Douai est-elle librairicide

Librairie la Charpente Douai

Il fut un temps où les Douaisiens achetaient leurs livres à la librairie Lauverjat. Un lieu incontournable depuis le XIX° siècle dont le souvenir reste très vif dans la ville. Et puis un jour, pour des raisons obscures, la librairie ancestrale a fermé. Son beau local a été transformé en magasin de vêtements. Signe des temps, la culture a laissé la place à la couture.

Le Furet et puis c’est tout

Cette disparition, qu’on pouvait croire isolée, était toutefois l’annonce d’un mouvement profond que cache mal l’installation récente et bruyante du Furet du Nord dans les anciens locaux du magasin Treca dans la rue de la mairie.

Il ne s’agit pas de critiquer un projet qui a au moins le mérite d’exister. Cela d’autant plus qu’il permet le sauvetage d’un bâtiment historique inoccupé depuis des années, tout en offrant à une enseigne connue un local sans comparaison avec celui, incommode, qu’elle utilisait auparavant. Plus encore, rapprocher le Furet du Nord de la zone de concentration commerciale représentée aujourd’hui par la fameuse « croix » Bellain-Hôtel de ville, est une excellente opération.

Il faut s’interroger cependant sur le fait qu’il ne reste à notre ville – qui pèse quand même près de 40 000 habitants – qu’une seule librairie-papeterie après la disparition de trois d’entre elles en quelques années.

Certes, tous les jours en France ferme un point de vente d’un secteur touché de plein fouet par la concurrence d’internet mais surtout d’Amazon. Mais pour Douai, il faut aussi se convaincre qu’au-delà de ces évolutions globales, la réduction de cette offre témoigne aussi de l’appauvrissement social de la ville sur lequel nous reviendrons dans un autre article.

Le livre disparait

Quoi qu’il en soit, résumons les étapes de la disparition de nos chères librairies dans les rues de la ville.

– en décembre 2013, c’est Chapitre alias Brunet, beau magasin sur la place d’Armes  depuis 1995 qui met la clé sous la porte. D’incompréhensibles rachats et vente à la découpe de la part d’actionnaires étrangers seraient à l’origine de cette fermeture.

– en avril 2014, c’est la Papéthèque de la rue de Paris qui baisse le rideau. On y vendait depuis 1992 surtout des articles de bureau et des journaux mais aussi un peu de livres. La fragilité de l’équilibre financier aurait conduit à cette difficile conclusion.

 en décembre 2018, La Charpente qui avait ouvert quatre ans plus tôt, pose sur sa porte l’avertissement suivant : « fermé pour cause de fermeture ». Une belle aventure se termine à la grande tristesse de ses fidèles soutiens.

Librairie la Charpente
On ne saurait être plus clair…

Je suis « La Charpente »

Arrêtons nous un instant sur ce dossier qui résume à lui seul les contradictions de l’équipe municipale actuelle quant aux stratégies d’aménagement qu’elle met en œuvre depuis 2014.

L’ouverture de La Charpente a représenté dans le centre ville une bouffée d’oxygène pour un quartier en bien mauvaise posture. Parfaitement située, aménagée avec goût, cette librairie apportait le « je ne sais quoi » qui rendait le lieu unique, accueillant et chaleureux. On y trouvait des conseils avisés de lecture, un choix original d’ouvrages  mais surtout des chats qui, tout en se prélassant sur les présentoirs, semblaient vouloir convaincre les clients de la qualité des livres qui s’y trouvaient.

Pantoufle le chat de la charpente
Pantoufle critique littéraire

Peu d’avanies ont été épargnées à ses fondateurs depuis l’ouverture de ce magasin. Si la mairie n’a rien à voir avec la coupure électrique intempestive qui a perturbé son fonctionnement pendant quelques temps, il faut quand même évoquer les conséquences des travaux de voirie qui ont durant des mois empêché les clients d’entrer ou même aux passants d’approcher de la devanture.

Il est à souligner le succès du financement participatif en septembre 2017 qui a vu plusieurs centaines de personnes soutenir par leurs dons cette librairie avec la conviction que l’existence à Douai d’un lieu de culture de cette qualité était une nécessité.

Deux poids, deux mesures

Par contre, la municipalité ne paraissait pas toujours souscrire à cette logique. Sans doute obnubilée par le projet Furet du Nord, peut être peu convaincue de l’utilité d’avoir dans la rue deux points de vente sur le même objet mais plus certainement indifférente, la commune n’a rien tenté pour sauver ce commerce. On se souviendra longtemps de la maladresse insigne des services municipaux quand ils ont installé devant la porte de La Charpente, alors moribonde, une bannière exaltant l’ouverture prochaine du Furet du Nord à quelques mètres de là.

Pour finir, il faut se convaincre qu’il était parfaitement possible de faire vivre deux points de vente en aucun cas concurrents mais simplement complémentaires. Quoi qu’il en soit, posons la question du coût de l’installation du Furet.

On sait que le budget annoncé était de 1,7 million d’euros pour la ville, celle-ci recevant 500 000 euros de Douaisis Agglo et 600 000 de l’Etat au titre du soutien à l’investissement local, ce qui donne 600 000 pour la commune en propre. Il faut y ajouter le prix d’achat du bâtiment, soit 340 000 euros, ce qui monte l’effort des contribuables douaisiens à plus d’un million. Du côté du Furet du Nord plusieurs sources indiquent que l’aménagement du lieu lui aurait coûté 500 000 euros, sachant que le loyer à acquitter, relativement faible, sera dans tous les cas lié à l’évolution du chiffre d’affaires.

Besoin d’une idée solidaire?

Le local actuel est parfaitement situé, le mobilier déjà en place, pourquoi la mairie ne rachète-t-elle pas La Charpente pour la transformer en une « librairie solidaire » Café/Jeux sous un statut de SCOP qui permet d’allier le public et le privé et d’aider au maintien des commerces sans entrer dans une concurrence déloyale. La librairie du village de Lafrançaise, 3000 habitants, a réussi à le faire. Douai devrait en être capable.

Autre exemple relevant de l’économie sociale et solidaire, le statut SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) comme pour la librairie La Cavale à Montpellier mais aussi dans beaucoup d’autres villes.
Selon le statut, la Mairie peut être partie prenante avec un soutien proportionnel à celui qui a été apporté au Furet du Nord.
A minima accorder un loyer faible aux repreneurs, une offre proche du modèle initial, mais enrichie, tous les ingrédients du succès seraient présents, notamment pour l’aide radicale à l’équilibre financier qu’un tel choix permettrait. Vite, rendez nous notre Charpente !

Pour aller plus loin
Aides pour les librairies
C’est quoi une SCOP
C’est quoi une SCIC

Vous aussi vous avez des idées, partagez-les avec nous.

Max aime apprendre mais parle un peu souvent à la première personne. C'est un travers qu'il combat difficilement. Va falloir l'aider. Il adore la Scarpe et l'orgue de St Pierre, surtout les basses.

8 Comments

  1. Encore faut-il se renseigner, savoir de quoi on parle vis à vis de la Charpente et son immeuble, dont le propriétaire est « fantôme », proposez-nous plutôt une solution pour le retrouver lui, au lieu de vous attaquer à la mairie qui n’y peut rien.

    1. Merci de votre commentaire,
      comme écrit ci dessus, nous n’ignorons pas les problèmes légaux concernant ce local. Avez vous lu les solutions mises en bas de l’article ? La Mairie peut beaucoup : 1/2 million pour soutenir le Furet et on ne vous parle pas de l’aide de Douaisis Agglo. Ensuite, elle peut s’appuyer sur les textes en vigueur pour agir, notamment ceux du code du commerce concernant les périmètres de sauvegarde. C’est juste une question de priorités dans l’action.

  2. Quand on joue sur les approximations…
    on minimise forcement l’intérêt d’un article qui aurait pu être intéressant

    1) « Le Furet et c’est tout »
    A Douai à part Le Furet cohabitent pas moins de 4 librairies spécialisées :
    Aux Milles et Unes Partitions Librairie musicale
    La Clef Libraire ésotérique
    Passion BD Librairie de Bande dessinée
    La Baraque Librairie d’occasion associative

    2) « Le livre disparait »
    Le livre ne s’est jamais aussi bien porté à Douai, pour preuve la création d’un marché aux livres mensuel.

    3) « Le local actuel est parfaitement situé, le mobilier déjà en place.. »
    Renseignez-vous à minima et vous comprendrez pourquoi toute reprise de ce local sera impossible pendant de très long mois.

    Les solutions existaient avant la cessation d’activité de La Charpente.
    Encore fallait-il que l’équipe en place démotivée par les aléas qu’elle a subi, le veuille !
    Les moulins à vent et à parole n’ont pas bougés le moindre petit doigt !

    Oui la Ville de Douai, trop occupée par le navire amiral qu’elle déménageait à grand frais, n’a pas pris la mesure du naufrage.
    Mais les nombreux clients qui s’aperçoivent 4 ou 6 mois plus tard de la fermeture,
    les clients qui veulent de l’immédiateté en commandant de leur canapé et pleurent la disparition de leur commerce local, sont également responsables.

    Alors arrêtons de pleurer ce qui n’est plus mais que de toute façon, nous ne soutenions que ponctuellement.
    Faites vivres ceux qui restent et ré-inventons la librairie de demain face à la concurrence de la pieuvre A… installée à grand frais par la CAD (ou Douaisis agglo) et oui aussi..

    1. Merci de votre réaction particulièrement argumentée.
      Aucune approximation dans le propos, juste un avis éclairé. Nous connaissons évidemment le statut judiciaire de ce local. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur la situation légale des fonds de commerce douaisiens. C’est un des éléments du marasme que nous lui connaissons. Nous évoquerons cet aspect un autre jour.
      Après, nous avons parlé de la complémentarité qui n’a pas été suffisamment défendue mais vous avez raison de citer les autres commerces organisés à Douai autour du livre encore que la BD, l’ésotérisme et l’occasion, tous respectables, relèvent de niches spécifiques. La Charpente était sur une option plus généraliste.
      Enfin, nous pensons, comme vous, que les Douaisiens seraient bien inspirés de faire leurs achats dans leur ville. 37 000 habitants représentent un marché de consommation de grande ampleur. C’est ce que nous faisons en ce qui nous concerne mais en luttant contre tout ce qui s’y oppose et que nous évoquons dans nos pages.
      Pour conclure, la question est encore une fois la stratégie municipale. Pour La Charpente, il existait des solutions à coût modique comme indiqué dans l’article, surtout rapporté au financement public du Furet que nous payons tous. Il a fallu attendre cette année pour voir arriver un « animateur de centre ville ». On peut espérer que nos commerçants le rencontrent intensivement. On peut rêver qu’il ait des solutions radicales et immédiates. Le prochain marché aux livres n’est aucunement, si on comprend bien, l’initiative de la mairie mais d’un passionné qui a forcé les portes. Tout est là. Depuis 2014, la situation du commerce de la ville s’est elle améliorée ? Nous ne le croyons pas.
      Merci de nous lire !

  3. J’ai connu le temps o) il y avait plusieurs librairies à Douai. La très belle librairie Lauverjat (à l’angle de la Place d’armes et de la rue de bellain), la maison de la Presse qui a été d’abord installée rue de bellain avant de déménager à la galerie de la Madeleine, Héroguez. au bout de la rue St Jacques. Puis il y a eu aussi la belle librairie Brunet et ses. vendeuses. si compétentes.
    La plupart ont disparu. Mais pas seulement comme vous le laissez entendre par la faute de la Mairie. Par exemple la Maison de la Presse, où les gens se bousculaient parfois, a fermé pour des rasions m’a t on dit de succession.
    Mais y a t il la place pour. plusieurs librairies? au temps des liseuses, des smartphones, d’Amazon. Je ne le pense pas.

    1. Nous avons tenté de préciser les raisons des fermetures progressives des librairies dans la ville et qui ne tiennent pas forcément à l’action intempestive de la mairie. Pour autant, le destin de La Charpente est intimement lié aux décisions municipales ou à leur absence. Les travaux n’ont pas aidé. Le Furet a été furieusement soutenu. Il n’était pas compliqué de donner un coup de pouce à cette librairie indépendante.

  4. Tous les articles que j’ai relus ce soir m’ont poussée à réagir.Je suis une ancienne libraire de la Charpente mais j’ai aussi travaillé quelques années au Furet,quelques autres chez Brunet. J’ai toujours aimé mon métier et je dois dire que l’exercer dans le cadre d’une librairie indépendante à été une expérience merveilleuse, malheureusement risquée.!
    Je suis aujourd’hui au chômage, en fin de droits.
    J’ai essayé de postuler au Furet mais en vain. Son charmant directeur m’a dit, avec ce grand sourire que les douaisiens connaissent, qu’il n’engagerait personne et que de toutes façons la DRH preferait : »les jeunes plutôt formés chez Zeeman,Leroy merlin ou Camaieu »
    Les lecteurs seront libres aujourd’hui d’acheter sur Amazon ou dans les grands groupes qui petit à petit monopolisent le marché du livre.
    Cela fait 25 ans que je vis à Douai et je ne vois vraiment plus d’avenir dans cette ville.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec une *. Les commentaires sont mis en ligne après modération.

*