En espérant mieux (1/2)

Dernier grand ministre de l’ancien régime, Alexandre de Calonne était un enfant de Douai. Si la postérité n’a pas toujours été tendre avec lui, les historiens ont récemment réévalué sa tentative de réforme de la monarchie avant l’effondrement de 1789.
En dépit de cet échec, le personnage mérite qu’on s’y arrête. Son origine flamande et parlementaire serait en elle même un sujet d’intérêt mais il est surtout, à bien des égards, un prototype de la caste des hauts fonctionnaires qui peuplent aujourd’hui nos administrations.

C’est avec cette idée en tête qu’on doit aborder ce portrait qui sera partagé en deux parties, toutes placées sous la devise géniale de sa famille : « en espérant mieux » .

Une grande famille parlementaire

Calonne qui est né à Douai le 20 janvier 1734 n’était pas le fils de n’importe qui. Son géniteur, Louis, était président du parlement de Flandre. Sa mère, Henriette de Francqueville d’Abancourt, venait d’une noblesse un peu plus ancienne que celle de son époux. Sa famille était de Cambrai. Il en reste des traces, le musée municipal a été installé dans son hôtel.

Revenons au père. Il était né en 1700 à Tournai d’où sortaient les ancêtres de la plupart de ses collègues. Comme eux, il a rapidement rejoint Douai devenue en 1713 capitale de la province. Louis suit les traces de ses père et grand-père en embrassant la magistrature, laquelle leur avait permis l’anoblissement.

Il faut d’emblée préciser que ce terme de « parlement » n’a aucun rapport avec celui que nous connaissons aujourd’hui. Il s’agissait d’instances judiciaires dont les membres – aristocrates – achetaient leurs charges, loin de toute désignation gouvernementale et de toute élection.

Il y a toujours, comme point de départ de ces dynasties locales, des biens fonciers plus ou moins nombreux, fruits de cette remarquable habileté dans les affaires dont a toujours fait preuve – jusqu’à aujourd’hui – l’élite flamande.
Pour les Calonne, ces possessions se trouvent à Merchin, bourg de Lesquin, où leur seigneurie comptait une vingtaine d’hectares associés à un certain nombre de rentes. Se sont ensuite ajoutés d’autres titres puis diverses charges échevinales à Tournai puis Douai.

Des débuts prometteurs

Revenons au jeune Alexandre de Calonne. Envoyé à Paris au célèbre collège des Quatre-Nations, il s’y révèle extraordinairement brillant, décrochant plusieurs prix de grec, de latin et même d’éloquence. Pour autant, c’est à Douai qu’il acquiert ses diplômes de « Droit et de Droit canonique » .
Reçu avocat en 1754, il se forme aux affaires aux côtés de son père. Après quelques années consacrées à la jurisprudence locale dont il devient rapidement expert, il est en 1758 avocat général au conseil provincial d’Artois. C’est une position d’attente. Louis de Calonne, président à mortier depuis 1739, reprend la place de procureur général de Douai en 1757 pour la transmettre toute chaude à son fils préféré.

Hotel dit de Calonne détruit par les Allemands à Douai en 1918
Hôtel de la famille Calonne rue de Bellain en novembre 1918

Le moment est propice car l’équilibre des trois clans qui se partagent les postes du parlement de Flandre vient de se rompre par la mort en 1756 de Charles-Joseph de Pollinchove, président incontesté durant 45 ans.
Les deux familles restantes – Calonne et Blondel d’Aubers – s’opposent sans merci, lutte que n’atténuent pas les liens matrimoniaux. La sœur d’Alexandre, Marie-Anne, est l’épouse d’Eugène Blondel, successeur de Pollinchove en décembre 1756.

Trois ans plus tard, comme prévu, Alexandre succède à son père au poste de procureur général au parlement de Flandre. Cette accession n’est pas régulière du tout mais Louis dispose de soutiens solides à la Cour et surtout la réputation du fils, déjà grande, permettent quelques entorses à la règle.
L’œuvre du procureur de Douai sera à la hauteur des attentes. Il est certes un régional de l’étape, expert des arcanes du parlement local, ce qui l’aide beaucoup, mais sa compétence et son efficacité marqueront les esprits. Aucun de ses successeurs ne parviendra à l’égaler.

L’homme du roi

Il y a un risque, si on entre trop dans les détails de l’action de Calonne à Douai, de perdre nos lecteurs. Retenons simplement qu’elle s’inscrit dans l’antagonisme qu’entretient la monarchie avec ses parlements. Ces derniers s’attachent sans relâche à maintenir, sinon augmenter, leur autonomie devant le pouvoir royal. De cette opposition insoluble sortira la révolution.

Quoi qu’il en soit, paradoxalement, le procureur général sera plutôt du côté du roi contre ses collègues et en premier lieu son beau-frère. Ce dernier a beaucoup de mal à conjurer ses initiatives. Il est vrai que sa capacité de travail, son intelligence stratégique et son culot sont très supérieurs aux compétences du premier président.

Calonne est soutenu par le gouvernement, soucieux de disposer d’un parlement, certes renforcé dans ses prérogatives mais dont les patrons sont loyaux à la monarchie. Dans cette période troublée, l’appui d’une telle instance, même aussi petite que l’est la Flandre des confins, est toujours bon à prendre.

Le procureur général démontre d’un brio sans égal. Il n’y a pas un parlementaire qui lui arrive à la cheville et il le sait. A ce titre, son arrogance est sans limites, alliée à un optimisme excessif. Incapable de rancune, il oublie que ce travers, surtout chez les médiocres, peut être inexpiable.

En 1763, une opposition massive va causer sa perte. Son projet de création d’une « cour des aides » visant à rassembler toutes les exceptions fiscales – innombrables – sous la seule juridiction du parlement de Douai ne passe pas. Parvenu au conseil du roi et pourtant soutenu par le contrôleur général, le dossier est enterré sine die.
Comme de nos jours, la peur de débordements avait conduit le pouvoir à ne rien changer.

Un grand intendant

Comprenant que la cité ne lui sera jamais favorable, Calonne quitte Douai pour acheter, en 1765, un office de maître des requêtes. Ce n’est pas donné, son coût serait aujourd’hui de plus d’un million d’euros, mais il est payant. Cette fonction parisienne met ses titulaires au contact régulier du gouvernement qui peut en distinguer les personnalités les plus prometteuses.
« État que l’on n’embrasse que pour le quitter » selon le mot du chancelier d’Aguesseau, il est le vivier – sorte d’ENA -où la monarchie recrute ses hauts fonctionnaires, ministres, intendants, contrôleurs généraux etc.

Très vite, Calonne se fait remarquer, intervenant en 1765 d’une manière décisive lors de la célèbre affaire de Bretagne. Sa manœuvre dans la procédure – habile mais sans scrupules excessifs – conduit le président La Chalotais à l’arrestation puis l’exil.
Plus encore, il contribue à la rédaction du discours de Louis XV lors de la « séance de la flagellation » au parlement de Paris en mars 1766. Le monarque rappelle – par des mots aussi cinglants que choisis – qu’il est, dans le royaume, la source de toute autorité : « l’ordre public tout entier émane de moi, j’en suis le gardien suprême, mon peuple n’est qu’un avec moi » .

La récompense ne tarde pas. Calonne obtient l’intendance des Trois-Évêchés, suivie en 1778 par celle de son pays natal, la Flandre et l’Artois. Son action, à Metz puis Lille, est remarquable dans ces fonctions assez proches de celles des futurs préfets napoléoniens.
Comme elles touchent beaucoup de domaines, il s’intéresse de près aux innovations agricoles, industrielles ou financières avec un suivi attentif des détails qui fait le succès de la mise en œuvre. L’urbanisme, comme à Douai où il a défendu avec succès contre les échevins le règlement de 1718, est une de ses préoccupations essentielles.
Lille en recevra sa salle de spectacle et un nouvel hôtel d’intendance, réalisés après son départ mais dont le projet, permis par l’astucieux croisement de sources financières auxquelles personne n’avait pensé, est sorti tout entier de son esprit fertile.

Enfin, dans ces positions, Calonne parvient à impressionner la haute noblesse, duc de Broglie ou prince de Condé, qui lui apporte un soutien utile pour la suite. Ce milieu – qui n’est pas celui de la robe – l’attire. L’attraction, réciproque, découle de ses qualités qui épousent celles de la Cour. Spirituel, aimable, fastueux, il aime de plus les femmes qui le lui rendent bien.

Le ministre d’État

Calonne a épousé en 1769 Marie-Joséphine Marquet, riche héritière. La fiancée n’est pas jolie avec « un grand front élevé et un menton en galoche » mais elle est la petite fille de Pâris-Duverney, issue d’une famille de la haute finance qui compte des banquiers, des fermiers généraux ou des receveurs du roi. Ce mariage prestigieux et la fortune qui s’y attache durent peu. Coup du sort, la jeune épouse meurt l’année suivante en couches à vingt ans.

Fidèle à la monarchie tout en sachant faire connaitre à la Cour sa réputation d’habileté, Calonne vise rien moins que le contrôle général des finances. On parle souvent de nos jours de ce fameux « hubris » dont sont affligées certaines personnalités politiques. L’intendant de Flandre répond assez bien au concept. La situation financière du royaume est catastrophique mais il ne doute pas un instant qu’il est l’homme de la situation.

Dès 1781, utilisant ses incontestables talents littéraires, il n’hésite pas à publier sous le manteau un libelle hostile à Necker. Remercié en mai, le banquier suisse, qui en devient un ennemi mortel, est remplacé successivement par deux médiocres, Joly de Fleury puis d’Ormesson, qui se sont mis à dos tous les milieux d’affaires. Calonne profite durant cette période d’une campagne médiatique qui crée en sa faveur une étonnante attente de la part de l’opinion.

Il est vrai que personne n’ignore qu’il peut être, par sa bonne maîtrise de ces sujets, une solution aux deux maux du pays, l’opposition parlementaire et la méfiance de la haute finance.
Le 3 novembre 1783, Alexandre de Calonne est nommé par Louis XVI, qui s’est fait forcer la main par Vergennes, contrôleur général des finances, emploi complété en janvier 1784 par le titre de ministre d’État.

On raconte que dès sa première rencontre avec le souverain, il ose à brûle-pourpoint lui réclamer une très forte somme pour éteindre ses dettes. Surpris, le roi accède toutefois à sa demande, lui donnant des actions d’une compagnie dont la vente devait couvrir le besoin.
Les mauvaises langues ajoutent que le contrôleur général, dont la vie à crédit faisait partie de son prestige, s’est bien gardé de s’en défaire. C’était un « bonus de bienvenue » avant la lettre

La grande période d’Alexandre de Calonne s’ouvre alors, à 50 ans, pour le royaume et pour lui.

A quoi servent-ils ?

Ah si les illuminations de la rue de la mairie pouvaient s’accompagner d’occasions de se réjouir ! Pas de bol, un article de « l’Observateur du Douaisis » nous en empêche une fois de plus.
V’là qu’il nous annonce la fermeture de commerces de Douai emblématiques du centre-ville, le célèbre Devred et le non moins fameux Paprika.

Si on veut faire dans la nuance, il faut reconnaitre que la disparition progressive des magasins des villes moyennes sont des phénomènes complexes qui dépassent probablement de beaucoup les moyens de nos pauvres élus municipaux, en maîtrise théorique comme en capacité d’action.

Pour autant, comme le montrent certains exemples, il ne suffit pas d’espérer pour entreprendre, sans parler de la justification de l’existence de tout gouvernement : prévoir.

De ce point de vue, persuadons nous que la succession de crises qui assaillent notre pays depuis quelques années n’a comme origine que l’oubli coupable de ce principe de bon sens. Si ça foire ici ou là, c’est qu’une décision n’a pas été ou mal prise quelques années plus tôt.
Il est d’ailleurs assez piquant de voir nos gouvernants, qui bénéficient de la ponction fiscale la plus élevée du monde occidental, mettre tous leurs efforts à faire accepter aux citoyens la pénurie dans les services qu’ils leur doivent : soins, électricité, mobilité, éducation…

A notre échelle communale, il en est de même. Douai, gavée des revenus du charbon aurait pu, quand elle avait ces moyens, anticiper la fin des houillères.
Elle aurait pu, surtout, un peu plus tard, mieux négocier cette calamiteuse communauté d’agglomération qui transforme peu à peu la ville en trou noir commercial, faute d’y consacrer ses soins et ses ressources financières comme elle le devrait.

Des exemples de villes moyennes qui ont su résister au marasme existent. On a le cas extraordinaire d’Amnéville en Moselle, d’abord sauvé du communisme par son maire, Jean Kiffer, lequel a ensuite réussi à transformer une cité sidérurgique à la dérive en station thermale dynamique dédiée à une multitude d’activités génératrices de plus-value.

Il peut donc arriver que des équipes municipales trouvent les moyens de limiter la casse, tout simplement en identifiant certains facteurs de déclin et en mettant toute leur énergie à les réduire.
A Douai, partons du principe que c’est cuit du côté de Douaizizaglo® tant qu’on aura le parrain et le duo infernal aux manettes. Il ne nous reste donc que nos représentants communaux, lesquels après tout, en absence du soutien de leurs collègues agglomérés, pourraient définir toutes sortes de stratégies pour conjurer notre mauvais sort commercial.

Malheureusement, de ce côté, c’est pas fameux. Comme le montre l’orientation du « plan d’aménagement » que nous avons examiné récemment, il y a peu de chance qu’on sorte d’une décroissance qui met en priorité le sauvetage de la planète plutôt que celui de nos magasins.
Empêchons les clients de venir en bagnole, mettons les habitants à la marche à pied obligatoire, instaurons la cité « solidaire, inclusive et végétale » qui nous sauvera tous…

Mais il y a pire que ces choix absurdes, après tout soutenus par les électeurs puisqu’ils ont voté pour l’équipe actuelle. Cet article de « l’Observateur » prouve, à travers les témoignages des commerçants concernés, à quel point ce sujet n’est en aucun cas le dossier prioritaire de notre équipe municipale.

Le citoyen de base pourrait se dire, compte-tenu de l’impact catastrophique de ces fermetures sur l’image de la ville, que nos élus rémunérés passeraient tout leur temps à s’en occuper. Il ne suffit pas d’espérer pour entreprendre, ce serait au moins la preuve qu’ils se battent sur ce front où Douai joue sa survie.

Lisons. Que les « travaux de piétonisation de la rue de Bellain » n’aient pas aidé, les commerçants en sont persuadés, ces empêchements s’ajoutant aux effets de la crise sanitaire : « on a perdu près de 50% de trafic entre 2019 et aujourd’hui » . Ah oui, quand même…
Le pire est de lire ensuite cette promesse de désespérance : « on n’a pas été aidé par l’équipe municipale en place. Le maire n’est jamais venu nous voir pour savoir comment on se portait après l’épidémie et les travaux » . Pas un élu, pas un responsable n’a pris la peine de tâter le pouls de ces entrepreneurs en difficulté ? On croit rêver.

La conclusion est plus révélatrice encore ou d’ailleurs logique, de celle des réponses que peut donner une végétarienne quand on lui demande ce qu’elle pense d’un bon steak saignant.
Notre adjointe chargée, pas moins que « de l’urbanisme, des grands projets, du commerce et de l’artisanat » , explique, sur le mode procrastinateur qui restera la marque de cette équipe municipale, que rien n’est « encore dessiné » . Non, sans blague, rien ?
Verbatim ça donne : « nous n’avons pas avancé sur le sujet » , ou encore mieux : « nous envisageons de contacter les propriétaires. Si rien n’est prévu, nous rencontrerons des acteurs à la recherche de locaux pour partager l’information » .  

Vous avez bien lu, pas d’action, pas de concret, « on va partager l’information…. » . Nous on la donne : la vacance commerciale du centre-ville avoisine les 25% quand la France est à 9%…