Alors là, on atteint des sommets dans le cynisme aggloméré quant à la solution miracle que vient de sortir de son bonnet notre parrain bien-aimé.
Voilà que Douaisis Agglo met la main au porte monnaie pour sauver « l’hôtel Mirabeau » , imposante verrue immobilière en plein centre de Douai dont l’apparence actuelle atteste de la bonne santé du territoire.
Nous avions à plusieurs reprises abordé le devenir de ce monument historique en déshérence, là dès avril 2019 et, quatre ans plus tard, ici pour une visite improvisée qui donnait une idée des désastres qui peuvent parfois découler d’un projet mal conçu.
On va le faire… avec de l’argent public
A plusieurs reprises, Christian Poiret a botté en touche quand on lui mettait cet échec personnel devant les yeux.
Le propos lénifiant as usual était « que ça se fera un jour ou l’autre » mais comme le contraire commençait à se voir, pour éviter d’affaiblir la réputation d’omniscience de notre maître à tous, il fallait quand même bouger.
Nous y voilà.
Pour résumer, la communauté d’agglomération a voté cette semaine une délibération qui garantit l’emprunt de 12 millions d’euros pris par l’opérateur constructeur aménageur société hôtelière « Financière Vauban » qui, outre de posséder le bâtiment, devait débuter l’opération en… 2013.
Le plus risible était le lâche soulagement des « opposants » macroniens et socialos lesquels comme des gogos ont applaudi la manœuvre. On pense à la formule de Machiavel : « La férocité de ce spectacle fit le peuple demeurer en même temps content et stupide » .
Ce « peuple » aurait été en effet plus inspiré de soulever tout ce qui débloque dans cette décision, non pas dans sa légalité, avérée quoique bizarre, mais dans tout ce qui entoure depuis le début – et qui le sera jusqu’à la fin – cette affaire aussi honteuse qu’extravagante.
Résumons, jeu des 7 erreurs, les ratés successifs des génies qui président aux destinées du Douaisis quant à la maîtrise du projet :
1ère erreur
La première, la plus évidente, a été l’abandon – non motivé – du projet initial défini par Jacques Vernier. L’épure était bien avancée, les architectes, dont on espère qu’ils ont été payés, s’étaient mis au boulot. L’opération, prudente, était bien dimensionnée.
Invention du gouvernement d’alors, le concept était celui d’un partenariat public privé (P.P.P.), entre le propriétaire hospitalier du bâtiment et le groupe « Rabot Dutilleul » , entreprise centenaire et nordiste, sise à Wasquehal, dont le sérieux comme la surface financière n’avaient pas, à l’époque comme maintenant, à être démontrés.
Mais arrivant aux manettes de la « pompe à phynances » que constituait feue la « CAD » , notre président n’a pas trouvé mieux que de liquider ce projet pour en faire un autre, évidemment plus grand et plus beau.
Dix ans plus tard… Rien… Mais il n’y est pour rien…
2ème erreur
Adepte bien connu de la « régie » qui transforme régulièrement la communauté d’agglomération en entreprise immobilière, Christian Poiret a d’abord acheté l’hôpital général en 2012 pour 3,8 millions d’euros.
Acquis par de l’argent public, ce bien a été vendu l’année suivante pour 2,5 millions à la « Financière Vauban », holding basée à Tournai pour en faire un hôtel de luxe, ajouté à une opération de vente d’appartements défiscalisés.
On glosera longtemps sur la bonne affaire réalisée par le promoteur, Xavier Lucas, puisqu’il a obtenu un rabais de plus d’un million. Les contribuables un peu moins. Ils ont payé de leur poche la différence de prix.
A ce stade, la question est celle ci : pourquoi la Financière Vauban n’a t’elle pas acheté directement le bâtiment aux précédents propriétaires ? Cette manip’ était-elle une subvention masquée ?
Pas de panique, nous ne le saurons jamais.
3° erreur
C’est là qu’on s’interroge sur le choix de ce promoteur. Pourquoi lui ?
En France comme ailleurs, ils ne sont jamais bien vus. Certains dénoncent ces bétonnages qui sont autant d’artificialisations démoniaques détruisant la planète.
Plus dangereuses que le bobard qui précède, ces opérations, aux confins du fric et de la politique, ont parfois débouché sur le pire du pire, non sans éclabousser tous les constructeurs, même les plus vertueux.
Le flamboyant patron de la Financière Vauban est un Janus bifrons.
Pour quelques uns, il est le sauveur de vieux bâtiments dont personne ne veut mais, pour d’autres, un entrepreneur qui ne s’embarrasse pas de détails comme le montrent les conflits qui parsèment son parcours.
Ses opérations sont souvent fragiles, assaillies de problèmes, avec le risque en bout de course du naufrage définitif.
Le Royal Hainaut de Valenciennes, parti avec un budget de 40 millions d’euros, s’est conclu par le double, après pas mal de frayeurs, sans doute excessives puisque ces travaux ont abouti.
Pourquoi ?
Parce que Xavier Lucas est un malin qui lie son destin à celui des pauvres élus qui portent un toast au cocktail « monument historique-opération géniale » .
Comme il leur est impossible – par la loi – d’abandonner un bâtiment classé, la variable d’ajustement sera la remise au pot du côté des collectivités locales, pot sans fond comme nous le savons tous.
4° erreur
D’où cette garantie décidée par le conseil d’agglomération, enfin par son président, c’est à dire le soutien par une autorité publique d’un emprunt contracté par une entreprise privée.
Pour l’instant rien ne sort de la poche de Douaisis Agglo qui ne sera sollicitée qu’en cas de défaut de l’opérateur mais cette délibération amène pas mal de questions.
D’abord le montant annoncé – 12 millions d’euros – qui parait bien léger quand on considère le projet du Hainaut dont le coût a été six fois plus important. On peut faire le pari que notre « Mirabeau » n’en sera pas loin.
Il s’agit donc d’une garantie pour faire levier auprès des banques sur un emprunt beaucoup plus gros ou, mieux, un signal donné à ces dernières pour les persuader que, quoi qu’il arrive, l’argent public viendra à la rescousse.
Notons que ce chantier, qui aurait du commencer en 2013, n’a de fait jamais débuté, hors le « curage » des menuiseries (question subsidiaire, où sont donc passées les espagnolettes bicentenaires et les ouvrants encore en état ?).
Si le promoteur en est, comme un ami impécunieux, à demander une garantie à ses potes pour démarrer des travaux après une décennie d’attente, on peut se poser des questions sur la confiance que lui portent les banquiers.
5° erreur
La loi prévoit, par plusieurs articles du CGCT, la possibilité pour un EPCI de garantir un emprunt à charge pour lui, comme déjà dit, en cas de défaillance, de payer à la place du débiteur les annuités du prêt.
Ces décisions sont très encadrées pour éviter toutes les dérives que les élus pourraient commettre dès qu’on leur lâche la bride.
D’abord, elles ne doivent concerner que des emprunts et rien d’autre (pas de lignes de trésorerie etc.) mais surtout la quotité maximale est fixée à 50%, chiffre que Douaisis Agglo a allégrement atteint.
Il lui aurait été possible de faire moins, par prudence, mais non. La formule martiale du patron, lors du vote communautaire, sent le gars qui croit sortir du fric de sa poche : « quand on a quelque chose dans la tête, on y arrive toujours quand on veut » .
Oui, très bien, c’est un guerrier courageux, mais c’est fastoche avec des fonds publics et c’est en plus pour un projet foireux…
Enfin, on n’ose relever la possible contradiction entre cette garantie de prêt et l’interdiction votée par le parlement en 1988 de le faire pour des entreprises en difficulté.
On ne doute pas que notre Douaisis Agglo, comme les représentants de l’État dont c’est le rôle, ont vérifié la bonne santé du sauveur de l’hôpital général et qu’ils vérifieront la réalité de ses obligations auprès des prêteurs.
On espère aussi qu’une convention a prévu toutes ces choses pour, en cas de problème, permettre à nos élus visionnaires de parer à toute éventualité.
6° erreur
Notre président au carré a pris à plusieurs reprises, comme preuve de la future réussite du « Mirabeau tout beau » , l’exemple du Royal-Hainaut de Valenciennes.
Or rien n’est semblable entre les deux projets à plusieurs titres : le bâti lui même, la configuration des immeubles, l’emprise etc. Seul le point de départ est commun : des Ehpad à bout de souffle dans des monuments historiques dégradés.
Après, tout est différent. Ainsi, entre autres, l’installation des bureaux de la communauté d’agglomération de Valenciennes-Métropole dans les ailes, présence publique qui a évidemment soulagé les finances de l’opérateur.
Ce dernier a réalisé dans la douleur le Royal-Hainaut, non sans mettre ses ressources en péril. De ce point de vue, la chance du Valenciennois c’est qu’il est passé avant le « Mirabeau » douaisien. Ce qui est fait n’est plus à faire et ce qui n’est pas fait reste à faire.
Pour autant, la viabilité de cet hôtel « de luxe » , dont les charges apparaissent importantes, doit être examinée sur le long terme. On aimerait connaitre son taux de remplissage moyen depuis l’ouverture…
Il est situé au sein d’un territoire qui n’est pas la Côte d’Azur ou Paris, même si le Hainaut sait mieux que Douaisis tirer son épingle du jeu sur à peu près tous les tableaux.
7° erreur
D’où la dernière erreur. Quel sera – si d’aventure il sort un jour de terre – l’équilibre financier du Mirabeau ? On nous jette au visage un projet dont les seuls détails sont le « luxe » , ses « 62 chambres » et ses « 118 appartements » mis en vente.
Ces présentations qui se copient les unes sur les autres se gardent bien d’interroger au fond le concept du machin. Quel plan marketing ? Quel équilibre général ? Quelles retombées pour le propriétaire ? Le gestionnaire ? Le territoire ?
Douai et le Douaisis peuvent-ils être le lieu du luxe et du farniente ? Verra-t-on des Ferrari et autres Porsche côtoyant les voiturettes sans permis et les bus gratuits à la sortie de St Jean ?
Pour quelle raison des touristes à gros revenu dépenseraient-ils de fortes sommes pour leur hébergement dans une ville et un territoire à l’attractivité manifestement faible ? Pour aller jouer aux boules ou faire du patin ?
On ne soulève même pas la possibilité d’une saturation de l’offre par rapport à la demande, notamment avec la création annoncée à La Clochette d’un nouvel hôtel dont on a un peu de mal à comprendre l’utilité.
Conclusion
Cette affaire est probablement l’une des plus symbolique de cet aventurisme qui est la marque de notre territoire quand il s’agit d’un « grand projet » qui doit enrayer d’un coup de baguette magique son irrémédiable déclin.
On nous sert à chaque fois ces solutions absurdes en forme de tramway ou de TVME gavées d’argent public et auxquelles personne ne trouve rien à redire, ni même simplement, ici ou là, réclamer des précisions quant à leur intérêt réel.
Mais plus certainement, s’agissant de cette garantie d’emprunt – dix ans de rien en toute impunité – le plus dingue est la pirouette géniale qui transforme l’auteur du désastre en sauveur par la sollicitation – par lui même ! – de l’argent public.
Chapeau l’artiste !
Nestor aime la polémique douaisienne, surtout quand elle est enfouie sous des tonnes de silence. On peut trouver parfois un peu de mauvaise foi dans ses propos mais sans cette liberté, il n’y aurait d’éloges flatteurs.