La table des échevins

La table des échevins - ville de Douai

Tout le monde connaît le concept braudélien de « l’histoire immobile ». Pour le célèbre spécialiste de la Méditerranée, les permanences des sociétés humaines sont plus fortes que l’écume évènementielle. La France est dans la Gaule. Et sans doute la Gaule devait elle être dans un néolithique dont on ignore d’ailleurs tout.

Loin de ces problématiques générales, à une échelle plus modeste, il faut toujours garder en tête l’immobilité historique quand on se plonge dans le passé local. Les permanences se repèrent dans les habitudes sociales sinon politiques, dans les traditions culinaires, dans les limites géographiques. N’avons nous pas avec le Courant de Coutiches la frontière d’un « pagus » qui remonte à l’Antiquité ?

Un échevin raconte

Un article des « Souvenirs de la Flandre wallonne » prouve la validité du concept braudélien du côté de notre politique et notre gastronomie, les deux confondues comme nous le verrons.

Un des numéros de cette excellente revue présente en effet une source étonnante, le « Journal d’un échevin de Douai » rédigé aux XVIII° siècle. Ce document incomplet, échoué aux archives par on ne sait quel hasard, paraît du plus grand intérêt quant au lien que le passé entretient avec le présent.

L’auteur, Philippe Joseph Albert du Bois dit de Hoves était chevalier. Né à Lille en 1711 au sein d’une famille d’ancienne noblesse, il est devenu douaisien par son mariage avec une demoiselle Boulé en 1738. Si la mariée était plus âgée que l’époux, son père, seigneur du Petit-Fervaque, venait d’être anobli par l’empereur Charles VI.
Cette union permet à de Hoves de se faire recevoir bourgeois la même année puis d’entrer au « Magistrat » , nom qu’on donne à cette sorte de conseil municipal créé au Moyen-Age par la « loi de Douai ».

Epitaphe tournaisienne d’Augustin Dubois de Hoves, oncle de notre chevalier

Bourgeois, échevins et Magistrat

La « bourgeoisie » mériterait de longs développement, tant ce statut est curieux quand on le compare à la « citoyenneté » moderne. Elle ne concernait évidemment ni les femmes, ni les forains, ni bien sûr les pauvres. On possède ce droit par naissance ou après avoir été « reçu » . Si ce groupe est en théorie égalitaire, on y sépare dans la réalité les nobles des roturiers.

Quant au « Magistrat » parfois présenté comme une « proto démocratie » , le journal de Hoves démontre qu’il en est fort éloigné.
D’abord par son mode de désignation compliqué. L’élection est découpée en paroisses de tailles différentes, organisée à plusieurs degrés sur des critères d’inéligibilité parfois oubliés.
Avec une composition quasi entièrement aristocratique, le Magistrat connait un renouvellement aléatoire. Au XVIII° siècle, le roi nomme directement les remplaçants sur les postes vacants et reconduit les échevins titulaires sans élection, laquelle devait pourtant avoir lieu tous les treize mois.

Lorsqu’il écrit en 1741, de Hoves, qui y appartient depuis deux ans est aux prises avec un « arrière conseil » (les anciens membres) constitué en 1729 et un « conseil » (les échevins en fonctions) élu en 1732.

Échevins d’un jour, échevins toujours

On retrouve dans ces instances une stabilité qui rappelle celle de nos élus qui restent trente ans dans leurs mandats. Plusieurs noms se maintiennent durant des décennies. Certains se retrouveront même dans le conseil municipal du siècle suivant comme si la Révolution n’avait pas existé.

En 1740, le chef du conseil est le sieur Cardon de Rollencourt, écuyer. Les deux procureurs syndics, bras armé du Magistrat, sont des héritiers. Ainsi Evrard, qui succède à son père en 1733, laissera la charge à son fils en 1773. De même, l’ennemi personnel de Hoves, Dervillers, qui remplace son géniteur en 1733, quittera ses fonctions en 1764.

De Hoves, qui n’est pas douaisien, connaît d’innombrables conflits avec ses collègues. Il se fracasse à chaque fois sur l’entente secrète de ses adversaires que soude un intérêt personnel bien compris. On se croirait à Douaizizaglo® .

Les auteurs des « Souvenirs » brossent un portrait du diariste avec une nuance qui aurait été appréciée par Saint Simon : « C’était un esprit remuant, actif, très dévoué au bien public, n’hésitant jamais, qu’il s’agisse d’une fatigue ou même d’un sacrifice d’argent, et avec cela tenant énormément à ses idées, facile et âpre à la critique, trop enclin à prendre des commérages pour la vérité mais la rencontrant parfois à force de chercher.
Il paraît avoir été assez peu instruit. Il a des idées très arrêtées sur tout avec lesquelles il ne transige jamais, ce qui le rend intolérant pour l’opinion d’autrui.
Enfin, tout en se proclamant l’ami de la liberté du commerce, il est, sans s’en douter, le plus implacable partisan des restrictions, des entraves, pourvu qu’elles ne le gênent pas lui-même.
Avec ses qualités et ses défauts, il était, on le devine, un peu isolé au sein du corps municipal de Douai où, il faut bien le dire, dominait trop la préoccupation des intérêts personnels. Toujours occupé à pousser celui-ci, à retenir celui-là, il était particulièrement en lutte avec le chef du magistrat, Monsieur de Rollencourt et avec Monsieur Devillers l’un des procureurs syndics. »

La crise frumentaire de 1740

Le sujet principal du journal de Hoves concerne la célèbre disette de 1740 qui, à partir de 1738 et jusqu’en 1742, va s’étendre sur une bonne partie du royaume. Plusieurs étés « pourris », c’est à dire pluvieux et, pire encore, des hivers longs et froids, ont réduit les récoltes à peu de chose.
Si on ajoute une épidémie de « grippe pulmonaire » qui assaille la population (dont les enfants sont exempts, tiens, tiens…), le tableau était assez sombre, même si on échappe, heureusement, à une catastrophe du type de celle de 1709 (500 000 morts, soit 3% de la population).

L’impuissance des puissants

A partir de mai 1740, en décalage avec l’ouest du pays touché plus tôt, le prix du blé s’envole. Les péripéties de la lutte du Magistrat tournent autour de l’approvisionnement de la cité qui doit permettre la maîtrise des cours. Il importe moins de sauver la population que de la tenir tranquille. Les « émeutes de la faim » sont pour ces puissants un danger mortel.

Crise furmentaire - table des échevins Douai
On cuisine du choux dans les rues de Paris, les pauvres en mangent les feuilles

Les difficultés tiennent à des facteurs qui sont autant de déterminants intemporels de toute politique locale : complexité des règles, incompréhension des enjeux, incapacité prospective, conflits d’intérêts.
A cette époque et peut être un peu comme aujourd’hui, la réponse des pouvoirs publics est faite de contrôles et de sanctions. On interdit l’exportation des grains, on visite les greniers, on confisque, on punit.  Ces décisions conduisent à réduire encore plus la quantité de céréales sur les marchés. Les prix continuent de grimper.

Qui perd gagne

On tente alors d’acheter aux voisines, Arras et Cambrai, lesquelles se rebiffent, persuadées que Douai accapare à leur détriment. Elles bloquent les transports. Les Artésiens n’hésitent pas, même, à récupérer les blés les armes à la main jusqu’aux portes de la cité. Comme ils piétinent leur « droit d’étape » , les Douaisiens se vengent en supprimant les envois de charbon et de bois qui passent par la Scarpe.

L’autre solution se trouve à l’étranger. On espère acheter du riz ou de l’orge mais surtout pouvoir acquérir du froment en provenance de la Baltique, de l’Angleterre ou même de Méditerranée. On envoie des émissaires à Dunkerque. La difficulté réside dans la volatilité des prix. Quand la « rasière » (160 litres actuels, en gros un « setier » de Paris) vaut 25 livres à Douai, elle y est de moitié dans le port.

Mais la qualité joue alors, comme la possibilité d’une baisse de la valeur après achat. L’envoyé du Magistrat fait du zèle. Il prend 2000 rasières au lieu des 1000 attendues. On lui ordonne de se défaire de l’excédent. Mais les prix ont baissé et ses grains se découvrent de mauvaise qualité. Achetée 32 livres, la cargaison est revendue à 26 livres. La perte est conséquente. On n’a rien inventé avec l’hôpital général.

Ce jeu de hausse et de baisse est d’ailleurs la clé de la crise. On stocke, surtout si on a de quoi se nourrir, sans état d’âme, pour espérer réaliser un bénéfice substantiel. Certains retardent même l’emblavement pour vendre leurs semences à prix fort. Simplement en lâchant leur production en petites quantités, de gros propriétaires, notamment les abbayes, peuvent doubler ou tripler leur mise en quelques jours. Selon l’expression du temps, ce sont des « accapareurs » .

L’intérêt est une valeur sûre

Le Magistrat veut agir mais les caisses sont vides. Il faut emprunter. Tous les échevins, solidaires, garantissent un prêt de 100 000 livres. Ils préfèrent cette solution à une augmentation de l’impôt royal. Il est vrai qu’ils seront remboursés avec intérêt. Alerté, le roi abandonne d’ailleurs une partie de ses ponctions fiscales.

L’intendant, Bidé de la Grandville, intervient ici ou là. Il entretient avec certains membres éminents du Magistrat des liens secrets qui leur permettent de protéger leurs intérêts. Un passeport de la ville étant nécessaire pour en sortir des grains, Dervillers, un des syndics, le sollicite en douce pour faire casser cette décision. Une de ses parentes, « négociante interlope », peut ainsi continuer ses trafics au bénéfice de sa famille… élargie.

Pour autant, pas de conséquences.  L’impunité est totale. De Hoves peut s’insurger, il ne peut rien. Parfois même, à son grand dépit, ses propositions, balayées d’un revers de la main, sont  promptement imposées quand elles sont reprises par d’autres. Ce qui compte, ce n’est pas l’idée, c’est celui qui la présente. Il n’y a pas à dire, on est bien dans un conseil municipal.

La gastronomie politique

Interrompu, le journal de notre échevin ne dit pas comment s’est terminée cette crise frumentaire. Les données historiques prouvent que la situation de Douai, encore fragile l’année suivante, s’est rétablie peu à peu.
Quoi qu’il en soit, nos conseillers ne souffrent pas trop de la crise. Elle permet même, à certains d’entre eux, quelques bénéfices substantiels.
On peut même interroger à la lecture du journal, dans l’action quotidienne du Magistrat, quelles étaient ses priorités. En parallèle de l’approvisionnement de la ville, de Hoves s’étend beaucoup, en cette période de disette, sur les questions gastronomiques qui agitent ses collègues échevins.

Les docteurs régalent

Toutes les occasions étaient bonnes pour profiter d’un bon repas, si possible gratuit. Quand un candidat au doctorat passait son dernier examen, l’usage voulait qu’il invite l’ensemble du Magistrat à un dîner.
Certains impétrants trouvèrent cette dépense excessive. La coutume en souffrit un peu mais les échevins beaucoup plus.
Frustrés, ils marquèrent leur désapprobation en refusant de recevoir les nouveaux docteurs en grande pompe. Une collation très pingre à base de mauvais vin et de pauvres biscuits secs fut donnée. Toute la ville moqua ces patrons si gourmands et si peu généreux.

La cuisine électorale

Ces affaires gastronomiques étaient sérieuses. Depuis la conquête de la Flandre par la France, l’élection du conseil était, comme nous l’avons vue, épisodique.
Les électeurs, les fameux « bourgeois » , étaient peu nombreux rapportés à la population de la ville. Les candidats – choisis parmi les membres du parlement depuis 1716 – cherchaient leur suffrages.
Tous les moyens étaient bons pour y arriver, notamment la bonne chère. Ces désignations passaient par la fourchette, le principe éternel de la cuisine électorale.
Le vote acquis, les élus remerciaient leurs soutiens par un grand banquet dans l’hôtel de ville. L’organisation était une affaire compliquée. Tout se discutait âprement, les plats, les couverts, le vin, etc.

La table des échevins - ville de Douai
Le banquet des échevins, les plats ne sont pas encore arrivés

Des fournisseurs attitrés

Les érudits des « Souvenirs » , reprenant leur source échevinale, résument le sujet : « la ville a bien dans le sieur Dumortier, cafetier, son fournisseur habituel. Ses glaces sont bonnes, son café du plus fin arôme. Ses liqueurs n’ont, à coup sûr, subi aucun mélange de 3/6° de betteraves.
Oui, mais messire Jean-Louis Cardon, seigneur de Rollencourt, chef du magistrat de Douai, avait de bien petites alliances. Il était parent de la femme du sieur Mourette, autre cafetier, et voulait lui procurer cette bonne aubaine de travailler pour le banquet municipal.
Après avoir rompu bien des lances en faveur de leurs candidats, nos bons échevins transigèrent. Au premier, on donna le dessert et le grand surtout du milieu, à l’autre les glaces, le café, les liqueurs. »

Abondance et profusion

Ce fameux banquet pouvait durer deux jours entiers. La puissance du nouveau Magistrat passait par le nombre de plats mis sur la table. Leur succession s’ordonnait autour du «rôt», point culminant des agapes qui se terminaient par des mets sucrés et salés.
Les quantités étaient trop importantes pour être consommées en une seule fois. Comme on ne repartait pas avec un « doggy bag », signe de la libéralité des échevins, les convives pouvaient se faire remplacer par des membres de leur famille. Quand il n’y en avait plus, il y en avait encore et même pour tous les amis.

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On sait que Dubois de Hoves ne fut pas réélu à l’échevinat lors de son renouvellement en 1747 mais l’année suivante, la paroisse Saint Pierre a enregistré une ultime trace de sa présence dans la cité.
Le 23 juin est baptisé un garçon. La mère est une certaine Marguerite Marquette venue de Raimbeaucourt pour accoucher à Douai. Le curé indique, sans donner son prénom, que cet enfant provient « des oeuvres de M….. Dubois d’Hoves, homme marié » , évidemment notre chevalier. Les témoins sont la sage-femme, Marie Thérèse Bodet, et son époux Jacques Joseph Bertoul, les deux sachant signer.
On ignore le destin de cet enfant à l’inverse de son fils légitime décédé à Valenciennes en 1813. Le chevalier de Hoves a disparu lui aussi des archives, enfin pas tout à fait. Ayant quitté Douai à une date imprécise, les sources nous disent qu’il est décédé à Tournai, paroisse Notre-Dame, en janvier 1753.

Boules et patins au Raquet

Patin au raquet à douai

Il est juste temps d’analyser, à la suite de notre article sur le projet séculaire du Raquet, les deux opérations sur lesquelles, faute d’habitants, repose à présent son incertain salut.

Notons une fois de plus que ces machins sont directement sortis du cerveau de notre président candidat. Fi des oppositions et autres appels au bon sens dans une région pauvre où l’argent public est aussi rare que cher.
Si Christian Poiret pense que c’est bon, rien ne peut le faire changer d’avis. C’est la force bien connue du pouvoir absolu. Je dépense donc je suis : « le rayonnement du Douaisis passe par le boulodrome et la patinoire ».

On a un doute. Regardons de près ce qu’il en est.

La réfrigération sauve l’écoquartier

Le second projet est moins avancé que le premier. Peut être sera-t-il encore possible de l’arrêter, sachant que la patinoire coûte en gros le double du boulodrome : 15 millions d’euros.

Comme toujours, le Grand Timonier balaie d’un revers de main les appels à la prudence devant un tel investissement (n’oubliez pas l’apocope habituelle : prononcez « invest’ », autre variante possible : « c’est du cash »).
Il y aura, c’est du futur et pas du conditionnel, de la fréquentation de masse, du patinage artistique et des clubs de hockey, c’est sûr et certain. Payez contribuables, l’intendance suivra.

Relevons – c’est une technique de commercial – que les arguments qui précèdent exposent les facteurs du succès d’une patinoire. Agiter d’emblée les points faibles en les présentant comme des points forts est imparable. C’est un métier.

Il y a en France une « grosse centaine » de patinoires dont la moitié par tradition montagnarde se trouvent dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. L’histoire de ces équipements, « boostés » après les jeux de 1968, est marquée par deux malédictions : le déficit et l’obsolescence.

Il faut avouer que leur bilan carbone transformerait tout climatosceptique en écolo intégriste. La succession infinie des lois européennes sur les gaz de réfrigération le démontre aisément, sans parler des remises à jour onéreuses qui en découlent régulièrement.
Il y a aussi les insuffisances du modèle économique. Où que ce soit, le coût de gestion ne passe jamais sous 700 000 euros annuels. Autrement dit, faute de recettes égales, l’argent public doit toujours équilibrer le budget.

Les patinoires sont à la rencontre de deux logiques. D’abord leur configuration (taille et nombre des pistes, existence de services annexes, capacités d’ouverture) et ensuite leur usage (grand public, clubs, prestations diverses).

Cela revient à dire que la dimension de l’outil commande logiquement le bilan coût avantage. Plus on est gros et diversifié, plus on augmente le chiffre d’affaire mais les charges s’avèrent alors beaucoup plus lourdes. En bon français, on appelle ça une aporie. Il est compliqué d’en sortir.

Si les associations sportives (hockey, danse, patinage…) peuvent apporter une redevance sinon des spectateurs payants, elles occupent des plages horaires qui empêchent le public d’accéder aux installations.
Ses entrées sont pourtant plus rentables que les recettes des clubs, souvent aléatoires. Pour autant, aucune patinoire ne peut survivre sans eux, source indispensable de communication et, accessoirement, d’aides gouvernementales.

Quoi qu’il en soit, il n’existe pas de clubs de glace dans le Douaisis. Si la fonction crée l’organe, il est quand même curieux de devoir débourser 15 millions d’euros pour les rendre possibles. Habituellement, les patinoires sont construites pour répondre aux demandes d’associations existantes et pas le contraire.

Au delà de cette hypothétique création, inutile d’insister sur la complexité du monde du hockey, mauvaise copie en France des modèles d’outre-Atlantique. Il n’est pas rare en effet qu’un vainqueur de la confidentielle « Synerglace Ligue Magnus » se retrouve l’année suivante en dépôt de bilan, sans parler des championnats qui ne peuvent se réunir au complet faute de moyens financiers.

Reste donc, pour équilibrer les comptes de notre futur « éléphant blanc » comme neige, la fréquentation du grand public. Le président répète à l’envi un chiffre de « 70 000 entrées annuelles » gravé dans le marbre à force d’être cité. Ce montant ne correspond pas aux prévisions initiales qui auraient fait, paraît-il, l’impasse sur le public venant du Pas de Calais.

Loin de ce nuage de fumée, plusieurs patinoires adeptes de la transparence présentent des bilans intéressants pour mesurer l’enjeu. Situées dans de grandes agglomérations, leur fréquentation provient à 60% de la métropole et même à 40% du centre-ville. A peine un tiers relève du reste du territoire. On ne fait pas des kilomètres pour faire du patin, c’est un attrait de proximité.

A Brest, chiffres vérifiés dans une métropole prospère qui pèse 140 000 habitants au sein d’une agglomération de grande dimension, la fréquentation de la patinoire a été en 2017 de 80 000 personnes dont 60 000 relevant du grand public.  Dans ce dernier groupe, les scolaires comptaient pour 15000, volume à peu près identique à celui des spectateurs des manifestations sportives.

Plus éclairant encore, la piste bretonne équilibre le produit du public avec celui des clubs, chacun apportant par an environ 300 000 euros au budget. Si on ajoute les recettes annexes (80 000 euros issus de la cafétéria et diverses prestations), ces abondements cumulés ne comblent pas les charges qui approchent du million. Il revient donc à la communauté d’agglomération de compenser le « trou », soit près de 300 000 euros tous les ans

On aura donc tous capté que nous ne sommes pas dans le Breizh qui est autrement géré que notre pays (taux de chômage de 6%, nous c’est 11%), sans clubs à rayonnement national, sans fréquentation sérieusement prévisible.

Conclusion : la patinoire du Raquet va nous coûter bonbon.

Les boules sans les boulistes

Abordons à présent cette idée incongrue de boulodrome, « le plus grand au nord de Paris » et même « le plus grand d’Europe » que le monde entier va nous envier. Là, même si c’est moins cher que la patinoire, nous savons que c’est cuit, va falloir payer.
Quand on passe à côté, les pelleteuses et les toupies fonctionnent à fond. Le béton écologique et le bitume biodégradable recouvrent inexorablement la bonne terre agricole qui elle, pourtant, ne mentait pas.

Dessiné par une agence d’architecture lyonnaise, le bidule est un bâtiment de fortes dimensions : 170 mètres de long pour loger 64 pistes abritées et chauffées, (128 à l’extérieur), 6,50 m de hauteur sous la charpente, tribune de 2 000 places, espaces communs et hall de 8300 m2 . C’est du gros, c’est du lourd. L’idée du président candidat est celle d’une installation énorme dont la fréquentation massive serait la clé du rayonnement du territoire.

La communication mise au service de ce raisonnement n’échappe pas à une certaine contradiction.
En conseil communautaire, le président célèbre la modicité du prix du ticket d’entrée comme celui de la licence (45 euros par an) favorisant l’utilisation du boulodrome par les classes modestes. Il met dans la foulée l’avantage pour les hôtels de la région de recevoir, lors des compétitions nationales sinon internationales, des centaines de joueurs à fort pouvoir d’achat. Il faut choisir…

Par ailleurs, à l’inverse de la patinoire exempte du moindre club sportif, le boulodrome se trouve en concurrence avec une impressionnante diversité d’associations et une étonnante multiplicité de locaux, parfois rénovés depuis peu par les communes.
Si on en croit leurs déclarations, ces équipes locales, y compris celles de Douai, ne sont pas vraiment enthousiastes à intégrer un monstre dans lequel elles devinent sans peine qu’il fonctionnera sans qu’on leur demande leur avis.
On peut aussi subodorer qu’interviennent ici d’autres considérations plus obscures, ainsi les célèbres buvettes qui apportent à ces clubs, au grand dam de nos cafetiers, les moyens d’exister et peut être plus. Cette manne sera confisquée par Douaizizaglo® pour son seul bénéfice.

Quoi qu’il en puisse être, une fois encore, on reste sans voix devant l’absence de la moindre discussion avec ces associations modestes, pour le coup, afin de vérifier leur adhésion au projet. Il n’est pas impossible qu’un boulodrome fonctionne avec des boulistes. Si ces derniers rechignent à l’utiliser, on peut s’interroger sur l’intérêt de sa construction.

Côté gestion, notre président candidat a évoqué un « club résident communautaire » qui sera en charge du site. C’est exactement le choix de Montluçon qui a dysfonctionné rapidement. Le bénévolat qui était à la base du système n’a pu assurer toute l’ouverture souhaitée tandis que les recettes ont été insuffisantes pour équilibrer le budget (30 000 euros) en dépit du soutien de l’agglo qui réglait les factures de viabilisation (eau, électricité, gaz).
Réorganisé, le boulodrome a pu redresser la situation en réduisant l’ouverture hebdomadaire et en allant chercher d’autres bénévoles. Pour autant, la demande des associations est aujourd’hui celle d’un recrutement d’agents payés par la collectivité pour assurer la survie du local.

Beaucoup plus important en taille et en usage, le boulodrome du Raquet devra passer par la case embauche, laquelle comme nous le savons tous, est une charge qu’on installe pour des décennies. Cette dépense sera connue à l’inverse de la plus-value de l’invention qui reste, comme toujours, non mesurable.

Pour conclure, nous avons compris qu’une fois de plus, comme tout ce que nous vend le président de Douaizizaglo®, il faudra passer à la caisse. Enfin, pas la sienne, la notre.
Son esprit fertile en idées ne va pas se tarir. Il lui reste à nous offrir d’autres projets d’exception, plus gros, plus grands. On ne « va rien lâcher » dans la dépense. On peut lui faire confiance.
On imagine la peur au ventre pas mal d’éventualités : une ferme à mille vaches, un Disneyland ou, mieux, un championnat de Formule 1, évidemment à rayonnement international.
Nous les aurons mais peut être pas…

Le Raquet, faut qu’on raque

Lotissements Le Raquet Douai

Douaizizaglo® nous vend de la BNF à tout va, des projets en veux-tu en voilà dont le premier d’entre eux : le mirifique « Ecoquartier Du Raquet » .
Bizarrerie foncière, elle est à la main d’une CAD qui s’assoit allégrement sur les compétences de Douai pour y poser ses idées géniales.

Le Raquet, c’est une zone extraterritoriale.

On nous en rebat les oreilles depuis… 2006. Quinze années de gesticulation et de communication pour quels résultats ? Il est bon de se poser la question mais elle n’est pas vite répondue.

On a une bonne idée

D’abord, examinons le cadre géographique. Le Raquet, c’est au sud de l’agglomération un quartier à cheval sur deux communes, Douai et Sin le Noble, cette dernière accueillant les 2/3 des 166 hectares de cette opération d’envergure séculaire.

Personne ne peut raisonnablement contester l’intérêt d’un programme urbain, surtout quand il vise à répondre d’un seul coup à beaucoup de problèmes.

Nous avions d’abord la dépollution d’une friche industrielle, celle de l’ancienne briqueterie Dupont Delecourt qui s’étendait là sur près de 60 hectares.


Plus ambitieux dans sa conception, la résorption du mitage, conséquence de l’étalement urbain le long de la D643, justifiait qu’une planification rigoureuse y concentre l’habitat.
Enfin, si ces nouveaux logements et leurs occupants pouvaient contrecarrer la baisse de la population de la ville centre, cet objectif pouvait aussi s’accompagner de créations d’entreprises pourvoyeuses d’emplois.

Bref, Le Raquet était une proposition que personne ne pouvait refuser.

On bétonne en vert

Sur ces motivations incontestables, la communication de Douaizizaglo® était teintée de vert. Présenté comme un « écoquartier », ce projet urbain – dont le béton et le bitume mangent pourtant 100 ha de bonnes terres agricoles – ne pouvait faire que du bien. Vitrines du « développement durable », ses constructions devaient « respecter les critères de la haute qualité environnementale et les principes de l’architecture bioclimatique ».

Ce grand chapeau écologique étant posé, la finalité de ce projet pharaonique était encore plus ambitieuse.
Il devait, excusez du peu, constituer la clé du retournement démographique du territoire. L’excès de vocabulaire des origines doit être rappelé. « Le plus grand écoquartier de France » devait accueillir « 4 000 logements individuels et collectifs ». Mieux, selon le SCoT, ce « boom » représenterait à terme « 25 % de la population du Grand Douaisis ».

Florence Bougnoux, l’urbaniste créatrice du schéma directeur (agence Seura), avait mobilisé de belles formules qu’on retrouve encore partout aujourd’hui : « Situé à l’intérieur de la rocade de Douai, prêt à accueillir à terme 12 000 habitants, (le quartier) est aménagé pour lutter contre la péri-urbanisation et rééquilibrer le territoire de la CAD, soumis dans sa partie Nord à la forte attractivité de l’agglomération Lilloise. ».
L’argumentation peut même confiner au sublime avec : « la mise en place d’une mobilité alternative partagée, couplant différents types de modalité, dont le but est de permettre à chacun d’accéder à une plus grande mobilité choisie, dans un process vertueux. ».
On fait grâce au lecteur du lexique étonnant qu’on ne trouve nulle part ailleurs, fait de « noues » , de « merlons paysagers » , de « peuplier rectifié » ou encore de « phyto-remédiation » , autant de mots pour prouver qu’on remet à l’état de nature un espace anthropisé depuis le néolithique.

Nous sommes très loin du compte.

On patine grave

On repère péniblement aujourd’hui un peu moins d’un millier d’habitants dans 150 logements. Il faut d’ailleurs comprendre, dans ce compte incertain, l’opération menée sur la frange de la cité des Epis par l’ANRU au titre du programme national. Cette dernière se serait faite de toutes les façons, écoquartier ou pas.
Quant à la densification qui était l’objectif du projet, elle n’est jamais arrivée.
Les décisions de nos élus, peut être n’avaient-ils pas le choix, a été d’abandonner les habitats collectifs pour passer aux lots individuels directement vendus par une Douaizizaglo® transformée en promoteur.
On aura donc des maisons avec jardin, éventuellement des parcelles vides, lesquelles sont la source bien connue du mitage qu’on souhaitait pourtant combattre.

Côté transports qui étaient une clé du succès du nouveau quartier, on relève que ça patine pas mal.  L’idée était de permettre aux nouveaux habitants, par le biais d’un BHNS en site propre, d’aller à la gare de Douai (30’ de trajet) pour ensuite se rendre à Lille par le TER.
Sans doute les promoteurs de cette idée – qu’ils se gardent bien d’infliger à eux-mêmes – pensaient-ils que les candidats se bousculeraient au Raquet avec un avantage pareil. On ne peut pas vérifier ce pari douteux. Cette nouvelle ligne 4 – qui dépend entièrement de la communauté d’agglomération puisqu’elle gère le SMTD – n’est pas encore réalisée (Mise à jour janvier 2022 : la gratuité l’a enfin créée).

Ouh, en v’la des variantes…

Quant aux implantations d’entreprises, il faut noter qu’il s’agit là du fameux Ecopark, transformation du parc forestier prévu à l’origine par la seule volonté du président Poiret, en zone d’activité et d’artisanat.
Cette innovation n’était d’ailleurs pas tout à fait du goût de l’urbaniste si on en croit ses déclarations. On ne lui a sans doute pas laissé le choix même si elle n’avait pas tort car le bilan reste bien maigre.
Si on enregistre certes 340 emplois au Raquet à ce jour, il faut savoir que 300 d’entre eux correspondent à la délocalisation en 2017 des ateliers de l’ESAT du Douaisis. La vingtaine de salariés de la société Tauw récemment implantés là ont quitté un immeuble de Douaizizaglo® de Dorignies pour un immeuble de Douaizizaglo® du Raquet. La création nette reste donc plus que modeste.

Ces résultats médiocres prouvent facilement que le plan était défectueux, un peu comme un tramway devenu bus. Notons qu’ils avaient curieusement le même inventeur.
Créer un nouveau quartier dans un Douaisis qui perd des habitants depuis un demi-siècle, sans coordination avec les communes qui profitent de l’attraction lilloise (Orchies, Coutiche etc.) et, pire, en s’appuyant sur la vente de bâtiments collectifs dont personne ne veut, avait toutes les apparences de la fausse bonne idée.

Elle a évidemment débouché sur une absence de résultat d’assez grande dimension. il n’y a pas aujourd’hui, au Raquet, 15 ans plus tard, 4000 logements accueillant 12000 habitants.

Ouf ! On a des projets !

On dira malgré tout que ces échecs ne sont pas définitifs. Le Raquet accueille de nombreux projets, certes sans lien avec le plan initial, mais qui sont une preuve de dynamisme.

Poussés par la nécessité, on enregistre depuis le début de forts changements de pied de la part des décideurs. Les habitants absents ont été remplacés par des projets qui reposent, comme toujours, sur la solution facile de l’argent public.

On a eu le fameux Sourcéane qui a bien peiné à démarrer comme l’a décrit la cour des comptes en 2016 dans un rapport cinglant (900 000 euros de déficit annuel). Depuis la reprise par la société Récréa d’Herouville Saint Clair, la fréquentation pour ce qu’on peut en savoir semble s’être améliorée. Le renouvellement de la délégation de service public, prévu cette année, permettra peut être d’y voir plus clair.

Nous savons qu’on aura de surcroit sur ces terres inhabitées deux projets de grande ampleur dont les superlatifs répétitifs devraient nous inquiéter.
On aura « le plus grand boulodrome au Nord de Paris », subtilité géographique qui tient compte du monstre de Montluçon et peut être aussi du voisin normand.
On aura enfin une patinoire dont la fréquentation sera parait-il supérieure au « 70000 visiteurs prévus » parce qu’on aurait oublié dans le calcul officiel les rois de la glisse qui viendraient du Pas de Calais. Une étude prévisionnelle tiendrait compte des frontières administratives ? Là, on tremble…

Si ces deux inventions sont payées par nos impôts, on nous assène régulièrement, pour nous convaincre, qu’elles apportent du travail aux entreprises qui les réalisent. Il est vrai que construire, même pour rien, c’est toujours construire. C’est une forme de mouvement perpétuel. Les lois de la mécanique l’interdisent mais les fonds publics le permettent.

Il est utile de lister les sociétés qui interviennent dans ces « grands projets » , ainsi entre autres Jean Lefebvre, Eiffage, Satelec, Francial, Berim, IRH, KIC, Hurban, Atrium, ou encore European Homes. Certaines sont récurrentes, parfois purement locales mais aussi étrangères.
Si on devine facilement leur objet, on apprécierait de savoir exactement ce qu’elles font car si leur bénéfice est un bienfait pour tous, un peu plus de transparence permettrait de le vérifier.

Il faut toujours se méfier des conclusions en forme de …/…

On a de l’argent… public

Loin de la logique de marché, on fait de la subvention via des entreprises en espérant qu’un « ruissellement » profitera au populo. Ces « grands projets » n’ont pas l’objectif d’une rentabilité commerciale, principe assumé par notre président d’agglomération.
Car n’oublions pas d’additionner au coût de construction – mis en avant comme venant de la poche des élus – celui qui pèsera sur tous les contribuables tant que ça durera : le fonctionnement.

L’examen du compte administratif du Raquet, dont le titre pompeux « agrégé au budget principal de budget général » n’aboutit qu’aux grandes masses des dépenses, démontre qu’on y met quand même beaucoup de sous.
En fonctionnement pour les années 2017, 2018 et 2019, on enregistre ainsi successivement : 25,4 millions d’, 21,4 et 21,3. Pour l’investissement, c’est du même ordre : 24,8 millions d’, 31,1 et enfin 32 tout rond.

Devant de tels montants sur seulement trois exercices, plus éclairant, mais là on entre dans le domaine de la science-fiction, serait le calcul des retombées économiques de ces opérations depuis leur lancement en 2006.
Par exemple, la plus-value générée par ces dernières ou, mieux, le produit fiscal des entreprises déménagées avec tant d’efforts, rapporté à la dépense de ces installations.

Quand on examine tout ça, il aurait peut être été plus simple de payer des gens pour qu’ils s’installent dans le centre-ville et faire l’économie de cette débauche de moyens dans une périphérie où Douai est interdite de parole.
Calculé à la louche, pour les logements de l’écoquartier, le bilan coût/habitant représente 30 000 euros par « Raquetien » installé. Pire, ils ne sont même pas contents.

Douai et ses monuments historiques (1/2)

Une façade à Douai conservée devant une reconstruction moderne

Il fut une époque où on ne souciait pas des traces du passé. On avait en ces temps troublés des crises, ainsi des guerres, qui détruisaient villes et campagnes. Quand l’orage était passé, on reconstruisait sans se poser de questions.
Tout au plus, pour des raisons d’économie ou de rares envies de conserver du beau, on intégrait des bouts de vieux dans le neuf. L’évolution d’une cité était une sorte de processus naturel, faiblement maîtrisé par la règle.

Attention danger ! Article de fond !

Plusieurs siècles de destructions

A Douai, le nombre de « beaux bâtiments » disparus est évidemment supérieur à celui des survivants. Tout le monde connaît l’ampleur des dégâts du siège de 1710 et, plus encore celle des effets du « règlement de 1718 ». Il a fait totalement disparaître la ville flamande en imposant partout un « style français » qui, devenu « classique », est d’ailleurs à peu près protégé aujourd’hui.

Passons sur la Révolution qui a démoli sans vergogne une masse étonnante de chefs d’œuvres architecturaux, ainsi la collégiale Saint Amé ou des établissements religieux qui faisaient pourtant la renommée de la ville.

Nous ne nous appesantirons pas sur la disparition complète des fortifications de 1891 à 1895. Ces travaux ont modifié en profondeur l’apparence de la cité en l’ouvrant sur son espace immédiat. Nous avons quand même conservé quelques portes et gagné des boulevards, dernier refuge de nos chères automobiles.

La porte d’Arras éventrée, juste après la démolition des fortifications. A gauche, l’entrée du pont sur les douves, encore visible de nos jours ® www.cparama.com

A leur tour, les méchants alboches n’ont pas hésité en quittant la ville en 1918 à incendier des rues entières. Ce vandalisme s’explique mal sinon par l’envie d’embêter ceux qui étaient en train de les vaincre. 
La reconstruction – payée par les « dommages de guerre » – a permis l’éclosion d’un « art nouveau » que les contemporains aimaient peu mais qui est de  nos jours plébiscité. Il est vrai que les architectes surent alors mélanger l’ancien et le neuf avec une rare subtilité.

L’Hôtel dit « de Calonne », rue de Bellain, incendié par les Allemands en 1918, superbe bâtiment dont il ne reste rien. ® ecpa

On ne peut pas en dire autant du modernisme de l’après guerre quand les maires de l’époque, Canivez ou Fenain, après une reconstruction ratée imposée par l’Etat, se sont mis à démolir sans aucun état d’âme des bâtiments pourtant anciens. On conserverait aujourd’hui mais, à l’époque, ils étaient des fardeaux. Entre autres, il existait rue des Wetz de magnifiques hôtels qui ont été remplacés par des édicules dont l’intérêt patrimonial reste encore à trouver.

Façades XVIII° de la rue des Wetz, dont l’entrée de l’abbaye des Prés au fond, juste avant leur démolition au début des années 70 ® Mémoire de Douai
Bâtiments des années 70 rue des Wetz Douai
Superbe alignement remplaçant ce qui se trouvait au dessus. Innovation, esthétisme, beauté patrimoniale. On a tout.

Nos 46 monuments historiques

Les meilleurs spécialistes de l’histoire douaisienne ne seraient pas tous capables de citer les « monuments historiques » de leur ville. Même si certains mériteraient de l’être et ne le sont pas, il y est vrai qu’il y en a beaucoup, 46 en tout, dont 11 classés – souvent les plus anciens – le reste étant simplement inscrit.

Précisons avant toute chose que le « classement », plutôt national, est devenu rare quand « l’inscription », régionale, apparait plus courante mais moins protectrice que le premier. Le dernier monument « classé » à Douai est le théâtre qui l’a été en 2003.

Parmi nos voisines et concurrentes, Valenciennes fait moins bien que nous avec seulement 36 protections mais nous sommes faibles à côté d’Arras qui en compte 226 dont une immense partie (104) consécutive aux destructions de la Grande Guerre.

De fait, la fameuse liste de 1840 des « monuments historiques » –  la première – n’en donne que quatre dans le Nord quand le Calvados en a alors 23. Il faut attendre 1862 pour les voir apparaître à Douai : le beffroi, évidemment, mais aussi l’hôtel de ville qui le jouxte. Voyons là l’effet d’une époque où – c’était du proto Arkeos – on raffolait d’un médiéval aussi romantique que mythifié.

Évidemment, les deux guerres par leurs destructions ont poussé, juste après, les pouvoirs publics à protéger par précaution ce qui restait encore debout. Cela explique la fréquence des années 20 puis 40.

Enfin, la perception d’un danger pour le patrimoine, après l’iconoclastie des années 50 et 60, a convaincu Jacques Vernier – rendons à ce Douaisien d’adoption ce qui lui revient – de protéger quelques joyaux, aujourd’hui restaurés grâce à lui.

L’important c’est de durer

Si les dates de décision des protections sont intéressantes pour la prise de conscience qu’elles révèlent de la part des décideurs, plus opératoire reste toutefois leur période de construction pour comprendre ce qui a « fait monument » dans leur tête. Le compte n’est pas toujours facile quand certains bâtiments – ainsi Saint Pierre – sont un mélange de plusieurs époques.

Pour autant, grosso modo, en ordre de grandeur, le XVIII° siècle, en bonne logique de l’histoire douaisienne, se taille la part du lion avec 16 inscriptions / classements. Dans ce compte, par simplification, la place du Marché aux poissons où chaque maison est classée individuellement (la plupart en 1971) a été rassemblée en une seule unité. Viennent ensuite le médiéval avec 8 protections, le XVII° et le XIX° avec 5 puis 4.

Arrivent enfin les trois décisions concernant des bâtiments du XX° siècle qu’il convient de détailler.

D’abord le fameux magasin de la rue Bellegambe avec sa forme si particulière (1972). Ensuite l’hippodrome dont la colonnade palladienne ne manque pas de grandeur (1981) et enfin le magnifique ensemble industriel des Textiles de Douai, à Frais-Marais, œuvre de Voilery (2001).

Ancienne filature les textiles de Douai monuments historiques inscrits
intérieur ancienne filature les textiles de douai

De fait, un « monument » le devient s’il parvient à dépasser la zone dangereuse du mépris que toutes les périodes architecturales ont connue. Il serait maintenant difficile de détruire un bâtiment du XVIII° siècle qu’on liquidait sans problème un siècle après leur construction, voire même au delà.
Si aujourd’hui on commence à respecter les œuvres du XIX° siècle, certaines, comme le montre la situation de l’église St Jacques, n’échappent pas encore au risque de leur disparition.
Plus originale, notre région possède le privilège d’être pionnière dans la conservation des bâtiments industriels contemporains. Cette avant-garde est évidemment liée à notre passé glorieux. Selon la formule de Victor Hugo, « en mesurant le gros orteil, on mesure le géant » . Conserver des traces architecturales offre parfois aux habitants une fierté que le présent donne peu.

Les raisons d’une conservation

Cette vision a évolué tout au long du XIX° siècle. Le monument historique, facteur de cohésion sociale, est dévenu un marqueur d’identité, témoin que se passent les générations entre elles.
La lecture régulière de l’intéressante page des « Flâneries en Douaisis » le prouve inlassablement. Une bonne part des commentaires sont des souvenirs dans lesquels les auteurs s’identifient aux lieux présentés.
Cette culture du monument, individuelle et collective, est d’ailleurs la plus démocratique qui soit. Loin d’être réservé à une élite privilégiée, le patrimoine est un bien commun offert à l’appréciation de tous. Il suffit de le contempler pour en profiter sachant que sa conservation procède d’un double miracle : la force de la loi qui protège et la grâce de l’impôt qui restaure.

Pour sacrifier au dogme religieux actuel sans lequel aucun discours n’est aujourd’hui possible, les monuments historiques constituent aussi un élément du développement durable en renforçant la qualité du cadre de vie. On dira en effet qu’il est plus agréable de vivre dans un lieu au bâti exceptionnel plutôt que dans une zone industrielle ou une cité d’urgence.

Ensuite, la caractéristique propre d’un monument historique justifie un classement décidé « du point de vue de l’histoire ou de l’art au nom de l’intérêt public ».  Ce concept peut d’ailleurs susciter des débats. Qu’est ce qui est « beau » ? Qu’est ce qui est « digne d’être conservé  » ? Qu’est ce que « l’intérêt public » ?

On remarque à Douai que certaines maisons privées sont protégées et pas d’autres qui pourtant leur ressemblent beaucoup. On imagine assez l’action d’un architecte dit « des monuments historiques » qui, à un moment donné, pour une raison précise, a appuyé cette décision. Il n’est pas toujours évident de réunir ces deux facteurs.

Car l’esthétique est une appréciation subjective, comme le prouve à son tour la formule de l’inscription d’un monument prise selon « l’intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation ». On peut faire le pari que la beauté de l’usine de Frais-Marais n’est pas appréciée par tout le monde. A l’inverse, de nombreux monuments intéressants ne sont pourtant pas protégés, l’Université par exemple. Le Quartier Caux a attendu 2018 pour être inscrit aux MH, Saint Pierre les années 70.

Comme nous l’avons vu, l’ancienneté intervient aussi, encore qu’elle soit bien difficile à apprécier dans la réalité. A Douai, il n’est pas rare qu’un bâtiment réputé médiéval ait été largement reconstruit au XIX° siècle (La Tramerie, Les « Templiers » et même le beffroi).
A l’inverse, la ville est un palimpseste. Toutes les maisons du centre possèdent des caves ou des superstructures internes plus anciennes que leurs aménagements modernes. Le retournement des toitures du règlement de 1718 n’empêche d’ailleurs pas de deviner les anciennes bâtisses fondues dans une même façade comme le montrent certains endroits du plan relief.

L’intérêt d’un patrimoine

Ville d’histoire, Douai possède un patrimoine monumental conséquent, ce qui permet de s’interroger sur le sens de cette conservation.

Il est d’ailleurs notable que la rareté des débuts, sinon les décisions par périodes, fait place aujourd’hui à une fréquence de protections exactement inverse à celle des rénovations. A Douai, comme la multiplication des édits royaux qui prouve qu’on n’arrivait à rien sur un sujet, plus on inscrit, moins on entretient ou sauve.

Notons les deux pointes des protections, l’après-guerre bien sûr mais surtout la dernière qui correspond aux maisons de la Place du Marché aux Poissons

Cet abandon – n’ayons pas peur des mots – est paradoxal puisque ces décisions légales déclenchent l’aide publique. Pour cette raison, beaucoup de collectivités locales s’appliquent à les obtenir en faisant le pari qu’elles seront aidées financièrement lors des travaux. Le Quartier Caux ou l’Hôpital Général doivent leur inscription, entre autres, aux avantages fiscaux que la loi donne aux opérateurs.

A l’inverse, beaucoup de propriétaires privés perçoivent ces protections comme une calamité. Si l’État peut subventionner leurs restaurations – à degrés variables – ils ne peuvent plus disposer de leur bien à leur guise. Quand on y réfléchit, cet impératif de préservation s’avère une intrusion étonnante dans le droit de propriété. En France, 43% des monuments historiques sont possédés par des personnes privées.

Il existe même des situations où la disparition d’un patrimoine découle d’un excès d’exigence. A l’inverse de beaucoup de nos voisins européens plus souples, nous sommes dans une logique très française où se télescopent le coût – plus lourd quand on doit respecter l’apparence originale – et l’impossibilité de prendre quelques libertés avec une rénovation pour la faciliter.

Cette rigidité est d’autant plus curieuse qu’une restauration est toujours le produit de l’air du temps. Les exigences de nos services des monuments historiques ont varié. On acceptait le ciment sur les façades des Capucins dans les années 50. L’aspect actuel de l’Hôtel d’Aoust, très « daté » , découle d’une violence esthétique typique des années 80. De nos jours, on tente un peu plus la nuance et le retour aux matériaux d’origine mais comme le veut la Charte de Venise, on ne revient jamais à un supposé état initial.

Tout le monde connaît l’histoire ébouriffante du beffroi de Bergues, classé en 1840, mais détruit en 1944 par nos habituels touristes en feldgrau. L’impossibilité de trouver un compromis entre les désirs des monuments historiques et la pingrerie municipale a conduit au déclassement du bâtiment pour que la ville puisse, à coup de béton, le reconstruire. Les différences entre l’original et la médiocre copie ne sont pas perçues par les touristes mais le plus amusant reste quand même le reclassement de ce pastiche en 2004 pour qu’il puisse satisfaire aux critères de l’Unesco.

Le paradoxe patrimonial

Devant les difficultés d’assumer le coût des protections à répétition pour lesquelles Douai paraît en bonne place, certains architectes évoquent même le « complexe de Noé » pour le qualifier.
Comme un amoureux des chats en abrite chez lui des dizaines sans avoir la capacité de les nourrir tous, créer sans fin des monuments historiques chez soi conduit à ne plus pouvoir les sauver.
Du millier de la liste initiale de 1840, la France est passée à 11000 en 1980. Elle en possède 44000 aujourd’hui. C’est probablement une des clés de l’impuissance municipale actuelle. L’excès de monuments tue le monument historique.

Quoi qu’il en soit, citons en conclusion Auguste Rodin décrivant en son temps la contradiction de toute préservation d’un patrimoine historique : « Oh ! je vous en supplie, au nom de nos ancêtres et dans l’intérêt de nos enfants, ne cassez et ne restaurez plus !
Songez que des générations d’artistes, des siècles d’amour et de pensée aboutissent là, s’expriment là, que ces pierres signifient toute l’âme de notre nation, que vous ne saurez rien de cette âme si vous détruisez ces pierres, qu’elle sera morte, tuée par vous, et que vous aurez du même coup dilapidé la fortune de la patrie, — car les voilà, les vraies pierres précieuses !  » .

Tout le monde est prévenu !

La suite ici

L’église Saint Jacques de Douai

Eglise Saint Jacques Douai

 

Nos beaux et vieux bâtiments… vides (8)

 

Ville historique au riche patrimoine, Douai possède une caractéristique frappante : la présence dans ses rues de nombreux bâtiments anciens, parfois énormes, souvent classés mais… vides.

L’église mal aimée

Une 8° merveille s’ajoute à notre inventaire d’abandons. Monument « mal aimé » , l’église Saint Jacques a rencontré dans son histoire tant de déboires qu’on peut s’inquiéter du sort qui lui sera réservé dans les décennies qui viennent.

Douai, selon la formule d’Alain Lottin, a connu elle aussi, comme Lille, sous l’Ancien Régime, « l’invasion conventuelle » qui a accompagné la régénération du catholicisme contre la Réforme aux marches de l’Empire.

Offices, confréries, processions, dévotions rythment la vie des croyants – c’est à dire toute la population – tandis que les séminaires, les collèges, les fondations charitables se multiplient dans la cité. Nous avons parfois oublié la localisation de tous ces refuges monastiques mais l’un d’entre eux, le fameux Constantin de Marchiennes, est aujourd’hui notre Palais de justice.

Quant aux églises paroissiales, Douai en comptait six en tout. Saint Jacques, alors située place Carnot, desservait la « Neuville » , quartier excentré. A l’origine de style gothique, menaçant ruine, le bâtiment avait été largement reconstruit au XVII° siècle. Mais, comme la plupart des édifices religieux – ainsi la collégiale St Amé – vendu comme bien national à la Révolution, il a été démoli pour en récupérer les matériaux.

Une chapelle devenue église

Après le Concordat et la restauration du culte catholique dans le pays, les deux seules églises douaisiennes sauvées, Notre-Dame et Saint Pierre, apparaissent insuffisantes pour les besoins de la population. La plupart des bâtiments religieux d’avant 1789 ayant été détruits ou vendus, on ne trouve pour répondre à cette demande que la chapelle du couvent des Récollets anglais de la rue Sainte Catherine.

Protégé par sa fonction de fabrique de salpêtre, ce modeste édifice resté à peu près intact fera provisoirement l’affaire. Consacrée en mars 1803, la nouvelle église prend le nom de St Jacques en remplacement de la précédente.

Installés à Douai en 1618, les Récollets anglais (qui sont en fait des Franciscains) avaient établi peu après leur couvent avec une petite chapelle attenante. Reconstruite en 1706 en style classique, sa transformation en église paroissiale s’avère compliquée. Outre sa taille et l’absence de dégagement sur la rue, un conflit de propriété – qui va durer plus de 50 ans – oppose la ville aux fondations anglaises restaurées dans leurs droits et qui réclament la restitution de leur bien.

Comme souvent, on bricole. On règle à ces dernières un loyer jusqu’au moment où on se décide enfin à acheter le bâtiment pour permettre son agrandissement.

Saint Jacques en 1846 avant l’agrandissement (lithographie de J. Mortreux)

Un pastiche XVIII° siècle

Avec plus de 8000 paroissiens dans ce quartier, cette solution provisoire ne pouvait plus durer. En juillet 1851, à l’initiative du curé de la paroisse, Vrambout, la commune achète la chapelle, prélude au lancement d’un chantier d’agrandissement qui démarre aussitôt. Les travaux sont rondement menés – peut être trop – et, dès 1855, l’inauguration donne l’occasion d’une fête magnifique que président tous les saints et prélats de la région.

Les plans du nouveau bâtiment sont l’œuvre d’Alexandre Grigny, architecte du diocèse d’Arras, autodidacte passionné d’archéologie, ancien compagnon du tour de France. Il ne prend pas le parti d’une époque où triomphait le néogothique cher à Viollet-le-Duc. Il choisit au contraire d’épouser le style de la chapelle originelle au point que certains critiques parleront même de « pastiche XVIII° siècle » pour qualifier sa construction.

Grigny conserve la basilique originelle, son vaisseau central et ses bas-côtés. Il se contente de l’agrandir au fond en ajoutant des transepts et un dôme au dessus de la croisée. Pour finir, à l’extrémité, une chapelle absidiale est surmontée d’un curieux campanile dont l’élévation joue sur la réduction des étages, carrés puis hexagonaux.

L’appareil extérieur est plus banal, fait de pierre calcaire pour les encadrements et de briques pour les murs. Seul, le porche d’entrée sur la rue – une copie évidente du Gésu de Rome – est ouvragé avec ses pilastres et sa niche centrale où a été installée sans trop de proportions une statue de Saint Jacques. Il y a probablement eu avant l’agrandissement de 1855 des modifications de cette façade à son niveau supérieur. Les pierres ont beaucoup moins résisté aux attaques du temps.

L’intérieur est d’une facture classique qui ne manque pas de grandeur. On y perçoit des soupçons de baroque par la largeur de la nef, l’importance des voutes ou encore la hauteur du dôme. Mme Camescasse qui n’aimait pas cette église en disait qu’elle n’avait rien de « remarquable » et que sa statuaire était d’un « goût douteux » .

Il est vrai que son joyau n’est pas sa décoration mais son grand-orgue, offert en 1880 par de riches paroissiens dont on aimerait connaître le nom. Fabriqué en Belgique par Schyven, sa décoration, inachevée, a été complétée en 1902. Malheureusement, durant la Grande Guerre, comme les autres instruments de Douai, les occupants allemands ont pillé la quasi totalité des tuyaux pour en récupérer l’étain. Sa reconstruction en 1924 se fera à l’économie, le zinc remplaçant ce métal onéreux.

La recherche d’une légitimation

Il faut évoquer les deux traits qui visaient à donner à cette chapelle puis église, sans doute pour la rendre plus légitime aux yeux de ses paroissiens, les vieilles traditions religieuses que la Révolution avait interrompues.

Compte tenu de sa dédicace à Saint Jacques le Majeur, l’église originelle présentait aux fidèles depuis le Moyen-Age une de ses reliques – une arcade sourcilière – lors de cérémonies. A partir d’Arras, les restes du saint avaient été dispersés dans plusieurs lieux,  Aire sur la Lys, Boulogne et enfin Douai. Installé dans la nouvelle église, oublié de tous, l’objet sacré – qui n’était plus l’original mais un don arrageois de 1862 – y fut retrouvé en 2012 avant d’être déménagé dans la collégiale Saint-Pierre.

Enfin et surtout, l’église Saint Jacques récupéra dès sa consécration en 1803 la célébration du « saint Sacrement de Miracle » qui était depuis le XIII° siècle la plus remarquable expression de foi de Douai. En 1254, dans la nef de la collégiale St Amé, une hostie trouvée sur le sol, ramassée par un prêtre horrifié de la trouver là, suscita de nombreuses visions de la part de l’assistance. Selon un chroniqueur, « en l’espace d’une heure, on voyait ordinairement le Sauveur sous différentes formes. Les uns l’ont vu étendu sur la croix, d’autres venant juger les hommes. Plusieurs, et c’est le plus grand nombre, le virent sous la forme d’un enfant. »

Cette tradition fut restaurée pour le plus grand bénéfice de la paroisse, héritière de la collégiale millénaire avec sa confrérie et sa procession pascale, éléments de légitimation face à ses concurrentes, Notre-Dame et Saint-Pierre.

Désintérêt et oubli

Cette ferveur fut malheureusement inopérante pour répondre aux problèmes que présenta rapidement un bâtiment qui ne reçut jamais, il faut bien l’avouer, un très grand intérêt de la part des pouvoirs publics.

Ainsi, la restauration indispensable de l’orgue ne fut pas mise en œuvre en dépit de nombreuses tentatives.  Plus grave, l’entretien fut peu à la hauteur des désordres qui se déclarèrent dans le gros œuvre assez rapidement. Comme souvent, la dépense empêcha de l’engager. Cette inaction coupable aggrava les dégâts qui réclamèrent dès lors des budgets de plus en plus importants pour être arrêtés.

En 1998, la chute de morceaux de plâtre des plafonds prouvait l’instabilité du bâti. Une étude de la structure menée par les monuments historiques – elle est inscrite depuis 1994 – diagnostiqua l’affaissement du dôme et son possible effondrement. Interdite au culte l’année suivante, en dépit d’un étayage conséquent de ses quatre voûtes, l’église est définitivement fermée au public en 2008. Depuis, Saint-Jacques est un vaisseau vide, sans fidèles, sans messe, sans avenir.

Le pignon menace…

On reste sur sa faim quant à l’origine de ces problèmes de structure. Des défauts de construction ont souvent été évoqués. On a aussi mis en cause la qualité des matériaux. Le calcaire d’Avesnes s’effrite à l’air libre mais cette « lèpre » est d’abord le fait d’algues microscopiques qui prospèrent faute de protection. A l’abri de l’humidité, la pierre est résistante. Nul doute que les infiltrations provenant des toitures ont joué – et continuent à jouer – un rôle non négligeable dans cette dégradation.

A quoi sert un monument ?

Après vingt ans d’abandon, peu de signes encourageants apparaissent à l’horizon. Le maire qui exprimait sur ce dossier sa « perplexité » , envisageait deux options. La démolition de la partie problématique ou sa fermeture, ces solutions engageant, selon lui, des dépenses égales. Il était donc urgent de ne rien faire.

L’église étant classée et la commune propriétaire, il serait possible de mettre la municipalité en demeure de la restaurer puisqu’elle doit par la loi la préserver. On répondra que l’étayage – qui fête ses vingt ans – la maintient intacte et que, pour 2021, la rénovation du porche sera réalisée (Note : mars 2023, toujours rien…) . On comprend les impératifs de sécurité pour les passants ou l’amélioration esthétique de la rue mais chacun sait que toute rénovation partielle éloigne encore la perspective d’une reprise complète d’un bâtiment en péril.

Avec la disparition de la pratique religieuse et l’appauvrissement de la ville, la restauration de l’église Saint Jacques est probablement aujourd’hui un horizon inatteignable.

Pourquoi vouloir maintenir en état des vieux bâtiments qui obèrent le budget communal alors qu’ils ne servent à rien ? Pourquoi s’acharner à protéger un patrimoine quand nos élus préfèrent construire des parcs d’attraction en forme de musée, des boulodromes, des planétariums ? Pourquoi vouloir restaurer un lieu de culte alors qu’il existe tant de bâtiments dans la ville qui mériteraient des travaux de rénovation, ainsi, , , , , , et

Tout cela permet de s’interroger sur la fonction d’un « monument » , sujet essentiel sur lequel nous reviendrons dans un autre billet.

Il parait peu probable qu’il puisse survenir dans les années proches un renouveau catholique poussant les Douaisiens à soutenir en masse l’église menacée. Il parait ainsi difficile d’envisager une coûteuse rénovation qui ne conduirait qu’une dizaine de fidèles à fréquenter la messe chaque semaine. Trouver à Saint Jacques une autre utilité est de bon sens.

On peut aussi envisager sa démolition, certes interdite par la loi, mais qui serait possible dès l’instant où, sans aucune intervention humaine mais seulement le temps qui passe, l’effondrement du dôme devenait une réalité. Nous aurions à n’en pas douter un beau terrain en plein centre ville pour y construire des logements sociaux.

Un peu d’imagination ?

Douai Vox® ose néanmoins des propositions alternatives, comme un exercice théorique qui n’aura jamais, telle que nous connaissons notre ville, la moindre chance de voir le jour. Faisons le pour la beauté du geste. Les paroles s’envolent, les écrits restent…

On peut déjà utiliser les vieux moyens bien connus, mobilisés en partie par l’admirable et méritante association des « Amis de Saint Jacques » : monter une campagne de dons associée à la mise en demeure de l’Etat de sauver le bâtiment. C’est ce qui a été tenté depuis 2003. Perspectives de réussite : faibles…

On peut ensuite tenter le « crowdfunding » déjà mis en place dans de nombreux endroits. Ainsi recourir aux merveilleux d’Artagnans si célèbres déjà. Cette plateforme française créée par deux transfuges de la Skema permet aux citoyens de préserver le patrimoine en devenant co-propriétaires par leurs dons. Il faut juste s’inscrire sur le site.

On peut solliciter le programme de Stéphane Bern pour faire genre, passer à la télé et, mieux que Biden, voir la « première dame » venir à Douai inaugurer le tout. Le loto organisé lors de la journée européenne du patrimoine affecte le produit des paris à des projets de restauration. Il faut juste monter le dossier.

On peut enfin, après l’indispensable « décret d’exécration » pris par le diocèse, mettre en place diverses solutions modernes et habiles d’utilisation de ce bâtiment. On laissera de côté la possibilité de transformation en fabrique de salpêtre pour en retenir quelques unes :

1-En tout bien, tout honneur, l’exemple de l’église St Louis, le « phare de Tourcoing » qui, après avoir failli disparaître, est devenue un espace de formation et plein d’autres choses encore. Comme quoi, quand on veut, on peut.

2-A Poitiers, la chapelle du Gésu édifiée en 1852 a connu une transformation majestueuse, devenue restaurant et hôtel uniques au centre de la ville en 2012. Tiens, c’est quasiment le même âge que l’agrandissement de Saint Jacques.

3-A Nantes, une autre chapelle, encore une fois jésuite, construite de 1854 à 1858 a été désacralisée et vendue en 2006 pour devenir un espace de « coworking » . « Sixtine » est un lieu d’échanges, d’animations et aussi d’interactions entre les esprits créatifs de l’entrepreneuriat, de la recherche, de l’art et des idées.

4-En Espagne, dans les Asturies minières qui sont le Nord Pas de Calais du pays, une église centenaire, abandonnée depuis des années, a été transformée en Skate Park. Grâce une levée de dons en ligne et le parrainage de Red Bull, le bâtiment a retrouvé toute sa santé et une certaine fréquentation.

5-Aux Pays-Bas, à Maastricht (prononcez Masse Trique), une chapelle du XIII° siècle a été transformée en librairie en 2006. Elle reçoit chaque année… 700 000 visiteurs qui ont à leur disposition des livres neufs et d’occasion, des CD et même des vinyls. On peut y boire un coup et y organiser des évènements. Ah ces Bataves, trop malins !

Sous 40 000 habitants, t’as plus rien

Rapport Cour des Comptes Douai 2020

La lecture des rapports de la Cour régionale des Comptes est un exercice auquel devrait se livrer tout électeur. On y trouve des informations sur des sujets dont on ne parle jamais. Malheureusement, selon l’expression locale, ils « n’intéressent personne ».

Une bonne lecture

Evidemment, il faut, comme on dit, « entrer dedans » et oser affronter le jargon juridique, sinon comptable, de nos magistrats. On peut aussi regretter qu’au delà de ces difficultés de lecture, certaines dérives – toujours présentées avec une mesure qui en limite les effets – n’aient jamais la moindre conséquence pour personne.

A lire au plus tôt !

En décembre 2020, la Cour des Comptes a publié un excellent rapport sur la gestion de notre commune. Il n’a reçu aucune publicité. On y découvre pourtant de tout, du bon et du mauvais, mais surtout des hypothèses qui permettent d’avoir une idée sur ce qui nous attend dans les années futures.

On perd du monde

Il y a une grande diversité de sujets, notamment financiers, dans ce document mais concentrons nous sur l’évolution de notre population dont la baisse continue depuis 1968 – son point haut à 49000 habitants – prouve l’étendue du déclin.
La Cour des Comptes retient en « population légale » au 1er janvier 2020, le chiffre de 40 605 Douaisiens. Signalons que nous avons été sauvés par le décret de 2019 lequel, réformant les vieilles et utiles dispositions de 1969, met à présent dans le grand tout la masse des « sans domicile fixe » auparavant comptés à part.

Pour comprendre l’intérêt du nouveau mode de comptage, l’INSEE met dans cette catégorie les personnes qui utilisent un service d’hébergement ou un lieu non prévu pour l’habitation. Cela concerne les « migrants » relativement courants à présent dans Douai mais aussi toute la population sans domicile qui se concentre dans la ville pour y trouver de l’aide.

Quoi qu’il en soit, passés sous la barre des 40 000, nous expérimenterons, pointées dans le rapport, toute une série de conséquences négatives qu’il convient de résumer ici.

On perd avec des conséquences

D’abord un effet budgétaire selon la Cour des Comptes qui considère la baisse régulière de la population de 1% par an comme inéluctable. Elle pointe pour cette raison la dégradation probable de la capacité d’autofinancement (CAF), c’est à dire la réduction de l’excédent de dépenses par rapport aux recettes, notamment fiscales.

Avec une « CAF » tombée à 5,3 millions en 2023 par l’effet de la perte des habitants, la commune sera dans l’obligation d’emprunter (21 millions) pour assurer plus de la moitié des dépenses d’équipements prévues (48 millions). Actuellement de 3,7 – ce qui est rassurant – le ratio d’endettement passerait alors à 8,6 années (durée de remboursement si toutes les recettes y sont consacrées), s’approchant du seuil d’alerte de 12 ans fixé par l’Etat.

La solution des magistrats est banale : adapter les dépenses de fonctionnement et d’équipement aux capacités financières des prochaines années, donc les réduire. Ils n’envisagent pas l’autre possibilité, la hausse probable des taxes pour ceux qui les paient, mouvement qui ne conduira évidemment pas, comme nous l’avons déjà présenté, à renverser la vapeur démographique, bien au contraire.

On perd des emplois

L’autre conséquence dont on ne parle jamais sera plus administrative. Il existe en France toutes sortes de règles qui dépendent du niveau de la population communale. Très sage, l’Etat souhaite éviter qu’un petit village ne rémunère ses agents comme pourrait le faire une grande métropole. L’idée est aussi, sur cette même logique, de limiter le nombre des fonctionnaires municipaux.

Passée sous le seuil fatidique des 40 000, « la commune ne serait plus en capacité de recruter certains cadres d’emplois d’encadrement supérieur », c’est à dire des administrateurs territoriaux, des ingénieurs en chef, des conservateurs du patrimoine et des bibliothèques, etc.
La Cour ne précise pas les conséquences en termes de rémunération pour ces cadres qui seront en voie de raréfaction. Rappelons les : quand un directeur général des services (9° échelon) reçoit un salaire brut de 4554 euros dans une commune de plus de 40 000 habitants, ce dernier passe à 3889 euros dans la strate inférieure. Il suffit de calculer la différence sur une année…

On agit, on y croit

La rapport aborde les moyens mis en œuvre pour « attirer de nouveaux Douaisiens » et donc conjurer ces dangers.

Les magistrats notent sobrement que « cet objectif n’a pas, pour l’instant, été atteint ». Il est vrai que les 42 411 habitants en 2016 sont à comparer aux 40 605 actuels, soit une perte de 2000 personnes en dépit de la modification des contours de la population légale. Au doigt mouillé à la douaisienne, la perte est sans doute en réalité de plus de 4000 habitants.

La réponse de « l’ordonnateur » apparait dans la ligne habituelle, mélange de déni et d’aveu masqués sous l’amphigouri. Il indique en effet que « la diminution tendancielle de la population est ancienne et qu’elle s’est accélérée ces dernières années ».  Si la formule reconnait que le déclin vient de loin, le phénomène n’a pas été freiné durant les six années écoulées.

On n’y comprend pas grand chose

Plus intéressantes sont les mesures prises par la municipalité, telles qu’elle les présente aux magistrats qui ne sont pas, comme nous le savons, les électeurs, ni d’ailleurs les contribuables. On a droit, c’est de bonne guerre, à la mise en avant du fameux programme « Cœur de ville ». Pour autant, cette merveille est considérée comme « récente » – sous entendu : sans effets – car elle a « nécessité au préalable, la constitution d’un patrimoine foncier ».

Dans la foulée, le maire reste optimiste. Il déclare qu’à « partir de remontées d’informations de terrain (…) des résultats positifs commencent à apparaître ». Nous passerons sur la valeur statistique de cette affirmation et cela d’autant plus que quelques paragraphes plus loin les magistrats pointent la maîtrise du sujet par l’Hôtel de Ville : « Lors du contrôle, la commune a indiqué ne pas disposer d’étude, ni d’évaluation des retombées de ses projets d’investissement sur son attractivité ».

Devant ce constat peu rassurant, arrive aussitôt la solution miracle en forme de promesse dont on se demande pourquoi on ne l’a pas mise en œuvre tout de suite et qui d’ailleurs est loin de l’être : « Enfin, la commune envisage de créer, au sein de sa direction de l’urbanisme, une cellule de pilotage chargée du suivi des projets de promotion immobilière et de la valorisation de ses terrains ».

On fait des trucs quand même

Reste ensuite la botte secrète, le projet phare qui rachète toutes les fautes. Le maire cite « une opération de réhabilitation d’une grande enseigne commerciale régionale en centre-ville, qui aurait vu son chiffre d’affaires augmenter » . S’il serait excessif de critiquer cette réussite, qui a certes englouti beaucoup de sous publics, mais qui s’avère un succès commercial, on a quand même du mal à saisir le lien entre le déménagement du Furet avec l’évolution démographique de la ville.

Peut être qu’un amoureux des livres ou un adepte des matériels de bureau pourraient être poussés, après leurs achats, à s’installer dans la ville pour profiter de la proximité de ce magasin.

Dès lors, dans la même logique, il aurait été bon de citer la réussite flagrante du « Prévost » qui, comme le Furet, amène, n’en doutons pas, de nombreux habitants à Douai. Après un bon repas, il est certain qu’un habitant de Lauwin-Planque foncerait acheter une maison à côté pour s’y rendre tous les jours… à pieds.

Par contre, beaucoup plus évident quant à un éventuel impact sur le phénomène, « l’ordonnateur » cite « l’acquisition d’une ancienne caserne militaire (cf le quartier Caux) par un groupe spécialisé en matière de rénovation du patrimoine classé pour en faire de l’habitat » . On reconnaîtra que cette proposition est de bon sens. Reste à savoir quand même combien seront ces nouveaux Douaisiens et surtout quel en sera le profil social.

On pose des habitants à tout prix

Car il est possible de craindre que cette volonté de peuplement – vitale pour tout ce que nous avons exposé plus haut – ne se traduise par du n’importe quoi. L’évolution de la démographie douaisienne est évidemment un phénomène complexe – séculaire – qui ne peut se résoudre par quelques mesures bâclées.

Nous sommes devant deux futurs :

Le premier est un rêve. Une équipe soudée et dynamique, à l’écoute des citoyens, assume la baisse démographique pour la transformer en avantage. On libère des espaces, on détruit les logements insalubres, on restructure les cités périphériques. Le gel de la construction de logements sociaux et la réduction de cette offre déclenchent mécaniquement leur étalement dans les communes des alentours.
La baisse des taxes, vigoureuse pour faire passer la ville sous les taux des voisines, attire de nouveaux habitants comme de nouvelles entreprises, si possible à forte valeur ajoutée. Cette action est couplée avec le renforcement de l’offre scolaire et universitaire de la ville, sous-employée et sous-valorisée.
On fait enfin partout la promotion de la ville, mais pour ne pas mentir, on répond concrètement aux défis qu’elle connait depuis des décennies : l’esthétique immobilière, l’insécurité, la propreté, l’accès au centre-ville.

La seconde est un cauchemar. Une municipalité à la dérive tire à hue et à dia entre l’écologie punitive et l’incohérence économique.
Les décisions, qui relèvent de la pensée magique, ne reposent jamais sur une étude serrée de leur bilan coût/avantage.
inaccessibles sinon à pied, les commerces disparaissent. Les taxes flambent, ce qui pousse les taxés à fuir. Les valeurs immobilières s’effondrent.
Terrorisés par la vacance accélérée des logements, les édiles « font du social » pour les occuper à tout prix. Des centres d’hébergement où se bousculent « migrants » et « SDF » sont multipliés un peu partout, notamment en centre-ville.
Au bout de quelques années, Douai, après avoir perdu son palais de justice, le siège de son école des Mines et un bout de sa fac de Droit, compte 30000 habitants, relevant pour plus des 3/4 des minimas sociaux.
Aux abois, le maire réclame le classement de toute la cité, devenue un centre social à ciel ouvert, en politique de la ville

Besoin d’une idée ?

Idée évoquée voilà plus de deux ans par Douai Vox, une société française qui doit être abonnée à cet excellent site, propose aux actifs fatigués de la vie dans la capitale une solution intelligente d’exfiltration.
Une « start up » , Laou, propose de prendre tout en mains et de faciliter l’atterrissage des amoureux de la province pour son calme et son faible coût de la vie.
Mais pourquoi nos décideurs ne prennent-ils pas contact avec eux pour installer un bureau à Douai ?

Nos lecteurs ont du talent

Mairie de Douai - nos lecteurs ont du talent

Il arrive que nos lecteurs déposent des commentaires sur les pages du blog. Celui-ci a attiré notre attention pour sa qualité ainsi que pour la poésie qu’il dégage.

Nous remercions chaleureusement notre anonyme d’avoir accepté que nous publions son texte qui présente des analyses frappées au coin de l’Histoire quant au salut de notre ville.

On y trouve aussi et surtout une foi dans l’avenir qui réchauffe le cœur. En ce moment, on en a bien besoin.

« Plus sérieusement et pour revenir au sujet, vous dites que que vous ne souhaitez pas que Douai subisse le sort de Denain ou Bruay… »
Mais toutes les villes du Bassin Minier ont subi un traumatisme pareil à celui de ces villes.

Dans les années 70, quand on arrivait à Denain, on passait devant Usinor. Monstrueuse usine, toute de bruits et de fureur dont les fours crachaient des flammes qui éclairaient les nuits. Cet endroit grouillait de vies d’ouvriers qui transmettaient leur savoir et leur fierté de père en fils.
Puis en entant dans Denain, sur la gauche, il y avait Fives/Cail qui travaillait en sous traitance pour Usinor et les Houillères. Puis il y avait la fosse Renard. Et à droite, ce très vieux coron dont Zola se serait, parait-il, inspiré quand il a écrit Germinal.
Tout ça a disparu en peu de temps. Dans la violence du désespoir. Et Denain a sombré dans la misère. Cette ville se relève peu à peu. Grâce à la communauté du Hainaut. Et aussi d’un tramway qui joue son rôle structurant du territoire. Puisse notre réseau de bus en faire de même sur le Douaisis.

Douai aussi a subi ce traumatisme. Mais moins violemment.

Nous avons perdu Bréguet, quasiment Arbel. Et surtout les HBNPC. Et la nuée de sous-traitants qui ont péri dans son sillage. Dans les grands bureaux de la Direction Générale, rue des Minimes, œuvraient des dizaines d’ingénieurs (tous les cadres supérieurs avaient grade d’ingénieur) et d’employés à fort pouvoir d’achat. Charles Fenain, maire de Douai, était salarié par les HBNPC.

La disparition de ces emplois a eu un impact considérable sur le commerce et l’immobilier. Renault et l’Imprimerie nationale n’ont compensé ces pertes que très partiellement.

Mais il y a aussi la disparition des mineurs et, peu à peu, des retraités mineurs et de leurs veuves. Ils vivaient dans ces cités posées à la périphérie de la ville. La Clochette, Dorignies, Frais Marais. Elles étaient pleine de vie avec leurs commerces, leurs associations.

Cette paupérisation de la ville que vous soulignez, c’est là qu’on la trouve principalement. Là où, par facilité, on entasse des misères.

Je suis douaisien de naissance et j’aime ma ville. Je sais ses qualités, ses richesses, ses promesses mais aussi ses défauts, ses manques et ses laideurs. Je n’aime pas ce dénigrement systématique qui en est fait. Je ne reconnais pas ma ville dans ces critiques trop « appuyées » et politiquement orientées.

La ville a besoin de renouveau, d’un coup de fouet. Mais ce ne sera pas, comme le suggèrent certains, en recopiant le passé qu’on avancera. Et c’est moins encore en se battant pour quelques misérables places de stationnement que l’on changera les choses.

La Ville recèle un potentiel artistique, l’Hippodrome, les Gayants, le Musée de la Chartreuse, l’Ecole d’Art, le Jeune Orchestre, la Chorale des Mineurs, etc. qui pourraient être mis en valeur et mieux exploités.

Douai n’est pas mort, Douai ne se meurt pas. Loin s’en faut. »

Merci cher anonyme.

Résultats du sondage sur la piétonnisation

résultats sondage piétonnisation douai rue de Bellain

Il convient, la campagne sondagière de Douai Vox à présent terminée, de présenter à nos fidèles habitués ses intéressants enseignements.

Le lecteur attentif aura remarqué que Douai Vox a adopté pour qualifier cette opération un barbarisme à « double n » quand la mairie a fait plus économique avec un seul « n » . Maintenant, vous savez à qui vous avez affaire : les « contre » parlent de « piétonnisation » quand les « pour » disent « piétonisation ».

Pour nos lecteurs qui se méfient de la littérature, un diaporama avec couleurs et images animées est disponible tout en bas de l’article. Il reprend les traits saillants du sondage. Bon visionnage.

On a fait comment ?

Quelques précisions méthodologiques en préalable, du style de celles que nous aurions aimé avoir de la municipalité quant à l’enquête qu’elle a mise en œuvre après la notre, sans parler du « sondage » de 2015…

Nous avons choisi une solution robuste et pas trop chère (50 euros TTC), non sans quelques imperfections, notamment son utilisation sur smartphone qui a pu apparaître parfois un peu compliquée.

Dans les paramétrages, il était impossible de répondre plus d’une fois ou de retourner en arrière pour éviter quelques dérives. Quoi qu’il en soit, pour augmenter l’audience, nous avons sponsorisé le questionnaire sur Facebook et Instagram.

La cible concernait 15 202 personnes dans un rayon de 12 kilomètres autour de Douai. On compte en fin de campagne 2955 interactions avec 698 entrées sur l’interface du sondage. Sur ce groupe, 451 personnes ont été jusqu’au bout, soit 64,6% de taux d’achèvement. Signe de sa simplicité, près de 79,8% des répondants l’ont réalisé en moins de 5 minutes tandis que 11,5%, peut être des spécialistes des jeux en ligne, rois du joystick, l’ont fait en moins de deux.

Le panel

Si l’utilisation de Facebook limite nécessairement le profil du public, comme le montre la structure par âges des répondants, nous avons constaté le maintien des proportions des avis « pour ou contre » tout au long de la campagne, ce qui confirme la tendance globale du « panel » et donc sa représentativité. Nous aurions aimé approcher du millier mais ne boudons pas un résultat qui reflète assez bien l’état de l’opinion.

Les trois groupes (centre, hors centre, hors ville) sont quasiment à l’équilibre (31,3%, 29,5% et 36,5%). Si on note que 231 femmes ont répondu, les hommes ne sont pas très loin : 220. Signe de l’impact Facebook – qui est un « truc » de vieux selon les jeunes – sur les répondants, 37,3% d’entre eux entrent dans la strate 35-49 ans. Les 18-24 ans sont rares (6,4%) comme les plus de 70 ans (2,7%).

La structure CSP des répondants est plus originale quand on la compare avec celle de la ville que nous donne l’INSEE. Ainsi, pour notre sondage, les cadres sont les plus nombreux à répondre (23,9%) mais ils ne représentent à Douai que 6,7% de sa population. Les professions intermédiaires sont à 21,7% (INSEE 11,1%) et les employés à 14,4% (INSEE 16%). Si 5,1% des ouvriers ont participé, ils sont 13,9% dans la ville. 11,3% des retraités en ont fait de même alors qu’ils sont 23% à Douai. La seule catégorie identique, du sondage à l’INSEE, est celle des agriculteurs : 0%.

De là à penser qu’une part importante de notre population, de fait la plus modeste, échappe, comme aux élections, au droit et au pouvoir de parler, il n’y a qu’un pas.

La question qui tue

L’objectif était de mesurer l’adhésion reçue par la piétonnisation pour la relier au profil des répondants, tout en se projetant sur leurs attentes en terme de commerces dans le centre-ville. Après tout, que souhaitent les Douaisiens et les non-Douaisiens sur ce point ? Il était bon d’avoir quelques indices.

D’emblée, la connaissance du projet est forte puisque seulement 23,1% des répondants n’en ont jamais entendu parler. On note l’importance des réseaux sociaux (36,2%) dans la source d’information en espérant qu’elle renvoie en partie à la communication de la commune quand elle utilise ce canal.  

Malheureusement, on peut en douter car 79% des répondants n’ont jamais, ni participé à une démarche, ni été sollicités pour donner leur avis sur le sujet.  Notons que seuls 11% ont répondu à un sondage, 10% ont assisté à une réunion et à peine 6% sont allés dans un atelier organisé par la commune. Trois héros sur 451 ont d’ailleurs participé aux trois options. Saluons un engagement civique peut être lié à leur statut municipal.

Nous avions pris le parti de dissocier la question de l’embellissement de celle de la piétonnisation pour apporter une nuance sur ces deux points.

On en déduit que les Douaisiens et assimilés trouvent ces rues bien laides si on en juge par l’écrasante majorité – 85,1% – qui souhaite une rénovation matérielle de l’axe Madeleine-Bellain. Cette adhésion massive pose d’ailleurs problème puisqu’elle ne pourrait qu’occasionner les travaux que les opposants au projet perçoivent comme un empêchement aux accès de la clientèle.

Réponse globalement négative

Cœur du débat et déficit flagrant de la part de la mairie qui s’est bien gardée d’envisager la possibilité d’un refus, nous avons demandé aux sondés leur avis sur la piétonnisation sur le mode « d’accord/pas d’accord ».

Les réponses apparaissent très partagées avec un léger avantage pour les « pas d’accord » avec 48,6% opposés aux 44,3% « d’accord », sachant que 7,1% sont sans opinion.

Il faut évidemment croiser ces résultats avec l’origine géographique. Partant du principe qu’habiter en centre-ville ou dans une commune limitrophe peut jouer un rôle important dans l’avis, nous avons proposé cette nuance.

Les résultats confirment l’intuition que nous avons tous, à savoir que les habitants du centre – qui peuvent venir à pied dans les rues commerçantes – sont plutôt pour la piétonnisation (51%) tandis que les « extérieurs », sans doute conscients des freins au stationnement sinon à l’accès au centre en automobile que va représenter ce projet, sont globalement contre (52% pour les autres quartiers et 53% dans les communes limitrophes).

Un autre croisement est indispensable, celui du profil des répondants. Notons que les dames sont majoritairement contre (56%, pour 36%) quand les hommes sont pour (52%, contre 40%). Même clivage sur le statut socio-professionnel. Les cadres sont d’accord à 51% (contre 41%), les professions intermédiaires et les artisans sont contre respectivement à 52% (pour, 43%) et 50% (pour, 36%). Les ouvriers sont en équilibre parfait.

La question sur les usages de mobilité, pour employer la novlangue à la mode, permet des découvertes amusantes. 44 vélocipédistes déclarés (7,8% des répondants) sont les rares bénéficiaires des travaux cyclables visant à sortir la voiture de la ville. Ce sont de plus des ingrats car sur les 200 personnes qui soutiennent la piétonnisation, on ne compte que 12 adeptes de la petite reine. Tout ça pour ça…

Des motivations nuancées

Plus intéressantes encore sont les motivations des avis. Il s’agissait de propositions fermées, ce qui n’exclut pas la possibilité d’autres arguments pour autant limitée. Ce qui est évident c’est que les opposants sont plus nets dans leurs choix que les partisans de la piétonnisation.

Pour ces derniers, deux raisons  sont majoritairement évoquées : l’accélération de la fermeture des commerces (35,9%) et l’inaccessibilité du centre-ville (38,5%), les deux étant évidemment liés.

La dispersion est plus grande pour les fervents de la marche à pied mais aussi plus subtile. Avec 34,4%, la première conséquence favorable serait l’implantation de nouveaux commerces. Viennent ensuite l’attraction touristique (22,4%) et la réduction de la pollution (21,2%). A noter le curieux succès (12,5%) de l’augmentation du chiffre d’affaire des commerces, diamétralement opposée à l’argument principal des anti-piétonnisation.

On veut des marques !

Sur les attentes commerciales, le sondage est particulièrement intéressant même s’il est indispensable de le mettre en perspective du profil global des répondants. La demande est unanime en magasins de vêtements qui disparaissent peu à peu ainsi qu’en restaurants peu nombreux dans le centre. Une contradiction apparait entre la soif des « grandes enseignes » et son contraire, les commerces indépendants aux confins de l’artisanat.

Pour les marques, informations qui pourraient plaire aux aménageurs de centre-ville et autres managers de commerces de détail, H & M comme Zara sont plébiscitées. D’autres aussi en moindre proportion mais cette floraison d’enseignes expressément citées donne une idée de l’attente de l’opinion sur ce champ.

Il n’était pas demandé aux participants d’indiquer les commerces qu’ils ne souhaitaient pas dans la ville mais comme beaucoup l’ont spontanément indiqué, on peut l’évoquer. Deux types d’offres sont rejetés, les « kebabs » et les « fastfood » dont Douai est effectivement saturé tout en étant un marqueur bien connu de paupérisation.

On se retrouve dans deux ans

Pour conclure, quelques enseignements et une morale.

D’abord que la ville apparait une fois encore particulièrement fracturée. Elle l’est politiquement, socialement mais tout autant dans les attentes envers un renouveau du centre-ville. Le projet de piétionnisation est un nouveau catalyseur de ses contradictions profondes.

Ensuite, on ne peut que regretter que la municipalité n’ait pas tenté, avant de se lancer, de mieux connaître avis et attentes de l’opinion, y compris au delà de la ville sachant, comme nous l’avons déjà exposé, que Douai ne peut se dynamiser sans l’apport essentiel d’une clientèle extérieure. Il est impossible de laisser le centre-ville à l’appréciation de ses seuls habitants.

Enfin, comment ne pas s’inquiéter de la brume qui entoure les motivations de ce projet séculaire ? Envisage-t-il, comme l’indiquent certains répondants, le renouvellement de l’offre commerciale par disparition de l’ancienne ? Est-il mis en oeuvre dans l’espoir de susciter, au delà de nos murs, l’intérêt de clients extérieurs comme aux beaux jours des années 70 ? S’agit-il simplement d’embellir une rue mais surtout d’y interdire la bagnole ?

On ne le saura pas. Ce qu’on sait, ainsi que le prouve ce sondage, c’est que ce projet possède toutes les apparences d’un pari. On peut espérer que ses conséquences soient positives. On peut craindre qu’elles soient négatives. Des études ou des enquêtes dignes de ce nom auraient permis d’éclairer cette question, simplement en mesurant par exemple les effets des travaux de la rue de la Mairie sur l’activité des commerces qui s’y trouvent.

En ne comptant que les habitants de Douai qui ont répondu au sondage, l’exact équilibre entre les « pour » et les « contre » (127 contre 128) mérite l’attention de la municipalité. Placée devant ce verre à moitié plein, elle peut en déduire que son projet recueille l’assentiment de la population. Mais regardant en même temps sa moitié vide, elle ne peut tenir pour rien l’hostilité évidente d’une part aussi importante de l’opinion. En gros, paradoxe amusant, le partisan du projet est un homme CSP+ habitant le centre-ville. Pas sûr, qu’il soit l’électeur d’un maire socialo-communiste…

Prenons date. Nous verrons dans deux ans minimum (un an est un vœu pieux en ces temps de crise sanitaire) quel sera à l’issue des travaux l’état de nos magasins.
Dans le brouillard qui noie ce dossier dans la célébrissime « pensée magique » , nous sommes certains d’une chose. Pensons au général Joffre qui, lorsqu’on lui demandait s’il était l’inventeur de la bataille de la Marne, répondait : « je ne sais pas qui l’a gagnée mais je sais qui l’aurait perdue » . Nous aussi nous le saurons. C’est déjà ça.

Triste campagne

triste campagne municipales à Douai

Un coup pour rien

La création de Douai Vox, comme chacun sait, a d’abord été motivée par les enjeux de la campagne des municipales.

L’idée était d’offrir un espace de réflexions sur la situation de la ville, avec l’espérance qu’il découlerait de ces débats, sinon de ces polémiques, un meilleur pour la cité.

Le repérage dans les programmes des candidats, de gauche à droite, des idées douaivoxiennes, nous a ravis. Peut être s’agissait-il de simples coïncidences mais il était amusant d’imaginer que notre site puisse unir des personnalités de tout bord sans qu’elles n’osent le dire ou, mieux, sans qu’elles ne s’en rendent compte.

Tout cela était promesse d’espérance et prémices d’un avenir radieux. On n’a pas été déçus.

On se bouscule au portillon

La floraison des candidatures a été étonnante. Six listes quand même. On a même frôlé les sept. On aurait pu en avoir dix.

Tenons pour positive cette envie qui a pris tout ce monde là de prendre en mains les destinées de la ville.  A l’inverse des voisines concurrentes, Douai n’a pas de parrain qui, vidant consciencieusement le marigot, a tué toute opposition. D’une certaine façon, cette diversité était un signe de bonne santé démocratique.

Comme l’a fait remarquer une candidate qui se reconnaîtra – non, ce n’est pas la dame LREM qui n’est pas LREM – on avait en effet plus de 200 personnes prêtes à jouer un rôle aux confins du bénévolat durant six ans pour le bonheur de leurs concitoyens. Il est bien dommage de ne pas réunir toutes ces bonnes volontés pour leur confier le pilotage de la ville.

Sans doute le bilan médiocre du maire est-il la source de cette envie qui a pris tant de gens à vouloir sauver la baraque.

Il est presque risible, disons le tout de suite, que cette émulation positive ait de fait conduit Frédéric Chéreau à être réélu. L’éparpillement des voix, sur un fond de crise sanitaire, l’a évidemment conduit à passer en tête – la fameuse prime au sortant – tandis que la quadrangulaire qui s’annonce apparait malheureusement la certitude de son succès.

Des candidats divers et variés

S’ils étaient nombreux, les candidats ont été inégalement audibles. Certains ont démarré tardivement leur campagne au risque de ne jamais être connus quand d’autres se sont lancés très tôt au risque de s’épuiser.

De même, quelques uns, le maire sortant en premier lieu, se sont contentés du service minimum. Dans ce dernier cas, puisque nous connaissons à présent le résultat du premier tour, on peut vérifier qu’il n’y a aucune correspondance entre l’énergie exprimée, les sous dépensés et le résultat obtenu.

Hors Frédéric Chéreau personnalité dotée de son seul mandat de maire, aucun « leader » national ni même régional n’a pris le risque de se présenter à Douai. La ville, on s’en doutait, est incertaine. Nos élus locaux professionnels n’ont pas été assez fous pour tenter l’aventure. On les comprend un peu.

Nous avons donc eu à choisir un maire parmi des inconnus, souvent jeunes. L’âge a d’ailleurs constitué un sujet pour beaucoup de commentateurs, persuadés qu’il suffit de mettre à la tête d’une ville des trentenaires pour que par magie elle sorte de son marasme.

C’est bien compliqué la comm’ électorale

Pour tout notable douaisien, impliqué à de nombreux niveaux, il est toujours possible d’accéder à de l’information électorale par son réseau d’amis.

Il peut aussi s’alimenter éventuellement par la fameuse PQR (VDN et Observateur du Douaisis) qui parlent de politique entre deux ouvertures de friteries et quelques faits divers.

A part ça, c’est la misère. On se demande comment s’informe l’électeur douaisien quand il ne lit pas ces deux organes à l’audience forcément limitée. C’est pire s’il ne trouve pas dans sa boite aux lettres les tracts des candidats et encore plus terrible s’il n’est pas branché sur leurs réseaux sociaux.

Dans ce dernier cas, prendre ces pages de propagande pour une source universelle d’information fait sourire. On aimerait connaître le taux de présence des électeurs douaisiens sur ces pages, qui d’ailleurs « bloquent » ou « bannissent » sans répit leurs contradicteurs. Facebook c’est tout sauf la vraie vie.

Comme l’absence de « poids lourd » politique dans la campagne, on ne peut que s’étonner de l’indigence médiatique d’une ville qui, entrée à présent dans un profond déclin démographique,  dépasse tout de même encore 30 000 habitants.

Au final, à Douai, l’ignorance, fille du désintérêt, a été la règle. Testez votre voisin. Amusez vous à lui demander s’il connaît le nom des candidats et, plus technique encore, quels partis ils représentent. Vous ne serez pas déçus.

On a parlé de tout…

Les thèmes abordés ont été variés, c’est le moins qu’on puisse dire, avec toutefois l’accent mis sur quelques priorités, presque banales.

Nous compterons pour rien, en dépit de leur force, des refrains exprimés comme des mantras à tout bout de champ, les « Douai, Douai, Douai » semés ici ou là, sur tous les supports possibles. Nous n’étions pas loin des réflexes des supporters de football, comme le prouvent les attributs habituels – écharpes, chapeaux, intolérance envers l’équipe adverse – qui accompagnaient ces cris d’amour.

Plus rationnelle, il y a eu dans les premiers temps une obsession écologiste, à coup d’un vélo obligatoire que les candidats n’enfourchent pourtant jamais sauf pour la photo. C’est toujours bon pour les autres. On a même eu droit au concept totalitaire de « l ‘écologie intégrale » qui, comme le bronzage du même nom, ne protège rien ni personne du zèle vert.

Ensuite, la sécurité a beaucoup agité la campagne avec des épisodes tordants quand la dame gouvernementale a épinglé notre sortant sur l’inexistence d’un centre de supervision des caméras de la ville. A sa mode habituelle, celle du menteur comme un arracheur de dent, notre édile a soutenu mordicus qu’il y en avait un avant que son absence ne le jette dans la confusion.

Commerce et circulation ont été eux aussi abordés par les candidats car tout le monde fait le lien à Douai entre les deux. Le plan fou verniérien, séquelle du « tramway », est la cause principale de l’agonie de nos magasins de centre ville. Pour autant, soumis aux dogmes écolos, les candidats ont rarement proposé de le liquider.

Les commerces, à Douai, c’est comme le Rotary ou le Lions Club. De multiples chapelles se créent au gré des fâcheries et des luttes d’intérêt. Peu de ces entrepreneurs sont d’ailleurs électeurs à Douai, ce qui est déjà une bonne différenciation. Il y a aussi les pro Chéreau et les antis.

On a découvert avec la crise le schisme qui partage ceux qui disposent d’un local municipal (gratuit pendant le confinement) et ceux qui sont livrés à la dure loi de la location qui ne fait aucun cadeau. On peut ajouter dans cet univers impitoyable, les PV distribués inégalement sur les commerçants selon des critères aussi obscurs qu’inavouables.

Mais pas de ce qui fâche

Enfin, ce qui a encore plus frappé l’observateur pas forcément du Douaisis, c’est l’évitement des sujets qui fâchent.

Personne n’a remis sur le tapis le dossier de l’hôpital général, en rade depuis… 2014, dont les initiés savent qu’ils ne sont pas prêts de voir le « Mirabeau » enfin réceptionné. On a bien eu, sortie du chapeau de la campagne, une solution miracle pour une caserne Caux qui sera, à n’en pas douter, un sujet de discussion dans la décennie qui vient.

Il y a probablement un lien avec ce qui précède quand on considère le silence étonnant sur le fonctionnement de Douaizizaglo. Bien rares sont les candidats qui ont levé l’étendard de la révolte contre son président tout puissant.

Si Frédéric Chéreau l’a bien tenté au début, les rétorsions financières d’un conseil communautaire totalement à la main du « seigneur de Lauwin-Planque » l’ont vite poussé à se taire. Les explications du maire justifiant dans les journaux la « passion » du président quant à ses dossiers valaient leur poids de subvention.

Seul, dans ce silence, un candidat, ancien patron de Norevie, a osé critiquer le fonctionnement d’une CAD qui donne au maire d’une commune de 1600 habitants – sur liste unique à 380 voix – allié à toutes les petites communes périphériques, le pouvoir de dicter sa loi à la grosse ville sans laquelle il ne serait rien.

La maladie de la ville n’existe pas ?

Enfin, et surtout, on reste sur sa faim quant aux critiques qui auraient du marquer la campagne, c’est à dire le bilan terrible du maire sortant.

C’était pourtant du billard quand on considère l’ensemble des indicateurs passés au rouge durant son mandat. Comme une anguille, notre édile a réussi, avare de paroles, à échapper au pilonnage de ses adversaires.

On pourra d’ailleurs tirer une règle d’une stratégie qui doit être enseignée dans les bonnes écoles. L’expression n’est jamais négative. Elle n’avoue aucune erreur passée, ne décrit aucun problème, tout va bien à Douai. La lecture attentive des rares documents produits par Frédéric Chéreau est un exercice où le réel se dissout dans le rêve comme le sucre dans l’eau chaude.

Retenons dans sa dernière livraison saupoudrée de références au Covid, cette affirmation qui pourrait avoir été rédigée par une agence immobilière mais pas par les douaisiens qui acquittent la taxe foncière : « les villes comme Douai ont aujourd’hui la taille idéale : assez petite pour offrir un cadre de vie sécurisant et de qualité, même en cas de contraintes sanitaires ; assez grandes pour proposer beaucoup de services ».

N’en déplaise au maire, le faible intérêt des habitants pour la chose publique, fruit logique de leur paupérisation accélérée, s’est accompagné d’une révélation majeure : Douai est devenue un espace éclaté où les « quartiers » ont pris le pas d’une unité qui a d’ailleurs toujours été fragile.

Livrée au paupérisme qui n’est pas près de s’éteindre, la ville est, comme le disent les géographes, en « peau de léopard », c’est à dire fractionnée en toutes sortes de catégories, de communautés, toutes devenues les proies d’un clientélisme à peine caché.

C’est ainsi qu’il faut lire le résultat du premier tour où celui qui tient la subvention passe en tête des suffrages quand les autres se répartissent au gré d’intérêts particuliers. C’est aujourd’hui, menace à peine voilée, la loi des minorités qui dicte les choix des électeurs. Gare au candidat qui n’y sacrifie pas.

Le Covid 19 en apothéose

Pour conclure cette revue électorale peu souriante, associons à la maladie sociale la maladie vraie. Impossible de passer sous silence les conditions du scrutin du premier tour. Des « gestes barrière » au gel hydroalcoolique en passant par les masques encore rares (mais parait-il alors inutiles), les circonstances n’ont pas poussé les gens à se déplacer dans les bureaux de vote.

Notre ville, déjà peu active lors des scrutins électoraux passés (à peine 50% de participation en 2014 et 39% aux législatives de 2017), s’est retrouvée le soir du 15 mars avec un score de 70% d’abstentions.

Pour autant, il faut pas croire que la crise sanitaire ait conduit à des résultats qui auraient été radicalement différents en temps normal. Nous avons eu un sondage grandeur nature des rapports de force locaux, simplement un peu biaisés par cette crise.

Le Covid à certainement poussé les personnes âgées à moins se déplacer au détriment de la Droite, ainsi les LR de Thierry Tesson, mais d’autres raisons plus profondes expliquent la faiblesse d’expression des catégories sociales de plus en plus exclues de la vie publique. Les scores décevants de Francois Guiffard, très impliqué dans les « quartiers », ainsi que ceux de Thibaud François (RN) habituellement forts dans ces territoires, confirment la profondeur de notre délabrement social.

Une certitude dans ces résultats : Douai qui sera peut être Denain demain l’est déjà un peu.

Passons rapidement sur le délai qui a conduit le second tour à être organisé trois mois après le premier. Le confinement qui interdisait à tout le monde de parler donnait au sortant une prime diabolique puisqu’il était aux affaires.

Si les grincheux dont nous sommes considèrent que le suivi de la crise n’a pas été extraordinaire comparé à d’autres, nul doute que la présence à la tête de la ville a constitué pour notre maire une position inespérée dans laquelle propagande et gestion se sont confondues au quotidien.

Il nous reste à présent à avaler des résultats de second tour que peu de Douaisiens auraient envisagés voilà six mois. Restons toutefois positifs. Il reste aux citoyens le droit de parole et le devoir d’une surveillance morale.

Nous regarderons de près l’évolution démographique de la ville, son état économique, la valorisation de son patrimoine, le dynamisme de ses commerces, le nombre de bateaux sur la Scarpe et surtout l’état de nos impôts.

Douai Vox sera sur les rangs autant que possible. Six ans à passer, p…. six ans !

Ah vraiment, triste campagne pour un coup pour rien !

Un tramway nommé délire (2)

tramway de Douai, l'arche de feu

Sujet qui a marqué l’histoire de notre ville, l’installation du « tramway » réclame une description. Le dossier est lourd. Il sera donc découpé en feuilleton.

Un si mauvais travail (2/3)

Après avoir analysé les principes qui ont conduit notre communauté d’agglomération à se lancer dans la construction d’un « tramway », il convient à présent d’examiner les conditions de sa réalisation.

Notre source sera ici presque unique. Il s’agit du rapport de la Cour Régionale des Comptes (CRC) sobrement intitulé « Syndicat Mixte des Transports du Douaisis » publié en novembre 2013. La lecture de ce document, certes un peu ancien, si on accepte de s’y plonger, apporte un éclairage étonnant sur cette catastrophe industrielle.

Grands et petits, les manquements de toutes natures, du début à la fin du processus, laissent pantois par leur nombre, leur gravité et évidemment leurs conséquences. Faisons ici œuvre de vulgarisation en résumant en quelques courts chapitres ce rapport qui, s’il fait honneur à notre magistrature, n’a eu aucun effet sur rien, ni personne.

Le statut illégal du SMTD

D’emblée, la CRC soulève un premier sujet, celui du statut juridique du SMTD, rien que cela, et de la confusion étonnante, illégale, de l’autorité organisatrice de transport urbain (AOTU) avec le service public industriel et commercial (SPIC) représenté par le SMTD. C’est à dire en gros, le mélange de ceux qui décident avec ceux qui font fonctionner le truc.

La CAD a ainsi choisi, dans un ensemble bizarre, de constituer une régie directe qui n’est ni un EPIC (établissement public industriel et commercial), ni une régie autonome. Il aurait sans doute fallu créer un EPCI (établissement public de coopération intercommunale), petite inversion de lettre qui change tout. Curieusement, les pilotes se sont bien gardés de le faire.

En apparence, vu de loin, cela ne paraît pas grave sinon par la dissociation absurde entre la gestion budgétaire ou celle du personnel que seul le DGS de la CAD pouvait assurer, et qui étaient étrangères au patron du SMTD.

Il y a une autre conséquence bien repérée par le magistrat, la confusion des budgets. Si la collectivité doit en posséder un en propre, celui d’un service de transport doit être dissocié pour qu’on y comprenne quelque chose. La régie directe permet d’éviter que ce soit le cas en mettant ces choses dans le grand tout de la communauté d’agglomération dans lequel il est difficile d’y retrouver ses petits.

Des comptes au doigt mouillé

Comme il se doit, la CRC s’intéresse aux comptes. Cet examen n’est pas très favorable quand elle observe le taux d’exécution. Il témoigne habituellement de la réalité de la dépense. Celle de 2010 interpelle car elle était à 16% quand la recette se montait à 19%.

Le juge soupçonne que cette bizarrerie n’est pas fortuite. Elle permet d’éviter d’afficher un déficit (ainsi en 2008 et 2009) qui aurait immédiatement déclenché un contrôle budgétaire aux conséquences radicales. Peut-être, pour notre bien à tous, que la chimère aurait été tuée dans l’œuf.

Par ailleurs, la précision des additions reste à améliorer.  On note des subventions indiquées mais non obtenues (une différence de rien du tout : 4,5 millions) le tout sur un principe de recettes qui n’existent pas ou peu car la subvention – en fait l’impôt ou la taxe – est le mode le plus courant de financement du SMTD.

En effet, comme aujourd’hui, la participation des communes est très faible, le prix des tickets peu élevé, sans parler de la surreprésentation des transports scolaires dans l’activité de la société. De là à réclamer la gratuité des transports, comme le défendent certains élus, il n’y a qu’un rail.

Nous avons déjà repéré ici ou là la propension de prendre des décisions au doigt mouillé de la part de nos édiles. Un lecteur pourrait croire qu’on pousse un peu mais quand la Cour elle même le dit, cela prend une autre tournure.

Les rédacteurs s’étonnent ainsi de l’absence de statistiques, d’indicateurs dignes de ce nom. La performance d’un service délivré à coût d’euros pris dans la poche des contribuables est donc inconnue. Le juge s’étrangle quand il constate qu’on ne connaît « ni le nombre total de voyages par catégories de clientèles, ni le taux de fréquentation, ni le nombre de trajet ». Il faudra effectivement attendre 2011 pour savoir enfin le prix de revient au kilomètre mais nous mettons au défi le contribuable de le connaître en 2020.

De l’incompétence à tous les étages

Pointée par les auteurs, la compétence limitée des équipes du SMTD en charge du dossier explique peut être le désastre.

Ainsi, les magistrats relèvent, acides, l’absence d’habilitation du directeur d’exploitation qui n’avait pas les certifications requises. Ni les courriers du Préfet (septembre 2010), ni les mises en demeure de la DREAL (janvier 2012) sous la menace d’une radiation du SMTD du registre des transporteurs routiers, n’ont réussi durant plusieurs années à régler le problème.

De même, ils s’étonnent dans la même ligne de la faiblesse numérique et technique des équipes mises au service du dossier. De 2005 à 2008, ils comptent deux contrôleurs de travaux, deux administratifs, un responsable de la communication, tous remplacés ensuite par un seul ingénieur, de plus débutant. On en arrive à se demander qui, dans ce désert, décidait réellement des destinées d’un dossier aussi important.

Pas étonnant au final qu’on puisse lire cette constatation inquiétante, soit la « formation sommaire en comptabilité publique et droit budgétaire des agents en charge des finances ». La tenue matérielle des comptes en découle sans doute. On en était au SMTD à un système « tout papier » pour un budget dépassant les 100 millions d’euros. Ici ou là, le juge découvre des tableaux « Excel » chargés de suppléer cette étonnante absence de logiciel de gestion financière.

Des arbitrages à la va comme je te pousse

Adopté dès le départ du projet, le principe du tramway ne sera conservé, comme nous le savons tous, que dans cette appellation mensongère qui fait rire tous nos voisins. 

De fait, très vite, notamment après la découverte que l’Etat ne donnerait aucune subvention – l’espoir était d’obtenir 30 à 40 millions d’euros – on décide d’abandonner le principe du double rail pour passer au rail unique mis en place par certaines villes, soit un étrier central dans le sol qui guide et alimente les rames. Quelques semaines plus tard, on l’abandonne à son tour pour le remplacer par un « guidage immatériel » sur pneus supposé moins coûteux. Le système est pourtant futuriste. Des capteurs enfouis dans le sol dirigent les voitures par ordinateur sans intervention du machiniste.

La réalisation de la totalité du projet, les deux axes A et B, était calculée pour un coût de 83 millions d’euros (immatériel) contre 115 (rail unique) De fait, ces prévisions ont été largement et rapidement dépassées. Le réalisé – en 2013 – est monté à 142 millions. Enfin, peut-être, car là, le juge marche sur des œufs. Les mandatements qu’il repère, tous additionnés, donnent selon le mode de calcul de 130 à… 180 millions de dépense réelle.

La première phase jusqu’à Guesnain aurait, d’après ses calculs, un coût global « avoisinant » les 131 millions d’euros. Au final, le magistrat estime que le coût total des deux lignes (A et B) ne sera pas éloigné de 370 millions d’euros. A comparer avec les 83 annoncés…

La conclusion est implacable concernant le choix du mode de guidage. A son grand dam, la CRC déplore n’avoir trouvé aucun plan prévisionnel justifiant le choix stratégique d’une technique immatérielle supposé moins onéreuse que le double puis le simple rail.

Force est de constater que cette décision n’avait aucune motivation objective. Comme les juges le remarquent, cet avantage financier n’ayant jamais pu être sérieusement prouvé, il n’a de fait jamais existé.

On aime beaucoup APTS

Une fois choisi le mode de transport (immatériel et sur pneus), un appel d’offre a été lancé à destination des constructeurs qui, on peut l’imaginer, ne devaient pas être très nombreux compte tenu de ces caractéristiques initiales qui tiennent, comme nous l’avons déjà vu, de l’ornithorynque.

De fait, le marché étant infructueux (décembre 2004), les pilotes font le choix de passer au système plus souple d’offres négociées.

Deux entreprises sont sollicitées : APTS et Siemens. La première est une société néerlandaise à responsabilité limitée, « Advanced Public Transport Systems » (APTS), la seconde n’a pas à être présentée. Basée à Munich, elle est le premier employeur privé d’Allemagne et la plus grande société d’ingénierie européenne.

En mars 2005, la première est choisie selon des principes confus. La petite société triomphe de la grande entreprise pour son écart de prix, ses délais, son esthétique. Gardons les deux premières motivations en mémoire. Elles prennent toute leur saveur dans la réalisation concrète du marché.

D’ailleurs, le juge s’interroge sur la qualité de l’offre négociée, n’hésitant pas à la qualifier de « biaisée ». Il est vrai que nos promoteurs paraissaient beaucoup apprécier la société néerlandaise à travers une inégalité de traitement qui interroge.

Rappelons qu’en 2010, le tribunal administratif de Lille a d’ailleurs donné raison à Siemens qui contestait l’attribution du marché à APTS parce qu’elle avait été basée sur une technologie inexistante. Il faut savourer cette conclusion qui est exactement la définition d’une chimère.

Si les responsables d’APTS, qui n’avait à son actif qu’un unique système de transport (celui d’Eindhoven, abandonné depuis), ont été plusieurs fois reçus à Douai, ce ne fut jamais le cas, effectivement, de ceux de Siemens. Ensuite, tous les retards, manquements de la société hollandaise n’ont donné lieu à aucune mesure de rétorsion de la part du SMTD ainsi une dénonciation du marché.

Pour le respect des délais, la livraison complète était prévue en juillet 2007 mais APTS a bénéficié de plusieurs avenants la repoussant : longueur des bus passée de 18 à 24 mètres, prestations supplémentaires diverses et variées et enfin, c’est un aveu, possibilité de réception des voitures sans guidage immatériel.

La charrue avant les bœufs

Le prototype bivalent avait un problème très français. Il lui fallait deux homologations émanant de deux services pour pouvoir fonctionner. D’abord celui qui gère les véhicules sur pneus et ensuite celui qui s’occupe du guidage immatériel, à savoir le célèbre « service technique des remontées mécaniques et des transports guidés » (STRMTG).

Une entreprise normale aurait d’abord essayé d’obtenir les homologations qui décident de tout avant de commencer quoi que ce soit. La France possédant des critères plus sévères que les Pays-Bas en terme de transport sans conducteur, le préalable absolu, concernant le niveau de sécurité (Safety Integrity Level ou SIL-4), le plus contraignant de tous, était d’y répondre prioritairement. Le plus incroyable, c’est que cette obligation dirimante n’est même pas évoquée dans le marché.

Ces deux homologations s’accompagnaient d’une troisième, relevée par la Cour, celle s’exerçant sur l’infrastructure du réseau, ainsi les ouvrages d’art. Elle est surprise de découvrir que ces travaux ont démarré sans avoir obtenu la moindre certification. Lancés dès 2005, ils sont en effet terminés en 2008 mais ne seront utilisés qu’en 2010, après avoir enfin obtenu une homologation routière manuelle, à défaut d’une homologation immatérielle qui, elle, n’existera jamais.

Dans la réalisation des infrastructures, les dépenses qui correspondaient à des aménagements (trottoirs etc.) dans les communes traversées par le tramway (Dechy, Guesnain, Sin le Noble…), qui devaient en toute légalité payées par ces dernières, ne l’ont jamais été. Lisons le rapport : le SMTD « a financé des travaux ne relevant pas de son patrimoine (…) qu’il a pris soin de ne pas amortir ».

Des protocoles « secrets »

Sous cet ensemble caractérisé par un n’importe quoi incroyable apparut en 2009 un document étonnant, rédigé sur du papier à l’en-tête de la société APTS.

Revêtu des signatures de l’ordonnateur alors en fonction et du président d’APTS, il comporte une mention manuscrite dont l’auteur n’est pas identifié et qui atteste de son caractère secret : «Confidentiel à ne pas transmettre même en interne au SMTD».

Portant sur l’annexe intitulée «schéma de payement» il mentionne la date manuscrite du 7 juillet 2005, soit dix jours après la signature de l’acte d’engagement et la veille de la notification du marché à APTS. Cette date correspond également à celle d’un déplacement de membres du SMTD chez la société APTS.

Il prévoit une allonge de 8,7 millions pour obtenir le niveau de sécurité SIL4 et des délais supplémentaires, accord passé en dehors de tout marché et évidemment hors de tout contrôle de légalité.

Une contrepartie était toutefois prévue. Le SMTD recevrait un intéressement si d’autres villes dans le futur achetaient les fameux véhicules sans chauffeur d’APTS. Il était prévu le nombre de bus (181…) pour une durée de… 10 ans. Pas fous, les Hollandais avaient imposé un plafonnement à 9 millions d’euros. 

Il y a eu une conclusion légale à cet acte illégal. Une transaction a été signée en février 2011 au bénéfice d’APTS qui avait porté ce document auprès des tribunaux. L’arrangement, payé par le SMTD, c’est à dire les contribuables douaisiens, selon la CRC, « s’apparente à un avenant » qui revient à ratifier « une partie non négligeable du protocole secret ».

Une conclusion

Pour le lecteur qui nous a suivi jusqu’au bout, ce dont nous le remercions, il reste à poser la conclusion de cet épisode. Nous verrons dans un autre article la question de la responsabilité des acteurs qui ont été aux manettes de cet accident industriel de grande ampleur.

Pensons toutefois à l’incroyable cheminement qui a vu, sur presque une décennie, un projet d’ampleur quasi séculaire mené dans le plus parfait mépris du devoir d’information envers les citoyens et leurs mandants.

Rappelons ainsi l’absence d’une communication régulière et sincère envers les élus de la communauté d’agglomération. A aucun moment, comme le rappellent les juges, n’ont été expliqués les enjeux et les choix d’un dossier d’une importance pourtant stratégique pour l’avenir du Douaisis.

Avec des outils comptables réduits à leur plus simple expression, l’information de l’assemblée délibérante est toujours restée limitée. La CDC relève toutefois la « rétrospective de l’année précédente et un éclairage sur le budget de l’exercice à voter ». Ces documents faisaient l’impasse sur les engagements pluriannuels, les seuls qui permettaient de comprendre la dimension des engagements. Ce manquement aurait d’ailleurs été un motif d’annulation des comptes mais personne n’a trouvé utile de le soulever.

On remarque le même déficit vers les usagers sinon les contribuables. La lecture des journaux qui retracent le feuilleton du « tramway » est une source bien réduite pour que l’opinion puisse de faire une idée du désastre qui s’est déroulé sous ses yeux alors même que ses conséquences financières étaient lourdes pour son porte-monnaie. Dans cet ensemble, le juge est juste. Il relève qu’une consultation a quand même été lancée en 2011. Mais cette opération n’a été suivie d’aucun effet car il y a eu un « vice de forme » dans sa mise en œuvre…

Pour conclure tout à fait, reprenons une formule des rédacteurs du rapport qui qualifie assez bien le pilotage du dossier. La CRC considère que le choix du procédé technique par le SMTD, mais surtout la façon dont il a géré sa réalisation, ont pris le pas sur « toutes les règles législatives, règlementaires et les principes les plus élémentaires de prudence qui doivent normalement conduire l’action publique ».

Il y a dès lors un mystère de grande ampleur sur un ratage d’une aussi grande dimension. Tenons pour rien les règles de prudence qui ne sont pas toujours l’obsession de nos élus et qui restent complexes à repérer. Mais comment peut-on s’assoir, quand on est une collectivité locale, sur les règles législatives et réglementaires sans que cette légèreté coupable ne puisse donner lieu à aucune conséquence légale ?