Un Tartare à Douai

Maison aux quatre coins du baron de Tott - Ville de Douai

Contrairement à une idée aussi locale que reçue, il peut arriver que des hommes célèbres fassent honneur à notre cité sans y être né.  La vie du baron de Tott est un roman dont Douai constitue un chapitre intéressant puisqu’à l’exemple de Jacques Lesaige, il nous rapproche de l’Orient.

Un hussard au service de la France

Son père André (1698-1757) faisait partie de la diaspora hongroise qui, après l’échec de la révolte contre l’Autriche (1703-1711), avait émigré en Turquie à la suite de leur chef, le prince Rákóczi. Après quelques années passées à Istanbul, entré au service de la France en 1720, il devint officier puis colonel du célèbre régiment des Hussards de Bercheny.

Son fils François (en magyar Báró Tóth Ferenc), notre tartare, est lui né en 1733 à Chamigny d’une mère française. Très jeune, il embrasse la carrière des armes lors de la guerre de succession d’Autriche où Louis XV, allié à la Prusse, affronte les Habsbourg. Blessé à Bataille de Lauffeld en 1747, il suit, la guerre terminée, son père dans plusieurs missions diplomatiques en Orient.

Exploits au service de la Sublime Porte

Cette première expérience est le début d’un séjour de vingt ans auprès de la Sublime Porte durant lequel De Tott va défendre les intérêts du roi de France en apportant au sultan, notre allié depuis François 1er, toute l’étendue de ses connaissances militaires.

D’abord envoyé auprès du khan de Crimée, il se rend en 1769 à Istanbul où il réussit à approcher le sultan Moustafa III. Ce dernier, qui lui confie la poursuite de la réforme militaire initiée par Bonneval Pacha, lui permet de moderniser l’artillerie ottomane en introduisant les nouveautés techniques (fonderie, normalisation des projectiles, affuts mobiles etc.) que Gribeauval met en œuvre en France au même moment.

La Turquie qui est en guerre contre la Russie depuis 1768 essuie de nombreux revers. La flotte de Catherine II menace le détroit des Dardanelles donc, pour la première fois de son histoire, Istanbul.

Déployant une activité prodigieuse, De Tott renforce les fortifications côtières. Il augmente leur puissance de feu à un tel niveau que les navires russes, pourtant conquérants, n’osent pas forcer le passage.

Après ce succès qui le fait connaître de l’Europe entière, y compris de la tsarine qui ironise sur ce « chevalier Tott, qui se tuera à force de fondre des canons et d’exercer des canonniers », le baron continue son œuvre auprès du sultan.

Malheureusement, sa vision d’une réforme profonde de l’armée ottomane le rend peu à peu suspect parmi les chefs militaires, notamment les janissaires, hostiles au changement qui menace leur puissance. La mort du sultan en janvier 1774 puis le catastrophique traité de Koutchouk-Kaïnardji passé avec la Russie en décembre de la même année, fragilisent sa position. Le baron de De Tott quitte Istanbul en 1776.

Au titre de son expérience ottomane, le ministre de la Marine Sartine lui confie en 1777 une mission d’inspection des consulats « dans les Échelles du Levant et en Barbarie » dont le but caché était une exploration de l’Égypte destinée à préparer l’éventuelle annexion de cette province par la France. Les enseignements de cette mission seront la base de la future et célèbre expédition menée par Bonaparte vingt ans plus tard.

Lieutenant du roi à Douai

Le baron de Tott possédait parfaitement la langue turque et connaissait bien les institutions et les mœurs de l’Empire ottoman.

Ses « Mémoires sur les Turcs et les Tatares » publié à Amsterdam (en fait Paris) en 1784, a été traduit et lu dans toute l’Europe. Document de premier ordre dont le style alerte justifie son statut de « best-seller », l’ouvrage, qui est une critique du despotisme oriental, confirme que le déclin de la Sublime Porte en fait une proie pour l’Occident.

Mémoires du Baron de Tott

On imagine sans peine l’intérêt qu’on porta dans la capitale de la Flandre française au nouveau lieutenant du roi dont le prédécesseur, Saint Ferréol de Villedieu, était resté en poste à Douai plus de vingt ans.

Maréchal de Camp depuis 1781, De Tott n’était pas issu des familles nobles les plus prestigieuses. Il présentait même un profil de diplomate aux confins de l’aventurier. Sa présence à Douai, pourtant brève, marqua les esprits par une personnalité haute en couleurs dont les bords de Scarpe n’avaient pas l’habitude.

Si plusieurs auteurs attribuent au baron de Tott une qualité de gouverneur qu’il ne possédait pas, c’est parce que la distinction entre le gouverneur, le lieutenant-général et le lieutenant du roi est difficile à faire.

Pour les premiers, en dépit de la construction en 1735 d’un hôtel de fonction visant à les obliger à habiter à Douai, ils n’y résidaient pas ou peu. Le lieutenant-général assure en théorie une sorte de suppléance du gouverneur mais, peu à peu, l’attribution de cette charge de père en fils l’a transformée en titre honorifique n’obligeant personne à l’assumer réellement. En 1785, le gouverneur de Douai est le célèbre marquis de Bouillé et le lieutenant-général Henri Ignace Duhamel, conseiller.

Restait enfin le lieutenant du roi qui, « tenant lieu du monarque à Douai » , habite en ville et assure la direction des affaires militaires et civiles. De Tott s’était installé dans la fameuse « maison aux quatre coins » de la rue Saint Julien qui occupe un quadrilatère entier – d’où son nom – et qui existe toujours. Accueillant l’école Saint-Joseph jusqu’en 2011, sa désaffectation a été suivie par quelques travaux de sauvegarde.

L’emprise du lieu, certaines décorations intérieures, le portail monumental, donnent, en dépit des outrages du temps, une idée du luxe dans lequel le lieutenant du roi exerçait ses fonctions.

Cette demeure, fruit d’additions successives comme le prouvent certains indices, ainsi des fenêtres à meneaux sur la façade de la rue St Julien, fut aménagée en 1721 par un négociant de Lille, Charles de Savary. Son fils, Alexandre, bourgeois de Douai, ancien officier, contrôleur du roi à Paris, vendit l’ensemble en 1756 au sieur Dehault magistrat.

Sur le plan Robaut de 1850, la propriété est une sorte de grand jardin. Elle est bordée du côté de l’église Saint Jacques par un petit canal qu’il fallait franchir pour y accéder. A cette époque, elle est possession d’Alfred Dupont avocat, administrateur de la Compagnie des mines de Courrières, député monarchiste durant l’Ordre Moral, décédé en 1887.

la maison au quatre coin du Baron de Tott

C’est dans ce cadre que le Baron de Tott organisa des fêtes qui restèrent longtemps dans la mémoire douaisienne pour leur fantaisie empreinte de « turqueries », surtout quand le « gouverneur » ose le caftan et le turban.

Curieux de tout, De Tott pratiquait les arts. Il était d’ailleurs un peintre d’assez bonne facture, comme le sera, quoique plus professionnelle, sa fille Sophie. Une de ses toiles, disparue depuis 1918, « Vue prise en Crimée. Marine avec figure » fit d’ailleurs un temps partie du fonds de la Chartreuse.

On ignore si De Tott a exercé ses talents d’ingénieur et d’architecte dans sa demeure ou même les fortifications de Douai comme il l’avait fait sur le Bosphore. On peut imaginer qu’en spécialiste de l’artillerie, il s’est intéressé de près à la marche de la fonderie ainsi qu’à l’organisation des régiments de la place. Tout au plus, plusieurs auteurs signalent à son initiative la construction en 1787 d’un « kiosque » aux abords de la porte de Paris qui aurait été, comme son nom l’indique, de style ottoman.

Cette construction était peut être liée, cette même année, ainsi que le rappelle Plouvain dans ses « Ephémérides » au séjour fait par Isaac Bey à Douai. Réfugié en France après sa disgrâce auprès du sultan, l’exilé est logé chez le baron qui le connaissait depuis son séjour à Constantinople.

La Révolution mit un terme aux fonctions de notre gentilhomme magyar à Douai lorsque les régiments se mirent à s’agiter sous l’empire des idées nouvelles. En juin 1790, menacé par des soldats auxquels il avait refusé le droit de se « fédérer », De Tott doit prendre la fuite.

En homme à poigne, il tenta en effet de rétablir l’ordre par une fermeté qui, certes dans sa manière, n’était plus de mise. Les factieux, loin d’être calmés, se soulevèrent, décidés à « lanterner » leur chef, coupable de « despotisme », accusation qui prend toute sa saveur quand on considère les critiques du Baron sur le régime ottoman.

Un groupe d’officiers, inquiets quant au salut de leur supérieur mais peut-être aussi quant à ses initiatives, organisèrent son départ de la ville qui ne fut possible, parait-il, que les armes à la main.

De Tott passa ensuite en Suisse puis en Hongrie où son ami, le prince de Batthyány, lui offrit l’hospitalité dans sa propriété de Tarcsa, de nos jours Bad Tatzmannsdorf en Autriche. Toujours actif, il s’occupait de recherches scientifiques dans un laboratoire construit pour lui et qui a subsisté jusqu’à aujourd’hui.

Perspicace quant à la solidité du nouveau régime de France, marqué de plus par l’exécution du roi qu’il avait longtemps servi, le Baron de Tott fit reconnaître par l’empereur ses origines nobles et magyares au début de 1793. Son décès, peu après, ne lui permit pas de profiter longtemps de ces retrouvailles avec ses racines familiales.

Honneur à Queter

Logement de Laurent Queter en bords de Scarpe à Ville de Douai

Le récent sauvetage d’un jeune homme tombé dans la Scarpe rappelle que notre canal, lieu magnifique, peut aussi être dangereux. Voilà donc l’occasion, dans cette période troublée, d’exhumer une figure douaisienne oubliée, celle de Laurent Queter qui, voilà plus d’un siècle, a sauvé de nombreux imprudents lesquels, passant trop près de l’eau, étaient tombés dedans.

Un poissonnier du marché aux poissons de Douai

Poissonnier, fils de poissonnier, père de poissonnier, Laurent Queter était né à Douai en 1803. Reprenant le métier de son père, il était établi sur le marché aux poissons réservé, comme son nom l’indiquait alors et comme il ne l’est plus aujourd’hui, au commerce halieutique.

On comprend d’ailleurs que son activité concernait surtout des poissons d’eau douce qu’il pêchait le jour et qu’il vendait ensuite. Sa maison sur la place au n° 24 – elle existe toujours – située sur le canal, avait des fenêtres qui donnaient sur l’eau. C’était un lieu de surveillance idéal, véritable vigie dont l’emplacement allait faire sa renommée. Selon son propre récit, il expliquait pour cette raison sa promptitude à agir : « dès qu’un cri humain s’était fait entendre, je n’attendais jamais le second, je sautais lestement de mon lit et, le temps de faire un signe de croix, j’étais dans l’eau. »

Une vocation précoce de sauveteur

Taillé en hercule, Queter sauva une première fois, alors qu’il avait dix sept ans, un soldat du 31° de ligne tombé du pont des Dominicains en pleine nuit. L’absence de balustrade et peut être l’intempérance du militaire, expliquent toutes ensemble cette chute dans l’eau glacé de l’automne. Quoi qu’il en soit, entendant le cri du malheureux, notre jeune poissonnier n’écouta que son courage, sauta dans le canal et réussit en quelques minutes à le ramener sur la terre ferme.

Le pont des Dominicains, le plus étroit de Douai, lieu du premier sauvetage de Laurent Queter

Ce premier sauvetage de 1821 fut suivi par beaucoup d’autres. En 1824, deux hommes tombés dans la Scarpe sont ramenés par Queter en dépit des « efforts inintelligents dont font preuve ceux qui sont en danger de se noyer ». Sa force physique et ses aptitudes de nageur apparaissent la clé de son succès comme l’expliquent les témoins de l’époque. Tous soulignent tous la difficulté à ramener sur la rive des individus qui se débattent par peur de la noyade au risque d’emmener avec eux au fond leur sauveur.

Une impressionnante liste de sauvetages

Le bilan de Queter, si on peut le qualifier ainsi, durant vingt ans, de 1821 à 1841, est considérable. Le nombre de sauvetages s’établit ainsi à plus de quarante. La variété des victimes est en elle même une bonne indication du profil de la société douaisienne du XIX°, faite de petites gens et de militaires.

Une typologie est ainsi possible. On note la surreprésentation des hommes (30 pour 12 femmes) et le ratio moins favorable pour ces derniers en termes de sauvetages (60% de décès contre 40%). On compte enfin 8 militaires dans cette liste tandis que les deux mois où la fréquence des chutes est la plus forte sont septembre (7) et mai (6). On n’en compte aucune en décembre, ce qui s’explique sans doute par la température extérieure qui pousse peu de monde à sortir.

Cette longue liste frappe d’ailleurs par le fatalisme qu’elle exprime en creux. On y cherche vainement le principe de précaution qu’emprunte aujourd’hui toute action publique. A ces époques, il revenait aux citoyens de prendre leurs responsabilités. S’approcher de l’eau n’était pas recommandé, surtout quand on s’était abreuvé de bière ou de vin et qu’il faisait nuit. On s’en remettait à l’habileté aléatoire d’un Queter pour se tirer d’affaire.

On comprend aussi à la lecture des exploits de notre sauveteur que les bords de Scarpe n’étaient pas aussi aménagés qu’aujourd’hui. Garde-corps et quais ont été en effet réalisés plus tard, en 1856, sous la magistrature de Jules Maurice. Au début du siècle, le canal est un outil pour la ville. Rien ne doit gêner l’accostage et les transbordements de marchandises.

Laurent Queter poissonnier à Douai
Laurent Queter

L’honneur des humbles

Dès 1836, la monarchie de Juillet a distingué Laurent Queter en lui attribuant la croix de chevalier de la Légion d’Honneur. La remise de décoration, évènement rare, fut l’occasion d’une fête dans toute la ville présidée par le sous-préfet, Eugène Mancel, qui souligna, outre les exploits du sauveteur, dans une ville très orléaniste, la mansuétude de Louis-Philippe « monarque qui sait rechercher et reconnaître tous les mérites. »

Porte-drapeau des pompiers de la ville, ce qui lui allait bien compte tenu du sacrifice de sa vie qu’il mettait en jeu à chaque sauvetage, il reçut de nombreuses reconnaissances de la part des pouvoirs publics.

Queter fut distingué par l’Académie Française par un prix remis par Charles Nodier. Impressionné par les exploits de notre poissonnier, comptant les personnes repêchées, l’auteur reconnut avec admiration que « les Romains lui auraient décerné 29 fois la couronne civique. ». En 1841, le baron de Tournemine, général d’artillerie de Douai, intervint pour qu’il soit nommé à la Société générale des naufrages, association de sauvetage alors active sur les côtes de La Manche, ancêtre de notre SNSM.

Queter est mort en décembre 1861. Ses funérailles furent l’occasion d’un hommage unanime de la population douaisienne qui fit une souscription pour qu’un monument funéraire rappelle une mémoire qui n’a pas, malheureusement, échappé à l’interruption des souvenirs.

Emmanuel Choque, le maire d’alors, prononça un beau discours qui suscita l’attendrissement général et qui maintenant provoque le notre : « Adieu donc Laurent Queter ! Reposez en paix dans le sein de Dieu, qui sonde les cœurs et qui a déjà récompensé tout ce que le vôtre renfermait d’honnêteté et d’abnégation ! Adieu ! »

Auguste n’aime pas Douai

Le professeur Angellier

Personne ne se souvient aujourd’hui d’Auguste Angellier. Il existe des lieux qui rappellent pourtant sa mémoire, un collège à Boulogne, un lycée à Dunkerque sa ville natale, une rue et une statue à Lille mais rien à Douai. C’est injuste. Professeur de la faculté des Lettres, il y a enseigné la littérature anglaise avec brio, participant au renom de notre université.

Il est vrai que le professeur Angellier, ainsi qu’il l’exprimait dans le volumineux journal qu’il n’a cessé tout au long de sa vie de tenir, avait la dent dure sur « l’Athènes du Nord ». Dans ces pages longtemps cachées, il observait la société douaisienne avec une acidité qui explique sans doute l’oubli dans lequel notre cité le tient aujourd’hui.

Un pionnier de l’enseignement linguistique

Né en 1848, Angellier était issu d’un milieu modeste. Ses parents, qui avaient remarqué les capacités scolaires de leur fils, réussirent à le faire entrer à Louis le Grand pour qu’il y prépare le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure. Bon élève, Auguste était aussi assez remuant. Une révolte lycéenne contre la direction dont il était un des meneurs – l’intendant trafiquait sur la qualité de la nourriture – lui valut d’être renvoyé en 1869.

Les décisions de cette époque étaient irrévocables. Il fut impossible au puni de réintégrer le moindre établissement public, ni même de passer l’oral du concours. A bout de solution, il trouva en Grande-Bretagne un poste de répétiteur. Ce premier séjour, qui fut suivi par beaucoup d’autres, orienta son destin. Langue et culture anglaises, passion de sa vie, allaient décider de sa carrière d’enseignant dans cette discipline.

Ainsi, après la guerre franco-prussienne où, bien que volontaire, il ne combattit pas, le nouveau régime lui offre un poste d’enseignant remplaçant. Certifié d’anglais en 1873, reçu à l’agrégation trois ans plus tard, Angellier est ensuite nommé au lycée Charlemagne. En 1881, la chaire d’anglais à l’université de Douai étant libre, il accepte ce poste qui lui donne l’occasion de se rapprocher du Boulonnais familial.

Hors le latin et le grec, l’enseignement linguistique ne fut pas, pendant longtemps, obligatoire dans les lycées. Son développement, limité, dépendait de chaires universitaires qui n’existaient pratiquement pas. Il reviendra à la III° République de mettre en place les cours de langues vivantes du collège au Supérieur. Angellier accompagnera cette diffusion tout au long des postes qu’il assumera, notamment au terme de son parcours quand il sera doyen de la faculté des Lettres de Lille.

Un notable contrarié

Rien de commun entre Valentine Camescasse et Auguste Angellier quant à l’opinion que chacun se fait de la vie douaisienne du début de la III° République. Pourtant contemporains, ils se sont sans aucun doute croisés dans les salons de la ville, notamment chez le doyen Desjardins qui recevait beaucoup et dont la table était réputée.

Le silence de Valentine sur notre personnage est curieux. A l’inverse, serait-elle la « Mme C. » qu’on retrouve plusieurs fois dans le journal d’Angellier ?

Lisons : « Réception chez la doyenne. La petite H. me parle longtemps de Mme C. de qui elle me dit beaucoup de mal. C’est une rouée, si vous savez etc. J’en ris et elle part toute calmée mais au moment où elle s’en va, Mme C. arrive. Il y a une minute difficile. La petite H. est bruyante, bavarde, commère, un peu commune et très peuple. Mme C. joue à la grande dame et pourrait en faire une. La petite H. n’est qu’une petite grisette. »

Plus loin, chez « Mme A. », les choses se précisent : « je passe ma soirée à batifoler avec Mme C., qui est pleine de coquetteries, de petits piaffements, de petits soubresauts, de cabrades légères… » et puis en forme d’épilogue : « je dîne chez Delangre qui me raconte que Mme C. dit partout que je suis éperdument épris d’elle. Elle est folle… »

A cette époque, tout fonctionnaire qui compte en ville, un universitaire l’est absolument, se doit de respecter les règles de sociabilité. Il doit participer aux soirées, innombrables, qui animent la notabilité locale. On va chez les uns et les autres. On dine, on joue aux cartes. Magistrats, professeurs, notables divers se côtoient, flirtent, cancanent, font aussi assaut d’érudition littéraire. On devine qu’avec son esprit anticonformiste, Angellier devait susciter l’intérêt. Personne ne pouvait imaginer en privé sa sévérité envers les « Duaques » mais surtout les « duacismes », expressions locales de toutes natures qu’il brocarde dans ses pages journalières.

Angellier doit tout à Douai

Pourtant, en dépit des critiques envers notre cité, deux raisons donnent au séjour douaisien d’Angellier une importance déterminante dans son parcours.

L’universitaire anticonformiste

Ce fut d’abord à Douai, durant ces huit années d’enseignement, qu’il a fourni l’effort le plus intense de sa carrière. D’abord par son action auprès de ses étudiants qu’il préparait avec succès aux concours, l’agrégation en tête qui rehaussait le prestige de la cité. Ses cours, qui remplaçaient les conférences mondaines de ses prédécesseurs, étaient recherchés pour leur intérêt. Le soir, besogne terminée, le professeur s’enfermait dans son bureau de la rue d’Arras, parmi ses livres et les « curiosités » dont il avait la passion. Dans ce havre de paix, il retrouvait selon ses propres mots, « les joies de l’esprit et la solitude de la pensée. ».

C’est à Douai qu’Angellier conçut et écrivit sa fameuse thèse sur Robert Burns qui allait marquer tant elle rompait avec les habitudes universitaires. Audacieux selon son caractère, il osa ainsi s’opposer au déterminisme de Taine qui faisait découler de l’environnement des auteurs l’inspiration de leur œuvre. Angellier y gagna une célébrité nationale. Plus prudent sur la forme, notre doctorant se plia néanmoins aux règles étonnantes de l’époque. La thèse mineure devant être rédigée en langue ancienne, il analysa l’inspiration hellénistique de la poésie de Keats en latin sans aucun mot d’anglais.

A l’amie perdue

Enfin, ce fut à Douai qu’Auguste rencontra l’amour de sa vie, celle à laquelle il allait consacrer son recueil de poésies le plus célèbre, « A l’amie perdue ».
Thérèse Denys, fille d’un brasseur douaisien, avait épousé à dix-sept ans et à Douai en 1874, Félix Fontaine, « marchand de fer » de Solesmes, lui aussi fils de brasseur. Ce mariage certainement arrangé entre deux familles aux intérêts proches fut très vite malheureux. En 1882, la vie commune étant devenue impossible, la jeune femme fut obligée de retourner vivre chez ses parents avec ses deux enfants.

On ignore les circonstances précises de la rencontre de ces deux solitaires mais l’idylle releva, quand on considère les préceptes moraux de l’époque, du tour de force. Contraints à la discrétion sinon à la dissimulation dans une ville où tout se savait, les deux amoureux luttèrent vaillamment pour affronter ces vents contraires.

Profitant d’escapades sur la côte, de voyages divers, de signes secrets, déployant des trésors d’imagination pour donner le change, les deux amants réussirent à entretenir la flamme. Les périodes du recueil « à l’amie perdue » retracent l’évolution des sentiments, de la passion du début à l’éloignement final.

Le départ des facultés à Lille en 1887 rendit en effet les liens plus difficiles à maintenir. Le mariage, sans doute envisagé, ne se fit jamais. Si peu à peu la passion s’éteignit, Thérèse garda un lien épistolaire avec Angellier probablement jusqu’à la mort de ce dernier en 1911. Elle même disparut en 1942 dans l’anonymat le plus complet. La révélation de cette liaison n’eut lieu que de nombreuses années plus tard quand furent accessibles les courriers codés des deux amoureux.

Le poète dans son oeuvre sublima cet amour impossible donc inoubliable par ces vers superbes :
Puis, quand nous gagnera le suprême sommeil
Ils t’enseveliront loin de mon cimetière
Nous serons exilés l’un de l’autre en la terre
Après l’avoir été sous l’éclatant soleil
.

Le PLU avant le PLU

Le plu avant le plu

Douai présente, plus que toute autre cité des Flandres, un patrimoine exceptionnel qui tient à son unité architecturale. Il y a aussi la magnificence. Les grandes familles douaisiennes n’hésitaient pas à étaler aux yeux de tous les preuves de leur prospérité, par la taille mais surtout la décoration de leurs somptueuses demeures.

Qu’elles aient réussi à traverser les siècles et les nombreuses destructions du passé relève du miracle. Les deux guerres mondiales ont été bien agressives contre Douai. L’action des « aménageurs » qui a suivi la Libération, André Canivez et Charles Fenain n’a pas été sans effet. Les deux n’ont eu aucun état d’âme à détruire des vieilles bâtisses pour mettre à la place des bâtiments en béton, verre et fer. Il faudra un jour faire la liste de ces démolitions qui témoignent de leur part d’une étonnante indifférence au passé.

Quoi qu’il en soit, si les plus beaux hôtels de la ville attestaient des moyens financiers et du goût des magistrats et aristocrates – souvent fusionnés – on compte aussi dans la ville des réussites architecturales qui découlaient parfois de motivations plus banales.

Ainsi le fameux bâtiment de « la Poule » avec sa magnifique façade Louis XVI, ses colonnes, son tympan sculpté, n’était pas à l’origine la propriété d’un aristocrate local mais plus prosaïquement le projet d’un maître charpentier, Pouille, qui souhaitait investir dans les « immeubles de rapport » comme on le disait alors, objectif qui, parait-il, le mena à la ruine.

Le règlement de 1718

Pour autant, l’unité architecturale de Douai est un élément d’intérêt évident. Elle découle du célèbre « règlement de 1718 », édicté par les échevins. Cette décision pionnière envisageait en effet, comme le prévoient les plan locaux d’urbanisme actuels (PLU), d’obliger les propriétaires à bâtir selon des principes stricts, dans l’apparence des maisons et les matériaux utilisés.

Deux sièges, en 1710 puis 1712, provoquèrent d’importants dégâts. Surtout le premier, quand les Alliés ont conquis la place après deux mois de durs combats. La reprise de la ville par Villars deux ans plus tard fut moins destructrice mais c’est une cité ravagée qui redevient définitivement française quand se termine la guerre de Succession d’Espagne.

Avec beaucoup d’intelligence, les échevins anticipèrent les conséquences probables de la reconstruction qui s’annonçait. Leur volonté de planification visait d’abord à éviter l’anarchie du passé médiéval, à répondre, au contraire, aux canons modernes de la rationalité mais plus encore à manifester un « goût français » qui confirmait l’intégration de la Flandre dans le royaume.

Le Magistrat, c’est-à-dire le conseil municipal, exposa ainsi ses arguments parmi lesquels il souhaitait procurer aux propriétaires « par un règlement les sûretés convenables et les facilités qu’ils pourraient désirer, soit pour prévenir les accidents du feu ou autres, soit pour leur épargner des dépenses superflues. »

Les matériaux et techniques de construction étaient précisés. Les toits de chaume devaient disparaitre, les façades devaient s’aligner et toute construction devait faire l’objet d’une demande d’agrément.

Les contraintes du règlement

Cette « architecture officielle » s’organisait, selon la description de Victor Champier, « pour les maisons des particuliers » de la façon suivante : « sur une « gresserie » c’est-à-dire un rez-de-chaussée en grès, percé de hautes fenêtres, s’élève un étage (parfois deux) éclairé par les mêmes fenêtres qui laissent apparaître entre leurs jambages de pierre un mince trumeau de briques. Le toit couvert de tuiles projette en avant deux ou trois lucarnes et souvent deux rangées superposées, quand le comble est brisé. Parfois la fenêtre centrale s’élargit sous un arc en plein cintre.  »

Alignement- le plu - règlement de 1718
Alignement des étages et cordons rue de l’Université
Hôtel avec porte cochère - règlement de 1718
Hôtel avec porte cochère et enduit à l’étage

Les contraintes du règlement sont la clé de l’harmonie des rues douaisiennes. Pourtant, aucune maison n’est identique à une autre. Si on retrouve toujours les traits communs avec une hauteur des étages soigneusement contrôlée, pour le reste la liberté est de mise. Certaines façades sont intégralement en grès, d’autres ne connaissent pas la brique aux étages mais seulement le calcaire. Les sculptures sont simples mais là encore toujours différentes.

Il faut tout de suite indiquer que les riches familles surent se libérer de ces obligations lorsqu’elles souhaitèrent se construire des demeures exceptionnelles. C’est ainsi que les plus beaux hôtels de la ville, ainsi celui d’Aoust, rue de la comédie, se sont construits sur des principes plus indépendants. Pour autant, le respect du règlement peut aussi concerner de grands bâtiments, ainsi l’hôtel de Warenghien construit par Durand d’Elecourt en 1754 dont la façade sur la rue est parfaitement conforme aux obligations échevinales.

Le disparition de la ville flamande

Tout au long du XVIII° siècle, ces règles strictes d’urbanisme allaient faire disparaître la vieille ville flamande. Le plan relief de Douai qui date de 1709 expose en effet une physionomie totalement différente de celle du siècle suivant. La brique recule vigoureusement mais surtout le « retournement » des toitures impose l’organisation française un peu partout. Les maisons aux pignons flamand dits « à pas de moineau » qui se serraient les unes contre les autres, séparées par un chéneau commun, sont démolies. Elles laissent la place aux grandes façades sur la voie qui permettent une simplification des charpentes mais surtout un meilleur écoulement des eaux pluviales.

maison flamande dans la ville de Douai - avant le règlement de 1718
Ancienne maison flamande à pignon en « pas de moineau » rue des Dominicains

Il n’est pourtant pas rare lors de travaux de découvrir dans les murs des maisons douaisiennes des traces du vieil appareil, les maçons s’étant contentés d’ajouter des ouvertures aux encadrements de calcaire dans les anciens pignons augmentés en surface. Cette trace flamande, sinon médiévale, est encore plus évidente sous les rues. Bien souvent, les caves sont restées intactes. On a construit dessus mais sans toujours correspondre à leur plan quand celui-ci ne respectait pas la règle d’alignement. Parfois organisées sur deux niveaux, voûtées, elles peuvent ainsi s’avancer sous la voie ou, au contraire, être en retrait.

Maison douaisienne pure -règlement de 1718
Demeure douaisienne « pure », rez de chaussée en fenêtres à linteaux clavés horizontaux, l’étage avec des arcatures cintrées.

Jusqu’à la fin du XIX° siècle, les Douaisiens construisirent leurs maisons dans un respect du règlement de 1718 qui, pourtant, perdit peu à peu de sa force. Mme Camescasse signale ainsi une maison qui, vers 1880, à l’étonnement des habitants, ne le respecta pas. Toujours debout rue des Foulons, sa façade tranche effectivement avec celles de ses voisines.

Les oublis de la modernité

Si les vieux principes disparurent plus ou moins lors des constructions des boulevards qui suivirent la démolition des fortifications, le XX° siècle les oublia totalement.

Ce fut bien sûr le cas quand la ville se releva des destructions de 1918. Le choix fut celui de l’Art Nouveau, notamment dans la rue de Bellain ou la place Carnot. On conserva toutefois les proportions des étages et celle des toitures, réussissant à reprendre la grammaire traditionnelle tout en l’éloignant avec une certaine habileté.

L’expérience fut bien moins réussie quand Douai se releva des suites des bombardements de 1944. L’exemple le plus discutable est évidemment la place d’Armes reconstruite sur les plans d’Alexandre Miniac mais surtout les dessins d’Henri Chomette. Les bâtiments qui ferment l’espace, avec leur structure de béton visible mais aussi les piliers du rez de chaussée sont autant de références aux préceptes havrais d’Auguste Perret. Dans l’esprit de l’époque – il fallait du neuf et du bon marché – s’imposa une architecture en tous points différente des anciens canons, parfaitement étrangère au style local.

façades art nouveau - PLU
Façades Art Nouveau Rue de Bellain
Plu - place d'Armes Douai
Immeuble de la place d’Armes

Quoi qu’il en soit, après cette période difficile pour l’image de notre cité, l’obsession réglementaire du temps présent a produit de nouvelles lois d’urbanisme, nombreuses, complexes, dont certaines, parfois à juste titre, sont critiquées pour leur rigidité. On leur doit toutefois la protection de rues entières que tous les amoureux des vieilles pierres ne peuvent que saluer.
Outre d’empêcher la disparition de notre patrimoine, ces documents conduisent même à perpétuer, dans le PLU qui a été voté en 2009, l’art de bâtir de nos échevins. Nous pouvons donc affirmer que le règlement de 1718 a fêté l’an dernier ses deux siècles d’existence. Qui dit mieux ?

Valentine aime Douai

Fondation valentine camescasse

” A Douai, le centre a toujours été et sera toujours le beffroi “

Née en 1854, Valentine Luce a publié au soir de sa vie, en 1924, un très intéressant ouvrage sur la vie douaisienne du XIX° siècle. Il offre une multitude de détails qui font vivre avec une verve incontestable ce passé évanoui : « mon amour pour ma ville natale date de mon enfance. Tout ce que j’y ai vu en fait de coutumes et d’habitudes, est gravé dans mon esprit. ».

Petite-fille du virtuose Ildefonse Luce, Mme Camescasse est fière de ses origines. Curieusement moins du côté de ce grand-père paternel, dont elle omet soigneusement de dire qu’il était un enfant trouvé, que de celui de sa mère issue d’une famille, non pas aristocrate mais qui s’en approche par de nombreux aspects. Les Varlet, les De Legorgue, les Dovillers, les De Rolencourt tissent, avec la notabilité locale, des liens qui plongent dans le passé le plus lointain de la ville.

La jeunesse d’une héritière

Valentine est ainsi cousine des célèbres Jean Baptiste Paulée et Joseph Vanlerberghe, financiers à succès, tous deux douaisiens, dont la descendance allait s’allier aux dynasties les plus prestigieuses de France. Plus encore, elle est un témoin privilégié du triomphe de la révolution industrielle qui allait faire du Nord la locomotive économique du pays, tout en apportant à ses entrepreneurs fortune et renommée.

Receveur des contributions à Cuincy, disposant d’une bonne aisance, le père de Valentine, sur le conseil des marquis d’Aoust dont il était proche, se lance en parallèle de sa charge administrative dans une production sucrière alors balbutiante. Cette industrie, par son succès, va le hisser en une décennie au niveau des familles les plus prospères du département.

Si le milieu de Valentine est plus orléaniste que bonapartiste, comme d’ailleurs les habitants de Douai qui ont accueilli fraichement les plébiscites du Second Empire, il allait sans difficulté adopter la République.

L’épouse du préfet de police

Son mariage avec Ernest Camescasse à Douai en 1879, qui sera un événement marquant de l’histoire de la ville, confirme le ralliement au nouveau régime car il n’était pas courant qu’un préfet républicain – du Pas de Calais – épouse en fonctions une fille de la cité de Gayant. Avec la franchise qui donne tout le prix à ses souvenirs, Valentine présente favorablement son époux qui accuse pourtant près de vingt ans de plus qu’elle : « Il me plut. J’admirai son aisance distinguée. A quarante ans, il avait gardé ses charmes physiques. Il était un des plus jolis hommes que j’aie rencontrés. »

Ami de Gambetta et des hommes qui comptent dans la République opportuniste (Cambon, Etienne, Constans, Rouvier, Waldeck-Rousseau etc.  tous présents dans les souvenirs de Mme Camescasse), Ernest fera une belle carrière préfectorale puis politique avant son décès prématuré en 1897 alors qu’il était sénateur du Pas de Calais. Décrit comme « ayant plus d’ambition que de talent » par ses adversaires, Camescasse fut durant quatre ans préfet de police de Paris où sa fermeté lui valut des démêlés avec les opposants au régime (les jeux de mots fusèrent contre « Camescasse-tête »).

En 1885, quand son mari se pose dans le Pas de Calais pour se faire élire à la députation, elle renoue avec la vie mondaine de sa ville natale en n’ayant aucun doute sur ses capacités à y être appréciée : « ce qu’il y a de certain, c’est qu’après trois maternités, j’étais à mon apogée. J’avais trente ans, l’âge où la femme, sûre d’elle-même, dispose de tous ses moyens. ».

La société douaisienne au XIX° siècle

Plus de trente ans plus tard – elle écrit ses mémoires en 1915 – les détails des bals, des déjeuners, des usages de la bonne société restent intacts.Valentine est capable de retrouver sans efforts la toilette qu’elle avait choisie ici ou là. Il en est de même pour les tenues de ses amies et mieux encore de celle de sa mère sous la monarchie de Juillet : « les femmes de cette époque portaient dès le lendemain de leur mariage un bonnet qui était en mousseline ornée d’un chou de rubans. Le soir, elles mettaient leur «coiffure», guirlande de fleurs agrémentée de tulle et de dentelles, ce qui en faisait un bonnet sans brides. »

Les anecdotes qu’elle raconte possèdent toujours un côté piquant, sinon humoristique, ainsi la légendaire distraction du président de Warenghien qui, allant porter un courrier à la gare, s’était trouvé devant la porte ouverte d’une voiture à quai. Perdu dans ses pensées, le magistrat n’avait pas hésité à y monter, découvrant, train parti, qu’il roulait sans savoir pourquoi vers Arras. On retient aussi ce savoureux conseil d’une mère à sa fille pour qu’une arrivée au bal soit réussie : «en entrant, prononce tout bas, petite pomme.». Selon la maman attentive, cette articulation laissait une trace gracieuse sur les lèvres qui était un atout pour la suite.

En peu de mots, Mme Camescasse parvient à camper des personnages hauts en couleur, si innombrables qu’il est facile de se figurer l’atmosphère de la bonne société de l’époque. Les coups de griffe ne sont pas rares mais ils ne sont jamais gratuits. Gare à celui ou celle qui pour une raison ou une autre a déplu.

Un caractère affirmé

Les portraits de Valentine donnent une idée de sa personnalité. Le tableau du Musée de la Chartreuse, peint par Machard, la présente en 1899, au moment de son second mariage avec le prince de Tarente, dans toute la force de sa quarantaine. Ses cheveux noir de jais et ses yeux sombres, qu’elle dit tenir de sa mère, contrastent avec la blancheur de sa robe fleurie. On devine à sa bouche légèrement pincée qu’elle est une femme de caractère qui ne s’en laisse pas compter. Les témoignages de ses descendants quand on les interroge confirment d’ailleurs qu’elle était « redoutable ».

Bien entendu, le Douai que Mme Camescasse décrit dans ses souvenirs, celui de sa classe sociale, n’échappe pas à une certaine inconscience des réalités. On voit pourtant, belle leçon pour le présent, que la prospérité de « l’Athènes du Nord » reposait sur des atouts que les élus locaux, conscients de leur fragilité, défendaient avec une énergie inlassable. A son époque, la ville, Mme Camescasse le sait bien, change sous la pression de la modernité. A la charnière du XX° siècle, la diversité sociale s’accentue. Menacée par le suffrage universel, la bourgeoisie locale perd peu à peu de son importance au bénéfice des classes nouvelles que la République met en avant.

Capable de reconnaitre à son accent la provenance douaisienne d’une personne (« je suis sûre que vous êtes de Douai ? – Oui madame Camescasse. Vive Gayant ! »), l’amour de Valentine pour sa ville natale est l’élément central de ce livre. Elle conservera jusqu’a sa mort la maison de ses parents rue des Foulons et la léguera à la commune ainsi qu’un don important pour créer une fondation soutenant les personnes âgées. On se prend enfin à rêver qu’il puisse aujourd’hui se trouver un Douaisien ou une Douaisienne capables de défendre avec autant d’énergie la cité où ils sont nés.

Son divorce au bout de deux années d’union, évoqué brièvement d’une formule sybilline, « quand le malheur s’abattit sur moi d’une façon tout à fait imprévue en 1901 », permet de penser que son second mariage avec le petit-fils du maréchal Macdonald, projet curieux en dépit de son prestige, fut un échec. Ayant perdu son premier enfant peu après sa naissance, la mort précoce en 1914 de sa fille préférée, Geneviève, mariée à un médecin, Paul Delbet, fut le drame de sa vie. Sa deuxième fille, Germaine, qui avait épousé quant à elle un diplomate, Charles Bonin, n’eut pas d’enfant.

Valentine au soir de sa vie reconnait qu’elle ne se doutait pas « que, dans ma vieillesse, je me trouverais également privée de mes trois filles et que je finirais ma vie sans enfants ni petits-enfants ». Mais, fidèle à son caractère, elle se reprend vite. Il ne s’agit pas de se laisser aller : « chaque année que le Ciel vous accorde est un triomphe de la vie sur la mort. »

Donner du relief au plan

Plan relief de Douai

Le Musée de la chartreuse est un de ces petits bijoux de province, comme on en trouve souvent en France. La salle des sculptures, nef de l’ancienne chapelle est splendide. Les œuvres y sont remarquables, l’une d’entre elle nous intéresse tout particulièrement : son plan relief. 
Vous voyez de quoi on parle?… ce plan que l’on voit mieux sur le sol du beffroi que sous sa cloche de plexiglas du Musée de la Chartreuse.

Des maquettes militaires pour défendre la ville

Nous avons à Douai, cette singularité de conserver notre plan depuis 1904, date à laquelle la ville en a fait l’acquisition. 
Il existe en effet une collection presque complète de plans reliefs aux Invalides. Sa constitution a commencé en 1668 pour prendre fin en 1870. 250 plans ont été construits, mais aujourd’hui il n’en reste plus que 90 en France.

C’est Louvois, le ministre de la guerre de Louis XIV qui a commandé ces représentations des sites fortifiés – souvent des villes frontières -. Il souhaitait offrir au roi une vision globale des défenses de son royaume. Ces maquettes militaires reconstituent la réalité de l’époque dans ses moindres détails. Elles sont à usage stratégique, pour permettre de voir comment défendre une ville, identifier ses faiblesses et préparer les sièges.

Le plan relief de Douai revient de loin

Lors du siège de 1710, le marquis d’Albergotti qui commandait la garnison a obtenu des Alliés, après la capitulation, les honneurs de la guerre. 
Il est vrai qu’avec son Etat-Major, il avait prévenu l’ennemi qu’il ferait sauter la place si les conditions de la reddition s’avéraient trop sévères. Par prudence, Hollandais et Anglais acceptèrent. Un des privilèges obtenu était de sortir de la ville avec des chariots que l’adversaire ne pouvait fouiller. Les Français en profitèrent pour y dissimuler leur arme de guerre principale, le plan relief.

Salle du plan relief de Douai
Salle du plan relief de Douai – Musée de la Chartreuse à Douai

Une révolution technologique

Au XVII° siècle, ces cartes en 3D étaient une révolution technologique. Elles permettaient d’avoir une vision complète des lieux contrairement à la cartographie classique. Elles étaient fabriquées à base de bois, de papier peint à l’aquarelle, de poudre de soie, de sable et de pigments. La construction d’un plan nécessitait 60 étapes et plusieurs années de travail.
Réalisé entre 1697 et 1710, le plan de Douai est composé de 12 morceaux, mais seule la partie intramuros est exposée. 
Il a été restauré récemment pour être remis à la même place. Son absence est passée inaperçue… tout comme son retour.

Plan relief de Cambrai – Au “Labo” ouvert fin juin 2019 à Cambrai
Plan relief de Cambrai – Au “Labo” ouvert fin juin 2019 à Cambrai

Des plans moins plan-plan

A quelques kilomètres, Le nouveau “Labo” de Cambrai présente une copie de son plan, détruit pendant la seconde guerre mondiale à Berlin, où il avait été exposé comme trophée de guerre. L’objet est mieux scénarisé. Un film explique la technique de restauration et montre des rues à l’intérieur de la maquette. On regrette toutefois d’avoir perdu la présentation de l’histoire de la ville. Elle était proposée dans le lieu d’exposition précédent, le musée des Beaux arts de Cambrai.

Plan relief de Lille - Musée des Beaux-Arts à Lille
Plan relief de Lille – Musée des Beaux-Arts à Lille

Autre exemple, en 1983, La ville de Lille, par l’intervention de Pierre Mauroy, alors Premier ministre, a fait rapatrier, après une vive polémique, 16 plans reliefs représentant des places fortes de la frontière française du Nord-Est, de Belgique et des Pays-Bas. En mars 2019, 14 de ces œuvres après une restauration de 10 mois ont réintégré la salle des plans reliefs valorisée par un nouvel éclairage, des innovations numériques et une importante campagne de promotion.

Besoin d’idées virtuelles?

Un nouveau site internet pour le musée

La première : refaire d’urgence le site internet du musée
Il n’est pas optimisé pour les téléphones mobile, ne met en valeur ni le lieu, ni ses œuvres, ni l’engagement du personnel pour animer l’espace. En trois langues s’il vous plait ! Français, Anglais, Néerlandais et peut être Chinois on ne sait jamais, nous sommes ambitieux pour notre ville. 
Parce qu’un douaisien qui cherche de l’information est bien en peine, alors, un étranger qui prépare son voyage avant de venir à Douai, n’a aucune chance d’y parvenir. 
Précisons également que la présence du plan relief n’est pas mentionnée sur le site internet du musée de la Chartreuse.

Une scénographie revisitée

La deuxième : La visite d’un musée ne peut plus se limiter à un parcours passif. Le public doit pouvoir agir avec le lieu ou bien l’œuvre qu’il découvre pour en comprendre le contexte historique et les évolutions. 
Nous proposons de dédier une salle complète du musée de la chartreuse au plan relief de Douai. Mais aussi d’y ajouter les pièces manquantes. Enfin, de (re)penser la scénographie pour en expliquer la fonction militaire initiale, les techniques de réalisation de la maquette et l’histoire de la ville.

Une visite enrichie d’hologrammes

Enfin pour attirer un public plus jeune, osons replacer l’oeuvre dans notre époque, en utilisant la réalité mixte. Cette technologie superpose le virtuel sur le réel à l’intérieur même du plan, sans isoler le visiteur de son environnement. En 2018, l’expérience proposée par Microsoft et ses partenaires techniques Iconem et HoloForge a permis aux visiteurs équipés de casques HoloLens de découvrir la maquette du Mont-Saint-Michel, augmentée d’hologrammes à l’Hôtel des Invalides à Paris . (voir la vidéo ci-dessous)

Vous aussi vous avez des idées, partagez-les avec nous.

Chiens assis, mansardes et lucarnes

Chien assis - Getty image

En contradiction avec le titre, pas trop de lien avec la SPA mais un peu plus avec ces petits détails d’architecture qui font tout le prix du patrimoine douaisien.

Aucun toit n’échappe à ces aménagements aussi anciens que la ville. On les voit d’ailleurs clairement sur le plan relief où ils semblent apparemment relativement standardisés.

Après le siège de 1710 dont la ville sort bien abîmée, le Magistrat promulgue en 1718 un règlement qui va peu à peu faire disparaître la vieille cité flamande. Assez contraignant sur les élévations, il permet néanmoins toutes sortes de fantaisies au dessus des chéneaux.

Moyen commode d’éclairer les greniers, les lucarnes, car c’est de cela qu’il s’agit, sont effectivement construites à partir d’un principe général qui n’empêche pas une grande variété dans l’exécution.

Les chiens assis qui prévoient une couverture dont la pente est inverse à celle du toit sont inexistants à DouaiEn revanche, sont plus courants les combles dit à la Mansart qui partagent le toit en deux parties avec un brisis presque vertical et un terrasson moins pentu. Le premier peut accueillir les fameuses mansardes que Jules Hardouin n’a jamais inventées.

Lucarnes en cuivre -Douai
Lucarnes en calotte en cuivre

Douai connaît surtout les lucarnes sur les toits à pente unique, parfois à l’encadrement de pierre, plus souvent de bois peint tandis que la couverture bombée, mais pas toujours, est réalisée en zinc, sans exclure ici ou là la tuile ou l’ardoise ou même, luxe inouï, le cuivre.