Livré par un colporteur appointé dans nos boites aux lettres, le « Mag » de Douaisis Agglo débarque.
Si on fait abstraction du ridicule d’un organe de propagande payé par nos impôts, il s’avère une mine d’information quant à la frénésie de projets qui sortent du cerveau du président Christian Poiret.
Évolution = augmentation
Notre attention du jour se porte non pas sur ces annonces mirobolantes, leur temps viendra, mais sur un sujet plus trivial : l’eau, annoncée page 15 par un titre qui euphémise grave.
Pas « d’augmentation » , non, non, non, mais une « évolution du prix » dont on peut deviner, comme on est très malins, qu’elle a un lien avec un alourdissement futur de nos factures.
Une baisse, c’est l’hypothèse interdite, comme d’ailleurs un simple gel. Tout se dégrade, tout est plus cher, mais n’allons pas chercher ailleurs la solution du problème.
La distribution de l’eau n’échappe pas à cette facilité empruntée par nos élus sur tout et n’importe quoi, du traitement des ordures ménagères aux prélèvements des taxes foncières en passant par leurs indemnités.
La pluie sort des robinets
Disposer d’une eau courante en ouvrant un robinet est un prodige plus récent qu’on ne le croit. Dans les années 1920, à peine 20% des communes – les plus urbanisées – en disposaient à domicile.
La situation n’était pas brillante au sortir de la Seconde Guerre Mondiale : 70% des zones rurales n’étaient toujours pas desservies.
De fait, la couverture complète du pays n’a été réalisée qu’à la fin des années 1980, acmé de tous nos services publics comme on s’en rend compte de nos jours.
Dans le Nord, c’est à l’origine un simple syndicat intercommunal créé en 1950 qui s’est chargé de l’adduction des zones rurales.
Ce Noréade distribue aujourd’hui 750 communes des Hauts de France et même quelques unes au nord du Douaisis. Ailleurs, dans le territoire, c’est la communauté d’agglomération qui s’en occupe.
Noréade est partagée en deux finalités universelles qu’on doit toujours avoir en tête : l’eau et l’assainissement avec un prix qui est l’addition de ces deux facteurs.
D’un côté, le traitement des eaux usées et la gestion du ruissellement de la pluie bienfaitrice. De l’autre, les captages, la potabilisation puis enfin l’adduction de l’eau potable.
Agence de l’eau et gestion communautaire
L’agence de l’eau Artois-Picardie est – chose extraordinaire quand on considère ces deux termes – située à Douai.
Bras armé de l’État sur la flotte collective, son utilité interroge quand on sait que les communautés d’agglomération possèdent à présent cette compétence par obligation depuis 2014.
Douaisis Agglo gère ainsi « le cycle de l’eau » , lequel – pas de panique – est mis en œuvre par des prestataires privés (Véolia), dans huit communes de l’agglomération qu’il nous faut citer :
-Aubigny-au-Bac, Courchelettes, Dechy, Douai, Flers-en-Escrebieux, Fressain, Sin-le-Noble et Waziers. Noréade prend en charge les 27 restantes.
Les foyers « abonnés » découvrent donc dans le « Mag » le nouveau tarif, le mètre-cube (m³) passant de 3,62 € à 4,19 €.
Comme on aime les calculs rigolos, en prenant comme base la consommation moyenne par foyer français (120 m³ par an), la douloureuse passe donc de 435 €/an à 503 €/an, « petite » évolution de 68 €, soit 15%… Une paille…
L’organe de propagande indique que ce nouveau prix serait « un des plus bas dans la région » .
Ce baratin est facile à démonter. Hors la zone de Calais qui culmine à 4,5 €/m³, Lille est à 4,02 €/m³ et Dunkerque à 4,09 €/m³.
Encore mieux, ce prix, qui est n’est pas « TTC » , est en réalité plus élevé : 4,61 €/m³ à Douai.
Il faut ajouter en effet la TVA (7%), la ponction de l’Agence de l’Eau (13%), le reste du prix comprenant l’assainissement (45% part en constante augmentation) et l’eau (25%).
Tout augmente, ma pauvre dame
Toutes les justifications à la hausse ne sont pas sans rappeler celles de notre ancien président du SYMEVAD quant à l’inéluctabilité de la montée de la TEOM.
On y trouve l’ébouriffant « durcissement de la règlementation » (ah, bon, laquelle ?), la « hausse du coût de l’énergie » (on chauffe l’eau au gaz russe ?) et le « maintien du patrimoine » (on doit parler des canalisations romaines…).
On a du mal à comprendre que ces arguments n’apparaissent qu’aujourd’hui. Ainsi le redoutable « perchlorate » qui provient du TNT abondamment utilisé chez nous entre 1914 et 1918. C’était hier…
Il y a aussi les « fuites » du système que des études nationales établissent en moyenne à 20% de l’adduction. Nous serions, parait-il, très en dessous. Tant mieux, la dépense n’en sera que plus limitée.
S’ajoute « la lutte contre l’imperméabilisation » des sols, laquelle serait responsable des inondations dans le pays.
Il faut mettre des bottes et faire la guerre au macadam tout en espérant que le curage des fossés et autres caniveaux accompagne bien cette stratégie (CGCT L 2226-1).
On a enfin la « modernisation » des stations d’épuration. Il est vrai qu’on découvre jour après jour – au rythme de l’extension continue d’une réglementation bourgeonnante – des substances que notre territoire ignorait jusqu’alors.
Pas sûr qu’elles soient vraiment dangereuses mais bon, si ça justifie la hausse des factures, c’est toujours ça de pris.
Une taxe qui n’en est plus une
Cela pour se rendre compte que le prix de l’eau n’est plus connecté au coût du service qu’elle réclame. Ce n’est pas nouveau. Taxes et redevances ne relèvent déjà plus vraiment en France de leur définition juridique.
Pour preuve l’incroyable variation des factures dans le pays, lesquelles correspondent mal aux conditions orographiques des territoires. En 2021, si le prix moyen de l’eau était de 4,34 €/m³, les disparités sont énormes.
Le Havre est à 4,74 €/m³ quand Strasbourg plafonne à 2,88 €/m³. Le Bas-Rhin est champion de l’eau bon marché avec une moyenne de 2,90 €/m³ tandis que son voisin le Haut-Rhin est presque au double : 5,06 €/m³.
Les deux Seine, la Maritime et la Marne, sans doute à cause de ce toponyme commun, battent tous les records : 6,12 €/m³.
Plus bizarre encore, le découplage entre la pluviométrie et le prix. La région PACA, plutôt sèche, est à 3,69 €/m³ quand les Hauts de France, pays des parapluies, sont à 4,73 €/m³ en moyenne.
L’examen des précipitations dans la région depuis 60 ans apprend même qu’elles ont augmenté sur la période, de 190 mm cumulés sur la côte à 70 mm au sud. Ce ne sont pas les habitants des bords de l’Aa ou la Liane qui nous contrediront…
Le prix va sauver la planète
La valeur de l’eau dans le Douaisis dépend donc de facteurs obscurs, faute de connaître avec exactitude le coût réel de sa gestion rapporté aux redevances réclamées aux utilisateurs.
On arrive dès lors – approche parfaitement assumée par nos décideurs – au prix transformé en outil stratégique.
Comme l’indique un spécialiste de l’égalité homme-femme, par ailleurs directeur de l’Agence de l’eau, augmenter la facture des utilisateurs possède une vertu : les pousser à réduire leur consommation.
Il n’est pas impossible qu’on ait affaire à un mécanisme inverse, à savoir la baisse régulière – à prix constant – des consommations qui oblige à un maintien de la manne donc une hausse des taxes.
Tout entrepreneur sait que lorsque la vente d’un produit s’affaisse, la réponse par une augmentation de son prix ne révèle qu’une chose : l’excès des coûts fixes, notamment ceux du personnel.
Un chiffre fait flipper : en 1994, le m³ TTC du secteur Artois-Picardie coûtait aux abonnés 2,42 €, il était en 2022 à 4,73 €, soit une « petite hausse » de… 96%.
Depuis vingt ans, les usages domestiques se réduisent régulièrement avec des factures qui augmentent… 100 litres par jour et par habitant en 1975, 170 en 2004, 145 actuellement. La tendance est à -1,4% par an.
Si les consommateurs que nous sommes sont régulièrement culpabilisés dans les médias et ailleurs, nous apparaissons peu gourmands en eau douce quand on compare notre « empreinte » à celle de l’agriculture ou mieux, des centrales électriques : 5,3 milliards de m³ contre les 16 milliards de m³ que consomment ces merveilles censées sauver la planète…
Coûts et prix, quelques hypothèses…
Pour finir, quelques calculs à la graisse d’oie à partir des chiffres – aussi nombreux que variés, jamais sourcés – qu’on trouve dans les publications locales. Les biais doivent être épais mais l’ensemble prouve une chose, l’incertitude des données.
Prenons une consommation moyenne de 150 litres d’eau potable par jour. Avec un prix du litre à 0,5 centimes d’€, on arrive à un coût annuel de 273,75 €.
Du côté des revenus de ces « pompes à phynances » , pour une consommation moyenne de 150 m³ par an, au prix nouveau, les 44500 abonnés apporteraient 23 millions d’€.
D’autres sources donnent même 30 000 bénéficiaires, ce qui réduirait la manne, dès lors passée à 18,8 millions d’€.
Ces variations dépendent évidemment de la répartition des consommateurs « assainissement/eau » dans des proportions difficiles à cerner.
En prenant l’affaire par un autre bout, on apprend que 3,9 millions de m³ auraient été vendus en 2021. L’unité mise à 4,19 €, le gain pour Douaisis Agglo serait donc de 16,3 millions…
Si vous êtes comme nous, vous avez du mal à saisir l’étendue de la cagnotte mais une certitude, elle n’est pas mince.
De fait, n’ont pas été abordés ici les sujets de la régie et de la délégation, sachant que cette dernière a été choisie de longue date pour l’eau douaisienne.
L’état florissant des sociétés gestionnaires, ainsi de la Lyonnaise transformée en Suez puis en Véolia, démontre que le précieux liquide peut rapporter gros. Il peut aussi connaître le contraire, ce qui démontre la complexité d’un marché très éloigné de la concurrence « libre et parfaite » .
Pour autant, il est difficile de trancher entre l’intérêt d’une régie, courante dans les grandes métropoles, et celle d’une délégation souvent présente dans les habitats plus dispersés.
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Bref, que dire pour conclure ? On rêve de connaître un jour un débat sérieux sur la gestion locale de l’eau, à ce moment historique où la couverture totale du territoire enfin réalisée, on aboutit à la régression de la consommation accompagnée de l’explosion des tarifs.
Le « prix évolue » certes, mais parions que ce ne sera jamais vers sa diminution pour les génies qui nous gèrent.
Viendra alors le moment où tous ceux qui le pourront adopteront le circuit court de l’autonomie – gratuite – par récupération de leurs eaux de pluie ou la réanimation de leurs puits ancestraux.
Il restera alors à des abonnés en diminution à payer une eau potable de plus en plus chère tandis que la population dans son ensemble sera contrainte, quoi qu’il arrive, d’assumer un assainissement à prix d’or.
Max aime apprendre mais parle un peu souvent à la première personne. C’est un travers qu’il combat difficilement. Va falloir l’aider. Il adore la Scarpe et l’orgue de St Pierre, surtout les basses.
Très bon article, révélateur de ce que nous coûte une nouvelle strate administrative nommée « l’Agglo ». Merci.
Il y a mieux, un élu professionnel à liste unique pesant 330 voix dans un village décide du destin de 150 000 habitants… Une communauté d’agglomération n’est pas une idée totalement stupide mais le mode d’élection de ses patrons pose problème.