Une ville moyenne en crise

ville moyenne en crise - Ville de Douai

La ville rêvée est une ville moyenne

Quand on demande aux Français dans quel endroit ils aimeraient vivre, leur réponse désigne très majoritairement le lieu qui seul leur parait offrir la vie agréable à laquelle ils aspirent : la « ville moyenne ». Ils l’opposent aux espaces ruraux mais surtout aux grandes métropoles dont d’abord Paris, symbole absolu de pollution, de vie chère et de transports saturés.

Ces lieux rêvés, en dépit du plébiscite populaire, sont pourtant aujourd’hui en crise profonde. Crise si grave qu’ils sont des « espaces en voie de disparition » quand on voit l’accélération récente de leur effondrement. Il se mesure par la baisse de leur population et son appauvrissement, la fermeture d’entreprises, la disparition de liaisons ferroviaires, le retrait graduel des services publics : casernes, tribunaux, hôpitaux, écoles, IUFM…

Le second paradoxe, c’est que ce mouvement accompagne une décentralisation qui n’a cessé depuis le début des années 80 de s’approfondir. De là à penser que les collectivités locales de plus en plus autonomes sont placées devant un phénomène qui les dépasse, il n’y a qu’un pas. Gérée de bout en bout par l’Etat qui disposait alors de tous les pouvoirs, l’implantation dans le Douaisis d’une usine Renault serait aujourd’hui impossible.

La ville moyenne disparait

Cette crise à laquelle notre ville, comme beaucoup de ses consœurs, est confrontée, se concentre d’abord dans le centre qui voit se fermer peu à peu tous ses commerces. Voilà près de vingt ans, si le déclin était imperceptible, le moteur était déjà en place. Il se trouvait dans la création des zones commerciales à la périphérie, celle de Noyelles-Godault, coup de génie empoisonné de Jacques Piette, étant le modèle du genre.

Ces implantations étaient présentées par les élus de l’époque comme une chance pour l’agglomération. Ils imaginaient, outre les taxes mirifiques qu’ils toucheraient, qu’elles allaient créer des emplois sans dommage pour les activités traditionnelles des alentours.

Le lien négatif entre ces deux phénomènes est aujourd’hui parfaitement prouvé. Il est même mesuré : chaque année, la superficie des zones commerciales périphériques progresse de 3 ou 4%, quand la hausse de la consommation ne dépasse pas 1%. La différence est assurée par la fermeture des commerces de centre-ville dont la vacance augmente partout. Douai se situe à près de 15%.

Le drame, c’est que passé un certain seuil de destruction de points de vente, la crise des centres villes s’auto-alimente. Moins de magasins, c’est moins de services, moins d’animation. Faute d’attractivité, les classes moyennes et supérieures, qui ont le choix, se logent plus loin, ce qui amplifie la paupérisation de la population donc du bâti. Etape suivante, les cellules commerciales se vident, les prix de l’immobilier s’effondrent. La spirale négative devient incontrôlable.

Cette mort annoncée des villes moyennes est très grave si on considère l’attachement des Français pour ce modèle urbain à taille humaine. C’est pire encore quand on mesure le poids démographique du phénomène, pas loin de 20 millions de personnes concernées et plus d’un tiers des départements du pays. Les conséquences politiques sont du même ordre comme l’a montré la crise des « Gilets Jaunes » mais aussi le choix des extrêmes dans les scrutins électoraux.

Des réponses nationales et locales sont apportées à ce défi. Le plan « Action cœur de ville » concerne Douai. De son côté, la mairie s’essaie au soutien du commerce local selon les principes habituels. On voit ainsi apparaître des marchés de Noël, des spectacles de rue, des « managers de centre ville », des piétonisations etc.  Nous sommes plus dans la psychothérapie de groupe et l’accompagnement en fin de vie que dans des stratégies volontaristes et le traitement de cheval.

La ville moyenne doit assumer la concurrence

Car le mal est fait. Personne ne peut sérieusement penser qu’on puisse supprimer les équipements commerciaux de la périphérie, surtout quand ils se trouvent dans le Pas-de-Calais qui n’est pas le Nord. L’enjeu est celui d’une concurrence assumée à armes égales. Notre centre-ville pourra triompher dès l’instant où nos élus passeront enfin à une autre politique dans leur tête et dans les actes.

Le centre-ville est le coeur de l’agglomération

D’abord, il faut comprendre que le centre-ville n’est pas un quartier comme un autre. Il est le phare, le cœur de l’agglomération, celui sur lequel doit converger toutes les attentions, par exemple de Douaizizaglo®. L’idée que cette dernière doit donner quelque chose à chaque commune de la CAD pour la consoler de ne pas être le centre, est un contre-sens grave. S’il disparaît, tout le monde disparaîtra.

La délocalisation à la périphérie des services publics (on pense tout de suite à Arkéos ou aux épouvantables projets de patinoires et autres boulodromes) parce que les accès sont faciles ou que le terrain coûte moins cher est une dérive mortelle. Car tout ce qui ne renforce pas le cœur, tout ce qui va diluer son énergie ailleurs, empêche à terme de maintenir un niveau minimal d’attractivité en dessous duquel aucune renaissance du centre-ville ne sera possible.

Le centre-ville n’appartient pas aux gens du centre-ville

Cette priorité au centre-ville ne revient pas à apporter à ceux qui y résident, pour leur seul bien être, des équipements ou des services de proximité plus nombreux qu’ailleurs. Il s’agit d’abord d’attirer un public extérieur par des investissements ciblés. Car si certains équipements renforcent l’attractivité du centre tout en répondant à la demande locale, ce n’est pas toujours le cas.

On peut douter que les « locaux » visitent chaque semaine le beffroi ou le musée de la Chartreuse. A l’inverse, hors peut être notre merveilleux Hippodrome, les équipements de proximité permettent peu au centre de rayonner à l’extérieur.

Le bon alliage est celui d’une richesse patrimoniale renforcée par une offre commerciale et touristique cohérente. Nous avons la chance d’avoir de beaux monuments mais ils doivent être mieux défendus pour que la ville soit un pôle touristique digne de ce nom.

Le centre-ville a besoin de grandes enseignes

Un des avantages, entre autres, de la périphérie c’est sa concentration de « grandes enseignes » qui sont devenues, qu’on le veuille ou non, les locomotives du commerce de proximité. On peut y voir des symboles honnis de la mondialisation, sans parler de la concurrence inégale dont elles profitent.

Si c’est le cas, il faut donc tout faire pour les implanter dans le centre ville pour rétablir l’équilibre. D’une certaine manière, la présence du Furet du Nord répond à cette stratégie assez habilement. Pour autant, si cette enseigne est isolée, l’effet restera incertain comme le devenir de ce magasin.

ville moyenne damart se barre
Coup de chaud chez Damart,
la lecture attentive de cette affiche vaut son pesant de thermolactyl

Car ces grandes marques recherchent un effet masse découlant du voisinage d’autres enseignes de niveau équivalent. Les ramener dans Douai quand elles sont parties les unes après les autres sera difficile mais selon l’adage, si c’est possible, cela a été déjà été fait, et si c’est impossible, cela se fera.

Une autre option pourrait être d’identifier un secteur commercial jugé prioritaire dans la concurrence mortelle engagée avec les zones commerciales périphériques, notamment pour attirer au centre le public extérieur. C’est plus complexe que d’aller chercher des grandes enseignes.

Le centre-ville doit être accessible en voiture

Identifiée par tant de Douaisiens comme l’explication première de l’effondrement des commerces du centre ville, la question du transport est, comme on dit, un sujet.

Interdire la circulation dans la ville par un plan fou, contribue à valoriser l’offre de la périphérie. C’est tellement basique qu’on en arrive à s’interroger sur l’esprit de logique de nos représentants, à moins qu’ils ne soient incapables de sortir des dogmes imposés de la « mobilité douce ».

L’urgence est donc de rééquilibrer les modes d’accès à la ville, ce qui implique d’y faire revenir la voiture. Un chiffre intéressant : 68% des déplacements liés aux achats sont et continueront quoi qu’il advienne d’être réalisés en automobile. Cela signifie qu’on enlève à notre agglomération une part très importante du potentiel commercial du centre en refusant par dogme cette rupture vitale.

Le centre-ville doit être beau et accueillant

Quant on arrive à associer culture et commerce, un centre-ville possède des avantages très supérieurs aux zones commerciales périphériques. Le premier possède en effet un cadre authentique et chaleureux, qui permet à la fois la balade et le shopping. Il peut aussi offrir des endroits « tendance » et insolites qui font le succès des villes qui jouent de ces avantages. On peut chercher longtemps la poésie du cliquetis des Caddies d’Auchan ou de Carrefour…

Valoriser le patrimoine urbain existant en se concentrant sur un périmètre limité où toutes les actions pourront être coordonnées, donnera rapidement des résultats visibles. Ce sera plus payant au sens propre qu’un nouveau festival ou tout autre animation culturelle.

Quand on les interroge, les professionnels de la profession sont formels : «Seul un itinéraire marchand en boucle avec deux pôles commerciaux forts aux extrémités est en mesure de faire revenir durablement les acheteurs

Le centre-ville doit être protégé des zones commerciales

Enfin, pour finir, il faut empêcher les implantations nouvelles et les extension des zones périphériques et même les interdire.
La très célèbre « Commission départementale d’aménagement commercial » (CDAC) rend chaque année, sans aucune publicité, des décisions de ce type.
En 2018, sur 45 dossiers, seulement 5 ont été refusés (arrondissement de Douai, 4 dossiers, 0 refus), en 2019, année en cours, 16 dossiers (Douai, 3 dossiers, 1 refus). On se demande si les membres de cette instance savent réellement ce qui peut les autoriser à rejeter un projet d’installation quand on sait qu’il n’existe pas de normes partagées pour définir les exigences minimales à respecter en matière d’aménagement du territoire.
Encore une fois, le « doigt mouillé » frappe de tout sa force et nos pauvres commerces meurent.

Max aime apprendre mais parle un peu souvent à la première personne. C'est un travers qu'il combat difficilement. Va falloir l'aider. Il adore la Scarpe et l'orgue de St Pierre, surtout les basses.

8 Comments

  1. Ramener le marché du samedi place d’Armes et ds les 2 rues principales de la mairie et de la madeleine. Cela se fait ds bcp de villes pour attirer la clientèle qui de ce fait ira aussi ds les magasins du centre ville…

    1. De nombreuses solutions existent pour revitaliser un centre ville. Vos propositions en font partie. L’étonnant à Douai, c’est l’absence de décisions coordonnées et surtout basées sur des réflexions originales.

  2. Je suis revenu habiter Douai en 2010 après une carrière en région parisienne.
    J’y avais vécu 20 ans de ma petite enfance jusqu’à la fin de mes études.
    Quel changement ! La première constatation fût : que de déboires pour circuler en voiture, comprendre les changements de voies sans se retrouver en face d’un bus qui aurait dû être un tram…
    Et puis pour se garer, et faire une course ou deux, même en payant me paraissait un parcours du combattant.
    Bref, rien à voir avec Paris et sa banlieue mais, comme vous n’évoquez, pas digne d’une ville moyenne ou l’on peut rechercher le calme, la tranquillité, la sécurité et le bien etre.
    Douai offre d’innombrables avantages en ce sens, de plus c’est une ville magnifique et historique.
    Oui il faut la faire revivre et la repeupler.

    1. Beaucoup de Douaisiens mesurent comme vous et nous la dégradation de la situation économique du centre ville. Douai est sans doute au milieu du spectre des villes moyennes de la région. Le moment est historique. Nous voyons des voisines comme Valenciennes, Cambrai ou Arras qui commencent à tirer leur épingle du jeu tandis que d’autres Bruay, Denain etc. s’effondrent définitivement. Nous sommes au milieu. Aucune des équipes sortantes n’a su trouver la bonne stratégie pour conjurer le risque que nous courrons de rejoindre ces dernières villes. L’enjeu des prochaines élections – mairie puis CAD – est vital de ce point de vue. Ne comptons pas sur les sortants pour renverser la vapeur. Notre maire envisage de s’occuper de la rue de Paris avec un peu plus de travaux pour le bus qu’il ne prend jamais, de blocages, d’impossibilité de se garer dans la dernière artère encore favorable aux commerces…

      1. Encore une analyse pertinente de l’avancement de la maladie douaisienne, pas de projet d’ensemble à moyen terme, des saupoudrages sous forme d’aides ponctuelles et clientélistes, des investissements hasardeux ou (et) démesurés (au fait, ça avance pas beaucoup à l’hôpital général).
        L’idée d’un marché digne de ce nom est tentante, je le verrais même couvert type Wazemmes, place du barlet ou sur les ruines de l’hôpital pré cité…

        1. Aucune vision, c’est évident mais surtout une communauté d’agglo toute puissante, aux mains d’un parrain qui ne vaut pas mieux que l’équipe municipale. Les deux font la paire. Il faut quand même penser au règne interminable de leur prédécesseur, période où, comme l’a dit un jour F. Chéreau avec finesse, « les problèmes ont été gérés un à un plutôt bien mais sans aucune stratégie globale ». On est d’accord 🙂
          Pour l’hôpital général. Voilà presque dix ans que ça dure. Tous les électeurs ont devant les yeux un désastre aussi visible qu’évident et pourtant on en réélit les responsables.
          Côté marché, St Amé fonctionne pas mal. C’est d’ailleurs amusant de se dire que cela peut se faire alors que les clients ne sont pas de Douai pour la plupart. Ils parviennent quand même à se garer et à y faire leurs achats. Il y aurait une étude à faire sur ce mystère.

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