Le dernier rapport de la Cour Régionale des Comptes sur Douaisis Agglo vient de sortir.
Les Douaisinologues ne pouvaient l’ignorer en dépit, soyons honnêtes, de l’impression de paresse que les auteurs nous laissent après lecture.
Cette critique ne découle pas d’un oubli de l’important sujet des chaises musicales du Conseil, ni même de celui des savoureux bricolages du pont du « village » mais de la faible envergure des sujets contrôlés.
Les juges indiquent entre autres qu’ils ne se sont intéressés qu’au budget principal, les annexes étant foisonnantes à Douaisis Agglo. De fait, plus de 30% ont donc échappé à leur regard.
Retenons la martingale. Il ne faut pas hésiter à multiplier les budgets annexes où s’applique une grande « diversité des instructions comptables » laquelle peut pousser les contrôleurs à passer leur chemin.
Mais ne soyons pas trop critiques. On trouve, en cherchant bien, au cœur de ce maquis bâclé, des petites choses utiles et, même au final, une idée assez nette de l’objet de Douaisis Agglo, lequel n’est peut être pas là où on le croit habituellement.
On a des sous, c’est qu’on a la santé
D’emblée, il faut le dire, y’a de la fraîche dans la caisse, donc pas de déficit dans un budget qui profite, comme prévu, du remplacement de la taxe d’habitation par la part de TVA que tout le peuple paie sans le savoir.
Bref, on a de la ressource, du blé, des pépettes, de l’oseille, du jonc, de la tune, pour faire plein de trucs « structurants » pour parler comme Christian Poiret, notre président au carré.
Il s’en félicite souvent, indiquant que cette abondance prouve que les « finances sont saines » , expression qui ne veut rien dire en elle même.
Un budget, c’est un truc relatif.
Il pourrait découler d’emprunts toxiques alliés à de lourdes ponctions fiscales avec, au final, des projets déficitaires ne débouchant sur aucune amélioration de la situation du territoire.
Les comptes seraient bons mais il n’y aurait rien de sain là dedans.
Les maigres nourrissent les gros
Quoi qu’il en soit, la Cour considère les recettes de Douaisis Agglo comme « dynamiques » du fait d’un certain nombre de facteurs favorables cumulés, d’abord la fiscalité locale (47% du total avec, of course, des taux qui montent) mais surtout les compensations et péréquations nationales qui ont doublé entre 2018 et 2022 (de 7 à 14 millions d’€).
On en arrive à se demander comment un territoire qui perd du populo et où augmentent chômage et pauvreté peut accoucher d’un budget communautaire aussi grassouillet.
Douaisis Agglo, c’est un îlot de prospérité dans un océan de misère.
Tout augmente, surtout le PPI
Grâce à ses larges ponctions, la CAD a donc pu augmenter ses « charges de gestion » (+31%, de 25 à 33 M d’€), lesquelles sont liées aux choix de gouvernance de nos maîtres agglomérés.
D’abord la gratuité des bus dont le coût est passé de 5 M d’€ à 7,7 M d’€, puis la hausse des recrutements de personnels (+20%, on compte à présent 150 ETPT) et enfin, même si la masse reste faible en affichage, la comm’ au sens large, montée de 3 M d’€ à 6 M d’€… Une paille…
Toute cette machinerie financière a pour finalité prioritaire le célèbre « PPI » , soit le « plan pluriannuel d’investissement » qui présente, entre autres, les projets salvateurs qui vont nous tomber dessus jusqu’en 2026.
Pour plus de la moitié de la dépense (77,8 M€), les juges nous indiquent la destination de la manne : « la patinoire et, dans le cadre d’EuraDouai, la passerelle ferroviaire, le parking silo et le musée du livre d’art et de l’estampe » .
Plein de sous dans la caisse mais on emprunte quand même
Ces investissements dépendent des fonds de roulement (le blé dans les caisses) et de l’emprunt (la tune qu’on va chercher chez les banquiers).
En théorie, quand le premier est abondant, on n’a pas besoin de recourir à la seconde. C’est pourtant ce que fait Douaisis Agglo, dont les fonds de roulement débordent.
Cette pratique est peu appréciée : « un tel niveau de trésorerie ne se justifie que s’il est utilisé dans le cadre du financement d’un investissement, ce à quoi une stratégie de mobilisation anticipée d’emprunt ne répond pas. A défaut, l’EPCI sur-mobilise l’emprunt » .
De fait, l’agglo y a beaucoup eu recours depuis 2020 : 9 M d’€, 10 M d’€ en 2021 et enfin 40 M d’€ en 2022. Dans ce dernier cas, il parait que c’est pour pour assurer le rachat, en 2026, du terrain où sera la célébrissime usine de batteries chinoises qui va sauver le monde (1000 postes soit 1% de l’emploi du Douaisis).
Logiquement, ces emprunts cumulés de 59 M d’€ font passer l’encours de la dette à 111 m d’€ (+ 35% en 4 ans), ce qui mathématiquement dégrade la capacité d’autofinancement (CAF) et la durée de désendettement qui grimpe de 4 ans à 8 ans.
Grands projets contre petits équipements communaux
Le rapport est surtout le moyen pour la Cour des Comptes de pointer les insuffisances de la communauté d’agglomération quant à l’intégration de son fonctionnement et de ses ressources.
Pédagogue, elle explique le subtil concept « d’intérêt communautaire » , « ligne de partage » entre ce que fait l’agglomération et ce qui reste dans les communes. On comprendra que cette question est centrale dans l’évolution de notre territoire.
Ainsi, concernant les compétences obligatoires et surtout « supplémentaires » , on regrette l’absence d’un plan local d’urbanisme intercommunal – il aurait été refusé par les communes sans qu’on nous dise lesquelles – qui résume le développement économique à la seule gestion des parcs d’activité et l’invention de « grands projets » .
Pour ces derniers, les juges se contentent de rapporter les arguments de l’EPCI « qui les considère comme structurants et d’intérêt stratégique pour le territoire » en soulignant leur défaut majeur : leur concurrence avec les équipements communaux, « notamment les piscines ou les activités de loisirs » .
Elle ajoute même que la « communauté d’agglomération (devrait) appréhender les investissements sur ces équipements à l’échelle du territoire » .
Addition de différences = faible intégration territoriale
Dans les compétences obligatoires, on trouve l’eau et l’assainissement dont le rapport pointe l’allucinante hétérogénéité des tarifications.
Même bricolage du côté des déchets ménagers. On relève les 35 taux différents d’une TOEM qui devait obligatoirement être unique en… 2015.
Savourons la conclusion de ce chapitre : « l’harmonisation en cours, dont il est prévu qu’elle s’achève en 2035, s’avère donc irrégulière alors même que le produit de la TOEM est insuffisant pour couvrir les charges de gestion du service » .
Quant aux ponctions financières, la Cour expose l’intérêt du « coefficient d’intégration fiscale » (CIF) qui donne la hauteur du degré de communautarisation des ressources. Plus il est élevé et plus la fiscalité est globalisée à cette échelle.
Il est chez nous de 40%, plus bas que chez nos voisins et amis : « ce constat illustre le faible niveau d’intégration de Douaisis agglo et confirme celui effectué sur les actions et la gouvernance de l’EPCI.
Il traduit également le choix des élus d’exercer prioritairement leurs compétences à l’échelon communal » .
L’intérêt communautaire, c’est celui de la commune
Il faut, de fait, voir le fonctionnement de Douaisis Agglo comme celui de l’Union Européenne.
Les membres abondent un budget commun, lequel est redistribué des gros vers les petits, les premiers donnant plus que ce qu’ils reçoivent.
La ville de Douai, par exemple, est un « contributeur net » comme l’Allemagne ou la France à Bruxelles.
Ce mécanisme passe par « d’importants reversements de fiscalité à ses communes membres : 58% de la fiscalité levée contre 41% » dans les Hauts de France.
Avec les « attributions de compensation » , les communes donnent largement d’une main ce qu’elle reprennent d’une autre. Le total de ces neutralisations n’est pas mince : 30 M d’€ environ chaque année.
Avec la « dotation de solidarité communautaire » , la célèbre « DSC » , on entre dans une complexité organisée dont on va s’épargner le détail.
Gardons toutefois que l’habileté agglomérée joue ici à plein par des modalités qui évitent de soumettre à des règles jugées trop « complexes » .
Ainsi le cadeau insigne de la « part 11 » qui attribue à toutes les communes une « dotation minimale de 80 000 € » .
Outre que cet apport n’a pas à être discuté en conseil municipal, il a de fait remplacé les « fonds de concours » pour, selon les juges, « ne plus avoir à mettre les dispositions de l’article L 5216-5 du CGCT » , en particulier son titre VI qui prévoit que leur montant « ne peut excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours » .
Avec un tel cadeau, il ne faut pas s’étonner que les petits soient les plus fervents soutiens du patron. N’entrant pas dans ces considérations politiciennes, les juges prennent de la hauteur : « en conclusion, l’organisation de la solidarité communautaire au plan financier apparait complexe et manque de clarté » .
Pour naviguer heureux, décidons cachés
A plusieurs reprises, on pointe l’insuffisance qui constitue la marque profonde de Douaisis Agglo sur à peu près tout : l’inexistence d’une stratégie générale et l’indigence des informations délivrées aux conseillers sinon à la population.
Ainsi l’absence d’un « pacte de gouvernance » qui n’a pas donné lieu à un « débat en 2020 privant ainsi ses membres d’une réflexion sur le projet communautaire et sa mise en œuvre » .
Mieux, dans la forêt des lois qui depuis 1983 font évoluer à bas bruits les EPCI, il existe depuis 2014 l’obligation d’un « projet de territoire » .
Après de pénibles discussions avortées en 2016, on a remis la machine en route en 2021, laquelle a accouché en octobre 2023 d’un « projet d’agglomération – Horizon 2035 » dont la Cour indique qu’il vaut « projet de territoire » , même s’il est impossible à trouver quelque part.
Encore une fois, on a sorti le carnet de chèques en sollicitant un cabinet de conseil lequel a pondu « une feuille de route stratégique » avec trois objectifs qu’on espère n’avoir pas été payés trop chers tant ils sont innovants : « l’attractivité du territoire » (sans blague) puis « l’amélioration du bien-être des habitants » (par les boules et le patin) et surtout le dogme religieux pour lequel il faut sacrifier sous peine d’excommunication : « la lutte contre le changement climatique » (ah ! Climat ! Que de crimes on commet en ton nom !).
La Cour a, malgré ces nuages de fumée, tout compris : « sa mise en œuvre effective dépendra, en définitive, du pilotage et du suivi – à l’aide d’objectifs et d’indicateurs opérationnels – assurés par les instances intercommunales » .
On peut toujours rêver…
Une délégation en forme de régie
Pour finir, nos juges ont plongé dans les comptes de Sourcéane, on dira peu de cet « affermage » , passé en 2023 « d’Espace Récréa » à « Vert Marine » , prestataire qui hérite aussi de la future patinoire.
Toute délégation fonctionne pour son détenteur sur l’acceptation de « ses risques et périls » . Ces deux aléas ont été largement effacés par des conditions financières très avantageuses.
On en arrive à se demander s’il ne s’agit pas d’une régie qui ne dit pas son nom. Le rapport « recettes commerciales/compensations » est de 70/30 pour Sourcéane, il sera de 50/50 pour la patinoire.
On rembourse même la redevance d’occupation du domaine public à l’euro près en contradiction formelle avec la loi.
Variable pourtant essentielle pour équilibrer les comptes, la tarification n’entre d’ailleurs pas dans la liste des obligations du délégataire.
Ce serait pourtant utile quand on observe que les prévisions de fréquentation (qui relève à 63% du seul Douaisis avec une bonne part de la cité des Epis) sont toujours surestimées.
La Cour indique de plus que les rapports du délégataire apparaissent peu lisibles, lequel a même, à partir de 2019, changé leur présentation, histoire de compliquer un peu plus la lecture.
Dans la même veine, l’information de l’assemblée délibérante est restée partielle, les dits rapports n’étant présentés qu’en 2021 et 2022, pour une piscine ouverte en 2016…
Le nouveau contrat avec Vert Marine aurait été l’occasion d’améliorer tout ça. Malheureusement, outre que l’examen des avantages et inconvénients du nouveau prestataire a été réalisé sans « aucune analyse chiffrée » , ces éléments n’ont pas été « communiqués au conseil communautaire » .
La demande de la CRC est de renégocier un contrat plus précis et un peu mieux à la charge du prestataire.
On a hâte de voir ça et surtout si les élus seront associés à ces obligations.
A quoi sert une communauté d’agglomération ?
Pour conclure, résumons l’intérêt premier de ce rapport : démontrer que notre bel établissement public de coopération intercommunale ne fonctionne pas vraiment comme il le devrait.
Ainsi, Douaisis Agglo collecte 200 millions d’€ en faisant le pari qu’à son échelle les effets seront massifs. L’évolution des compétences des entités territoriales construit une force de frappe favorisant la plus-value de l’action publique.
Or, dans le Douaisis, c’est l’inverse : le système fonctionne à l’avantage des communes – toutes sauf Douai – sans aucun plan d’ensemble, ni beaucoup d’informations aux élus et au peuple.
C’est très malin au plan tactique mais très bête au plan stratégique car qui peut croire, comme le montrent les équilibres financiers catastrophiques d’une piscine ou d’une patinoire, que de « grands projets » déficitaires puissent améliorer l’économie du Douaisis ?
Comme toujours, deux explications possibles.
Soit une pauvreté théorique qui confine les patrons majoritaires dans une vision de faible envergure, avec des redistributions financières organisées sous une logique de guichet.
Soit une priorité, qui n’est pas celle de l’efficacité de l’action communautaire mais le maintien, à coups de distributions amicales, d’un pouvoir dont le seul objectif est de durer.
Qui sait ?
Max aime apprendre mais parle un peu souvent à la première personne. C’est un travers qu’il combat difficilement. Va falloir l’aider. Il adore la Scarpe et l’orgue de St Pierre, surtout les basses.