Et bé, ça matraque, ça pilonne, ça communique dans tous les sens. Voilà même qu’aujourd’hui tombe dans nos boites aux lettres un tract émanant de Douaizizaglo® intitulé « Tous mobilisés pour la BNF dans le Douaisis ». C’est beau un territoire défendant les bouquins. On dirait la liberté guidant le peuple.
Faut pas mollir
En spécialistes, on cherche, même écrit en tout petit, à savoir d’où ça vient, qui l’a imprimé, bref, les fameuses mentions légales. Elles manquent. On sourit à penser que ce précieux document ne pourra pas, pour cette raison, se trouver archivé dans le futur « conservatoire de la presse », alias cette mythique « BNF », qui en est la raison d’être. C’est bien dommage.
A l’évidence, on sent les élections approcher. Après le coup de la gratuité des transports qui visait à persuader les Douaisiens que le Père Noël serait candidat aux cantonales, nous voilà donc tous mis en demeure d’approuver la nouvelle lubie du seigneur de Lauwin-Planque. Y’a intérêt à être pour, il n’y a pas d’autre option et d’ailleurs faudra voter pour lui. Il y va du salut de la patrie.

Sommés de soutenir un projet en forme de miracle, on y va et pas mollo sinon gare à vous : « montrez votre soutien », « rejoignez nous », mettez votre trombine dans le logo etc. Les réseaux sociaux sont en surchauffe. C’est à qui déclarera sa foi la plus pure aux yeux de tous. On attend les maillots floqués, les écharpes et les auto-collants. On n’est pas inquiets. On les aura.
On ne lésine pas
Sur le tract, la liste des soutiens montre qu’on a un peu bâclé. Pas trop de hiérarchie dans les vignettes. Des élus, des collectivités, des associations, des entreprises. Après tout, pourquoi pas ? Les éléments de langage sont montés à la truelle. Ils n’ont d’ailleurs pas vocation à être lus. « On soutient » (15 citations quand même), « une chance pour le Douaisis », « une opportunité » et « même au fond de nos campagnes » proclame le maire d’Hamel vice-président à 771 habitants et 270 électeurs. Ce qui compte ce sont les photos et les logos, pas le fond.

Le « parrain » y est en bonne place, bien en haut et bien au milieu. Même avec un torticolis, on ne peut pas le louper. Son adversaire, maire de Douai, est mis à droite. Il n’a pas l’air content. Son espace d’expression a été mesuré au millimètre comme la taille du drapeau de la Corée du Nord à Panmunjeom. Il en profite pour délivrer son programme : réseau de bibliothèques, médiathèque, salons du livre jeunesse et du polar. N’en jetez plus, c’est un sans faute. Voilà « l’Athènes du Nord » ressuscitée.
Tous les élus, syndrome de l’unanimisme bien connu chez nous, enfourchent le cheval bibliothécaire. Si on n’y voit pas la tête de la patronne du « shadow cabinet » qui offre à la ville tout ce que le maire ne peut obtenir, se hausse du col son camarade de parti, député de la circonscription.
Juste en dessous, subtil équilibre politique, on repère l’ami Bruneel, ce qui n’étonne pas. Pour les Communistes Apolitiques du Douaisis (CAD), plus c’est payé par les riches qui ne votent pas pour eux, mieux c’est.
S’agissant d’une affaire de « bibliothèque », on se rassure de voir le patron de « IN Groupe », le bon père Trutt. Pour les non initiés – encore que le sigle est un indice – son entreprise gère entre autres l’Imprimerie Nationale. De cette dernière, comme pour l’URSS, Castoriadis aurait pu dire que ses deux termes sont deux mensonges. Ce n’est plus tout à fait une imprimerie et, société anonyme depuis 1993, elle n’est plus du tout nationale. On s’étonne par contre de l’absence sur le manifeste de Pierre Coursières, le big boss du Furet. L’imprimé qui sauve l’attractivité du territoire c’est quand même lui. Comment ? Il ne « soutient » pas ?
Plus inquiétante enfin est la place réservée aux Lillois décidément en force sur la double page. Chaque Douaisien un peu au courant de l’histoire de sa ville à l’obligation de se méfier des « soutiens » émanant d’une grande métropole qui nous taille des croupières à chaque occasion. Il faut vraiment se dire que si Castelain, Aubry et Lecerf soutiennent cette opération c’est qu’elle n’a pas grand intérêt… pour eux.
Un peu de rationalité dans une hystérie collective ne fait jamais de mal. On a bien conscience qu’une petite voix dissonante a peu de chance d’être écoutée mais il ne suffit pas d’espérer pour entreprendre.
D’abord de quoi s’agit-il ? Contrairement au battage médiatique qui vise à empêcher le citoyen de penser, nous ne sommes pas sur un projet gigantesque assimilable à la bibliothèque Mitterrand de Tolbiac. Ce n’est en aucun cas non plus une opération pharaonique dans le genre du Louvre-Lens.
Soyons précis
Depuis François Ier, la Bibliothèque Nationale doit enregistrer le fameux « dépôt légal », bref tout ce qui s’imprime dans le pays. Dans l’appel à projet, on lit que « ce nouveau pôle sera doté d’un conservatoire spécifiquement dédié à la collection de presse de la BnF ». En gros, cette partie devenue à l’étroit dans la capitale doit trouver un entrepôt de « 15000 mètres carrés, sur un terrain avec possibilité d’extension ».
Dans les documents qu’elle produit – qui ne sont pas les mantras de Douaizizaglo® – l’institution « cherche à nouer un partenariat fort avec une collectivité territoriale pour construire un projet d’avenir, qui doit permettre d’assurer la pérennité de collections patrimoniales uniques et de valoriser la collection de presse, dont la valeur historique, culturelle et éducative est majeure ».
On sent qu’il faut dans cet « appel à manifestation d’intérêt » (AMI) attirer le chaland en saupoudrant un peu de sucre culturo-patrimonial sur le gâteau. Pour autant, au delà du métalangage écrit avec les pieds, se pose la question de l’usage concret du lieu.
Sans doute les « soutiens » pensent-ils – tout en n’ayant jamais mis les pieds à « Richelieu » ou à « l’Arsenal » – aux milliers de « chercheurs » venant cartable à la main compulser de précieux documents. Pour information, dans le bilan annuel de la BNF, 220 personnes en 2019 ont sollicité le fonds presse. Ce nombre est en baisse constante depuis quelques années.
Une bonne idée ou pas ?
Tout le reste, tel qu’il est évoqué par les « soutiens » , n’est pas pour autant impossible. On peut imaginer qu’à côté du dépôt, on puisse trouver des animations, des projets accessoires qui donneraient au stockage un peu plus d’intérêt. On aimerait dès lors savoir qui les mettra en œuvre car immédiatement passent devant les yeux du contribuable des images bien nettes du Raquet enlisé, d’Arkeos en mal de visites sauf celles des cambrioleurs, de Sourcéane en déficit et surtout d’Hôpital Général en perdition.
La même trouille saisit le Douaisien quand il découvre les projets du maire. N’osons même pas envisager leur concrétisation avant la fin du mandat. Nous sommes quand même dans une ville qui a tué trois librairies en quelques années. Elle possède une bibliothèque, véritable œuvre d’art des années 50, qu’elle a abandonnée à elle même depuis des lustres. Une médiathèque, si possible en périphérie. Du livre partout. Quelle bonne idée.

Pas dans Douai, évidemment
D’ailleurs, le choix du site fait tiquer. Pourquoi, encore une fois, mettre cette BNF mirobolante en dehors de Douai ? On n’y manque pas d’espaces disponibles, ni de bâtiments énormes abandonnés. Si nous étions des « Verts », à l’image de notre passionaria locale qui voit tous les sujets par leur périphérie écologique, nous nous inquiéterions des 15000 m2 que mangera le futur entrepôt. Ils s’ajouteront aux centaines d’hectares agricoles perdus pour une culture qui n’est pas la bonne (rien que 80 ha depuis 2009 à Lauwin-Planque).
C’est Flers en Escrébieux qui a touché le gros lot. L’AMI réclame une « situation à 3 heures de Paris en voiture et 2 heures en transports entre une gare parisienne et le point de desserte en transports en commun le plus proche ». On plaint l’utilisateur qui, après avoir trouvé Gare du Nord un TGV vers le Douai lointain, devra à son arrivée chercher un autre moyen de déplacement pour se rendre dans la zone de conservation. Il est vrai qu’en théorie le bus est gratuit.

Un AMI qui vous veut du bien
Autre questionnement, le statut de cet « appel à manifestation d’intérêt » (AMI). Sa caractéristique principale, étrange, est « de ne pas être défini par les textes » . Outil hybride, certes souple, il possède une faiblesse dont les juristes seuls ont conscience. Outre de pouvoir être « utilisé à mauvais escient » , il risque une « requalification en contrat de la commande publique » qui déclencherait une avalanche de contentieux. Le tramway, ça ne vous dit rien ?
Comme toujours, il faut se demander combien coûte « cette chance pour le Douaisis » . Selon la BNF, son montant « est estimé entre 70 et 90 millions d’euros » , ce qui veut dire qu’avec les dépassements habituels, on sera plutôt aux alentours de 100, une fois et demie le budget de la commune.
Ensuite, qui paiera ? Là encore lisons : « L’AMI vise au-delà, à trouver un partenaire pour le très long terme afin de soutenir le financement de l’investissement du pôle de conservation » . En bon français, le « partenaire » c’est nous, ce qui veut dire qu’il faudra mettre la main au porte-monnaie pour que ça marche. Comme tout ce que réalise Douaizizaglo®, ce beau produit ne nous sera pas donné, nous devrons l’acheter.
Remarque ultime, on ne peut qu’être surpris de cet emballement pour un stockage d’imprimés sous forme physique. La BNF, c’est le célèbre Gallica qui permet de son fauteuil d’accéder à des sources numériques infinies. Cette idée de dépôt parait contradictoire avec les évolutions technologiques actuelles. Comment à l’ère de l’immatériel triomphant, justifier l’existence d’un silo ? N’est-ce pas un combat d’arrière garde ? Après avoir approché les 300 000, le nombre de « fascicules de périodiques imprimés » est en baisse constante, un peu au dessus de 220 000 en 2018…
Pour autant, qu’on ne se trompe pas sur notre propos. A condition d’un coût maîtrisé et d’un bilan serré des avantages, il serait idiot de refuser à un établissement public d’installer une antenne dans le Douaisis.
Comme toute activité logistique, ainsi chez Amazon, un hangar peut toujours créer du boulot. La BNF compte un peu plus de 2000 employés sur 7 sites dont 4 en Ile-de-France. A vue de nez, on aura 100 personnes dans un 8eme « conservatoire », soit 1/4 des emplois directs du tourisme dans le Douaisis. C’est toujours bon à prendre mais il ne s’agit en aucun cas de la révolution culturelle qu’on nous vend.
Le produit, c’est vous
Pour être encore plus clair en conclusion, ce que nous dénonçons c’est la posture de ces promoteurs qui prennent les citoyens pour des gogos. On surjoue pour les « fédérer » autour d’un dossier sans jamais en évoquer les inconvénients et l’utilité réelle.
Cet excès d’agitation n’a pas d’autre but que de servir, non pas un projet dont l’appel n’est d’ailleurs pas encore gagné, mais d’abord l’intérêt des maîtres du jeu local.
On balance entre l’incompétence et le cynisme. La situation actuelle des projets de Douaisis Agglo, tous des catastrophes déficitaires, militerait pour la première. Mais préférons la seconde pour sa posture diabolique qui, jouant sur la fierté locale, rend toute critique illégitime.
Selon la BNF, ce lieu de conservation délocalisé sera au mieux livré en 2028 (n+6 après le choix du site) mais c’est un détail trivial. Vous avez compris le message. Ne risquez pas l’excommunication. Le soutien aux élus sortants, rois de la dépense, c’est maintenant.

Nestor aime la polémique douaisienne, surtout quand elle est enfouie sous des tonnes de silence. On peut trouver parfois un peu de mauvaise foi dans ses propos mais sans cette liberté, il n’y aurait d’éloges flatteurs.