L’église Saint Jacques de Douai

Eglise Saint Jacques Douai

 

Nos beaux et vieux bâtiments… vides (8)

 

Ville historique au riche patrimoine, Douai possède une caractéristique frappante : la présence dans ses rues de nombreux bâtiments anciens, parfois énormes, souvent classés mais… vides.

L’église mal aimée

Une 8° merveille s’ajoute à notre inventaire d’abandons. Monument « mal aimé » , l’église Saint Jacques a rencontré dans son histoire tant de déboires qu’on peut s’inquiéter du sort qui lui sera réservé dans les décennies qui viennent.

Douai, selon la formule d’Alain Lottin, a connu elle aussi, comme Lille, sous l’Ancien Régime, « l’invasion conventuelle » qui a accompagné la régénération du catholicisme contre la Réforme aux marches de l’Empire.

Offices, confréries, processions, dévotions rythment la vie des croyants – c’est à dire toute la population – tandis que les séminaires, les collèges, les fondations charitables se multiplient dans la cité. Nous avons parfois oublié la localisation de tous ces refuges monastiques mais l’un d’entre eux, le fameux Constantin de Marchiennes, est aujourd’hui notre Palais de justice.

Quant aux églises paroissiales, Douai en comptait six en tout. Saint Jacques, alors située place Carnot, desservait la « Neuville » , quartier excentré. A l’origine de style gothique, menaçant ruine, le bâtiment avait été largement reconstruit au XVII° siècle. Mais, comme la plupart des édifices religieux – ainsi la collégiale St Amé – vendu comme bien national à la Révolution, il a été démoli pour en récupérer les matériaux.

Une chapelle devenue église

Après le Concordat et la restauration du culte catholique dans le pays, les deux seules églises douaisiennes sauvées, Notre-Dame et Saint Pierre, apparaissent insuffisantes pour les besoins de la population. La plupart des bâtiments religieux d’avant 1789 ayant été détruits ou vendus, on ne trouve pour répondre à cette demande que la chapelle du couvent des Récollets anglais de la rue Sainte Catherine.

Protégé par sa fonction de fabrique de salpêtre, ce modeste édifice resté à peu près intact fera provisoirement l’affaire. Consacrée en mars 1803, la nouvelle église prend le nom de St Jacques en remplacement de la précédente.

Installés à Douai en 1618, les Récollets anglais (qui sont en fait des Franciscains) avaient établi peu après leur couvent avec une petite chapelle attenante. Reconstruite en 1706 en style classique, sa transformation en église paroissiale s’avère compliquée. Outre sa taille et l’absence de dégagement sur la rue, un conflit de propriété – qui va durer plus de 50 ans – oppose la ville aux fondations anglaises restaurées dans leurs droits et qui réclament la restitution de leur bien.

Comme souvent, on bricole. On règle à ces dernières un loyer jusqu’au moment où on se décide enfin à acheter le bâtiment pour permettre son agrandissement.

Saint Jacques en 1846 avant l’agrandissement (lithographie de J. Mortreux)

Un pastiche XVIII° siècle

Avec plus de 8000 paroissiens dans ce quartier, cette solution provisoire ne pouvait plus durer. En juillet 1851, à l’initiative du curé de la paroisse, Vrambout, la commune achète la chapelle, prélude au lancement d’un chantier d’agrandissement qui démarre aussitôt. Les travaux sont rondement menés – peut être trop – et, dès 1855, l’inauguration donne l’occasion d’une fête magnifique que président tous les saints et prélats de la région.

Les plans du nouveau bâtiment sont l’œuvre d’Alexandre Grigny, architecte du diocèse d’Arras, autodidacte passionné d’archéologie, ancien compagnon du tour de France. Il ne prend pas le parti d’une époque où triomphait le néogothique cher à Viollet-le-Duc. Il choisit au contraire d’épouser le style de la chapelle originelle au point que certains critiques parleront même de « pastiche XVIII° siècle » pour qualifier sa construction.

Grigny conserve la basilique originelle, son vaisseau central et ses bas-côtés. Il se contente de l’agrandir au fond en ajoutant des transepts et un dôme au dessus de la croisée. Pour finir, à l’extrémité, une chapelle absidiale est surmontée d’un curieux campanile dont l’élévation joue sur la réduction des étages, carrés puis hexagonaux.

L’appareil extérieur est plus banal, fait de pierre calcaire pour les encadrements et de briques pour les murs. Seul, le porche d’entrée sur la rue – une copie évidente du Gésu de Rome – est ouvragé avec ses pilastres et sa niche centrale où a été installée sans trop de proportions une statue de Saint Jacques. Il y a probablement eu avant l’agrandissement de 1855 des modifications de cette façade à son niveau supérieur. Les pierres ont beaucoup moins résisté aux attaques du temps.

L’intérieur est d’une facture classique qui ne manque pas de grandeur. On y perçoit des soupçons de baroque par la largeur de la nef, l’importance des voutes ou encore la hauteur du dôme. Mme Camescasse qui n’aimait pas cette église en disait qu’elle n’avait rien de « remarquable » et que sa statuaire était d’un « goût douteux » .

Il est vrai que son joyau n’est pas sa décoration mais son grand-orgue, offert en 1880 par de riches paroissiens dont on aimerait connaître le nom. Fabriqué en Belgique par Schyven, sa décoration, inachevée, a été complétée en 1902. Malheureusement, durant la Grande Guerre, comme les autres instruments de Douai, les occupants allemands ont pillé la quasi totalité des tuyaux pour en récupérer l’étain. Sa reconstruction en 1924 se fera à l’économie, le zinc remplaçant ce métal onéreux.

La recherche d’une légitimation

Il faut évoquer les deux traits qui visaient à donner à cette chapelle puis église, sans doute pour la rendre plus légitime aux yeux de ses paroissiens, les vieilles traditions religieuses que la Révolution avait interrompues.

Compte tenu de sa dédicace à Saint Jacques le Majeur, l’église originelle présentait aux fidèles depuis le Moyen-Age une de ses reliques – une arcade sourcilière – lors de cérémonies. A partir d’Arras, les restes du saint avaient été dispersés dans plusieurs lieux,  Aire sur la Lys, Boulogne et enfin Douai. Installé dans la nouvelle église, oublié de tous, l’objet sacré – qui n’était plus l’original mais un don arrageois de 1862 – y fut retrouvé en 2012 avant d’être déménagé dans la collégiale Saint-Pierre.

Enfin et surtout, l’église Saint Jacques récupéra dès sa consécration en 1803 la célébration du « saint Sacrement de Miracle » qui était depuis le XIII° siècle la plus remarquable expression de foi de Douai. En 1254, dans la nef de la collégiale St Amé, une hostie trouvée sur le sol, ramassée par un prêtre horrifié de la trouver là, suscita de nombreuses visions de la part de l’assistance. Selon un chroniqueur, « en l’espace d’une heure, on voyait ordinairement le Sauveur sous différentes formes. Les uns l’ont vu étendu sur la croix, d’autres venant juger les hommes. Plusieurs, et c’est le plus grand nombre, le virent sous la forme d’un enfant. »

Cette tradition fut restaurée pour le plus grand bénéfice de la paroisse, héritière de la collégiale millénaire avec sa confrérie et sa procession pascale, éléments de légitimation face à ses concurrentes, Notre-Dame et Saint-Pierre.

Désintérêt et oubli

Cette ferveur fut malheureusement inopérante pour répondre aux problèmes que présenta rapidement un bâtiment qui ne reçut jamais, il faut bien l’avouer, un très grand intérêt de la part des pouvoirs publics.

Ainsi, la restauration indispensable de l’orgue ne fut pas mise en œuvre en dépit de nombreuses tentatives.  Plus grave, l’entretien fut peu à la hauteur des désordres qui se déclarèrent dans le gros œuvre assez rapidement. Comme souvent, la dépense empêcha de l’engager. Cette inaction coupable aggrava les dégâts qui réclamèrent dès lors des budgets de plus en plus importants pour être arrêtés.

En 1998, la chute de morceaux de plâtre des plafonds prouvait l’instabilité du bâti. Une étude de la structure menée par les monuments historiques – elle est inscrite depuis 1994 – diagnostiqua l’affaissement du dôme et son possible effondrement. Interdite au culte l’année suivante, en dépit d’un étayage conséquent de ses quatre voûtes, l’église est définitivement fermée au public en 2008. Depuis, Saint-Jacques est un vaisseau vide, sans fidèles, sans messe, sans avenir.

Le pignon menace…

On reste sur sa faim quant à l’origine de ces problèmes de structure. Des défauts de construction ont souvent été évoqués. On a aussi mis en cause la qualité des matériaux. Le calcaire d’Avesnes s’effrite à l’air libre mais cette « lèpre » est d’abord le fait d’algues microscopiques qui prospèrent faute de protection. A l’abri de l’humidité, la pierre est résistante. Nul doute que les infiltrations provenant des toitures ont joué – et continuent à jouer – un rôle non négligeable dans cette dégradation.

A quoi sert un monument ?

Après vingt ans d’abandon, peu de signes encourageants apparaissent à l’horizon. Le maire qui exprimait sur ce dossier sa « perplexité » , envisageait deux options. La démolition de la partie problématique ou sa fermeture, ces solutions engageant, selon lui, des dépenses égales. Il était donc urgent de ne rien faire.

L’église étant classée et la commune propriétaire, il serait possible de mettre la municipalité en demeure de la restaurer puisqu’elle doit par la loi la préserver. On répondra que l’étayage – qui fête ses vingt ans – la maintient intacte et que, pour 2021, la rénovation du porche sera réalisée (Note : mars 2023, toujours rien…) . On comprend les impératifs de sécurité pour les passants ou l’amélioration esthétique de la rue mais chacun sait que toute rénovation partielle éloigne encore la perspective d’une reprise complète d’un bâtiment en péril.

Avec la disparition de la pratique religieuse et l’appauvrissement de la ville, la restauration de l’église Saint Jacques est probablement aujourd’hui un horizon inatteignable.

Pourquoi vouloir maintenir en état des vieux bâtiments qui obèrent le budget communal alors qu’ils ne servent à rien ? Pourquoi s’acharner à protéger un patrimoine quand nos élus préfèrent construire des parcs d’attraction en forme de musée, des boulodromes, des planétariums ? Pourquoi vouloir restaurer un lieu de culte alors qu’il existe tant de bâtiments dans la ville qui mériteraient des travaux de rénovation, ainsi, , , , , , et

Tout cela permet de s’interroger sur la fonction d’un « monument » , sujet essentiel sur lequel nous reviendrons dans un autre billet.

Il parait peu probable qu’il puisse survenir dans les années proches un renouveau catholique poussant les Douaisiens à soutenir en masse l’église menacée. Il parait ainsi difficile d’envisager une coûteuse rénovation qui ne conduirait qu’une dizaine de fidèles à fréquenter la messe chaque semaine. Trouver à Saint Jacques une autre utilité est de bon sens.

On peut aussi envisager sa démolition, certes interdite par la loi, mais qui serait possible dès l’instant où, sans aucune intervention humaine mais seulement le temps qui passe, l’effondrement du dôme devenait une réalité. Nous aurions à n’en pas douter un beau terrain en plein centre ville pour y construire des logements sociaux.

Un peu d’imagination ?

Douai Vox® ose néanmoins des propositions alternatives, comme un exercice théorique qui n’aura jamais, telle que nous connaissons notre ville, la moindre chance de voir le jour. Faisons le pour la beauté du geste. Les paroles s’envolent, les écrits restent…

On peut déjà utiliser les vieux moyens bien connus, mobilisés en partie par l’admirable et méritante association des « Amis de Saint Jacques » : monter une campagne de dons associée à la mise en demeure de l’Etat de sauver le bâtiment. C’est ce qui a été tenté depuis 2003. Perspectives de réussite : faibles…

On peut ensuite tenter le « crowdfunding » déjà mis en place dans de nombreux endroits. Ainsi recourir aux merveilleux d’Artagnans si célèbres déjà. Cette plateforme française créée par deux transfuges de la Skema permet aux citoyens de préserver le patrimoine en devenant co-propriétaires par leurs dons. Il faut juste s’inscrire sur le site.

On peut solliciter le programme de Stéphane Bern pour faire genre, passer à la télé et, mieux que Biden, voir la « première dame » venir à Douai inaugurer le tout. Le loto organisé lors de la journée européenne du patrimoine affecte le produit des paris à des projets de restauration. Il faut juste monter le dossier.

On peut enfin, après l’indispensable « décret d’exécration » pris par le diocèse, mettre en place diverses solutions modernes et habiles d’utilisation de ce bâtiment. On laissera de côté la possibilité de transformation en fabrique de salpêtre pour en retenir quelques unes :

1-En tout bien, tout honneur, l’exemple de l’église St Louis, le « phare de Tourcoing » qui, après avoir failli disparaître, est devenue un espace de formation et plein d’autres choses encore. Comme quoi, quand on veut, on peut.

2-A Poitiers, la chapelle du Gésu édifiée en 1852 a connu une transformation majestueuse, devenue restaurant et hôtel uniques au centre de la ville en 2012. Tiens, c’est quasiment le même âge que l’agrandissement de Saint Jacques.

3-A Nantes, une autre chapelle, encore une fois jésuite, construite de 1854 à 1858 a été désacralisée et vendue en 2006 pour devenir un espace de « coworking » . « Sixtine » est un lieu d’échanges, d’animations et aussi d’interactions entre les esprits créatifs de l’entrepreneuriat, de la recherche, de l’art et des idées.

4-En Espagne, dans les Asturies minières qui sont le Nord Pas de Calais du pays, une église centenaire, abandonnée depuis des années, a été transformée en Skate Park. Grâce une levée de dons en ligne et le parrainage de Red Bull, le bâtiment a retrouvé toute sa santé et une certaine fréquentation.

5-Aux Pays-Bas, à Maastricht (prononcez Masse Trique), une chapelle du XIII° siècle a été transformée en librairie en 2006. Elle reçoit chaque année… 700 000 visiteurs qui ont à leur disposition des livres neufs et d’occasion, des CD et même des vinyls. On peut y boire un coup et y organiser des évènements. Ah ces Bataves, trop malins !