Auguste n’aime pas Douai

Le professeur Angellier

Personne ne se souvient aujourd’hui d’Auguste Angellier. Il existe des lieux qui rappellent pourtant sa mémoire, un collège à Boulogne, un lycée à Dunkerque sa ville natale, une rue et une statue à Lille mais rien à Douai. C’est injuste. Professeur de la faculté des Lettres, il y a enseigné la littérature anglaise avec brio, participant au renom de notre université.

Il est vrai que le professeur Angellier, ainsi qu’il l’exprimait dans le volumineux journal qu’il n’a cessé tout au long de sa vie de tenir, avait la dent dure sur « l’Athènes du Nord ». Dans ces pages longtemps cachées, il observait la société douaisienne avec une acidité qui explique sans doute l’oubli dans lequel notre cité le tient aujourd’hui.

Un pionnier de l’enseignement linguistique

Né en 1848, Angellier était issu d’un milieu modeste. Ses parents, qui avaient remarqué les capacités scolaires de leur fils, réussirent à le faire entrer à Louis le Grand pour qu’il y prépare le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure. Bon élève, Auguste était aussi assez remuant. Une révolte lycéenne contre la direction dont il était un des meneurs – l’intendant trafiquait sur la qualité de la nourriture – lui valut d’être renvoyé en 1869.

Les décisions de cette époque étaient irrévocables. Il fut impossible au puni de réintégrer le moindre établissement public, ni même de passer l’oral du concours. A bout de solution, il trouva en Grande-Bretagne un poste de répétiteur. Ce premier séjour, qui fut suivi par beaucoup d’autres, orienta son destin. Langue et culture anglaises, passion de sa vie, allaient décider de sa carrière d’enseignant dans cette discipline.

Ainsi, après la guerre franco-prussienne où, bien que volontaire, il ne combattit pas, le nouveau régime lui offre un poste d’enseignant remplaçant. Certifié d’anglais en 1873, reçu à l’agrégation trois ans plus tard, Angellier est ensuite nommé au lycée Charlemagne. En 1881, la chaire d’anglais à l’université de Douai étant libre, il accepte ce poste qui lui donne l’occasion de se rapprocher du Boulonnais familial.

Hors le latin et le grec, l’enseignement linguistique ne fut pas, pendant longtemps, obligatoire dans les lycées. Son développement, limité, dépendait de chaires universitaires qui n’existaient pratiquement pas. Il reviendra à la III° République de mettre en place les cours de langues vivantes du collège au Supérieur. Angellier accompagnera cette diffusion tout au long des postes qu’il assumera, notamment au terme de son parcours quand il sera doyen de la faculté des Lettres de Lille.

Un notable contrarié

Rien de commun entre Valentine Camescasse et Auguste Angellier quant à l’opinion que chacun se fait de la vie douaisienne du début de la III° République. Pourtant contemporains, ils se sont sans aucun doute croisés dans les salons de la ville, notamment chez le doyen Desjardins qui recevait beaucoup et dont la table était réputée.

Le silence de Valentine sur notre personnage est curieux. A l’inverse, serait-elle la « Mme C. » qu’on retrouve plusieurs fois dans le journal d’Angellier ?

Lisons : « Réception chez la doyenne. La petite H. me parle longtemps de Mme C. de qui elle me dit beaucoup de mal. C’est une rouée, si vous savez etc. J’en ris et elle part toute calmée mais au moment où elle s’en va, Mme C. arrive. Il y a une minute difficile. La petite H. est bruyante, bavarde, commère, un peu commune et très peuple. Mme C. joue à la grande dame et pourrait en faire une. La petite H. n’est qu’une petite grisette. »

Plus loin, chez « Mme A. », les choses se précisent : « je passe ma soirée à batifoler avec Mme C., qui est pleine de coquetteries, de petits piaffements, de petits soubresauts, de cabrades légères… » et puis en forme d’épilogue : « je dîne chez Delangre qui me raconte que Mme C. dit partout que je suis éperdument épris d’elle. Elle est folle… »

A cette époque, tout fonctionnaire qui compte en ville, un universitaire l’est absolument, se doit de respecter les règles de sociabilité. Il doit participer aux soirées, innombrables, qui animent la notabilité locale. On va chez les uns et les autres. On dine, on joue aux cartes. Magistrats, professeurs, notables divers se côtoient, flirtent, cancanent, font aussi assaut d’érudition littéraire. On devine qu’avec son esprit anticonformiste, Angellier devait susciter l’intérêt. Personne ne pouvait imaginer en privé sa sévérité envers les « Duaques » mais surtout les « duacismes », expressions locales de toutes natures qu’il brocarde dans ses pages journalières.

Angellier doit tout à Douai

Pourtant, en dépit des critiques envers notre cité, deux raisons donnent au séjour douaisien d’Angellier une importance déterminante dans son parcours.

L’universitaire anticonformiste

Ce fut d’abord à Douai, durant ces huit années d’enseignement, qu’il a fourni l’effort le plus intense de sa carrière. D’abord par son action auprès de ses étudiants qu’il préparait avec succès aux concours, l’agrégation en tête qui rehaussait le prestige de la cité. Ses cours, qui remplaçaient les conférences mondaines de ses prédécesseurs, étaient recherchés pour leur intérêt. Le soir, besogne terminée, le professeur s’enfermait dans son bureau de la rue d’Arras, parmi ses livres et les « curiosités » dont il avait la passion. Dans ce havre de paix, il retrouvait selon ses propres mots, « les joies de l’esprit et la solitude de la pensée. ».

C’est à Douai qu’Angellier conçut et écrivit sa fameuse thèse sur Robert Burns qui allait marquer tant elle rompait avec les habitudes universitaires. Audacieux selon son caractère, il osa ainsi s’opposer au déterminisme de Taine qui faisait découler de l’environnement des auteurs l’inspiration de leur œuvre. Angellier y gagna une célébrité nationale. Plus prudent sur la forme, notre doctorant se plia néanmoins aux règles étonnantes de l’époque. La thèse mineure devant être rédigée en langue ancienne, il analysa l’inspiration hellénistique de la poésie de Keats en latin sans aucun mot d’anglais.

A l’amie perdue

Enfin, ce fut à Douai qu’Auguste rencontra l’amour de sa vie, celle à laquelle il allait consacrer son recueil de poésies le plus célèbre, « A l’amie perdue ».
Thérèse Denys, fille d’un brasseur douaisien, avait épousé à dix-sept ans et à Douai en 1874, Félix Fontaine, « marchand de fer » de Solesmes, lui aussi fils de brasseur. Ce mariage certainement arrangé entre deux familles aux intérêts proches fut très vite malheureux. En 1882, la vie commune étant devenue impossible, la jeune femme fut obligée de retourner vivre chez ses parents avec ses deux enfants.

On ignore les circonstances précises de la rencontre de ces deux solitaires mais l’idylle releva, quand on considère les préceptes moraux de l’époque, du tour de force. Contraints à la discrétion sinon à la dissimulation dans une ville où tout se savait, les deux amoureux luttèrent vaillamment pour affronter ces vents contraires.

Profitant d’escapades sur la côte, de voyages divers, de signes secrets, déployant des trésors d’imagination pour donner le change, les deux amants réussirent à entretenir la flamme. Les périodes du recueil « à l’amie perdue » retracent l’évolution des sentiments, de la passion du début à l’éloignement final.

Le départ des facultés à Lille en 1887 rendit en effet les liens plus difficiles à maintenir. Le mariage, sans doute envisagé, ne se fit jamais. Si peu à peu la passion s’éteignit, Thérèse garda un lien épistolaire avec Angellier probablement jusqu’à la mort de ce dernier en 1911. Elle même disparut en 1942 dans l’anonymat le plus complet. La révélation de cette liaison n’eut lieu que de nombreuses années plus tard quand furent accessibles les courriers codés des deux amoureux.

Le poète dans son oeuvre sublima cet amour impossible donc inoubliable par ces vers superbes :
Puis, quand nous gagnera le suprême sommeil
Ils t’enseveliront loin de mon cimetière
Nous serons exilés l’un de l’autre en la terre
Après l’avoir été sous l’éclatant soleil
.

Budget de l’agglo, on vaporise ou on concentre?

Budget on vaporise ou on concentre

La lecture attentive du « Mag Douaisis Agglo » apporte toujours son lot d’informations intéressantes. Préparation de la campagne qui s’annonce, les patrons de l’intercommunalité se mobilisent. Ils ont évidemment l’espoir de se maintenir aux manettes de cette extraordinaire « pompe à phynances » comme l’aurait appelée Ubu Roi.

Au passage, comme le font beaucoup de lecteurs de Douai Vox qui s’inquiètent à tort des entorses que nous ferions au code électoral par nos interventions sur les réseaux sociaux, nous posons à notre tour la question du statut de cette présentation.

Cette publicité vise-t-elle à faciliter la réélection de nos mâles vice-présidents, tous maires et tous ou presque candidats au renouvèlement de leur mandat ? On conseille au directeur de la publication la lecture de l’alinéa 4.2.11.4 concernant le bilan des élus, notamment la célébration de leurs réalisations en période électorale dans des publications financées par une intercommunalité.

Il s’agit bien là d’une apologie de l’action de nos élus car Douaizizaglo® , ça n’existe pas. Ce qui existe ce sont les décisions de ses membres. Elles ne sont vues qu’à travers, non pas leur efficacité, mais de la seule chose qui compte : la dépense. Présenter un bilan en termes d’accroissement de population, de réduction du chômage, d’implantations d’entreprises dynamiques et pourvoyeuses de plus-value, ne vient visiblement pas à l’esprit de nos représentants. On donne des sous et advienne que pourra.

Comme nous l’avions déjà expliqué, décision et impact sont comme souvent dissociés dans la tête des élus. Si le second n’est pas mesurable, ne reste donc que la première, c’est-à-dire la dépense.

Regardons la structure des 35 communes de la CAD, aperçue du côté des financements dont elles ont bénéficié « depuis 2014 » selon l’organe officiel de la communauté d’agglo.
Nous ne garantissons pas la justesse absolue de ce travail. Notre source est exclusivement cette présentation elle-même qui possède peut être quelques biais.

Sur un total de 240 millions d’euros de financements, en tout bien tout honneur, compte tenu de son importance, Douai arrive en tête en valeur absolue avec près de 82 millions depuis 2014. A l’autre bout de la liste, la commune la moins « aidée » en volume est Roucourt avec 420 000 euros. Ce n’est quand même pas rien quand on rapporte cette dernière somme à l’effort fiscal sur laquelle repose cette manne. Elle correspond à une taxe foncière de 4 200 euros payée par 100 citoyens en un an…

Plus finement, en termes de montant, examinons les grosses bénéficiaires, au-delà de la dizaine de millions. On repère dans l’ordre Auby (39 millions), Cuincy (21), Sin (15), Lambres (12), Flers (12), Waziers (12), soit la plupart des communes qui encerclent Douai. Par capillarité avec leur grande voisine, ce sont des villes qui accueillent beaucoup d’habitants, ce qui explique peut être l’importance de ces transferts.

Pour autant, toutes ne sont pas aussi bien servies. Cela renseigne sans doute sur la stratégie inconsciente de la CAD dans une agglomération prise dans son ensemble. Car enfin, le plus curieux est le calcul que cette présentation permet de faire entre le nombre d’habitants et les financements reçus par commune.

On peut dès lors se rendre compte de celles qui sont les mieux aidées par Douaizizaglo® mais surtout du degré d’équité qui devrait être le ressort de cette stratégie, si d’aventure l’objectif est de donner la même proportion à tout le monde, ce que semble suggérer cet article.

Par tête d’habitant, la variation est forte. Elle s’étale de 287 euros/habitant (Lallaing, les pauvres…) et Auby qui plane à 5433 euros soit 18 fois celle des moins bien lotis. Si nous étions les habitants de la première, nous nous poserions des questions. D’abord celle de la formule magique qui permet à Freddy Kaczmarek de rafler un pactole de cette importance. Il se présente aux élections pour un 4° mandat. Tant mieux pour les Aubygeois…

Analysons enfin les communes qui suivent. Cuincy (3 243 euros/hab) puis, tiens, on l’aurait deviné, Lauwin-Planque qui culmine à 2 644 euros/hab. Il doit être quand même assez utile d’avoir comme premier magistrat la personne qui se trouve être depuis dix ans le président de l’agglo.
Se succèdent enfin Lambres (2 482), Flers (2 118) et enfin Douai (2 056) pour les dotations au-delà de la barre de 2 000 euros par habitant.

A l’autre bout du spectre, on retrouve bien sûr les délaissés de Lallaing (297 euros/habitant), Raimbeaucourt (357), Roost-Warendin (460), Arleux (469), Estrées (471), Lécluse (486) pour les communes placées sous les 500 euros.

Le moins qu’on puisse dire devant ces chiffres c’est que la diversité semble être la règle comme d’ailleurs la dispersion des financements. Tout le monde reçoit quelque chose. Aucune concentration de la manne sur des axes prioritaires ne semble apparaitre.

Les exemples donnés dans le « Mag » sont en effet d’une grande diversité (aménagements urbains, achat de voiture, réhabilitation de salle des fêtes etc.). De même, il est facile de comprendre que la construction d’un échangeur routier coûte plus cher que la réfection d’un préau d’école.

Le rapport entre le nombre d’habitants total rapporté au budget global permet ainsi de calculer l’aide moyenne théorique pour chacun d’entre eux, soit 1 609 euros/habitant (240 millions partagés également entre les 150 000 habitants de la CAD).

Cette distribution fictive permet de comparer avec les transferts concrètement réalisés. Le résultat est étonnant. En effet, 7 communes sur les 35 reçoivent des dotations supérieures à leur niveau théorique. Evidemment Auby (+ 27 millions) puis Douai (+ 17), Cuincy (+ 10), Lambres (+ 4,4), Flers (+ 3), Lauwin-Planque (+ 1,8) et enfin Waziers (+ 0,3).

Toutes les autres communes sont sous leur niveau théorique. Les moins subventionnées sont dans l’ordre décroissant en millions d’euros : Sin (- 9,6), Lallaing (-8,1), Roost (-7), Dechy (-5,6), Flines (-5,1), Raimbeaucourt (-5), Guesnain (-3,7), Arleux (-3,4) etc.

Quelle conclusion tirer de ce qui précède ?
La diversité des dotations est à l’évidence le résultat d’une gestion aux objectifs confus. On saupoudre. On vaporise.
Existe-t-il une correspondance entre les objectifs du SCoT Grand Douaisis et cette longue liste de dépenses ? Pas vraiment.
Ne serait-il pas plus efficace, pour le développement du territoire, de prioriser les financements sur des objectifs plus structurants ? Privilégier le cœur de ville pour sa capacité d’entrainement sur la dynamique générale doit être au cœur des futurs débats au sein de l’assemblée communautaire.