses propositions, balayées d’un revers de la main, sont  promptement imposées quand elles sont reprises par d’autres. Ce qui compte, ce n’est pas l’idée, c’est celui qui la présente. Il n’y a pas à dire, on est bien dans un conseil municipal.

La gastronomie politique

Interrompu, le journal de notre échevin ne dit pas comment s’est terminée cette crise frumentaire. Les données historiques prouvent que la situation de Douai, encore fragile l’année suivante, s’est rétablie peu à peu.
Quoi qu’il en soit, nos conseillers ne souffrent pas trop de la crise. Elle permet même, à certains d’entre eux, quelques bénéfices substantiels.
On peut même interroger à la lecture du journal, dans l’action quotidienne du Magistrat, quelles étaient ses priorités. En parallèle de l’approvisionnement de la ville, de Hoves s’étend beaucoup, en cette période de disette, sur les questions gastronomiques qui agitent ses collègues échevins.

Les docteurs régalent

Toutes les occasions étaient bonnes pour profiter d’un bon repas, si possible gratuit. Quand un candidat au doctorat passait son dernier examen, l’usage voulait qu’il invite l’ensemble du Magistrat à un dîner.
Certains impétrants trouvèrent cette dépense excessive. La coutume en souffrit un peu mais les échevins beaucoup plus.
Frustrés, ils marquèrent leur désapprobation en refusant de recevoir les nouveaux docteurs en grande pompe. Une collation très pingre à base de mauvais vin et de pauvres biscuits secs fut donnée. Toute la ville moqua ces patrons si gourmands et si peu généreux.

La cuisine électorale

Ces affaires gastronomiques étaient sérieuses. Depuis la conquête de la Flandre par la France, l’élection du conseil était, comme nous l’avons vue, épisodique.
Les électeurs, les fameux « bourgeois » , étaient peu nombreux rapportés à la population de la ville. Les candidats – choisis parmi les membres du parlement depuis 1716 – cherchaient leur suffrages.
Tous les moyens étaient bons pour y arriver, notamment la bonne chère. Ces désignations passaient par la fourchette, le principe éternel de la cuisine électorale.
Le vote acquis, les élus remerciaient leurs soutiens par un grand banquet dans l’hôtel de ville. L’organisation était une affaire compliquée. Tout se discutait âprement, les plats, les couverts, le vin, etc.

La table des échevins - ville de Douai
Le banquet des échevins, les plats ne sont pas encore arrivés

Des fournisseurs attitrés

Les érudits des « Souvenirs » , reprenant leur source échevinale, résument le sujet : « la ville a bien dans le sieur Dumortier, cafetier, son fournisseur habituel. Ses glaces sont bonnes, son café du plus fin arôme. Ses liqueurs n’ont, à coup sûr, subi aucun mélange de 3/6° de betteraves.
Oui, mais messire Jean-Louis Cardon, seigneur de Rollencourt, chef du magistrat de Douai, avait de bien petites alliances. Il était parent de la femme du sieur Mourette, autre cafetier, et voulait lui procurer cette bonne aubaine de travailler pour le banquet municipal.
Après avoir rompu bien des lances en faveur de leurs candidats, nos bons échevins transigèrent. Au premier, on donna le dessert et le grand surtout du milieu, à l’autre les glaces, le café, les liqueurs. »

Abondance et profusion

Ce fameux banquet pouvait durer deux jours entiers. La puissance du nouveau Magistrat passait par le nombre de plats mis sur la table. Leur succession s’ordonnait autour du «rôt», point culminant des agapes qui se terminaient par des mets sucrés et salés.
Les quantités étaient trop importantes pour être consommées en une seule fois. Comme on ne repartait pas avec un « doggy bag », signe de la libéralité des échevins, les convives pouvaient se faire remplacer par des membres de leur famille. Quand il n’y en avait plus, il y en avait encore et même pour tous les amis.

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On sait que Dubois de Hoves ne fut pas réélu à l’échevinat lors de son renouvellement en 1747 mais l’année suivante, la paroisse Saint Pierre a enregistré une ultime trace de sa présence dans la cité.
Le 23 juin est baptisé un garçon. La mère est une certaine Marguerite Marquette venue de Raimbeaucourt pour accoucher à Douai. Le curé indique, sans donner son prénom, que cet enfant provient « des oeuvres de M….. Dubois d’Hoves, homme marié » , évidemment notre chevalier. Les témoins sont la sage-femme, Marie Thérèse Bodet, et son époux Jacques Joseph Bertoul, les deux sachant signer.
On ignore le destin de cet enfant à l’inverse de son fils légitime décédé à Valenciennes en 1813. Le chevalier de Hoves a disparu lui aussi des archives, enfin pas tout à fait. Ayant quitté Douai à une date imprécise, les sources nous disent qu’il est décédé à Tournai, paroisse Notre-Dame, en janvier 1753.

Boules et patins au Raquet

Patin au raquet à douai

Il est juste temps d’analyser, à la suite de notre article sur le projet séculaire du Raquet, les deux opérations sur lesquelles, faute d’habitants, repose à présent son incertain salut.

Notons une fois de plus que ces machins sont directement sortis du cerveau de notre président candidat. Fi des oppositions et autres appels au bon sens dans une région pauvre où l’argent public est aussi rare que cher.
Si Christian Poiret pense que c’est bon, rien ne peut le faire changer d’avis. C’est la force bien connue du pouvoir absolu. Je dépense donc je suis : « le rayonnement du Douaisis passe par le boulodrome et la patinoire ».

On a un doute. Regardons de près ce qu’il en est.

La réfrigération sauve l’écoquartier

Le second projet est moins avancé que le premier. Peut être sera-t-il encore possible de l’arrêter, sachant que la patinoire coûte en gros le double du boulodrome : 15 millions d’euros.

Comme toujours, le Grand Timonier balaie d’un revers de main les appels à la prudence devant un tel investissement (n’oubliez pas l’apocope habituelle : prononcez « invest’ », autre variante possible : « c’est du cash »).
Il y aura, c’est du futur et pas du conditionnel, de la fréquentation de masse, du patinage artistique et des clubs de hockey, c’est sûr et certain. Payez contribuables, l’intendance suivra.

Relevons – c’est une technique de commercial – que les arguments qui précèdent exposent les facteurs du succès d’une patinoire. Agiter d’emblée les points faibles en les présentant comme des points forts est imparable. C’est un métier.

Il y a en France une « grosse centaine » de patinoires dont la moitié par tradition montagnarde se trouvent dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. L’histoire de ces équipements, « boostés » après les jeux de 1968, est marquée par deux malédictions : le déficit et l’obsolescence.

Il faut avouer que leur bilan carbone transformerait tout climatosceptique en écolo intégriste. La succession infinie des lois européennes sur les gaz de réfrigération le démontre aisément, sans parler des remises à jour onéreuses qui en découlent régulièrement.
Il y a aussi les insuffisances du modèle économique. Où que ce soit, le coût de gestion ne passe jamais sous 700 000 euros annuels. Autrement dit, faute de recettes égales, l’argent public doit toujours équilibrer le budget.

Les patinoires sont à la rencontre de deux logiques. D’abord leur configuration (taille et nombre des pistes, existence de services annexes, capacités d’ouverture) et ensuite leur usage (grand public, clubs, prestations diverses).

Cela revient à dire que la dimension de l’outil commande logiquement le bilan coût avantage. Plus on est gros et diversifié, plus on augmente le chiffre d’affaire mais les charges s’avèrent alors beaucoup plus lourdes. En bon français, on appelle ça une aporie. Il est compliqué d’en sortir.

Si les associations sportives (hockey, danse, patinage…) peuvent apporter une redevance sinon des spectateurs payants, elles occupent des plages horaires qui empêchent le public d’accéder aux installations.
Ses entrées sont pourtant plus rentables que les recettes des clubs, souvent aléatoires. Pour autant, aucune patinoire ne peut survivre sans eux, source indispensable de communication et, accessoirement, d’aides gouvernementales.

Quoi qu’il en soit, il n’existe pas de clubs de glace dans le Douaisis. Si la fonction crée l’organe, il est quand même curieux de devoir débourser 15 millions d’euros pour les rendre possibles. Habituellement, les patinoires sont construites pour répondre aux demandes d’associations existantes et pas le contraire.

Au delà de cette hypothétique création, inutile d’insister sur la complexité du monde du hockey, mauvaise copie en France des modèles d’outre-Atlantique. Il n’est pas rare en effet qu’un vainqueur de la confidentielle « Synerglace Ligue Magnus » se retrouve l’année suivante en dépôt de bilan, sans parler des championnats qui ne peuvent se réunir au complet faute de moyens financiers.

Reste donc, pour équilibrer les comptes de notre futur « éléphant blanc » comme neige, la fréquentation du grand public. Le président répète à l’envi un chiffre de « 70 000 entrées annuelles » gravé dans le marbre à force d’être cité. Ce montant ne correspond pas aux prévisions initiales qui auraient fait, paraît-il, l’impasse sur le public venant du Pas de Calais.

Loin de ce nuage de fumée, plusieurs patinoires adeptes de la transparence présentent des bilans intéressants pour mesurer l’enjeu. Situées dans de grandes agglomérations, leur fréquentation provient à 60% de la métropole et même à 40% du centre-ville. A peine un tiers relève du reste du territoire. On ne fait pas des kilomètres pour faire du patin, c’est un attrait de proximité.

A Brest, chiffres vérifiés dans une métropole prospère qui pèse 140 000 habitants au sein d’une agglomération de grande dimension, la fréquentation de la patinoire a été en 2017 de 80 000 personnes dont 60 000 relevant du grand public.  Dans ce dernier groupe, les scolaires comptaient pour 15000, volume à peu près identique à celui des spectateurs des manifestations sportives.

Plus éclairant encore, la piste bretonne équilibre le produit du public avec celui des clubs, chacun apportant par an environ 300 000 euros au budget. Si on ajoute les recettes annexes (80 000 euros issus de la cafétéria et diverses prestations), ces abondements cumulés ne comblent pas les charges qui approchent du million. Il revient donc à la communauté d’agglomération de compenser le « trou », soit près de 300 000 euros tous les ans

On aura donc tous capté que nous ne sommes pas dans le Breizh qui est autrement géré que notre pays (taux de chômage de 6%, nous c’est 11%), sans clubs à rayonnement national, sans fréquentation sérieusement prévisible.

Conclusion : la patinoire du Raquet va nous coûter bonbon.

Les boules sans les boulistes

Abordons à présent cette idée incongrue de boulodrome, « le plus grand au nord de Paris » et même « le plus grand d’Europe » que le monde entier va nous envier. Là, même si c’est moins cher que la patinoire, nous savons que c’est cuit, va falloir payer.
Quand on passe à côté, les pelleteuses et les toupies fonctionnent à fond. Le béton écologique et le bitume biodégradable recouvrent inexorablement la bonne terre agricole qui elle, pourtant, ne mentait pas.

Dessiné par une agence d’architecture lyonnaise, le bidule est un bâtiment de fortes dimensions : 170 mètres de long pour loger 64 pistes abritées et chauffées, (128 à l’extérieur), 6,50 m de hauteur sous la charpente, tribune de 2 000 places, espaces communs et hall de 8300 m2 . C’est du gros, c’est du lourd. L’idée du président candidat est celle d’une installation énorme dont la fréquentation massive serait la clé du rayonnement du territoire.

La communication mise au service de ce raisonnement n’échappe pas à une certaine contradiction.
En conseil communautaire, le président célèbre la modicité du prix du ticket d’entrée comme celui de la licence (45 euros par an) favorisant l’utilisation du boulodrome par les classes modestes. Il met dans la foulée l’avantage pour les hôtels de la région de recevoir, lors des compétitions nationales sinon internationales, des centaines de joueurs à fort pouvoir d’achat. Il faut choisir…

Par ailleurs, à l’inverse de la patinoire exempte du moindre club sportif, le boulodrome se trouve en concurrence avec une impressionnante diversité d’associations et une étonnante multiplicité de locaux, parfois rénovés depuis peu par les communes.
Si on en croit leurs déclarations, ces équipes locales, y compris celles de Douai, ne sont pas vraiment enthousiastes à intégrer un monstre dans lequel elles devinent sans peine qu’il fonctionnera sans qu’on leur demande leur avis.
On peut aussi subodorer qu’interviennent ici d’autres considérations plus obscures, ainsi les célèbres buvettes qui apportent à ces clubs, au grand dam de nos cafetiers, les moyens d’exister et peut être plus. Cette manne sera confisquée par Douaizizaglo® pour son seul bénéfice.

Quoi qu’il en puisse être, une fois encore, on reste sans voix devant l’absence de la moindre discussion avec ces associations modestes, pour le coup, afin de vérifier leur adhésion au projet. Il n’est pas impossible qu’un boulodrome fonctionne avec des boulistes. Si ces derniers rechignent à l’utiliser, on peut s’interroger sur l’intérêt de sa construction.

Côté gestion, notre président candidat a évoqué un « club résident communautaire » qui sera en charge du site. C’est exactement le choix de Montluçon qui a dysfonctionné rapidement. Le bénévolat qui était à la base du système n’a pu assurer toute l’ouverture souhaitée tandis que les recettes ont été insuffisantes pour équilibrer le budget (30 000 euros) en dépit du soutien de l’agglo qui réglait les factures de viabilisation (eau, électricité, gaz).
Réorganisé, le boulodrome a pu redresser la situation en réduisant l’ouverture hebdomadaire et en allant chercher d’autres bénévoles. Pour autant, la demande des associations est aujourd’hui celle d’un recrutement d’agents payés par la collectivité pour assurer la survie du local.

Beaucoup plus important en taille et en usage, le boulodrome du Raquet devra passer par la case embauche, laquelle comme nous le savons tous, est une charge qu’on installe pour des décennies. Cette dépense sera connue à l’inverse de la plus-value de l’invention qui reste, comme toujours, non mesurable.

Pour conclure, nous avons compris qu’une fois de plus, comme tout ce que nous vend le président de Douaizizaglo®, il faudra passer à la caisse. Enfin, pas la sienne, la notre.
Son esprit fertile en idées ne va pas se tarir. Il lui reste à nous offrir d’autres projets d’exception, plus gros, plus grands. On ne « va rien lâcher » dans la dépense. On peut lui faire confiance.
On imagine la peur au ventre pas mal d’éventualités : une ferme à mille vaches, un Disneyland ou, mieux, un championnat de Formule 1, évidemment à rayonnement international.
Nous les aurons mais peut être pas…

Le Raquet, faut qu’on raque

Lotissements Le Raquet Douai

Douaizizaglo® nous vend de la BNF à tout va, des projets en veux-tu en voilà dont le premier d’entre eux : le mirifique « Ecoquartier Du Raquet » .
Bizarrerie foncière, elle est à la main d’une CAD qui s’assoit allégrement sur les compétences de Douai pour y poser ses idées géniales.

Le Raquet, c’est une zone extraterritoriale.

On nous en rebat les oreilles depuis… 2006. Quinze années de gesticulation et de communication pour quels résultats ? Il est bon de se poser la question mais elle n’est pas vite répondue.

On a une bonne idée

D’abord, examinons le cadre géographique. Le Raquet, c’est au sud de l’agglomération un quartier à cheval sur deux communes, Douai et Sin le Noble, cette dernière accueillant les 2/3 des 166 hectares de cette opération d’envergure séculaire.

Personne ne peut raisonnablement contester l’intérêt d’un programme urbain, surtout quand il vise à répondre d’un seul coup à beaucoup de problèmes.

Nous avions d’abord la dépollution d’une friche industrielle, celle de l’ancienne briqueterie Dupont Delecourt qui s’étendait là sur près de 60 hectares.


Plus ambitieux dans sa conception, la résorption du mitage, conséquence de l’étalement urbain le long de la D643, justifiait qu’une planification rigoureuse y concentre l’habitat.
Enfin, si ces nouveaux logements et leurs occupants pouvaient contrecarrer la baisse de la population de la ville centre, cet objectif pouvait aussi s’accompagner de créations d’entreprises pourvoyeuses d’emplois.

Bref, Le Raquet était une proposition que personne ne pouvait refuser.

On bétonne en vert

Sur ces motivations incontestables, la communication de Douaizizaglo® était teintée de vert. Présenté comme un « écoquartier », ce projet urbain – dont le béton et le bitume mangent pourtant 100 ha de bonnes terres agricoles – ne pouvait faire que du bien. Vitrines du « développement durable », ses constructions devaient « respecter les critères de la haute qualité environnementale et les principes de l’architecture bioclimatique ».

Ce grand chapeau écologique étant posé, la finalité de ce projet pharaonique était encore plus ambitieuse.
Il devait, excusez du peu, constituer la clé du retournement démographique du territoire. L’excès de vocabulaire des origines doit être rappelé. « Le plus grand écoquartier de France » devait accueillir « 4 000 logements individuels et collectifs ». Mieux, selon le SCoT, ce « boom » représenterait à terme « 25 % de la population du Grand Douaisis ».

Florence Bougnoux, l’urbaniste créatrice du schéma directeur (agence Seura), avait mobilisé de belles formules qu’on retrouve encore partout aujourd’hui : « Situé à l’intérieur de la rocade de Douai, prêt à accueillir à terme 12 000 habitants, (le quartier) est aménagé pour lutter contre la péri-urbanisation et rééquilibrer le territoire de la CAD, soumis dans sa partie Nord à la forte attractivité de l’agglomération Lilloise. ».
L’argumentation peut même confiner au sublime avec : « la mise en place d’une mobilité alternative partagée, couplant différents types de modalité, dont le but est de permettre à chacun d’accéder à une plus grande mobilité choisie, dans un process vertueux. ».
On fait grâce au lecteur du lexique étonnant qu’on ne trouve nulle part ailleurs, fait de « noues » , de « merlons paysagers » , de « peuplier rectifié » ou encore de « phyto-remédiation » , autant de mots pour prouver qu’on remet à l’état de nature un espace anthropisé depuis le néolithique.

Nous sommes très loin du compte.

On patine grave

On repère péniblement aujourd’hui un peu moins d’un millier d’habitants dans 150 logements. Il faut d’ailleurs comprendre, dans ce compte incertain, l’opération menée sur la frange de la cité des Epis par l’ANRU au titre du programme national. Cette dernière se serait faite de toutes les façons, écoquartier ou pas.
Quant à la densification qui était l’objectif du projet, elle n’est jamais arrivée.
Les décisions de nos élus, peut être n’avaient-ils pas le choix, a été d’abandonner les habitats collectifs pour passer aux lots individuels directement vendus par une Douaizizaglo® transformée en promoteur.
On aura donc des maisons avec jardin, éventuellement des parcelles vides, lesquelles sont la source bien connue du mitage qu’on souhaitait pourtant combattre.

Côté transports qui étaient une clé du succès du nouveau quartier, on relève que ça patine pas mal.  L’idée était de permettre aux nouveaux habitants, par le biais d’un BHNS en site propre, d’aller à la gare de Douai (30’ de trajet) pour ensuite se rendre à Lille par le TER.
Sans doute les promoteurs de cette idée – qu’ils se gardent bien d’infliger à eux-mêmes – pensaient-ils que les candidats se bousculeraient au Raquet avec un avantage pareil. On ne peut pas vérifier ce pari douteux. Cette nouvelle ligne 4 – qui dépend entièrement de la communauté d’agglomération puisqu’elle gère le SMTD – n’est pas encore réalisée (Mise à jour janvier 2022 : la gratuité l’a enfin créée).

Ouh, en v’la des variantes…

Quant aux implantations d’entreprises, il faut noter qu’il s’agit là du fameux Ecopark, transformation du parc forestier prévu à l’origine par la seule volonté du président Poiret, en zone d’activité et d’artisanat.
Cette innovation n’était d’ailleurs pas tout à fait du goût de l’urbaniste si on en croit ses déclarations. On ne lui a sans doute pas laissé le choix même si elle n’avait pas tort car le bilan reste bien maigre.
Si on enregistre certes 340 emplois au Raquet à ce jour, il faut savoir que 300 d’entre eux correspondent à la délocalisation en 2017 des ateliers de l’ESAT du Douaisis. La vingtaine de salariés de la société Tauw récemment implantés là ont quitté un immeuble de Douaizizaglo® de Dorignies pour un immeuble de Douaizizaglo® du Raquet. La création nette reste donc plus que modeste.

Ces résultats médiocres prouvent facilement que le plan était défectueux, un peu comme un tramway devenu bus. Notons qu’ils avaient curieusement le même inventeur.
Créer un nouveau quartier dans un Douaisis qui perd des habitants depuis un demi-siècle, sans coordination avec les communes qui profitent de l’attraction lilloise (Orchies, Coutiche etc.) et, pire, en s’appuyant sur la vente de bâtiments collectifs dont personne ne veut, avait toutes les apparences de la fausse bonne idée.

Elle a évidemment débouché sur une absence de résultat d’assez grande dimension. il n’y a pas aujourd’hui, au Raquet, 15 ans plus tard, 4000 logements accueillant 12000 habitants.

Ouf ! On a des projets !

On dira malgré tout que ces échecs ne sont pas définitifs. Le Raquet accueille de nombreux projets, certes sans lien avec le plan initial, mais qui sont une preuve de dynamisme.

Poussés par la nécessité, on enregistre depuis le début de forts changements de pied de la part des décideurs. Les habitants absents ont été remplacés par des projets qui reposent, comme toujours, sur la solution facile de l’argent public.

On a eu le fameux Sourcéane qui a bien peiné à démarrer comme l’a décrit la cour des comptes en 2016 dans un rapport cinglant (900 000 euros de déficit annuel). Depuis la reprise par la société Récréa d’Herouville Saint Clair, la fréquentation pour ce qu’on peut en savoir semble s’être améliorée. Le renouvellement de la délégation de service public, prévu cette année, permettra peut être d’y voir plus clair.

Nous savons qu’on aura de surcroit sur ces terres inhabitées deux projets de grande ampleur dont les superlatifs répétitifs devraient nous inquiéter.
On aura « le plus grand boulodrome au Nord de Paris », subtilité géographique qui tient compte du monstre de Montluçon et peut être aussi du voisin normand.
On aura enfin une patinoire dont la fréquentation sera parait-il supérieure au « 70000 visiteurs prévus » parce qu’on aurait oublié dans le calcul officiel les rois de la glisse qui viendraient du Pas de Calais. Une étude prévisionnelle tiendrait compte des frontières administratives ? Là, on tremble…

Si ces deux inventions sont payées par nos impôts, on nous assène régulièrement, pour nous convaincre, qu’elles apportent du travail aux entreprises qui les réalisent. Il est vrai que construire, même pour rien, c’est toujours construire. C’est une forme de mouvement perpétuel. Les lois de la mécanique l’interdisent mais les fonds publics le permettent.

Il est utile de lister les sociétés qui interviennent dans ces « grands projets » , ainsi entre autres Jean Lefebvre, Eiffage, Satelec, Francial, Berim, IRH, KIC, Hurban, Atrium, ou encore European Homes. Certaines sont récurrentes, parfois purement locales mais aussi étrangères.
Si on devine facilement leur objet, on apprécierait de savoir exactement ce qu’elles font car si leur bénéfice est un bienfait pour tous, un peu plus de transparence permettrait de le vérifier.

Il faut toujours se méfier des conclusions en forme de …/…

On a de l’argent… public

Loin de la logique de marché, on fait de la subvention via des entreprises en espérant qu’un « ruissellement » profitera au populo. Ces « grands projets » n’ont pas l’objectif d’une rentabilité commerciale, principe assumé par notre président d’agglomération.
Car n’oublions pas d’additionner au coût de construction – mis en avant comme venant de la poche des élus – celui qui pèsera sur tous les contribuables tant que ça durera : le fonctionnement.

L’examen du compte administratif du Raquet, dont le titre pompeux « agrégé au budget principal de budget général » n’aboutit qu’aux grandes masses des dépenses, démontre qu’on y met quand même beaucoup de sous.
En fonctionnement pour les années 2017, 2018 et 2019, on enregistre ainsi successivement : 25,4 millions d’, 21,4 et 21,3. Pour l’investissement, c’est du même ordre : 24,8 millions d’, 31,1 et enfin 32 tout rond.

Devant de tels montants sur seulement trois exercices, plus éclairant, mais là on entre dans le domaine de la science-fiction, serait le calcul des retombées économiques de ces opérations depuis leur lancement en 2006.
Par exemple, la plus-value générée par ces dernières ou, mieux, le produit fiscal des entreprises déménagées avec tant d’efforts, rapporté à la dépense de ces installations.

Quand on examine tout ça, il aurait peut être été plus simple de payer des gens pour qu’ils s’installent dans le centre-ville et faire l’économie de cette débauche de moyens dans une périphérie où Douai est interdite de parole.
Calculé à la louche, pour les logements de l’écoquartier, le bilan coût/habitant représente 30 000 euros par « Raquetien » installé. Pire, ils ne sont même pas contents.

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