Régie ou délégation

Cette fois un peu de philosophie politico-économique avec quelques définitions sur la façon dont une collectivité locale ou l’État assurent les missions qui justifient leur existence.
En gros, soit ils les gèrent eux mêmes – c’est une régie – soit ils les passent à d’autres, souvent des entreprises privées, contre une rémunération, c’est une délégation de service public.

Faire soi-même ou pas

Comme on est en France, ce qui précède est la situation théorique idéale. Dans la réalité, elle est presque rare. On peut déléguer une mission à un machin plus ou moins public, la découper en morceaux dont certains sont privés et d’autres publics etc. Les possibilités sont infinies jusqu’à la folie.
Il existe ainsi la célèbre « régie intéressée » qui confie un service public à un contractant qui se rémunère par un bénéfice sur les résultats tandis que la collectivité reste chargée de la direction générale du bazar. Donc cette « régie » est une délégation…

Dans ce qui est certain, on dira que le régalien est toujours public – l’armée, la police – mais on trouvera bien ici ou là à coups de mercenaires et de vigiles quelques exceptions qui confirment la règle.

Voilà un siècle, l’action publique se limitait à l’indispensable. Elle intervient aujourd’hui partout. Le contact entre le privé et le public est une passoire, sachant que le second réduit inexorablement la surface du premier.
Le mouvement n’est pas près de s’arrêter quand on observe les crises actuelles qui poussent le citoyen vacciné et masqué à réclamer « plus d’État » pour s’en préserver.

Privé ou public

L’idéologie aide un peu pour y voir plus clair.

La Gauche adore la régie, synonyme pour elle de respect des intérêts des citoyens, les plus démunis en tête. Il y a au bout du bout du cerveau de ses élus le rêve d’une étatisation complète de l’économie. Un paradis d’égalité à base de dons gratuits dont disparaitrait l’abominable entrepreneur privé, toujours soupçonnable d’échapper à l’impôt salvateur et en plus, aujourd’hui, de détruire la planète.

La Droite est à l’inverse, mais sans que ce soit une vérité absolue comme nous le verrons plus loin, plutôt favorable à la délégation. Outre de délimiter le périmètre et la dépense de la mission, elle défend l’idée simple que le patron de l’entreprise qui en sera chargée aura à cœur de la maintenir en bonne santé. Il va surveiller de près le budget afin d’éviter le gâchis auquel n’échappe pas toujours l’administration publique.

© La Gazette des Communes

Difficile de trancher cette question. Il existe des collectivités locales ou des services d’État qui dépensent au mieux avec une efficacité maximale. Il en est d’autres qui sous-traitent au privé parce que leur personnel est incapable de faire, ce qui revient au contribuable à payer deux fois.
Certaines délégations de service public à base de contrats léonins sont le royaume de la gabegie – ou du truandage au bénéfice des amis – quand d’autres, évidemment, ne coûtent que le juste prix.

Il est incroyable de savoir qu’en France, il n’existe aucune obligation imposant aux collectivités locales la comparaison avec les modes de gestion alternatifs à la régie. Par contre, elle s’impose quand on décide d’une délégation de service, par la logique de la mise en concurrence.

Cette dissymétrie prouve à quel point nous considérons la puissance publique comme insoupçonnable. C’est probablement un reste de notre histoire monarchique qui faisait de l’impôt une obligation – en fait un tribut – découplée de tout avantage concret pour le payant.
L’ADN des Anglo-saxons est diamétralement opposé. Comme leur démocratie en procède, l’impôt est sacré. Les pires crimes sont de s’en dissimuler et ensuite de le gâcher. On comprendra que les Français ne combattent que le premier.

Avantages et inconvénients

Si on rentre un peu plus dans le détail, encore qu’il s’agit là d’affreuses simplifications, le facteur qui intervient dans les arbitrages régie/délégation est évidemment le coût rapporté au service donné, sachant qu’il est assuré dans tous les cas par des ponctions fiscales.

Celui d’un service public ne peut être réduit à sa masse salariale et moins encore corrélé fermement aux bienfaits qu’il apporte aux citoyens, même si certaines administrations disposent d’indicateurs et de ratios.
Plus précise, une délégation de service public est dépendante d’un cahier des charges qui commande l’abondement financier donné au prestataire pour qu’il assure sa mission.

Pour autant, il doit quand même faire un peu de bénéfice, lequel peut être accru par un serrage des charges, en premier lieu celles du personnel, mais aussi une meilleure optimisation de la mise en œuvre.
Comme le montrent actuellement les péripéties gazières qui poussent certains délégataires à dénoncer leur contrat, tout défaut se traduit par un retour au budget de la collectivité. Si on résume, le bénéfice va au délégataire tandis que les pertes sont pour le contribuable.

Arrêtons là ces réflexions générales qui mériteraient des traités de droit public, lesquels existent. On y renvoie les lecteurs parvenus jusqu’ici. En fait, cette affaire de régie et de délégation nous intéresse pour sa traduction dans nos affaires locales.

On « fait maison »

On découvre ainsi dans le foisonnement d’éléphants blancs qui est la marque de notre Douaizizaglo® la variabilité des arbitrages du président Poiret – absolu tout puissant – sur cette question.

La récente annonce de l’abandon du célèbre CFA du Douaisis a permis d’apprendre la raison pour laquelle l’agglo voulait assurer sa construction en régie. Habituellement, on délègue sagement un chantier à des gens qui sont meilleurs spécialistes du béton que la pauvre administration de Douaizizaglo®.

Ce choix aurait permis « de récupérer la TVA » , justification triviale s’il en est. Tout contribuable préférerait qu’on mette plutôt en avant – outre l’utilité de la chose – la capacité à construire bien, rapidement et pas cher. Ces critères devraient être d’ailleurs les trois axes d’une évaluation de tous nos projets locaux d’où qu’ils viennent.

La TVA est par définition une taxe qui s’ajoute au coût d’une opération. Si le CFA avait coûté 10 M d’euros, nous aurions donné en sus à notre État bienfaiteur 2 M, ce qui aurait monté la dépense globale à 12 M. La « récupération » n’est pas absence de paiement. Le fisc qui touche les sous les redonne ensuite à la collectivité locale maîtresse d’œuvre. Ces 2 M auraient donc été une cagnotte, de la fraîche en plus, qui aurait pu servir à réduire l’emprunt ou à toutes sortes de choses inconnues de nous tous.

Enfin, il parait peu probable que notre président – infaillible et visionnaire – prenne lui même pelle et pioche pour construire un bâtiment, ni même que cette charge revienne à Douaizizaglo® en dépit de son efficacité bien connue. Il faudrait évidemment passer par divers prestataires, de premier et second œuvre, avec sans doute la possibilité d’un choix local, ce qui n’aurait probablement pas été le cas si un gros opérateur gérait toute l’affaire.

Les patrons varient souvent

On tient habituellement Christian Poiret pour un gars de droite. Enfin, on annonce cette obédience avec précaution car elle parait, quand on la documente, assez flottante. Cette incertitude ménidienne explique les variations de notre président – bien aimé et omniscient – sur le sujet des régies et délégations. Son goût pour la première interpelle.

De ce côté, on a en effet beaucoup d’exemples, hors cette affaire de CFA dont le modèle serait parait-il venu des DOM-TOM, argument qui vaut son pesant de bon gouvernement.
Existait aussi, mais c’est ancien, l’organisation originelle du SMTD qui ne séparait pas l’agglo du syndicat, un peu comme si l’assemblée nationale avait géré en direct la SNCF. Ce n’était pas de la régie mais de la méga-régie. Notons aujourd’hui en passant le statut d’ornithorynque de la STAD-Evéole qui est public sans l’être tout à fait.
Plus exotique encore, il faut citer la transformation de notre entité agglomérée en promoteur en charge des opérations immobilières du Raquet. Il était assez ébouriffant de rencontrer dans des salons spécialisés des « vendeurs » siglés Douaizizaglo®. Soulignons leur efficience, comme on dit, pour bétonner puis peupler ce quartier.
Autre sujet amusant, Arkéos. La Cour des Comptes avait soulevé l’absence d’un budget propre qui interdisait de repérer dans le « grand tout » les déficits accumulés par cette merveille. Notons qu’on tente, loin de toute délégation – c’est le moins qu’on puisse dire – de conjurer l’échec de ce « musée » en le transformant en parc d’attraction.
On a enfin, rappelée récemment, l’opération EuraDouai dont Douaizizaglo® envisage de piloter « tous les grands équipements » , probablement sur le modèle du Raquet.

Bien fol qui s’y fie

Pour les DSP, leur recensement précis parait compliqué à faire mais elles sont probablement moins nombreuses que les régies, surtout à Douai.
Pour preuve le débat qui a eu lieu au conseil d’agglomération en juillet dernier lors de l’octroi de la délégation de gestion des deux fleurons du Raquet : Sourcéane mais surtout la fameuse patinoire que le monde entier va nous envier pour sa sobriété energétique.

Le maire de Douai Frédéric Chéreau et ses alliés se sont abstenus, le premier justifiant sa décision par la défense logique de la régie de la part d’un socialiste, laquelle « permet plus de souplesse dans l’accueil des écoles » sachant que « le cœur de l’activité d’un délégataire de service public, c’est de faire du commerce ».
Notre président, qui a toujours un peu de mal avec la contradiction, est monté au créneau pour défendre cette option sortie de sa seule tête, choix voté ensuite par le conseil comme un seul homme. Cette fois-ci, les arguments relevaient d’une affaire de sous sans TVA. Le prix annoncé était, pour Sourcéane, de 680 000 € et, pour la patinoire, de 473 000 €, montants qualifiés de « raisonnables » par Christian Poiret, encore que les obligations du prestataire ne sont pas connues.

Toujours vachard, notre patron aggloméré a taclé son rival douaisien en lui jetant à la figure le coût de ses deux piscines municipales qui serait d’1 million d’€ annuels. Sortes de monuments historiques en mauvais état (surtout Beausoleil), elles sont effectivement gourmandes en énergie et disposent d’un personnel largement dimensionné. Ceci explique cela.

© La Voix du Nord 2018

Pour revenir à la délégation, l’amusant reste le choix du prestataire. Si Récréa a quitté Sourcéane, Douaizizaglo® a fait un blot avec la patinoire en passant les deux sous la gestion du célèbre Vert Marine qui a récemment défrayé la chronique.
Ce prestataire tentaculaire (80 équipements en DSP) a en effet dénoncé certains contrats piscinicoles au titre de l’envolée du prix du gaz.
Notons qu’Armentières et d’autres communes de notre région se trouvent donc actuellement bien embêtées. Il semble pourtant que nous ne risquons rien car notre président – écologique et inoxydable – a prévu que la biomasse remplace le précieux produit russe. Si c’est vrai, tant mieux.

Pour conclure sur ce sujet, quelques réflexions. D’abord qu’il est moins clair que les postures qu’il provoque, lesquelles comme nous les avons vues, découlent de l’idéologie plutôt que d’approches rationnelles.
L’autre aspect reste évidemment l’absence d’information sinon de contrôle, d’abord sur le coût des services publics et ensuite sur la motivation de leurs possibles délégations.
On peut supposer une certaine incompréhension de nos élus professionnels sur ces dossiers ou, au niveau inférieur, un manque total de curiosité de leur part alors qu’ils sont rémunérés pour s’y intéresser.

Osons une fois encore un vœu ultime : que tous les lecteurs de cet article s’obligent à chercher les raisons des arbitrages de notre patron – super et fort – quant aux régies et autres délégations qu’ils découvrent au quotidien. Cherchons bien. L’apparent est peut être le caché mais peut être pas.

Une tache sur la joue

Tant d’hommes célèbres sont passés à Douai qu’on a parfois du mal à faire du tri dans cette liste prestigieuse. Évoquons celui qui a donné à notre rivale lilloise la citadelle considérée comme la plus belle de toutes : Sébastien Le Prestre de Vauban.

Pour Lille donc, on comprend bien mais quel lien avec notre ville ? En y réfléchissant un peu, on pourrait imaginer qu’une bonne part de ses fortifications sont de sa main. C’est un peu vrai mais globalement faux. D’abord parce que ces constructions, « espagnoles » donc flamandes, étaient bien antérieures à sa naissance et ensuite parce qu’elles ont été continument améliorées après lui.

Mais alors quel lien pouvons nous faire entre Douai et Vauban ? En 1656, il était venu dans la région quand Turenne – pour le roi – et Condé – pour les Espagnols – s’affrontaient pour la possession du Hainaut. Cette année là, c’est en « ingénieur ordinaire » qu’il participe au siège de Valenciennes. Si c’est un succès – la ville est prise parce que les habitants n’avaient plus rien à manger – le futur maréchal dira de cette affaire qu’il « n’est pas concevable combien les Français y firent de fautes. Jamais les lignes ne furent plus mal faites et plus mal ordonnées » .

Dans cette critique radicale s’incarne tout Vauban. La liberté de parole, la vision sans concession et enfin le retour d’expérience. Car ce soldat n’a pas manqué tout au long de sa vie de perfectionner l’art de la guerre et surtout celui de la poliorcétique. Il étudiait sans relâche les exemples qu’il avait devant lui et les échecs qu’il pouvait connaître.

On sait que Sébastien, né en 1633, est issu d’une famille très modeste, à peine noble. Il entre dans les armes tout en bas de l’échelle, du côté des Frondeurs comme le voulait l’époque. Sa famille étant bourguignonne, on suit le gouverneur révolté de la Bourgogne, le prince de Condé. Placé dans l’infanterie, il démontre d’emblée d’éminentes qualités. A la bravoure, trait obligatoire de sa caste, il ajoute le « petit plus » qui change tout : l’intrépidité.

Fait prisonnier lors d’une patrouille, on le fait comparaitre devant Mazarin qui perçoit immédiatement les qualités de ce jeune morvandiau râblé et costaud, plein de vie et d’esprit. Le cardinal dont on oublie souvent qu’il a été militaire avant d’être tonsuré, n’a pas beaucoup de mal à le convertir à la cause royale. Elle sera celle de toute sa vie.

Lieutenant, il rejoint un régiment d’anciens Frondeurs repentis. Sérieusement blessé au siège de Stenay- c’est lui qui allume la mèche qui démolit le bastion d’attaque – il est fait capitaine. Un peu plus tard, comme nous l’avons vu, Vauban est au siège de Valenciennes, passé de l’infanterie au génie, terme qui lui va si bien.
Hors son intérêt pour la science, il avait eu très vite l’intuition que cette arme, mal traitée et tenue par les aristocrates pour secondaire, pourrait être celle de son accomplissement. Il avait raison. Il en sera le premier maréchal de l’histoire.

Pourquoi donc Douai ? Attendez un peu. Après Stenay, apprécié par Mazarin, Vauban participe à de nombreux sièges. Cette expérience, parsemée de blessures, s’ajoute aux travaux de défense des villes conquises. C’est en « ingénieur principal » qu’il est appelé par Turenne, lors de la Guerre de Dévolution, pour diriger les attaques des places fortes que les Espagnols possèdent dans les Flandres. C’est ainsi qu’il participe, en 1667, aux conquêtes rapides de Louis XIV : Tournai (25 juin), Douai (7 juillet) et Lille (17 août).

Nous voilà donc à Douai. Lors du siège de notre ville, comme à son habitude, Vauban est en première ligne. Une de ses innovations consiste à faire progresser les sapeurs et ensuite l’infanterie à l’abri, dans ces fameuses tranchées en zig-zag qu’il a copiées des Turcs.
A force de terrassements, on encercle la place par des « circonvallations » qui empêchent toute sortie et tout secours. Profitant de la Scarpe, les habitants, seuls chargés de la défense comme le veut le mauvais système impérial, « tendent » l’inondation en ouvrant les vannes. Ainsi, noyée sous les eaux, une bonne partie de la ville est infranchissable.

Il reste toutefois des parties plus ou moins à sec. C’est dans ces endroits que se concentrent les attaques, en premier vers la porte d’Esquerchin. La phase ultime est l’assaut – à moins que les assiégés ne se rendent avant, ce qui s’est passé à Douai – souvent précédé par des sapes qui détruisent les murailles. L’ingénieur est toujours en première ligne, près des hommes, vérifiant la mise en œuvre et payant de sa personne. Il faut parfois faire le coup de feu contre les assiégés qui tentent des sorties pour empêcher les travaux de l’adversaire ou les détruire.

C’est dans ces circonstances que Vauban est blessé. Des témoins décrivent l’ardeur des troupes françaises à mettre en place des « boyaux de tranchées, larges et sûrs, creusés avec une telle rapidité qu’une batterie de dix canons fut en état de tirer dès quatre heures du matin » . L’opération est risquée. Les Douaisiens, pourtant peu nombreux, ripostent avec habileté de leurs mousquets et de leur artillerie, cette dernière particulièrement efficace avec un tir « aussi bien ajusté que jamais canon l’eût été » .
Plusieurs officiers sont ainsi touchés. C’est le cas de Vauban alors « capitaine de Picardie, ingénieur fort renommé déjà » . Il est blessé au visage, à la joue gauche mais sans qu’on sache exactement par quoi. Coup de feu, éclat de boulet ou de fauconneau, ricochet quelconque, on l’ignore. Ce qu’on sait en revanche c’est que le maréchal va garder la trace de cette blessure toute sa vie, comme le prouvent ses portraits après Douai.

Ce n’était évidemment pas la plus grave qu’il ait reçue mais incontestablement la plus symbolique, celle qui montrait à tous sa manière de servir et son mépris du danger.
Comme le veut tout sujet historique, des chercheurs – évidemment Belges – ont récemment mis en cause l’origine de cette tache sur la joue. Pour eux, pas de blessure mais une maladie de peau. Grain de beauté, angiome, ils se perdent en conjectures mais sont bien incapables de dire plus, leur hypothèse découlant d’un examen minutieux des portraits du maréchal.

Oui mais bon, va-t-on nous enlever l’honneur d’avoir compté dans sa vie ? Et bien non. Refusons les inventions des démolisseurs de réputations. Gardons cet épisode à la gloire du grand maître des fortifications et aussi un peu à celle de notre ville.
Sébastien Le Prestre de Vauban l’a donnée au royaume de France, c’est ça qui compte, et mettons cette mystérieuse blessure quelque part entre la vérité historique et la beauté de la légende, avec Douai tout au milieu