La machinerie du moulin des Augustins est en danger, faut-il la sauver ? Vaudrait mieux.
On a tant détruit dans cette ville et on laisse tant dépérir les bras ballants qu’on en arrive à se demander, devant ce nouveau défi patrimonial, ce que vont bien pouvoir faire nos chers élus, capteurs de la manne fiscale qui pourtant peut tout.
Le centre-ville alimente la périphérie
Il vient de loin ce moulin. Son emplacement est unique, avec sa perspective et son aplomb de l’écluse, certes aujourd’hui inactive mais si belle.
Sa sévère façade qui surveille le canal est un jalon de notre histoire urbaine.
Depuis les années 1980, les lieux étaient occupés par les célèbres « Papillons Blancs » , association qui s’est spécialisée depuis plus d’un demi-siècle dans l’accueil des personnes en situation de handicap.
En 2019, les résidents sont partis s’installer au Raquet. Ce déménagement démontre en passant que l’écoquartier est plus souvent le bénéficiaire, au détriment du centre ville, d’un banal transfert d’activité.
Dans le Douaisis, rien ne se crée, tout se transforme.
Un joyau caché au yeux de tous
Depuis cinq ans, ce bâtiment était vide, soumis comme toujours aux assauts des squatteurs et au risque d’incendie.
On peut même y ajouter une activité plus ambigüe, l’urbex, dont un site internet illustre les exploits dans la ville et même plus loin.
Remercions toutefois ces « urbexeurs » locaux qui nous donnent l’occasion de juger de l’état de cette magnifique machinerie un an après le départ de l’association gestionnaire.
Parfaitement conservée comme cela avait été exigé lors de la rénovation du moulin, on se demande ce qui a ensuite empêché de l’exposer aux yeux des citoyens et des touristes.
Il est incroyable que cet aménagement – qui ne demandait qu’à être visité – soit resté inconnu de tous. Nous n’en serions probablement pas aujourd’hui à ramer pour sauver ce qui peut encore l’être.
Car, depuis l’abandon, les dégradations n’ont pas manqué, comme les montrent les récentes photos de la Voix du Nord.
C’est sans doute l’urgence – cette course contre la montre n’a pas concerné la seule machinerie du moulin – qui a poussé le propriétaire Norévie, notre célèbre « dodu dormant » , à se débarrasser de cette « friche » pour parler comme les élus municipaux.
La Scarpe rapportait gros
Il est bien triste d’appliquer à ce bâtiment un terme plutôt destiné aux usines déglinguées dont la région est coutumière.
On peut déjà y opposer la qualité de la rénovation réalisée à une époque qui parait aujourd’hui si lointaine, quand l’énergie et les idées ne manquaient pas du côté du pouvoir local.
C’est aussi et surtout le dernier témoin d’un passé glorieux, celui des céréales et de la farine qui ont juste, excusez du peu, créé la ville.
Chaque citoyen et plus encore les élus, fussent-ils escrologistes « gluten free » , doivent se persuader quand ils contemplent le beffroi, Notre-Dame, Saint-Pierre etc. que si ces bâtiments existent, c’est grâce aux moulins de la Scarpe.
Rappelons ces deux miracles, aucunement divins : d’abord la percée du « Pas de Vitry » qui a donné la force hydraulique nécessaire aux machineries et ensuite le droit d’étape qui a réservé à Douai le commerce des grains de toute la région.
En considérant l’ampleur des taxes collectées – sur les 16 moulins de la ville – on saisit toute la dimension économique de ces activités, très supérieure à celle de la draperie qui, de fait, a peu duré.
Le témoin ultime d’un passé évanoui
Le stockage des grains puis leur transformation ont été, du Moyen-Age jusqu’au XIX° siècle, la clé du rayonnement douaisien.
De fait, la quinzaine de « fariniers » qui tenaient la meunerie locale constituaient une confrérie puissante. Leur taxation, payée en nature au Magistrat, était proportionnelle à la vigueur du courant, d’ailleurs plus importante à l’entrée des eaux qu’à la sortie.
Le Moulin des Augustins, pour cette dernière raison, possède une origine qui remonte très haut.
Elle est plus ancienne que son nom, qui renvoie à l’ordre mendiant installé à côté à la fin du XVI° siècle et qui faisait le pendant avec les Dominicains d’en face.
Un captage en amont – toujours visible – dirigé dans le bâtiment permettait la chute de l’eau qui actionnait la roue et ensuite toute la machinerie.
Le bâtiment actuel est évidemment plus récent. Construit au XIX° siècle, il a été ensuite modernisé, ainsi que le prouvent les installations actuelles.
Ces dernières, pour une grande part, datent des années 1930, ainsi le broyeur de la compagnie chartraine « Teisset-Rose-Brault » dont la rareté patrimoniale a même valu en certains endroits une inscription au titre des monuments historiques.
Pauvre moulin sans protection
Quel pronostic peut-on porter sur l’avenir de cette belle machinerie ?
La communication de la mairie n’annonce rien de bon. On nous sert une sorte de courrier d’attente, de ceux dont l’administration française a le secret.
C’est jouer la montre en espérant l’usure puis l’oubli de l’opinion. Sur un malentendu, ça peut marcher.
Au delà, cette machinerie « ne pourra toutefois pas demeurer en son état d’origine » , le promoteur ayant prévu à cet emplacement l’aménagement de huit logements, c’est bien bête…
Notre responsable de l’urbanisme met en avant l’absence de protection légale qui empêcherait de faire autrement.
La réclamer, comme cela pourrait être l’intérêt de la ville, ne lui vient visiblement pas à l’esprit.
Cette machinerie est donc vouée à disparaitre.
Qui peut croire, quand on connait l’efficacité de notre municipalité, qu’elle puisse être « valorisée » quelque part ? Dans l’église Saint-Jacques ? Dans les salles d’Arkéos ? Au passage Gayant ?
On la mettrait, selon la VDN, « dans les parties communes » mais pas de panique, on prévoit en même temps que « si c’est impossible » elle serait posée dans un autre lieu non précisé dans la ville, c’est à dire nulle part.
Lot de consolation, la roue du moulin serait « conservée » à côté du « local aux déchets » , salut qu’elle doit probablement au tour de force que représenterait son démontage.
Des studios de grand standing rennais ou marseillais
Quant au projet immobilier lui même, on nous donne des détails assez confus, insistant lourdement, comme un nuage de fumée à la Mirabeau, sur les « logements de standing » qui en seraient la clé.
Il est difficile d’attribuer ce critère à la « majorité de T2, et quelques T1 » destinés à la location que nous dévoilent les médias locaux.
On se dit in petto qu’installer dans ces murs « 40 logements » (soit une moyenne par appartement de 50 m2) risque fort de nous donner une bonne vieille concentration d’APL…
© bureauvolant.com
Reste enfin, le profil de l’entreprise qui mène le dossier. Outre de savoir le prix de son achat, il serait utile d’en connaître la dimension, sachant qu’il s’avère bien difficile de trouver quelque part la trace précise de cette « Cassiopée rennaise » .
Élément encore plus brumeux, le panneau d’affichage de l’autorisation d’urbanisme, récemment installé, donne un autre bénéficiaire, une curieuse « SASU Tiembleue » qui parait localisée… à Marseille.
Comprenne qui pourra.
Quant aux architectes, ils viennent de Tourcoing et réhabilitent actuellement l’ancienne église du couvent des Clarisses qui n’est pas sans points communs avec le Moulin des Augustins.
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Pour conclure, on ne peut que saluer l’initiative des Amis de Douai qui tentent d’alerter l’opinion sur cette affaire.
Il existe encore dans cette ville des défenseurs du patrimoine urbain. L’impression de labourer la mer doit les saisir quand ils contemplent l’état de ça, ou ça ou encore ça.
Quand disparaitront ces méritants empêcheurs de tourner en rond, les règles de protection des monuments et des paysages s’envoleront à leur tour au nom d’intérêts obscurs toujours plus importants que les traces du passé.
Alors s’évanouira définitivement la beauté de la ville…
Max aime apprendre mais parle un peu souvent à la première personne. C’est un travers qu’il combat difficilement. Va falloir l’aider. Il adore la Scarpe et l’orgue de St Pierre, surtout les basses.