Boules et patins au Raquet

Patin au raquet à douai

Il est juste temps d’analyser, à la suite de notre article sur le projet séculaire du Raquet, les deux opérations sur lesquelles, faute d’habitants, repose à présent son incertain salut.

Notons une fois de plus que ces machins sont directement sortis du cerveau de notre président candidat. Fi des oppositions et autres appels au bon sens dans une région pauvre où l’argent public est aussi rare que cher.
Si Christian Poiret pense que c’est bon, rien ne peut le faire changer d’avis. C’est la force bien connue du pouvoir absolu. Je dépense donc je suis : « le rayonnement du Douaisis passe par le boulodrome et la patinoire ».

On a un doute. Regardons de près ce qu’il en est.

La réfrigération sauve l’écoquartier

Le second projet est moins avancé que le premier. Peut être sera-t-il encore possible de l’arrêter, sachant que la patinoire coûte en gros le double du boulodrome : 15 millions d’euros.

Comme toujours, le Grand Timonier balaie d’un revers de main les appels à la prudence devant un tel investissement (n’oubliez pas l’apocope habituelle : prononcez « invest’ », autre variante possible : « c’est du cash »).
Il y aura, c’est du futur et pas du conditionnel, de la fréquentation de masse, du patinage artistique et des clubs de hockey, c’est sûr et certain. Payez contribuables, l’intendance suivra.

Relevons – c’est une technique de commercial – que les arguments qui précèdent exposent les facteurs du succès d’une patinoire. Agiter d’emblée les points faibles en les présentant comme des points forts est imparable. C’est un métier.

Il y a en France une « grosse centaine » de patinoires dont la moitié par tradition montagnarde se trouvent dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. L’histoire de ces équipements, « boostés » après les jeux de 1968, est marquée par deux malédictions : le déficit et l’obsolescence.

Il faut avouer que leur bilan carbone transformerait tout climatosceptique en écolo intégriste. La succession infinie des lois européennes sur les gaz de réfrigération le démontre aisément, sans parler des remises à jour onéreuses qui en découlent régulièrement.
Il y a aussi les insuffisances du modèle économique. Où que ce soit, le coût de gestion ne passe jamais sous 700 000 euros annuels. Autrement dit, faute de recettes égales, l’argent public doit toujours équilibrer le budget.

Les patinoires sont à la rencontre de deux logiques. D’abord leur configuration (taille et nombre des pistes, existence de services annexes, capacités d’ouverture) et ensuite leur usage (grand public, clubs, prestations diverses).

Cela revient à dire que la dimension de l’outil commande logiquement le bilan coût avantage. Plus on est gros et diversifié, plus on augmente le chiffre d’affaire mais les charges s’avèrent alors beaucoup plus lourdes. En bon français, on appelle ça une aporie. Il est compliqué d’en sortir.

Si les associations sportives (hockey, danse, patinage…) peuvent apporter une redevance sinon des spectateurs payants, elles occupent des plages horaires qui empêchent le public d’accéder aux installations.
Ses entrées sont pourtant plus rentables que les recettes des clubs, souvent aléatoires. Pour autant, aucune patinoire ne peut survivre sans eux, source indispensable de communication et, accessoirement, d’aides gouvernementales.

Quoi qu’il en soit, il n’existe pas de clubs de glace dans le Douaisis. Si la fonction crée l’organe, il est quand même curieux de devoir débourser 15 millions d’euros pour les rendre possibles. Habituellement, les patinoires sont construites pour répondre aux demandes d’associations existantes et pas le contraire.

Au delà de cette hypothétique création, inutile d’insister sur la complexité du monde du hockey, mauvaise copie en France des modèles d’outre-Atlantique. Il n’est pas rare en effet qu’un vainqueur de la confidentielle « Synerglace Ligue Magnus » se retrouve l’année suivante en dépôt de bilan, sans parler des championnats qui ne peuvent se réunir au complet faute de moyens financiers.

Reste donc, pour équilibrer les comptes de notre futur « éléphant blanc » comme neige, la fréquentation du grand public. Le président répète à l’envi un chiffre de « 70 000 entrées annuelles » gravé dans le marbre à force d’être cité. Ce montant ne correspond pas aux prévisions initiales qui auraient fait, paraît-il, l’impasse sur le public venant du Pas de Calais.

Loin de ce nuage de fumée, plusieurs patinoires adeptes de la transparence présentent des bilans intéressants pour mesurer l’enjeu. Situées dans de grandes agglomérations, leur fréquentation provient à 60% de la métropole et même à 40% du centre-ville. A peine un tiers relève du reste du territoire. On ne fait pas des kilomètres pour faire du patin, c’est un attrait de proximité.

A Brest, chiffres vérifiés dans une métropole prospère qui pèse 140 000 habitants au sein d’une agglomération de grande dimension, la fréquentation de la patinoire a été en 2017 de 80 000 personnes dont 60 000 relevant du grand public.  Dans ce dernier groupe, les scolaires comptaient pour 15000, volume à peu près identique à celui des spectateurs des manifestations sportives.

Plus éclairant encore, la piste bretonne équilibre le produit du public avec celui des clubs, chacun apportant par an environ 300 000 euros au budget. Si on ajoute les recettes annexes (80 000 euros issus de la cafétéria et diverses prestations), ces abondements cumulés ne comblent pas les charges qui approchent du million. Il revient donc à la communauté d’agglomération de compenser le « trou », soit près de 300 000 euros tous les ans

On aura donc tous capté que nous ne sommes pas dans le Breizh qui est autrement géré que notre pays (taux de chômage de 6%, nous c’est 11%), sans clubs à rayonnement national, sans fréquentation sérieusement prévisible.

Conclusion : la patinoire du Raquet va nous coûter bonbon.

Les boules sans les boulistes

Abordons à présent cette idée incongrue de boulodrome, « le plus grand au nord de Paris » et même « le plus grand d’Europe » que le monde entier va nous envier. Là, même si c’est moins cher que la patinoire, nous savons que c’est cuit, va falloir payer.
Quand on passe à côté, les pelleteuses et les toupies fonctionnent à fond. Le béton écologique et le bitume biodégradable recouvrent inexorablement la bonne terre agricole qui elle, pourtant, ne mentait pas.

Dessiné par une agence d’architecture lyonnaise, le bidule est un bâtiment de fortes dimensions : 170 mètres de long pour loger 64 pistes abritées et chauffées, (128 à l’extérieur), 6,50 m de hauteur sous la charpente, tribune de 2 000 places, espaces communs et hall de 8300 m2 . C’est du gros, c’est du lourd. L’idée du président candidat est celle d’une installation énorme dont la fréquentation massive serait la clé du rayonnement du territoire.

La communication mise au service de ce raisonnement n’échappe pas à une certaine contradiction.
En conseil communautaire, le président célèbre la modicité du prix du ticket d’entrée comme celui de la licence (45 euros par an) favorisant l’utilisation du boulodrome par les classes modestes. Il met dans la foulée l’avantage pour les hôtels de la région de recevoir, lors des compétitions nationales sinon internationales, des centaines de joueurs à fort pouvoir d’achat. Il faut choisir…

Par ailleurs, à l’inverse de la patinoire exempte du moindre club sportif, le boulodrome se trouve en concurrence avec une impressionnante diversité d’associations et une étonnante multiplicité de locaux, parfois rénovés depuis peu par les communes.
Si on en croit leurs déclarations, ces équipes locales, y compris celles de Douai, ne sont pas vraiment enthousiastes à intégrer un monstre dans lequel elles devinent sans peine qu’il fonctionnera sans qu’on leur demande leur avis.
On peut aussi subodorer qu’interviennent ici d’autres considérations plus obscures, ainsi les célèbres buvettes qui apportent à ces clubs, au grand dam de nos cafetiers, les moyens d’exister et peut être plus. Cette manne sera confisquée par Douaizizaglo® pour son seul bénéfice.

Quoi qu’il en puisse être, une fois encore, on reste sans voix devant l’absence de la moindre discussion avec ces associations modestes, pour le coup, afin de vérifier leur adhésion au projet. Il n’est pas impossible qu’un boulodrome fonctionne avec des boulistes. Si ces derniers rechignent à l’utiliser, on peut s’interroger sur l’intérêt de sa construction.

Côté gestion, notre président candidat a évoqué un « club résident communautaire » qui sera en charge du site. C’est exactement le choix de Montluçon qui a dysfonctionné rapidement. Le bénévolat qui était à la base du système n’a pu assurer toute l’ouverture souhaitée tandis que les recettes ont été insuffisantes pour équilibrer le budget (30 000 euros) en dépit du soutien de l’agglo qui réglait les factures de viabilisation (eau, électricité, gaz).
Réorganisé, le boulodrome a pu redresser la situation en réduisant l’ouverture hebdomadaire et en allant chercher d’autres bénévoles. Pour autant, la demande des associations est aujourd’hui celle d’un recrutement d’agents payés par la collectivité pour assurer la survie du local.

Beaucoup plus important en taille et en usage, le boulodrome du Raquet devra passer par la case embauche, laquelle comme nous le savons tous, est une charge qu’on installe pour des décennies. Cette dépense sera connue à l’inverse de la plus-value de l’invention qui reste, comme toujours, non mesurable.

Pour conclure, nous avons compris qu’une fois de plus, comme tout ce que nous vend le président de Douaizizaglo®, il faudra passer à la caisse. Enfin, pas la sienne, la notre.
Son esprit fertile en idées ne va pas se tarir. Il lui reste à nous offrir d’autres projets d’exception, plus gros, plus grands. On ne « va rien lâcher » dans la dépense. On peut lui faire confiance.
On imagine la peur au ventre pas mal d’éventualités : une ferme à mille vaches, un Disneyland ou, mieux, un championnat de Formule 1, évidemment à rayonnement international.
Nous les aurons mais peut être pas…

Max aime apprendre mais parle un peu souvent à la première personne. C'est un travers qu'il combat difficilement. Va falloir l'aider. Il adore la Scarpe et l'orgue de St Pierre, surtout les basses.

4 Comments

  1. Je me rappelle d’une présentation des vœux à la CCI, chambre des aujourd’hui disparus « commerce et industrie »…
    Les élus avaient daigné se déplacer et le Président de la CCI, Jean claude Stievenard, avait abordé le douloureux problème du coût de notre vedette internationale qu’on appelait le « tramway »!
    Il a eu l’audace d’évoquer la responsabilité éventuelle des élus pour leur « gestion dispendieuse et autoritaire »…
    Aïe aïe, les élus quittaient la salle, indignés, exigeaient des excuses que notre pauvre Président, grondé par son supérieur à Lille, dû, à contre cœur, présenter… !
    Le pouvoir de « faire » sans limite appartient à ceux qui détiennent le cordon de la bourse, ce qu’on appelle « subventions » . Vous m’appuyez… à vous les honneurs d’une médiathèque, salle de réception, mairie embellie etc..
    Plus de CCI, c’est un contre pouvoir de moins alors qu’une communauté de communes, c’est une « couche fiscale »de plus… Regardez vos impôts locaux…

    1. Vous décrivez parfaitement un système aussi peu satisfaisant que possible. Il n’est pas d’aujourd’hui – les services « rendus » existaient dans l’Antiquité – mais il faut avouer que celui de notre pauvre communauté d’agglomération atteint des sommets dans le clientélisme, l’arbitraire et… l’inefficacité. Qui sera capable un jour de mesurer l’effet de ces dépenses ?
      Retenons enfin les résultats des dernières élections. La révolte de la ville centre piétinée par un mode de fonctionnement inique s’est traduite dans les urnes. Le paradoxe est à présent complet. Ce sont toutes les communes contre Douai qui a compris qu’on ne peut plus continuer comme ça.

  2. On sait que la seule candidature en lice pour les Jeux Olympiques à attribuer cette semaine fut celle de Brisbane, qui l’a emporté haut la main. Pour la fois suivante, ou même pour celle-là si la population de Brisbane parvient à y faire obstacle comme ce fut le cas à Hambourg pour les JO 2024 finalement échus à Paris, ou s’ils refont leurs calculs et leurs bilans carbone, un boulevard s’ouvre devant Lauwin-Planque.
    Notre président visionnaire a bien anticipé l’affaiblissement de toutes les concurrences et les grands équipements dont il est question ci-dessus sont au vrai les premières pierres de l’édifice : attirer à les JO à Douaiziagglo, voire obtenir de devenir le siège désormais permanent des JO.

    1. On doit avouer être passés à côté de ce grand dessein. Vous avez raison ! Voilà la clé de cette frénésie d’équipements inutiles. Avec un peu de bol, le Douaisis pourra accueillir les deux types de Jeux. L’hiver avec la patinoire et l’été avec la piscine. On pourrait aussi loger tous les athlètes dans des bâtiments construits sur la friche. Lauwin-Planque 2030 ! Vous êtes un visionnaire.

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