Paulée ou la cuisine financière

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Comme son ami Vanlerberghe mais en mieux, le parcours de Jean Baptiste Paulée, enfant de Douai, est emblématique des destins extraordinaires favorisés par la Révolution.

De la légende à la réalité

Son ascension prodigieuse frappait les contemporains qui forçaient le trait sur son origine obscure pour mieux en souligner l’exploit.  Présenté comme un « garçon d’auberge quasi illettré », il était en fait le fils d’un hôtelier prospère qui savait parfaitement signer – donc écrire – comme le prouve l’acte de naissance de Jean-Baptiste, enregistré par le curé de la paroisse St Pierre le 17 décembre 1754.

Son nom, Paulée, qui est selon Dauzat une déformation du prénom Paul, est très courant dans le Nord de la France , avec des graphies différentes, ainsi Pollet ou encore Paulet. La forme accentué, plutôt maline, différencie cette famille de toutes les autres.

On sait peu sur la période pré-révolutionnaire de Paulée, sinon qu’il aurait travaillé à l’hôtel de Bourbon (ensuite « de Flandres »), place d’Armes, qu’il recevra de son père en héritage. Selon la légende, il aurait épousé la cuisinière de l’auberge. Ce « cordon bleu » traitant avec beaucoup d’attention les clients dont il attendait des avantages, il en aurait tiré ses premiers succès.

Il n’en est rien. Si notre aubergiste s’était marié une première fois avec une demoiselle Delassalle, devenu veuf, il a ensuite épousé en 1783 une certaine Marie Barbe Dervaux. Loin d’être une spécialiste des fourneaux, celle-ci était issue d’une famille de censiers aisés qui possédait le château de Lewarde.

Lewarde, 19 août 1783, tout le monde signe, la mariée à côté du marié

Son frère, Paul Joseph sera maire de la commune au début du siècle. Mieux, il est l’arrière-grand-père maternel de Mme Camescasse par sa fille, Adèle, qui épousera en 1820 Louis Delegorgue.

L’hôtellerie sous l’Ancien Régime est peu documentée. Les voyageurs, notamment anglais, décrivent une offre flamande de qualité, à l’inverse de celle des auberges du Midi jugée plus discutable.

On peut faire l’hypothèse que l’hôtel de Bourbon, sur la plus belle place de la ville, entrait dans une catégorie supérieure qui offrait à son « maître d’hôtel », c’est à dire son patron, de confortables revenus. De même, dans une ville de garnison, de plus siège d’un parlement, une auberge réputée était le centre d’un réseau étendu de relations et d’informations qu’il pouvait mettre à son profit.

Le début de l’ascension

Quoi qu’il en soit, loin de l’hôtellerie, tout indique que Paulée s’est essayé relativement tôt au commerce international dont d’abord celui des grains, spécialité de Douai. L’approvisionnement de son hôtel l’avait probablement habitué aux circuits d’échanges, sachant que le débouché naturel du Douaisis est d’abord l’ancienne Flandre. Tournai notamment, ville avec laquelle tous les bourgeois importants, survivance du passé, possèdent des liens familiaux ou professionnels. Sur les actes, avant 1789, il se présente d’ailleurs comme « négociant », ce qui démontre qu’il avait très tôt dépassé son ancienne pratique.

Sépulture de Julie Paulée, 11 mois, fille de Brigitte Delasalle et de Jean-Baptiste, « négociant », St Albin, février 1783

Comme un Bonaparte qui ne serait rien sans elle, la Révolution va changer le destin de Paulée. Signes de son adhésion aux temps nouveaux, il fait partie de la Garde Nationale et du conseil municipal, tout en étant membre de la franc-maçonnerie locale.  Il est une des personnalités douaisiennes – intéressées – qui, dès 1790, réclament l’achat des biens nationaux par la commune, préalable légal pour qu’ils puissent ensuite être revendus… à leur profit. 

En février 1792, Paulée acquiert pour près de 20 000 livres le couvent des Dominicains. Puis, trois ans plus tard, en septembre 1795, alors qu’il est déjà lancé dans les affaires de haute volée, il investit près de 2 millions pour s’emparer de l’abbaye des Prés. Il y installera à grand frais une demeure dont le luxe frappera les Douaisiens qui en parleront longtemps, même après sa démolition.

A partir d’avril 1792, un autre évènement lui a en effet donné l’occasion d’associer l’enrichissement radical à ses opinions politiques avancées. La guerre déclarée par la France contre l’Autriche-Hongrie va plonger le pays et la Flandre en particulier dans un long conflit armé. S’il est ruineux, le coût est relatif : les conquêtes sont une manne financière pour la République.

Paulée sera exactement à la rencontre de ces deux mouvements qu’on hésite un peu à qualifier de vertueux. Lancé dans le lucratif commerce des fournitures militaires, il livre surtout des vivres, ainsi des grains, que sa connaissance du secteur lui permet sans doute de rassembler facilement, sans parler de sa capacité à mobiliser des fonds, les siens et ceux de ses innombrables associés.

A cette époque, l’armée ne dispose d’aucun service d’intendance, ni de moyens logistiques. On sous-traite à l’ancienne mode. Des fournisseurs passent un accord avec l’Etat en se chargeant de tout (marchandises et transports) contre une rémunération confortable. Paulée, d’abord sans doute intermédiaire, devient très vite actionnaire de diverses « compagnies des équipages militaires » lesquelles, compte tenu des volumes en jeu, manient des sommes énormes pour assurer la livraison des vivres nécessaires aux unités combattantes.

Des aventuriers aux confins des banquiers

Durant cette période qui ne se stabilisera financièrement qu’après la fondation de l’Empire, fournisseurs et banquiers apparaissent souvent alliés dans cette fièvre affairiste. Paulée sera ainsi associé à son compatriote Vanlerberghe tout en étant en relation d’affaires avec les Panckoucke de Lille, Declerc de Dunkerque ou encore les Gossuin d’Avesnes.

Tous ces manieurs d’argent se confondent dans ces opérations aussi risquées que rémunératrices dont le statut moral laisse beaucoup à désirer du côté des compagnies comme celui de l’administration.

Le mécanisme d’enrichissement procède de la capacité à rassembler le numéraire qui permet l’achat des fournitures. Le prix demandé en contrepartie à l’Etat permet un excellent bénéfice, sans doute accru par le prix réellement payé auprès des producteurs. Il faut aussi ajouter les pots-de-vin passés avec les généraux qui jouent des quantités comme de la qualité des marchandises. Si l’armement est irréprochable, les effets militaires sont parfois lamentables. Les semelles des souliers en carton étaient courantes…

Pour autant, le paiement – nous sommes en pleine période des assignats – peut mettre les fournisseurs en grande difficulté quand la valeur nominale du prix s’éloigne trop de sa valeur réelle, ce qui sera systématiquement le cas jusqu’au Consulat. Ce décalage mènera certains fournisseurs à la banqueroute. Ayant payé les livraisons, parfois par un emprunt, ils sont remboursés avec de la monnaie papier qu’une inflation galopante réduit à peu de chose.

Comme on l’apprend à l’école, invention géniale, les assignats étaient garantis sur les biens nationaux dont ils étaient la contrepartie en valeur. Mais à la fin de la Convention, tous ceux situés en France ont été gagés ou vendus alors même que la planche à billets a tourné à plein (valeur des biens : 3 milliards, assignats en circulation : 50 milliards). Seules les confiscations qui suivent les conquêtes militaires peuvent permettre aux détenteurs d’assignats de rentrer dans leurs frais.

Possédant une masse considérable de papier, Paulée obtiendra ainsi du Directoire en 1797 un décret qui l’autorise à acheter pour 16 millions de biens nationaux en Belgique, fruit des confiscations menées au détriment des congrégations religieuses. Il acquiert ainsi une multitude d’exploitations à Charleroi, Mons et évidemment Tournai. On trouve dans ces achats de « gros morceaux », ainsi les abbayes de Gembloux et d’Argenton.

S’il existait une forte différence entre sa créance et ce que l’Etat lui a proposé comme remboursement en nature, Paulée se rattrape sans difficulté par la sous-estimation de ces biens, probablement un tiers de la valeur réelle. On peut supposer que notre Douaisien, en voisin averti, connaissait parfaitement le potentiel de cet achat.

Un financier de haute volée

Dans la gestion de ses affaires, Paulée démontre qu’il avait une connaissance très précise des questions financières. Cette expertise contredit facilement la réputation d’inculture qui lui a été faite de son vivant et qui subsiste curieusement jusqu’à aujourd’hui. Un mémoire sur la nécessaire réforme des finances publiques publié en 1799 expose une hauteur de vue qu’on ne s’attend pas à trouver dans la tête d’un « garçon d’auberge quasi-illettré » .

Réflexions sur les finances, JB Paulée, Paris, 1799

S’il est probable qu’il ait été aidé dans cette publication par divers spécialistes, il devait toutefois être capable de soutenir ses démonstrations devant les ministres ou grands commis avec lesquels il traitait. Pour autant – il était connu pour ces choix – Paulée sut s’entourer de collaborateurs de valeur, nombreux et surtout grassement payés qui ont contribué à maintenir et faire fructifier sa fortune.

Une dernière caractéristique différencie Paulée de ses collègues et qui, là encore, atteste de son habileté, c’est sa capacité à traverser, fortune faite, tous les aléas qui ont suivi la Révolution et l’Empire. Avec la dépréciation monétaire déjà évoquée, toutes sortes de risques guettaient ces aventuriers, entre autres la faillite mais, pire encore, la prison.

Si le gouvernement acceptait, du fait de l’urgence et de la nécessité, quelques entorses à la règle, l’exagération pouvait mener en cellule ou à l’échafaud. Accusés de prévarication et de soustraction à l’impôt, Vanlerberghe ou Ouvrard furent ainsi brièvement emprisonnés. Paulée, pourtant très lié avec ses deux collègues, lui même régulièrement mis en cause, réussit miraculeusement à échapper aux foudres de la justice.

Il faut peut être voir ici un effet d’une utilisation bien comprise de ses ressources financières ou, mieux, l’existence d’appuis efficaces au plus près de l’Etat. Paulée était ainsi proche de Merlin, un temps Directeur, qu’il soutiendra à son tour matériellement quand le jurisconsulte sera exilé aux Pays-Bas après la Restauration.

Mémoire en défense de Paulée qui souhaite « éclairer la religon » des députés du Conseil des Cinq Cents sur son enrichissement, 1798

Dès le début du Consulat, Paulée, par acte notarié, informe de son retrait de toute activité de négoce, dans la capitale ou ailleurs. S’il se défait de diverses propriétés, il conserve toutefois la plus grande part de ses possessions. On lui attribuera régulièrement, chiffre rapporté à de multiples reprises dont le montant interpelle par son immuabilité, 500 000 francs de rentes, produit de plusieurs milliers d’hectares de terres agricoles (9697 exactement).

Il recourt en Belgique à plusieurs agents d’affaires chargés de gérer, non seulement les fermages qui sont énormes en termes de revenu mais tout autant le placement de ces capitaux auprès de financiers ou de commerçants. Il lui arrivera ici ou là par le biais d’un prête-nom de réaliser quelques opérations mais il ne reprit jamais ses activités passées. Elles auraient été d’ailleurs, compte tenu de l’assainissement menée par le régime napoléonien et la sévérité de l’Empereur envers l’agiotage, bien moins rémunératrices qu’à la folle époque du Directoire.

Après l’aventure, la rente

La légende une fois encore présente Paulée vautré dans le luxe de ses palais et qui dilapide sa fortune comme tout parvenu se devait de le faire puisqu’elle avait été si mal gagnée. Une fois encore, ce n’est pas tout à fait exact. Si son goût pour le luxe, les comédiennes et la bonne chère ne se démentit jamais, il conserva ses richesses jusqu’au bout.

Selon plusieurs témoignages, il était entiché de musique mais surtout de théâtre, la tragédie ayant sa préférence. Il fut longtemps le protecteur de Mlle Duchesnois qui avait l’avantage d’être née en voisine à Saint-Saulve.

Partageant son temps entre Douai et Paris, il faisait de nombreux séjours dans son hôtel de la rue de Provence. Il en profitait pour y donner des dîners recherchés où il invitait de préférences des gens de théâtre et des personnalités « qui comptaient » dans la société parisienne.

Un témoin raconte : On y faisait bonne chère, bien qu’on dût subir toutes les manies, toutes les excentricités de son service de table qu’il dirigeait lui même. M. Paulée était alors d’un assez grand âge. Il ne manquait ni d’esprit, ni d’obligeance. Il était presque aphone et lorsqu’il voulait parler, il fallait que tout le monde se tut. Il disait donc à chacun à voix basse : « écoutez moi donc ! »

Mort à Douai en 1832, Paulée n’eut qu’un fils, Jean-Baptiste César, né en 1789, officier de Hussards dans l’armée napoléonienne. Chevalier de la Légion d’Honneur en 1813, il avait épousé trois ans plus tôt l’une des filles Vanlerberghe, Sophie. Cet évènement fut le « mariage du siècle » compte tenu des fortunes qui s’alliaient à cet instant, cérémonie toutefois ternie par les déboires judiciaires, au même moment, du père de la mariée.

César Paulée, lieutenant d’Etat-Major, tout juste décoré de la Croix, 1813

Si César est décédé jeune, en 1831 – un an avant Jean-Baptiste – sa fille Aglaé, née en 1811, fut la direction unique de toutes les richesses de son grand-père paternel, sans même évoquer celles de sa mère Vanlerberghe. Elle épousa en 1836 Tanneguy Duchâtel, fils de sénateur, comte d’Empire, ministre à plusieurs reprises sous la Monarchie de Juillet. De ce personnage fastueux aux mains pleines, Mme Camescasse, peut être parce qu’elle en était apparentée, disait le plus grand bien.

Tanneguy Duchâtel, époux d’Aglaé Paulée

Le ménage Duchâtel eut un fils, Charles, ambassadeur puis député, qui épousa en 1874 une Harcourt mais surtout une fille, Rosalie, mariée en 1862 au duc de la Trémoïlle. La veuve de César Paulée, devenue entretemps vicomtesse Jacqueminot, toujours vivante, eut donc l’honneur de voir sa petite fille, descendante directe, parait-il, d’un aubergiste douaisien, sublimée en véritable duchesse de France.

Résultats du sondage sur la piétonnisation

résultats sondage piétonnisation douai rue de Bellain

Il convient, la campagne sondagière de Douai Vox à présent terminée, de présenter à nos fidèles habitués ses intéressants enseignements.

Le lecteur attentif aura remarqué que Douai Vox a adopté pour qualifier cette opération un barbarisme à « double n » quand la mairie a fait plus économique avec un seul « n » . Maintenant, vous savez à qui vous avez affaire : les « contre » parlent de « piétonnisation » quand les « pour » disent « piétonisation ».

Pour nos lecteurs qui se méfient de la littérature, un diaporama avec couleurs et images animées est disponible tout en bas de l’article. Il reprend les traits saillants du sondage. Bon visionnage.

On a fait comment ?

Quelques précisions méthodologiques en préalable, du style de celles que nous aurions aimé avoir de la municipalité quant à l’enquête qu’elle a mise en œuvre après la notre, sans parler du « sondage » de 2015…

Nous avons choisi une solution robuste et pas trop chère (50 euros TTC), non sans quelques imperfections, notamment son utilisation sur smartphone qui a pu apparaître parfois un peu compliquée.

Dans les paramétrages, il était impossible de répondre plus d’une fois ou de retourner en arrière pour éviter quelques dérives. Quoi qu’il en soit, pour augmenter l’audience, nous avons sponsorisé le questionnaire sur Facebook et Instagram.

La cible concernait 15 202 personnes dans un rayon de 12 kilomètres autour de Douai. On compte en fin de campagne 2955 interactions avec 698 entrées sur l’interface du sondage. Sur ce groupe, 451 personnes ont été jusqu’au bout, soit 64,6% de taux d’achèvement. Signe de sa simplicité, près de 79,8% des répondants l’ont réalisé en moins de 5 minutes tandis que 11,5%, peut être des spécialistes des jeux en ligne, rois du joystick, l’ont fait en moins de deux.

Le panel

Si l’utilisation de Facebook limite nécessairement le profil du public, comme le montre la structure par âges des répondants, nous avons constaté le maintien des proportions des avis « pour ou contre » tout au long de la campagne, ce qui confirme la tendance globale du « panel » et donc sa représentativité. Nous aurions aimé approcher du millier mais ne boudons pas un résultat qui reflète assez bien l’état de l’opinion.

Les trois groupes (centre, hors centre, hors ville) sont quasiment à l’équilibre (31,3%, 29,5% et 36,5%). Si on note que 231 femmes ont répondu, les hommes ne sont pas très loin : 220. Signe de l’impact Facebook – qui est un « truc » de vieux selon les jeunes – sur les répondants, 37,3% d’entre eux entrent dans la strate 35-49 ans. Les 18-24 ans sont rares (6,4%) comme les plus de 70 ans (2,7%).

La structure CSP des répondants est plus originale quand on la compare avec celle de la ville que nous donne l’INSEE. Ainsi, pour notre sondage, les cadres sont les plus nombreux à répondre (23,9%) mais ils ne représentent à Douai que 6,7% de sa population. Les professions intermédiaires sont à 21,7% (INSEE 11,1%) et les employés à 14,4% (INSEE 16%). Si 5,1% des ouvriers ont participé, ils sont 13,9% dans la ville. 11,3% des retraités en ont fait de même alors qu’ils sont 23% à Douai. La seule catégorie identique, du sondage à l’INSEE, est celle des agriculteurs : 0%.

De là à penser qu’une part importante de notre population, de fait la plus modeste, échappe, comme aux élections, au droit et au pouvoir de parler, il n’y a qu’un pas.

La question qui tue

L’objectif était de mesurer l’adhésion reçue par la piétonnisation pour la relier au profil des répondants, tout en se projetant sur leurs attentes en terme de commerces dans le centre-ville. Après tout, que souhaitent les Douaisiens et les non-Douaisiens sur ce point ? Il était bon d’avoir quelques indices.

D’emblée, la connaissance du projet est forte puisque seulement 23,1% des répondants n’en ont jamais entendu parler. On note l’importance des réseaux sociaux (36,2%) dans la source d’information en espérant qu’elle renvoie en partie à la communication de la commune quand elle utilise ce canal.  

Malheureusement, on peut en douter car 79% des répondants n’ont jamais, ni participé à une démarche, ni été sollicités pour donner leur avis sur le sujet.  Notons que seuls 11% ont répondu à un sondage, 10% ont assisté à une réunion et à peine 6% sont allés dans un atelier organisé par la commune. Trois héros sur 451 ont d’ailleurs participé aux trois options. Saluons un engagement civique peut être lié à leur statut municipal.

Nous avions pris le parti de dissocier la question de l’embellissement de celle de la piétonnisation pour apporter une nuance sur ces deux points.

On en déduit que les Douaisiens et assimilés trouvent ces rues bien laides si on en juge par l’écrasante majorité – 85,1% – qui souhaite une rénovation matérielle de l’axe Madeleine-Bellain. Cette adhésion massive pose d’ailleurs problème puisqu’elle ne pourrait qu’occasionner les travaux que les opposants au projet perçoivent comme un empêchement aux accès de la clientèle.

Réponse globalement négative

Cœur du débat et déficit flagrant de la part de la mairie qui s’est bien gardée d’envisager la possibilité d’un refus, nous avons demandé aux sondés leur avis sur la piétonnisation sur le mode « d’accord/pas d’accord ».

Les réponses apparaissent très partagées avec un léger avantage pour les « pas d’accord » avec 48,6% opposés aux 44,3% « d’accord », sachant que 7,1% sont sans opinion.

Il faut évidemment croiser ces résultats avec l’origine géographique. Partant du principe qu’habiter en centre-ville ou dans une commune limitrophe peut jouer un rôle important dans l’avis, nous avons proposé cette nuance.

Les résultats confirment l’intuition que nous avons tous, à savoir que les habitants du centre – qui peuvent venir à pied dans les rues commerçantes – sont plutôt pour la piétonnisation (51%) tandis que les « extérieurs », sans doute conscients des freins au stationnement sinon à l’accès au centre en automobile que va représenter ce projet, sont globalement contre (52% pour les autres quartiers et 53% dans les communes limitrophes).

Un autre croisement est indispensable, celui du profil des répondants. Notons que les dames sont majoritairement contre (56%, pour 36%) quand les hommes sont pour (52%, contre 40%). Même clivage sur le statut socio-professionnel. Les cadres sont d’accord à 51% (contre 41%), les professions intermédiaires et les artisans sont contre respectivement à 52% (pour, 43%) et 50% (pour, 36%). Les ouvriers sont en équilibre parfait.

La question sur les usages de mobilité, pour employer la novlangue à la mode, permet des découvertes amusantes. 44 vélocipédistes déclarés (7,8% des répondants) sont les rares bénéficiaires des travaux cyclables visant à sortir la voiture de la ville. Ce sont de plus des ingrats car sur les 200 personnes qui soutiennent la piétonnisation, on ne compte que 12 adeptes de la petite reine. Tout ça pour ça…

Des motivations nuancées

Plus intéressantes encore sont les motivations des avis. Il s’agissait de propositions fermées, ce qui n’exclut pas la possibilité d’autres arguments pour autant limitée. Ce qui est évident c’est que les opposants sont plus nets dans leurs choix que les partisans de la piétonnisation.

Pour ces derniers, deux raisons  sont majoritairement évoquées : l’accélération de la fermeture des commerces (35,9%) et l’inaccessibilité du centre-ville (38,5%), les deux étant évidemment liés.

La dispersion est plus grande pour les fervents de la marche à pied mais aussi plus subtile. Avec 34,4%, la première conséquence favorable serait l’implantation de nouveaux commerces. Viennent ensuite l’attraction touristique (22,4%) et la réduction de la pollution (21,2%). A noter le curieux succès (12,5%) de l’augmentation du chiffre d’affaire des commerces, diamétralement opposée à l’argument principal des anti-piétonnisation.

On veut des marques !

Sur les attentes commerciales, le sondage est particulièrement intéressant même s’il est indispensable de le mettre en perspective du profil global des répondants. La demande est unanime en magasins de vêtements qui disparaissent peu à peu ainsi qu’en restaurants peu nombreux dans le centre. Une contradiction apparait entre la soif des « grandes enseignes » et son contraire, les commerces indépendants aux confins de l’artisanat.

Pour les marques, informations qui pourraient plaire aux aménageurs de centre-ville et autres managers de commerces de détail, H & M comme Zara sont plébiscitées. D’autres aussi en moindre proportion mais cette floraison d’enseignes expressément citées donne une idée de l’attente de l’opinion sur ce champ.

Il n’était pas demandé aux participants d’indiquer les commerces qu’ils ne souhaitaient pas dans la ville mais comme beaucoup l’ont spontanément indiqué, on peut l’évoquer. Deux types d’offres sont rejetés, les « kebabs » et les « fastfood » dont Douai est effectivement saturé tout en étant un marqueur bien connu de paupérisation.

On se retrouve dans deux ans

Pour conclure, quelques enseignements et une morale.

D’abord que la ville apparait une fois encore particulièrement fracturée. Elle l’est politiquement, socialement mais tout autant dans les attentes envers un renouveau du centre-ville. Le projet de piétionnisation est un nouveau catalyseur de ses contradictions profondes.

Ensuite, on ne peut que regretter que la municipalité n’ait pas tenté, avant de se lancer, de mieux connaître avis et attentes de l’opinion, y compris au delà de la ville sachant, comme nous l’avons déjà exposé, que Douai ne peut se dynamiser sans l’apport essentiel d’une clientèle extérieure. Il est impossible de laisser le centre-ville à l’appréciation de ses seuls habitants.

Enfin, comment ne pas s’inquiéter de la brume qui entoure les motivations de ce projet séculaire ? Envisage-t-il, comme l’indiquent certains répondants, le renouvellement de l’offre commerciale par disparition de l’ancienne ? Est-il mis en oeuvre dans l’espoir de susciter, au delà de nos murs, l’intérêt de clients extérieurs comme aux beaux jours des années 70 ? S’agit-il simplement d’embellir une rue mais surtout d’y interdire la bagnole ?

On ne le saura pas. Ce qu’on sait, ainsi que le prouve ce sondage, c’est que ce projet possède toutes les apparences d’un pari. On peut espérer que ses conséquences soient positives. On peut craindre qu’elles soient négatives. Des études ou des enquêtes dignes de ce nom auraient permis d’éclairer cette question, simplement en mesurant par exemple les effets des travaux de la rue de la Mairie sur l’activité des commerces qui s’y trouvent.

En ne comptant que les habitants de Douai qui ont répondu au sondage, l’exact équilibre entre les « pour » et les « contre » (127 contre 128) mérite l’attention de la municipalité. Placée devant ce verre à moitié plein, elle peut en déduire que son projet recueille l’assentiment de la population. Mais regardant en même temps sa moitié vide, elle ne peut tenir pour rien l’hostilité évidente d’une part aussi importante de l’opinion. En gros, paradoxe amusant, le partisan du projet est un homme CSP+ habitant le centre-ville. Pas sûr, qu’il soit l’électeur d’un maire socialo-communiste…

Prenons date. Nous verrons dans deux ans minimum (un an est un vœu pieux en ces temps de crise sanitaire) quel sera à l’issue des travaux l’état de nos magasins.
Dans le brouillard qui noie ce dossier dans la célébrissime « pensée magique » , nous sommes certains d’une chose. Pensons au général Joffre qui, lorsqu’on lui demandait s’il était l’inventeur de la bataille de la Marne, répondait : « je ne sais pas qui l’a gagnée mais je sais qui l’aurait perdue » . Nous aussi nous le saurons. C’est déjà ça.