Après l’inventaire des monuments historiques de la ville, le coût de l’accroissement de leurs protections légales et l’impuissance publique qui en découle, il faut à présent répondre à la question principale, encore plus compliquée : Douai et le Douaisis les prennent-ils en compte dans leur dynamique économique ?
Nous avons survolé, au delà de l’intérêt théorique de la préservation du patrimoine, l’enjeu trivial de son existence : il participe à l’attractivité d’un territoire. Osons la tautologie : cette richesse léguée par les ancêtres qui en ont acquitté le coût a un autre avantage : on ne peut pas la délocaliser.
Appuyée sur ses monuments, son esthétique, son image, sa célébrité, une ville peut déplacer chaque année des milliers de personnes qui sont autant de consommateurs de services à forte valeur ajoutée.
Grâce à eux, on remplit les hôtels, les restaurants, les commerces etc. Ces transferts financiers, qui peuvent être massifs, contribuent à renforcer la dynamique territoriale tout autour.
Il est rare que notre ville – mais surtout le Douaisis – s’emparent de cet avantage. Par maints égards, on a souvent l’impression, à écouter nos édiles, que ces monuments sont de coûteux poids morts qui ne servent à rien. Le patrimoine ancien devrait pourtant – évidence répétée mille fois ici et ailleurs – être analysé comme il est, non pas un problème, mais une solution.
Douai
Beaucoup de pages de ce blog s’occupent en effet – peut être trop – de cette question. Le passé de la ville est plus intéressant que son présent, sans doute parce que lui, au moins, est sûr. Après les maires qui ont beaucoup démoli, il faut attribuer à Jacques Vernier, lui seul, le mérite de la rupture stratégique. Relevons ses efforts pour préserver ce patrimoine mais surtout renforcer l’attractivité de Douai.
Cette action s’avère toutefois insuffisante et dans tous les cas, elle a été peu continuée par son successeur. Rien n’est plus éclairant que la destinée de cette merveille, laissée sans objet après sa complète restauration extérieure en… 2013.
De multiples bâtiments, parmi les plus emblématiques de la ville, sont aujourd’hui désaffectés. On en compte plus d’une dizaine. Ce chiffre est sous-estimé car n’y sont pas les propriétés privées. Laissés à l’abandon, ces joyaux se dégradent année après année quand ils ne disparaissent pas en fumée.
Au titre du « complexe de Noé » déjà cité, une ville a tout faux quand une rénovation coûteuse ne donne aucun avantage en retour. Une église Saint Jacques restaurée à grand frais pour qu’une dizaine de fidèles la fréquentent le dimanche serait un crime budgétaire. Qu’on se rassure, cela ne se produira jamais.
Ville riche devenue pauvre, le sort que Douai réserve à ses monuments est d’abord le résultat de sa contraction économique et de son effondrement démographique, les deux étant liés. Ce déclin ne date pas d’hier. Ce défi était d’une ampleur séculaire. Il a évidemment commencé par la disparition des Houillères qui a brutalement tari les ressources du charbon qui irriguaient d’en bas et d’en haut tout le pays.
Une logique d’hystérèse, pour parler savant, a empêché de le percevoir quand il le fallait. On peut regretter que les patrons de l’époque n’en aient pas anticipé les effets. Ils auraient eu les moyens de financer l’obligatoire réorientation économique. Ils n’en avaient pas la compétence, ni l’idée. Ils n’ont même pas été à l’initiative de l’usine Renault et ont même cru – lors de la crise pétrolière de 1973 – qu’on allait relancer les mines…
Sans même parler de ces stratégies vitales qui pourtant teintent tous les discours de nos parrains locaux, en restant seulement sur le sujet patrimonial, bien faibles paraissent les efforts de la commune pour créer un nouveau cours. Sans doute, la masse des monuments à sauver excèdent-elles ses capacités conceptuelles. Hors l’appel lancinant aux subventions de l’Etat, la ressource financière est faible et l’inventivité nulle.
Les quelques tentatives auxquelles on assiste paraissent si sporadiques qu’on sait que le destin de la ville n’en sera pas changé.
Réjouissons nous du sauvetage de la caserne Caux. L’architecte s’acharne, certes, à mettre cette construction au crédit de Vauban – il est mort un demi-siècle avant – mais ne boudons pas notre plaisir.
Pour autant, méfiance. Attendons de voir les résultats concrets en profil de population et surtout son volume. On a pris tellement l’habitude de ces transformations de « tout ce qui ne bouge plus » en logements sociaux qu’il vaut mieux être prudent.
Hors ces rares réussites, on est sans cesse à se demander qui, concrètement, gère les sujets patrimoniaux dans notre ville. Personne sans doute. Si pas mal de dossiers sont externalisés à Douaizizaglo®, il arrive aussi qu’on confie à des cabinets extérieurs ce que les services municipaux sont incapables de faire.
Il est vrai que ces sujets sont complexes. Sans doute les lois qui protègent le patrimoine n’aident-elles pas à les simplifier. Si on aime les paradoxes – les experts non rémunérés de Douai Vox les apprécient beaucoup – c’est à se demander si l’immuabilité patrimoniale protégée par la loi ne pousse pas à la disparition du patrimoine lui-même.
Toute restauration d’un monument historique possède un coût supérieur au prix du neuf. Il serait impossible de construire aujourd’hui des cathédrales, des châteaux-forts ou des hôtels particuliers comme le faisaient les anciens.
Les impératifs de sécurité (c’est haut et pas normé, c’est dangereux), l’obsession écologique (les anciens matériaux polluent) et l’hyper administration de tout acte public (du délai, du délai, des tampons, des tampons…) l’interdiraient radicalement.
Il est de fait plus simple de construire des boulodromes, des patinoires, des planétarium etc. en dehors de Douai. On a moins de contraintes légales. On dispose de l’espace. On a l’illusion du dynamisme. On « travaille » et on fait travailler les amis.
L’impact sera évidemment local. Ces merveilles – dont le coût cumulé fait frémir – attireront peu des touristes venus de loin. A l’inverse, imaginons que toute cette dépense ait été employée à réparer et embellir Douai, les conséquences en attractivité touristique – donc en valeur ajoutée – seraient énormes.
Plus inventives, beaucoup de villes cherchent activement de nouveaux moyens de financement, des partenariats public-privés, du mécénat tout azimuts. On peut ainsi éviter de piocher dans la poche des contribuables, y compris en vendant à des entrepreneurs une partie du parc monumental, ces derniers étant souvent les seuls capables de mener des rénovations créant de la richesse.
On nous dira à juste titre qu’on a avec l’hôpital général un contre exemple parfait de ce qui précède. On a donné ce joyau à un chef d’entreprise, lequel depuis plus de dix ans n’a pas été capable de terminer le chantier.
Mais n’oublions pas que le décideur public qui a donné à ce privé défaillant est d’un type spécial et unique. Ce constat amène aussitôt la problématique d’une gestion plus large de ces dossiers, ainsi le recours – complétement raté pour l’exemple qui précède – à des échelles plus collectives, en premier lieu la communauté d’agglo.
Douaisis
Un peu comme la France qui en loucedé s’est dessaisi d’une bonne partie de sa souveraineté au bénéfice d’une Europe aussi puissante qu’irresponsable, Douai a transféré des compétences à Douaizizaglo® faisant des parrains nos maîtres.
Le tourisme en fait partie comme l’archéologie, la politique de la ville ou, mieux, l’aménagement du territoire. N’oublions pas que la communauté d’agglomération dispose, pour le premier sujet, d’un spécialiste reconnu – ni de gauche ni de droite – François Guiffard, dont le bilan depuis son étonnante nomination par le parrain local mérite d’être interrogé.
A ce titre, il est obligatoire de se pencher sur le pavé où se niche la stratégie du Douaisis pour les vingt années à venir. Le schéma de cohérence territoriale (SCoT) est un document de planification dont on peut parier que personne ne l’a jamais lu, et peut être même pas le jeune homme évoqué précédemment. Cette somme envisage pourtant, chose incroyable, la valorisation de nos monuments historiques.
Assez récent – il a été approuvé en décembre 2019 – il ne cite toutefois ce terme qu’une seule fois (page 12) tandis que 8 pauvres feuillets (sur 432 tous consacrés à l’obsession environnementale) concernent un possible « tourisme » .
Détaillons toutefois rapidement ce court passage parce qu’on y apprend des choses. D’abord que notre région n’est pas vraiment un « spot » touristique, ce dont on se doutait un peu. Quand la moyenne française des emplois de ce secteur est à 7% du total, nous sommes à 4% dans le Douaisis.
Le pire c’est que ce faible volume, de 2010 à 2015, a en plus baissé de 19% quand la réduction régionale a été de 2% et tout cela sans la crise sanitaire ou la guerre ukrainienne. Pire, l’INSEE met dans ce groupe le transport par abus de typologie. Il représente dans le Douaisis plus de 30% des 2000 emplois répertoriés tandis que la moitié relève de la restauration.
Au final, l’hébergement, la culture, les loisirs, activités directement liées au tourisme, représentent dans le « Grand Douaisis » environ… 400 emplois…
On lit enfin la solution majeure à cette insuffisance qui fera sourire tout lecteur régulier de Douai Vox : « A compter de 2018, un nouvel hôtel 4 étoiles sera ouvert dans les locaux de l’ancien hôpital général de Douai, bâtiment qui date de 1756 ». 2018 ?
Pour autant, le cabinet qui a rédigé ce rapport, sans doute à prix d’or, sait faire le lien entre les « atouts historiques et patrimoniaux indéniables » du centre ville et le « potentiel de développement » touristique.
La liste qu’il donne est intéressante par ses vides et ses pleins. On trouve dans une formule convenue « les classiques de la ville de Douai, le Beffroi, le musée de la Chartreuse, le patrimoine architectural d’ensemble, la Scarpe et ses bateaux promenades qui témoignent, chacun à leur façon de l’intérêt historique de cette cité ».
Il faudra qu’un jour on se penche sur la plus value de ces joyaux en termes de retombées touristiques concrètes sur la ville.
Max aime apprendre mais parle un peu souvent à la première personne. C’est un travers qu’il combat difficilement. Va falloir l’aider. Il adore la Scarpe et l’orgue de St Pierre, surtout les basses.