Le piège de la taxe foncière

Taxe Foncière

Le journal municipal « Douai ma ville » n’existerait pas, il faudrait l’inventer. Savourons les humbles informations qu’il nous délivre tous les mois. Ce florilège, qui ne franchit pas les portes de la ville, ne manque jamais d’intérêt.

Car des trucs essentiels se cachent dans ces pages entre une inauguration de vide-grenier et diverses autocélébrations censées démontrer au citoyen que ça baigne. Dans le fourre-tout de septembre/octobre (n°69),  un articulet attire l’attention du lecteur consciencieux.

Claque sur les taux

Son titre apparaît des plus inquiétants : « Mieux comprendre sa feuille d’impôts »… Ouh là, on pense tout de suite aux « facts-checking » qui fleurissent en ce moment et dont la prétention n’a d’égale que leur véracité relative.

Le chapeau annonce la couleur : « vous avez reçu votre avis de taxe foncière à régler avant le 15 octobre (…) Vous avez sans doute constaté des variations ». Un peu mon neveu, son taux est passé de 29,55% à 48,84% !

Pas de panique. Nos fact-checkers municipaux indiquent, concernant cette « légère » augmentation, à la fin de l’article dans une phrase qui a du être rajoutée in extremis quand on a pensé au rare payeur douaisien : « mais sans effet financier pour le contribuable »….
Aucune information n’explique ce prodige. T’inquiète coco, le taux explose, ça ne change rien pour toi. Fais nous confiance.

Douai Ma Ville Taxe foncière
DMV sacrifie au fact-checking

Echanges de taxes

Nous avons déjà évoqué dans Douai Vox les conséquences de la disparition de la taxe d’habitation. La martingale du prochain président départemental n’est pas bête. Si une grande taxe est supprimée, on conserve toutefois l’autre grosse, la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB).

On se contente de retirer au département le bout qu’il en recevait afin de le donner à la commune pour compenser la perte de la TH. Les conseillers départementaux reçoivent en échange une portion de la TVA qui serait, parait-il, « dynamique » et « indolore ». Il est vrai qu’elle peut augmenter sans qu’on s’en aperçoive mais il y a un piège pour nos parrains dépensiers. Cette TVA étant nationale, ils ne pourront jamais en augmenter les taux. C’est toujours ça de pris.

Bien différente apparait la taxe foncière qui reste de fait la dernière ponction dont le taux reste à la main des élus. On se dit quand même que le glissement de 29,55% à 48,84% est une sacrée hausse qui devrait les calmer pour un bon bout de temps. Pour info, la TF a pris 30% d’augmentation entre 2009 et 2019 avec une accélération les dernières années…

Indolore et sans saveur

Il n’y a effectivement aucun effet pour les propriétaires. Ils assumeront comme avant le montant de la ponction communale et celle du département. La différence, c’est que cette somme est à présent au bénéfice de la seule commune.

On peut s’interroger sur l’affichage décidé par le gouvernement quant à cette addition curieuse de deux taux qui n’ont rien à voir entre eux. Celui du départemental portait sur des bases moyennes sans point commun avec celles des communes.

Quoi qu’il en soit, il faut se méfier, dans notre pays shooté à l’argent public gratuit sauf pour ceux qui paient, des effets profonds de cette réforme.

D’abord, certaines communes qui peuvent percevoir une taxe foncière départementale supérieure au revenu de leur taxe d’habitation, seront « écrêtées ». A l’inverse, celles dont le produit de la taxe foncière s’avère inférieur à cette dernière recevront une compensation.
Le gouvernement, qui touche l’impôt en premier, a tendance à ne pas restituer aux collectivités locales tout ce qu’il leur doit. Cela ne change rien pour les contribuables mais c’est toujours ça de pris pour lui. La preuve : il refuse de donner la liste de ces transferts évoqués plus haut, histoire d’éviter les comparaisons de ville à ville.

Pour l’instant, on reste sur une addition neutre. Mais il arrivera bien un jour où, à l’époque du « quoi qu’il en coûte » , la taxe foncière augmentera pour alimenter l’appétit insatiable de notre Léviathan public. En quarante ans, nous n’avons jamais connu une réduction de la ponction fiscale. Elle a même triplé en euros constants.

Faire payer les riches

N’oublions pas d’ailleurs que les gros contribuables continuent aujourd’hui de payer la taxe d’habitation. C’est d’ailleurs la philosophie de cette réforme : faire glisser sur les seuls proprios le coût de la suppression de la taxe d’habitation que tout le monde acquittait avant. Le processus n’est pas encore terminé. Il le sera en 2023 et même en 2026.
Car cette réforme s’appuie sur un moyen masqué : la révision des « bases » (valeur intrinsèque de la propriété) que personne n’a osé mettre en œuvre depuis… 1970.
Selon diverses projections, ce sont les propriétaires des biens anciens – avant 1950 – qui vont être largement estampés à l’inverse de ceux qui possèdent des biens récents. Et oui, ça va taxer dans les « beaux hôtels » du centre ville.

Ayons en tête ce qui précède en lisant les déclarations de notre maire au journal Libération quand il décrit « la belle endormie ». Selon ses dires, « le temps des villes à taille humaine est revenu. Douai cumule les avantages de la ville et les prix du périurbain : on peut acheter un hôtel particulier à 600 000 euros. Dans l’ancien, le mètre carré se négocie autour de 1 000 euros, contre 5 000 à Lille.
En plus de l’effet Covid, la suppression de la taxe d’habitation a également favorisé les villes moyennes en supprimant un désavantage concurrentiel par rapport aux communes périurbaines où elle était beaucoup plus faible. »

On aime les pauvres qui votent

Cette profession de foi est amusante tant elle paraît contradictoire avec l’évolution sociologique qui accompagne notre effondrement démographique. Si on perd du monde, le profil de ceux qui restent change aussi.
Douai accueille à présent beaucoup plus de gens à petits revenus, quand ils en ont, ainsi de nombreux migrants, des bénéficiaires des minimas sociaux (sans activité : 28,8%), des retraités (23%). Tous sont des locataires exonérés par principe de la taxe foncière.

Cette mutation sociale de Douai, qui s’accélère ces dernières années, va rencontrer la révolution de la fiscalité locale.

La TFPB, dernière « taxe à effet de taux » , commande de nombreuses péréquations. Ainsi les aides que l’Etat donne aux collectivités locales pour réguler les inégalités territoriales. Avec des pauvres de plus en plus nombreux, Douai devrait en profiter.

Autre avantage pour l’équipe en place, cette évolution conforte son socle électoral comme le montrent les résultats des dernières municipales. Une majorité socialo-communiste-verdâtre prospère sur la pauvreté au titre d’un « monopôle du coeur » bien connu.

Le système peut devenir inexpugnable si on y ajoute une floraison de logements sociaux. Il faut savoir qu’à l’inverse des propriétaires lambda, les bailleurs sociaux disposent d’une exonération de longue durée de la taxe foncière, comme certaines catégories de possédants privés (ceux dont les logements sont bénéficiaires de l’APL).

La route de l’enfer fiscal est pavée de bonnes intentions

Evidemment, ce montage est trop beau. Il y a un risque que ça dégénère.

D’une part, si ces populations permettent le maintien dans la durée d’une majorité municipale, elles réclament des aides nombreuses qui relèvent d’un accompagnement coûteux. La taxe foncière constituant l’unique recette de la commune, l’étroitesse de l’assiette aboutira au découplage des charges des recettes fiscales.

D’autre part, on peut espérer que l’Etat y pourvoira mais la réforme en cours découvre la question des exonérations de TF dont bénéficient les bailleurs sociaux. Devant l’inquiétude des maires largement dotés de ces derniers, le gouvernement, toujours prudent, refuse de porter à 100% sa compensation. Il est vrai qu’elle peut atteindre un demi milliard d’euros.

Enfin, comme souvent rappelé dans ces pages, le risque d’une fiscalité exclusivement portée sur les proprios (37% de la population, sans compter les exonérés) et, parmi eux, sur les plus gros de la ville (cf le bobard des hôtels à 600 000 sans taxe d’habitation) conduira à leur raréfaction, l’effondrement de la valeur du bâti et le découpage du patrimoine historique en studios à loyers aidés.

On aura, au final, une situation que Maurice Duverger aurait bien théorisée mais que Douai Vox® résumera d’un court aphorisme : ceux qui décident ne paieront pas et ceux qui paieront ne décideront pas, sinon avec leurs pieds.

Nestor aime la polémique douaisienne, surtout quand elle est enfouie sous des tonnes de silence. On peut trouver parfois un peu de mauvaise foi dans ses propos mais sans cette liberté, il n'y aurait d'éloges flatteurs.

2 Comments

  1. Les contribuables et leurs élus ont des approches différentes des mathématiques, merci pour votre « démonstration « , (je conseille la lecture de Wikipédia concernant les « mathématiques »)

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