Une tache sur la joue

Tant d’hommes célèbres sont passés à Douai qu’on a parfois du mal à faire du tri dans cette liste prestigieuse. Évoquons celui qui a donné à notre rivale lilloise la citadelle considérée comme la plus belle de toutes : Sébastien Le Prestre de Vauban.

Pour Lille donc, on comprend bien mais quel lien avec notre ville ? En y réfléchissant un peu, on pourrait imaginer qu’une bonne part de ses fortifications sont de sa main. C’est un peu vrai mais globalement faux. D’abord parce que ces constructions, « espagnoles » donc flamandes, étaient bien antérieures à sa naissance et ensuite parce qu’elles ont été continument améliorées après lui.

Mais alors quel lien pouvons nous faire entre Douai et Vauban ? En 1656, il était venu dans la région quand Turenne – pour le roi – et Condé – pour les Espagnols – s’affrontaient pour la possession du Hainaut. Cette année là, c’est en « ingénieur ordinaire » qu’il participe au siège de Valenciennes. Si c’est un succès – la ville est prise parce que les habitants n’avaient plus rien à manger – le futur maréchal dira de cette affaire qu’il « n’est pas concevable combien les Français y firent de fautes. Jamais les lignes ne furent plus mal faites et plus mal ordonnées » .

Dans cette critique radicale s’incarne tout Vauban. La liberté de parole, la vision sans concession et enfin le retour d’expérience. Car ce soldat n’a pas manqué tout au long de sa vie de perfectionner l’art de la guerre et surtout celui de la poliorcétique. Il étudiait sans relâche les exemples qu’il avait devant lui et les échecs qu’il pouvait connaître.

On sait que Sébastien, né en 1633, est issu d’une famille très modeste, à peine noble. Il entre dans les armes tout en bas de l’échelle, du côté des Frondeurs comme le voulait l’époque. Sa famille étant bourguignonne, on suit le gouverneur révolté de la Bourgogne, le prince de Condé. Placé dans l’infanterie, il démontre d’emblée d’éminentes qualités. A la bravoure, trait obligatoire de sa caste, il ajoute le « petit plus » qui change tout : l’intrépidité.

Fait prisonnier lors d’une patrouille, on le fait comparaitre devant Mazarin qui perçoit immédiatement les qualités de ce jeune morvandiau râblé et costaud, plein de vie et d’esprit. Le cardinal dont on oublie souvent qu’il a été militaire avant d’être tonsuré, n’a pas beaucoup de mal à le convertir à la cause royale. Elle sera celle de toute sa vie.

Lieutenant, il rejoint un régiment d’anciens Frondeurs repentis. Sérieusement blessé au siège de Stenay- c’est lui qui allume la mèche qui démolit le bastion d’attaque – il est fait capitaine. Un peu plus tard, comme nous l’avons vu, Vauban est au siège de Valenciennes, passé de l’infanterie au génie, terme qui lui va si bien.
Hors son intérêt pour la science, il avait eu très vite l’intuition que cette arme, mal traitée et tenue par les aristocrates pour secondaire, pourrait être celle de son accomplissement. Il avait raison. Il en sera le premier maréchal de l’histoire.

Pourquoi donc Douai ? Attendez un peu. Après Stenay, apprécié par Mazarin, Vauban participe à de nombreux sièges. Cette expérience, parsemée de blessures, s’ajoute aux travaux de défense des villes conquises. C’est en « ingénieur principal » qu’il est appelé par Turenne, lors de la Guerre de Dévolution, pour diriger les attaques des places fortes que les Espagnols possèdent dans les Flandres. C’est ainsi qu’il participe, en 1667, aux conquêtes rapides de Louis XIV : Tournai (25 juin), Douai (7 juillet) et Lille (17 août).

Nous voilà donc à Douai. Lors du siège de notre ville, comme à son habitude, Vauban est en première ligne. Une de ses innovations consiste à faire progresser les sapeurs et ensuite l’infanterie à l’abri, dans ces fameuses tranchées en zig-zag qu’il a copiées des Turcs.
A force de terrassements, on encercle la place par des « circonvallations » qui empêchent toute sortie et tout secours. Profitant de la Scarpe, les habitants, seuls chargés de la défense comme le veut le mauvais système impérial, « tendent » l’inondation en ouvrant les vannes. Ainsi, noyée sous les eaux, une bonne partie de la ville est infranchissable.

Il reste toutefois des parties plus ou moins à sec. C’est dans ces endroits que se concentrent les attaques, en premier vers la porte d’Esquerchin. La phase ultime est l’assaut – à moins que les assiégés ne se rendent avant, ce qui s’est passé à Douai – souvent précédé par des sapes qui détruisent les murailles. L’ingénieur est toujours en première ligne, près des hommes, vérifiant la mise en œuvre et payant de sa personne. Il faut parfois faire le coup de feu contre les assiégés qui tentent des sorties pour empêcher les travaux de l’adversaire ou les détruire.

C’est dans ces circonstances que Vauban est blessé. Des témoins décrivent l’ardeur des troupes françaises à mettre en place des « boyaux de tranchées, larges et sûrs, creusés avec une telle rapidité qu’une batterie de dix canons fut en état de tirer dès quatre heures du matin » . L’opération est risquée. Les Douaisiens, pourtant peu nombreux, ripostent avec habileté de leurs mousquets et de leur artillerie, cette dernière particulièrement efficace avec un tir « aussi bien ajusté que jamais canon l’eût été » .
Plusieurs officiers sont ainsi touchés. C’est le cas de Vauban alors « capitaine de Picardie, ingénieur fort renommé déjà » . Il est blessé au visage, à la joue gauche mais sans qu’on sache exactement par quoi. Coup de feu, éclat de boulet ou de fauconneau, ricochet quelconque, on l’ignore. Ce qu’on sait en revanche c’est que le maréchal va garder la trace de cette blessure toute sa vie, comme le prouvent ses portraits après Douai.

Ce n’était évidemment pas la plus grave qu’il ait reçue mais incontestablement la plus symbolique, celle qui montrait à tous sa manière de servir et son mépris du danger.
Comme le veut tout sujet historique, des chercheurs – évidemment Belges – ont récemment mis en cause l’origine de cette tache sur la joue. Pour eux, pas de blessure mais une maladie de peau. Grain de beauté, angiome, ils se perdent en conjectures mais sont bien incapables de dire plus, leur hypothèse découlant d’un examen minutieux des portraits du maréchal.

Oui mais bon, va-t-on nous enlever l’honneur d’avoir compté dans sa vie ? Et bien non. Refusons les inventions des démolisseurs de réputations. Gardons cet épisode à la gloire du grand maître des fortifications et aussi un peu à celle de notre ville.
Sébastien Le Prestre de Vauban l’a donnée au royaume de France, c’est ça qui compte, et mettons cette mystérieuse blessure quelque part entre la vérité historique et la beauté de la légende, avec Douai tout au milieu

L'histoire est sa passion et à Douai, elle est servie. Les détails la passionnent car dans ce cas, il faut bien regarder et tenir le nez en l'air. La ville est belle, il faut la célébrer, tel est son credo.

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