Le PLU avant le PLU

Le plu avant le plu

Douai présente, plus que toute autre cité des Flandres, un patrimoine exceptionnel qui tient à son unité architecturale. Il y a aussi la magnificence. Les grandes familles douaisiennes n’hésitaient pas à étaler aux yeux de tous les preuves de leur prospérité, par la taille mais surtout la décoration de leurs somptueuses demeures.

Qu’elles aient réussi à traverser les siècles et les nombreuses destructions du passé relève du miracle. Les deux guerres mondiales ont été bien agressives contre Douai. L’action des « aménageurs » qui a suivi la Libération, André Canivez et Charles Fenain n’a pas été sans effet. Les deux n’ont eu aucun état d’âme à détruire des vieilles bâtisses pour mettre à la place des bâtiments en béton, verre et fer. Il faudra un jour faire la liste de ces démolitions qui témoignent de leur part d’une étonnante indifférence au passé.

Quoi qu’il en soit, si les plus beaux hôtels de la ville attestaient des moyens financiers et du goût des magistrats et aristocrates – souvent fusionnés – on compte aussi dans la ville des réussites architecturales qui découlaient parfois de motivations plus banales.

Ainsi le fameux bâtiment de « la Poule » avec sa magnifique façade Louis XVI, ses colonnes, son tympan sculpté, n’était pas à l’origine la propriété d’un aristocrate local mais plus prosaïquement le projet d’un maître charpentier, Pouille, qui souhaitait investir dans les « immeubles de rapport » comme on le disait alors, objectif qui, parait-il, le mena à la ruine.

Le règlement de 1718

Pour autant, l’unité architecturale de Douai est un élément d’intérêt évident. Elle découle du célèbre « règlement de 1718 », édicté par les échevins. Cette décision pionnière envisageait en effet, comme le prévoient les plan locaux d’urbanisme actuels (PLU), d’obliger les propriétaires à bâtir selon des principes stricts, dans l’apparence des maisons et les matériaux utilisés.

Deux sièges, en 1710 puis 1712, provoquèrent d’importants dégâts. Surtout le premier, quand les Alliés ont conquis la place après deux mois de durs combats. La reprise de la ville par Villars deux ans plus tard fut moins destructrice mais c’est une cité ravagée qui redevient définitivement française quand se termine la guerre de Succession d’Espagne.

Avec beaucoup d’intelligence, les échevins anticipèrent les conséquences probables de la reconstruction qui s’annonçait. Leur volonté de planification visait d’abord à éviter l’anarchie du passé médiéval, à répondre, au contraire, aux canons modernes de la rationalité mais plus encore à manifester un « goût français » qui confirmait l’intégration de la Flandre dans le royaume.

Le Magistrat, c’est-à-dire le conseil municipal, exposa ainsi ses arguments parmi lesquels il souhaitait procurer aux propriétaires « par un règlement les sûretés convenables et les facilités qu’ils pourraient désirer, soit pour prévenir les accidents du feu ou autres, soit pour leur épargner des dépenses superflues. »

Les matériaux et techniques de construction étaient précisés. Les toits de chaume devaient disparaitre, les façades devaient s’aligner et toute construction devait faire l’objet d’une demande d’agrément.

Les contraintes du règlement

Cette « architecture officielle » s’organisait, selon la description de Victor Champier, « pour les maisons des particuliers » de la façon suivante : « sur une « gresserie » c’est-à-dire un rez-de-chaussée en grès, percé de hautes fenêtres, s’élève un étage (parfois deux) éclairé par les mêmes fenêtres qui laissent apparaître entre leurs jambages de pierre un mince trumeau de briques. Le toit couvert de tuiles projette en avant deux ou trois lucarnes et souvent deux rangées superposées, quand le comble est brisé. Parfois la fenêtre centrale s’élargit sous un arc en plein cintre.  »

Alignement- le plu - règlement de 1718
Alignement des étages et cordons rue de l’Université
Hôtel avec porte cochère - règlement de 1718
Hôtel avec porte cochère et enduit à l’étage

Les contraintes du règlement sont la clé de l’harmonie des rues douaisiennes. Pourtant, aucune maison n’est identique à une autre. Si on retrouve toujours les traits communs avec une hauteur des étages soigneusement contrôlée, pour le reste la liberté est de mise. Certaines façades sont intégralement en grès, d’autres ne connaissent pas la brique aux étages mais seulement le calcaire. Les sculptures sont simples mais là encore toujours différentes.

Il faut tout de suite indiquer que les riches familles surent se libérer de ces obligations lorsqu’elles souhaitèrent se construire des demeures exceptionnelles. C’est ainsi que les plus beaux hôtels de la ville, ainsi celui d’Aoust, rue de la comédie, se sont construits sur des principes plus indépendants. Pour autant, le respect du règlement peut aussi concerner de grands bâtiments, ainsi l’hôtel de Warenghien construit par Durand d’Elecourt en 1754 dont la façade sur la rue est parfaitement conforme aux obligations échevinales.

Le disparition de la ville flamande

Tout au long du XVIII° siècle, ces règles strictes d’urbanisme allaient faire disparaître la vieille ville flamande. Le plan relief de Douai qui date de 1709 expose en effet une physionomie totalement différente de celle du siècle suivant. La brique recule vigoureusement mais surtout le « retournement » des toitures impose l’organisation française un peu partout. Les maisons aux pignons flamand dits « à pas de moineau » qui se serraient les unes contre les autres, séparées par un chéneau commun, sont démolies. Elles laissent la place aux grandes façades sur la voie qui permettent une simplification des charpentes mais surtout un meilleur écoulement des eaux pluviales.

maison flamande dans la ville de Douai - avant le règlement de 1718
Ancienne maison flamande à pignon en « pas de moineau » rue des Dominicains

Il n’est pourtant pas rare lors de travaux de découvrir dans les murs des maisons douaisiennes des traces du vieil appareil, les maçons s’étant contentés d’ajouter des ouvertures aux encadrements de calcaire dans les anciens pignons augmentés en surface. Cette trace flamande, sinon médiévale, est encore plus évidente sous les rues. Bien souvent, les caves sont restées intactes. On a construit dessus mais sans toujours correspondre à leur plan quand celui-ci ne respectait pas la règle d’alignement. Parfois organisées sur deux niveaux, voûtées, elles peuvent ainsi s’avancer sous la voie ou, au contraire, être en retrait.

Maison douaisienne pure -règlement de 1718
Demeure douaisienne « pure », rez de chaussée en fenêtres à linteaux clavés horizontaux, l’étage avec des arcatures cintrées.

Jusqu’à la fin du XIX° siècle, les Douaisiens construisirent leurs maisons dans un respect du règlement de 1718 qui, pourtant, perdit peu à peu de sa force. Mme Camescasse signale ainsi une maison qui, vers 1880, à l’étonnement des habitants, ne le respecta pas. Toujours debout rue des Foulons, sa façade tranche effectivement avec celles de ses voisines.

Les oublis de la modernité

Si les vieux principes disparurent plus ou moins lors des constructions des boulevards qui suivirent la démolition des fortifications, le XX° siècle les oublia totalement.

Ce fut bien sûr le cas quand la ville se releva des destructions de 1918. Le choix fut celui de l’Art Nouveau, notamment dans la rue de Bellain ou la place Carnot. On conserva toutefois les proportions des étages et celle des toitures, réussissant à reprendre la grammaire traditionnelle tout en l’éloignant avec une certaine habileté.

L’expérience fut bien moins réussie quand Douai se releva des suites des bombardements de 1944. L’exemple le plus discutable est évidemment la place d’Armes reconstruite sur les plans d’Alexandre Miniac mais surtout les dessins d’Henri Chomette. Les bâtiments qui ferment l’espace, avec leur structure de béton visible mais aussi les piliers du rez de chaussée sont autant de références aux préceptes havrais d’Auguste Perret. Dans l’esprit de l’époque – il fallait du neuf et du bon marché – s’imposa une architecture en tous points différente des anciens canons, parfaitement étrangère au style local.

façades art nouveau - PLU
Façades Art Nouveau Rue de Bellain
Plu - place d'Armes Douai
Immeuble de la place d’Armes

Quoi qu’il en soit, après cette période difficile pour l’image de notre cité, l’obsession réglementaire du temps présent a produit de nouvelles lois d’urbanisme, nombreuses, complexes, dont certaines, parfois à juste titre, sont critiquées pour leur rigidité. On leur doit toutefois la protection de rues entières que tous les amoureux des vieilles pierres ne peuvent que saluer.
Outre d’empêcher la disparition de notre patrimoine, ces documents conduisent même à perpétuer, dans le PLU qui a été voté en 2009, l’art de bâtir de nos échevins. Nous pouvons donc affirmer que le règlement de 1718 a fêté l’an dernier ses deux siècles d’existence. Qui dit mieux ?

Max aime apprendre mais parle un peu souvent à la première personne. C'est un travers qu'il combat difficilement. Va falloir l'aider. Il adore la Scarpe et l'orgue de St Pierre, surtout les basses.

4 Comments

  1. concernant André Canivez qui dut faire face à la reconstruction de la ville je vous invite à consulter les compte-rendus des conseils municipaux de 1952 aux archives municipales et si vous vous penchez un peu plus sur la question vous vous apercevrez qu’un certain Eugène Claudius-Petit, alors ministre de la reconstruction est en grande partie le seul responsable de l’érection « lecorbusiene » de ces hideux bâtiments de la place d’armes. Il est à noter que cette reconstruction eut été plus catastrophique encore sans la pugnacité du conseil municipal de l’époque et le remplacement en 1953 du ministre Claudius-Petit

    1. Les conditions de construction des bâtiments de la place d’Armes sont bien connues, ainsi l’opposition farouche du conseil municipal envers ce projet. Oui, Claudius-Petit n’a pas été très inspiré pour Douai. Il l’a plus été pour sa propre ville, Firminy, qui capitalise très bien aujourd’hui sur les joyaux lecorbuséens qu’il y a fait construire. Nous avons eu le malheur d’avoir Chomette et Miniac à la manoeuvre à Douai, lesquels étaient d’ailleurs plus « perretistes » qu’adeptes de Le Corbusier. Pour A. Canivez, nous ne disons pas qu’il est responsable du ratage de la Place d’Armes. Il l’est en revanche pour quelques démolitions intempestives mais surtout la disgrâce de certaines constructions réalisées durant son mandat pour lesquelles la lecture de son « Un quart de siècle au service de Douai et des Douaisiens » démontre de son aveuglement. Mais ne lui jetons pas la pierre, si on ose dire. L’oeuvre de Maurice Coasnes n’est pas si nulle et il faut replacer ces réalisations dans le contexte de l’époque. On peut juste regretter ces choix pour avoir en tête, aujourd’hui, la préservation du patrimoine qui nous reste. Il faut le restaurer, le valoriser et faire reposer le dynamisme de la ville sur ces trésors.

  2. Ip7 ou l’immeuble face à la Caf les services de claudius petit ont dit à mon grand-père c’est ça ou rien . Un commerce et une maison rue de Valenciennes en 1939 = un local commercial et 2 appartements de 45 m² .rue de la cuve d’or .

    1. Témoignage intéressant. Cela n’excuse rien mais il ne faut pas oublier deux choses. D’abord que Douai de 1945 était une ville « pleine » où la crise du logement était aiguë, problème évidemment augmenté par les destructions. Ensuite, il y avait l’utopie d’une nouvelle France, réaménagée et modernisée, celle qui n’avait pas été réalisée avant la guerre. Claudius-Petit n’a pas réussi à faire passer sa loi d’aménagement qui donnait à l’Etat les moyens d’imposer ses vues. Tant mieux ! Au Havre, ville rasée, Perret a failli être lynché par les habitants du quartier St François lorsqu’ils ont découvert les m2 que l’architecte leur avait réservés dans la reconstruction. Ils espéraient retrouver leurs maisons à pans de bois. Pourtant, Le Havre aujourd’hui est célébrée pour son architecture, pas Douai, et à juste titre car notre place est vraiment moche. Merci de nous lire.

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