Il est temps de se pencher sur la fabrication des décisions de nos élus. C’est une indispensable question pré-municipales. Le lien entre la motivation, la dépense et enfin l’utilité de certains choix mérite le détour à Douai.
Utilité de l’action publique
On passera sur les coquilles qu’on repère dans les écrits, rapports etc. qu’on présente pourtant comme importants pour l’avenir de la ville et la région. Ces imperfections prouvent que peu de monde relit ces pensums. On peut aussi y voir, en poussant un peu, une métaphore de l’action publique locale. Au bout du bout de la dépense, il n’y a peut être rien.
On garde plus sérieusement en tête les innovations numériques débouchant sur des « erreurs 404 » qui démontrent que personne n’a pris la peine de vérifier régulièrement si tous les liens d’un site fonctionnaient. Nous mettrons dans le même sac les applications à la motivation respectable mais dont le suivi semble bien aléatoire. C’est là que le contribuable se demande, comme quand il voit un Binbin vide dévalant la rue de Bellain, si certaines décisions de nos élus sont justifiées.
Motivation du choix
Quand les choix débouchent sur des résultats faibles sinon nuls, comment l’expliquer? Plusieurs hypothèses sont possibles, elles peuvent même se cumuler ici ou là.
Pour commencer, premier principe, le célèbre effet d’annonce. Il n’y a aucune raison que nos politiques ne s’en servent pas. Devant un problème, pour éteindre une polémique, il suffit de communiquer – c’est de l’oral, éventuellement relayé par un écrit dans la presse – sur la décision supposée régler le sujet. On espère ensuite que, mémoire courte des électeurs aidant, tout cela sera rapidement oublié. Le plus bel exemple fut l’annonce par Jacques Vernier, en pleine campagne électorale de 2014, du projet hôtelier de l’Hôpital Général. Une société sérieuse, celle de l’Ermitage Gantois lillois, allait monter le projet. C’était dit, c’était fait. Pas de bol, sept ans plus tard, on attend toujours.
Principe suivant, la motivation intuitive qui est sans doute la plus dangereuse. Dans ce cas, il s’agit d’une décision prise par un élu sur la base d’une idée personnelle. En français, on parle alors de « fausse bonne idée ». Des projets relèvent à Douai de cette logique. Nous prendrons deux exemples.
La piétonnisation du coeur de ville
On a d’abord la piétonnisation du centre ville, prévue pour dynamiser les commerces. Leurs propriétaires n’en voulaient pas, on leur a imposé. Il est vrai qu’empêcher les automobilistes d’approcher des magasins leur permettait de craindre qu’on n’interdise par la même occasion aux clients d’arriver.
Peut être nos élus avaient-ils en tête les jolies rues piétonnes de leur jeunesse. Malheureusement, nous ne sommes plus en 1975. Nous avons aujourd’hui internet, Amazon, la zone de Noyelles-Godault et en prime un plan de circulation qui rend fou. Continuer dans cette voie est paradoxal à tous les points de vue. C’est la voiture qu’il faut remettre dans les rues, pas les piétons.

Le restaurant le Prévost
L’ouverture du restaurant Prévost de la rue de la Massue relevait sans doute aussi de cette intuition magique. Frédéric Chéreau pour justifier le soutien financier de la commune a parlé d’un « choc de confiance » dont on se demande comment il se mesure, peut être avec un sismographe. Mieux, notre maire envisageait de n’attendre dans un premier temps « aucune recette » du projet. Le seul retour envisagé étant celui d’un loyer progressif sur neuf ans (50 000 euros par an), qui conduit à calculer qu’il faudra près de trente ans pour retrouver le 1,4 million payé par les Douaisiens.
S’il cherche des justifications plus solides, on peut venir à la rescousse du maire en disant d’abord que cela sauve un vieux bâtiment maintenant rénové de fond en comble.
On peut aussi se féliciter que notre ville dispose enfin d’un restaurant de prestige. Après tout, ça prouve que Douai n’est pas Denain. Nos élus, dont ceux de la puissante Douaizizaglo, ont à présent une cantine capable d’impressionner les partenaires qu’ils y inviteraient.
Enfin, on peut reprendre le concept de « choc » susceptible de modifier l’image de la cité. Il impacterait la perception d’entrepreneurs qui, séduits, pourraient investir dans d’autres secteurs de la ville.
Au final, nous voilà dans la théorie du « ruissellement » qui prévoit que la dépense des gros profite toujours un peu au bout de la ligne aux maigres.
Mesure d’effet avant et après
Sans être économiste de métier, on se doute bien que mesurer ce dernier effet est une gageure. C’est ici qu’apparait – elle est indispensable avant de décider – la rationalisation des choix pour qu’ils débouchent sur un résultat.
Qu’un conseil municipal ou une communauté d’agglo puissent trancher un sujet en espérant un effet positif est la moindre des choses. C’est d’ailleurs toujours ainsi que nos élus présentent leurs arbitrages, sauf qu’il arrive que ça tarde à réussir et que ça manque souvent, avant et après, d’éléments chiffrés.
Il aurait été intéressant de disposer des cibles de fréquentation des magasins soumis aux voies piétonnes, avec un calendrier prévoyant un bilan régulier, avec du avant et du après, notamment sur l’augmentation du chiffre d’affaire des commerces concernés.
Nous ne compterons pour rien la « consultation citoyenne » organisée par la mairie dont les réponses excluaient toute opposition au projet. Nous ne pouvons résister à présenter la savoureuse question qui suit : Souhaiteriez-vous une piétonnisation définitive :
– D’avril à octobre
– D’avril à décembre
– toute l’année
Inutile de chercher « jamais », il n’existe pas.
Pour Le Prévost, l’approche serait tout aussi utile pour les contribuables. Il aurait été bon de disposer du « business plan » de départ, du prix moyen du repas, du chiffre d’affaires et du bénéfice espéré, du taux de fréquentation de l’établissement, des échelons de l’amortissement financier, du volume des retombées médiatiques et in fine de l’impact général de cette création sur la ville etc.
L’inefficacité assumée
Malheureusement, comme le montre un récent rapport de la cour régionale des comptes qui critique certaines décisions de nos élus locaux, il arrive que ces derniers assument sans inquiétude l’échec qui contredit les attendus d’un projet.
Le musée Arkéos
Ainsi le musée local, Arkéos, dont le coût de construction comme la charge de fonctionnement apparaissent supérieurs aux prévisions. L’équilibre financier du projet ne pourra jamais, en dépit des engagements pris, être atteint et cela d’autant plus que l’idée de faire payer l’entrée est depuis longtemps abandonnée.
Que le Douaisis puisse disposer d’un lieu célébrant son histoire est une évidence sinon une obligation. Par contre, l’implanter hors du centre ville faisait porter un risque, comme le prouve la faiblesse du nombre de visites depuis l’ouverture.
On se demande dès lors comment a été préparé ce dossier. Deux éventualités : soit l’impossibilité de l’équilibre était connue dès le départ mais a été passée sous silence, soit l’étude qui a servi de base à la définition du projet était complètement déficiente.
Mis en face de ces contradictions, les réponses des élus ont été étonnantes. Les critiques n’ont pas été balayées d’un revers de la main, mais ce n’était pas loin. Pour un peu, selon la formule célèbre, le coût n’est pas un problème, c’est gratuit puisqu’il s’agit d’argent public.
L’affaire du Tramway
Evidemment, à ce stade, nous avons tous en tête l’affaire du Tramway qui est un résumé de ce qui précède. On y trouve les trois principes exposés plus haut.
L’effet d’annonce sur les performances mirobolantes d’un moyen de transport innovant.
La motivation intuitive des promoteurs qui ont défendu de toutes les manières possibles, y compris en comptant pour rien les études les plus sérieuses, ce qui allait devenir un accident industriel de grande ampleur.
Enfin, tout le dossier parait avoir été instruit sans aucune approche rationnelle en termes de résultats attendus, ainsi pour la dépense. Le déséquilibre financier de toute l’opération a plombé pour plusieurs années les finances des collectivités en cause, Douai en tête.

Pouvons-nous espérer que la prochaine équipe municipale nous protégera de ces risques mais surtout nous épargnera de ce genre de conséquences ? Croisons les doigts.

Max aime apprendre mais parle un peu souvent à la première personne. C’est un travers qu’il combat difficilement. Va falloir l’aider. Il adore la Scarpe et l’orgue de St Pierre, surtout les basses.
L’entrée d’arkeos n’est absolument pas gratuite…
Vous avez raison, nous avons manqué de précision. Jusqu’à l’ouverture du parc médiéval, en juin 2018, c’était gratuit après avoir été payant et peu fréquenté pour cette raison. Espérons que ce prix n’ait pas le même effet. Merci de votre commentaire fort utile.
Une analyse réelle et intelligente mais trop technique.
Mais combien de personnes à Douai l’a comprendront????
Bah, on peut toujours ne lire que les sous-titres 🙂 Blague à part, nous ne comptons pas sous-estimer la capacité des Douaisiens à piger le sujet. Si la technicité est trop forte, la problématique est simple : tout le monde paie pour des résultats qui ne sont pas à la hauteur. Et si on sifflait la fin de la récré ? Nous retenons votre remarque pour mieux vulgariser la foule de sujets dont Douai Vox va s’occuper dans les jours qui viennent. Merci à vous.