Devenir maire n’est pas difficile, l’être l’est cependant.
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Tic Tac Tic Tac…
C’était bien mal parti. Les six ans de mandat s’étaient écoulés inexorablement. Rien n’avait pu ralentir la marche du temps, cette malédiction contre laquelle ni l’élu ni personne ne peuvent rien.
Il s’était pourtant convaincu qu’il avait du délai, qu’il pourrait tout faire plus tard mais un jour, impossible d’y couper, faut y passer. Les élections déboulent avec leurs glorieuses incertitudes démocratiques. C’est là que le politicien professionnel découvre qu’il faut marcher ou mourir.
Il sait depuis le début qu’un mandat n’est pas seulement le moyen d’une politique, c’est d’abord un état, un métier. Il n’est même pas certain en cas d’échec qu’il aurait un parc à son nom. Six pauvres années n’y arriveraient pas.
Douai au coeur… de la catastrophe
L’impérieuse nécessité de reprendre le flambeau s’imposait donc à Frédéric Chéreau. Le problème, c’est qu’il ne pouvait mettre en avant un bilan très reluisant.
Dans le genre structurel, ne relevant pas complètement de son mandat mais quand même un peu, la baisse de la population mais surtout son appauvrissement étaient devenus flagrants. Tous les deux attestaient de l’affaissement d’une activité économique incapable de fixer les habitants, ni de les soustraire à une pauvreté galopante.
Un autre sujet était plus visible. La fermeture des commerces du centre ville, catastrophique, relevait plus clairement de la responsabilité du maire. Tétanisé par le risque, il n’avait osé dézinguer le plan de circulation fou légué par le vieux mentor. Ce dogme, avec une création de zones commerciales périphériques jamais empêchée, étaient la cause principale du désastre.
Il y avait eu aussi ces quelques épisodes embêtants qu’aucune gesticulation n’avait pu conjurer : la disparition de la brasserie millénaire, la réduction des dessertes TGV, la spécialisation du ressort judiciaire, l’impuissance de Douai dans l’assemblée de Douaizizaglo® etc.
Enfin, s’imposant encore plus nettement, la dégradation continue du patrimoine de la cité était un caillou, un gros grès, dans la chaussure du maire. Comment justifier que ces monuments aient pu être ainsi abandonnés pendant tout un mandat ? Le plus symbolique était celui-là ou mieux celui-ci mais plus encore ce dossier dont on est à peu près certain qu’il ne bougera pas avant des dizaines d’années.
Ce bilan pouvait se résumer en une simple question : Douai avait-elle enrayé son déclin depuis l’arrivée de M. Chéreau aux affaires ? Evidemment non. Aurait-il pu être pire ? Sans doute pas.
Le programme commun de la Gauche
Quand le bilan n’aide pas, l’étiquetage partisan, sinon la politique nationale, peuvent aider à le dépasser. En 2014, Frédéric Chéreau avait réussi contre toute attente l’exploit du « break » , s’imposant localement quand à la tête du pays, Hollande, socialiste comme lui, était totalement à la ramasse.
Cette fois-ci, c’est bien plus compliqué. L’épidémie macronienne était passée par là. Le PS perdu corps et biens, le maire aurait pu, comme ses amis des Hauts de France qui ont préféré trahir plutôt que tenir la position, devenir un adepte du « en même temps ».
Retenons à son avantage que placé devant cet embouteillage politique, Frédéric fit le pari de conserver l’antique union de la gauche – PS/PC légèrement verdis – « butte témoin » d’un passé révolu probablement unique dans toute la France. S’il n’en restait qu’un ce serait lui.
Un mandat d’un mois est bien suffisant
Il y avait certainement un peu de panique autour de lui comme dans sa tête mais l’homme avait du ressort, surtout pour conserver le boulot. Il savait moins bien le faire mais si on part du principe qu’une opinion publique n’a pas de mémoire, un peu de visibilité médiatique au dernier moment peut aider. Politicien, c’est un métier.
L’excuse est souvent pire que la faute. C’est ainsi qu’il faut juger l’incroyable frénésie d’inaugurations dans laquelle s’est plongé Frédéric Chéreau jusqu’à la seconde où elles étaient légalement possibles.
Gymnases, places, centres sociaux, trottoirs, enrobé drainant, tout y est passé. Ajoutons à cet étonnement l’amélioration du nettoyage des rues, l’implacable chasse aux crottes de chien, la nouvelle célérité des services municipaux…
Pourquoi donc un mandat municipal doit-il durer six ans quand on peut faire tant en quelques semaines ?
Les bastions sont bétonnés
Accompagnant cette stratégie d’urgence, notre sortant s’était aussi appliqué, à l’ancienne, à travailler ses bastions électoraux, le faubourg de Béthune étant le modèle du genre. Chacun sait et notre maire plus que tout le monde qu’en marketing gagner des clients est toujours plus difficile que de les conserver.
Le quadrillage en règle du cœur de cible – par familles, clans, assos et catégories – démontra de son efficacité dans certains bureaux de vote. Le jour des élections, son effet fut décuplé par la « Grande Peur » du Covid. Poussant l’abstention à un niveau jamais atteint, elle renforça parmi les rares votants la proportion de ceux qui avaient intérêt au maintien du maire en place.
Ils savaient, eux, ce qu’ils avaient à perdre avec son départ, à l’inverse de l’incertain contraire. On sait ce qu’on perd et jamais ce qu’on gagnera, c’est bien connu.
La face visible de l’iceberg
Si on n’avait tenu compte de la faiblesse des signaux dans le bruit de la ville, rien ne permettait d’entrevoir la victoire de Frédéric Chéreau. Les relais étaient rares dans les réseaux sociaux tandis que les productions écrites se réduisaient à leur plus simple expression.
Bien sûr, au plus près de lui, c’était quand même le désert. Invisible durant six ans, l’équipe municipale sortante avait été renouvelée selon des critères hermétiques. Elle n’en était pas plus convaincante.
Frédéric Chéreau ne compta pas beaucoup de soutiens extérieurs. Ce vide démontre en passant que Douai ne représente plus aucun enjeu pour beaucoup de leaders politiques, hors ceux du territoire et encore. Seul un Kanner démonétisé lui donna en passant un petit coup de main.
Cette modestie était la face émergée de l’iceberg. La suite allait démontrer que l’adhésion au maire, peut être un peu honteuse donc rarement criée sur les toits, n’était pas si limitée que ça. La prime au sortant, importante, était sous le niveau de la mer et personne ne la voyait.
Les adversaires peuvent être des alliés
Car si l’effet produit par la campagne de Frédéric Chéreau restait à vérifier, son salut pouvait aussi provenir des travers de l’adversaire. Là, notre édile était servi.
Il y avait d’abord les alliés qu’il comptait dans le camp d’en face. S’ils étaient souvent masqués, certains étaient plus repérables que d’autres. Ainsi Jacques Vernier qui, voilà trente ans y aurait regardé à deux fois avant de soutenir un « socialo-communiste », ne lésinait pas sur le soutien donné à son fils spirituel, non sans plonger la Droite locale dans la confusion.
Il eut donc devant lui des adversaires aussi divisés que multiples. Avec six listes, les électeurs de Frédéric Chéreau seraient toujours plus nombreux que ceux de chaque adversaire pris séparément.
La vérité n’est pas bonne à dire
A ce stade de l’analyse, il faut se pencher sur le discours et la posture de notre maire pour décrire la dualité redoutable dont il est capable de faire preuve en maintes situations. Nous devons sacrifier au portrait psychologique.
Si le docteur Chéreau délivre sous tous les temps et toutes les circonstances une parole maîtrisée, Mister Frédéric est plus approximatif. Ce dernier, comme plusieurs épisodes l’ont prouvé est absolument capable de mentir, y compris lorsqu’il est mis devant les évidences les plus marquées.
Interpelé sur l’absence d’une politique, d’une action, d’un dossier, il répondra toujours qu’ils existent, qu’ils sont en cours, qu’ils sont sur le point d’être réglés. Ce travers peut être une qualité politique mais il révèle une curieuse conception morale. Le mensonge dure peu, la vérité est éternelle.
Ce travers le conduit ainsi à malmener les faits sans aucune vergogne : la ville ne perd aucun habitant, elle en gagne, le commerce n’a jamais été aussi bien portant, la sécurité est en progrès constant grâce à ses actions, la situation financière de l’hôpital de Douai est bonne… C’est simple, vous ne l’entendrez jamais reconnaître une erreur, un oubli, un ratage.
Tout va très bien à Douai
Rien ne résume mieux cette vision altérée du réel que la satisfaction exprimée par notre maire de voir sa ville longuement citée dans le New York Times. La description de Douai y était terrifiante mais à sa mode habituelle Frédéric Chéreau présentait sous un jour favorable ce discutable intérêt américain.
S’agit-il d’un réflexe inconscient de défense ou un cynisme de politicien de métier ? Il reste certain que refuser le réel revient à s’interdire de souscrire aux discours négatifs. Une vision lénifiante, quelque soit le moment ou le sujet, outre d’être éventuellement prédictive, peut plaire.
Elle n’est pas ainsi sans effet sur un électorat qui, peu rompu aux analyses politiques, en a peut être assez d’entendre sans cesse, ici et partout, que sa ville est un trou en perdition dans lequel rien ne fonctionne.
Il y a de la fierté douaisienne dans cette négation de la réalité.
Trèfles, gri-gri et baraka
Tous ces artifices n’étaient pourtant pas suffisants pour assurer la victoire. Il fallait un élément supplémentaire : la chance.
Il est un peu curieux de considérer la crise sanitaire sous un jour positif mais, en toute objectivité, le cumul des facteurs favorables au maire sortant durant cette période a été inouï. Comptons les conditions du scrutin de premier tour, le confinement qui a suivi et enfin le second tour organisé à la veille des congés d’été. L’ensemble a été une circonstance incroyable pour celui qui tenait l’hôtel de ville.
Napoléon appréciait les généraux qui avaient de la chance. De ce point de vue, il aurait aimé le Grand Frédéric. Sur un mélange savant de gestion quotidienne et de propagande subliminale, ces trois mois inespérés lui donnèrent l’occasion de surclasser facilement ses adversaires.
Mais il y a plus profond, conclusion qui retrouve des déterminants déjà évoqués qui doivent pousser à la modestie tous les opposants de Frédéric Chéreau. Ils prouvent qu’à Douai on peut conserver son mandat en dépit d’un bilan médiocre, une campagne peu active et des contradictions massives.
La bizarrerie de ce paradoxe n’est qu’apparente. Faisons l’hypothèse qu’elle est d’abord dans l’état social d’une ville qui, inexorablement, conforte le pouvoir d’un maire de gauche parce que la population se confond exactement avec son électorat.
Le déclin de la ville- Douai demain Denain – n’est pas une évolution défavorable d’un point de vue électoral, donc la conservation d’un pouvoir. Le pression fiscale qui pousse les classes moyennes et supérieures à quitter la ville modifie considérablement le profil politique d’une cité appauvrie.
Territoire dédié aux subventions et aux assistances diverses, le Douai du futur possède un visage : docteur Chéreau et Mister Frédéric enfin confondus.
Nestor aime la polémique douaisienne, surtout quand elle est enfouie sous des tonnes de silence. On peut trouver parfois un peu de mauvaise foi dans ses propos mais sans cette liberté, il n’y aurait d’éloges flatteurs.