Découverte au détour de la lecture des irremplaçables mémoires de Mme Camescasse, la personnalité d’un certain Jules Pinquet réclame aujourd’hui notre attention.
Exhumons du néant ce Douaisien qui a frôlé, sans vraiment en faire tout à fait partie, l’histoire de notre ville. Il était, selon Valentine, « un cœur charmant, plein de bonté et ayant l’amour du beffroi ».
Embarquement vers Belleforière
Plusieurs anecdotes savoureuses marquent en effet son originalité. Ainsi cette partie de campagne vers 1860 à laquelle il convie ses amis possédant une voiture, tous de la bonne société.
Il leur annonce prendre la tête de la « cavalcade » qui s’élance sur la route du Raquet. Le guide ajoute que l’objectif sera de s’arrêter dans un château dont les propriétaires sont absents pour y manger à leurs frais. L’hospitalité était alors un devoir sacré auquel personne n’aurait pu se soustraire. Tous les participants possédant autour de la cité un lieu de villégiature, chacun d’entre eux, sans mot dire, s’inquiète de cette possible invasion dont il devra assumer la dépense.
Voilà la compagnie qui passe devant le château des Luce à Courchelettes. Elle ralentit mais redémarre. « Ouf, pense le maître de maison, ce ne sera pas chez moi » . Le manège se reproduit à Cuincy chez les Dronsart, à Esquerchin peut être chez les Guerne etc.
Même inquiétude devant chaque demeure et même lâche soulagement pour les propriétaires quand le cortège après avoir ralenti reprend sa route. Enfin, au terme de cette sinueuse pérégrination, il parvient au lieu-dit Belleforière à Roost-Warendin où les voyageurs découvrent qu’un repas rustique les attendait.
Servis par les cochers mis dans la confidence, les invités furent reçus aux frais du facétieux amphitryon.
La poule noire de Pinquet
Décidément excentrique, Pinquet logeait dans une maison place d’Armes, à côté de l’hôtel du Dauphin, au numéro 10. Elle était tellement étroite, à la flamande, qu’elle ne connaissait qu’une pièce à chaque étage, succession verticale du salon, de la salle à manger, de la chambre etc.
Lors de la pendaison de crémaillère, le propriétaire fut dans l’obligation d’accrocher des planches sur chaque mur pour y recevoir ses invités. Tout le monde mangeait en tournant le dos aux convives, organisation curieuse qui n’empêcha pas au repas, selon Valentine, d’être aussi gai que réussi.
Signe d’une liberté de mœurs peut être réservée aux bourgeois, encore qu’il ne la montrait pas à son bras dans la rue, Pinquet vivait maritalement avec une jeune femme, « belle femme brune » que toute la ville surnommait la « poule noire » pour son goût des robes sombres comme on les portait sous le Second Empire.
L’étrange demeure de Pinquet possédait un belvédère dont on disait qu’il permettait à son inventeur de la surveiller quand elle faisait ses courses car Jules était d’un tempérament jaloux.
Un fils de bonne famille
On croise encore ici ou là Pinquet et sa famille dans les pages de Mme Camescasse.
Ce fut ainsi son caveau familial qui abrita la dépouille de l’abbé Lefebvre, doyen de Notre-Dame, qui mourut aussi pauvre qu’il était adoré de ses paroissiens.
Autre mention de cette générosité familiale, le « retour de noces » donné par les Pinquet en 1845 à plusieurs jeunes mariés dans leur hôtel de la place du marché aux poissons. La lecture du menu (Romanée 1725, Château-Margaux 1719…) informe sur la magnificence du temps. Plus encore, le programme de la soirée intégralement retranscrit fait comprendre le sérieux qu’on mettait dans la convivialité.
Les archives de la cité donnent des éléments plus factuels sur la vie de Jules Pinquet qui a traversé presqu’intégralement le XIX° siècle. Né en 1811, il est décédé dans sa ville natale en 1899.
Il lui fit d’ailleurs à cet instant, un legs d’importance, l’intégralité de ses biens. La commune le reçut avec reconnaissance, indiquant toutefois qu’une partie était aliénée, ce qui semble indiquer que la fortune de Jules, faite de nombreuses propriétés immobilières autour de Douai, s’était amenuisée à la fin de sa longue vie.
Le père de Pinquet, Philippe, né en 1780 à Râches, était brasseur. Prospère, il faisait partie de ces hommes nouveaux qui devaient leur ascension sociale aux évènements révolutionnaires.
Jouissant d’une bonne respectabilité, il était conseiller municipal et fut même un temps adjoint au maire de Douai. Sa soeur, Marie-Gabrielle était l’épouse de Philippe Butruille, brasseur lui aussi, maire de Roost-Warendin, juge de paix et propriétaire du château de Jean Baptiste Paulée à l’abbaye des Prés.
Marié à une Marie Demont, Philippe était donc parent de cette famille de juristes dont un des descendants directs, peintre fameux, connut en son temps une certaine célébrité.
Outre Jules, le couple avait une fille, Elise, née en 1810 qui fut mariée en 1839 avec Henri Wiart, maire de Cambrai au début de la III° République .
Par les Demont, il existe un lien avec la famille Luce avec Louis de Legorgue qui, selon Mme Camescasse, après avoir partagé un cabriolet et son cheval avec Louis Desuède, sera associé durant des décennies à la tribu des Demont-Desuède, Demont-Castille et autres Demont.
L’animateur des plaisirs
Fils d’une famille en vue, Jules paraît jouer à de multiples occasions un rôle d’animateur officiel de la société locale. Il était présent à de nombreuses manifestations publiques, alors même qu’il ne disposait d’aucun mandat, hors son réseau familial, son incomparable entregent et peut être aussi ses célèbres capacités de danseur.
On repère ainsi sa présence lors de l’inauguration, en juillet 1855, sous l’autorité de l’abbé Capelle, du Saint Sacrement de Miracle dans l’église Saint Jacques.
Plus précis encore, l’année suivante, « délégué par les jeunes gens de la ville », il accueille aux portes de Douai par une harangue patriotique le 14° régiment d’artillerie qui retrouve sa garnison après la guerre de Crimée. Tout au long de la route, de Cantin à Douai, des arcs de triomphe fleuris célèbrent la victoire de Sébastopol tandis que la population massée sur les trottoirs acclame les vainqueurs.
Le café de l’Industrie
On trouve enfin Pinquet mêlé à des controverses juridiques qui auraient ravis les spécialistes du droit commercial.
Il existait place d’armes un établissement répondant au nom de « l’hôtel du Grand Homme ». Possédé par une dame Plaisant qui l’exploitait, elle le loua en 1858 aux époux Coillet pour qu’ils le prennent à sa suite. Deux ans plus tard, elle signe le bail à Pinquet du bâtiment contigu – le fameux n° 10 dont il est question au dessus – pour qu’il puisse y ouvrir un café répondant au nom de « l’Industrie ». Il n’exploite pas lui même. En dépit de son activité de brasseur, il n’est probablement qu’un prête-nom. C’est la famille Plaisant qui s’en charge. On se doute que les Coillet ne virent pas d’un bon œil cette concurrence s’installer juste à côté.
Le différend se régla devant les tribunaux. Pinquet eut beau se déplacer en personne pour soutenir sa cause, les juges furent insensibles à sa démonstration. Elle soutenait que la loi n’interdit pas à un propriétaire de louer deux maisons distinctes à deux personnes différentes pour y exercer une même activité.
Pour les magistrats, toutes sortes d’éléments – les locations successives, l’attitude de la propriétaire – prouvaient la concurrence déloyale, sans parler du non respect des clauses du bail donné aux Coillet que la dame Plaisant avait dénoncé après le premier jugement en sa défaveur. Elle fut comme Pinquet, condamnée aux dépends.
Un boulangiste douaisien
A la fin de sa vie, en 1888, Pinquet fut le leader local du mouvement boulangiste quand le général entreprit, après son éviction de l’armée, une tournée dans le Nord en prévision de l’élection législative partielle d’avril qu’il remportera d’ailleurs haut la main.
Ce fut Pinquet en personne qui le reçut à Douai le 12 mars 1888 lors de ce déplacement triomphal. Une foule conséquente accueillit la délégation dans laquelle se trouvait Eugène Mayer, patron du journal La Lanterne, ferme soutien du général. Compte tenu de la popularité du candidat et pour éviter tout problème, le préfet avait consigné les troupes dans leurs cantonnements.
Un « punch » payé par souscription fut donné à l’Hôtel de Flandre. Pinquet, au titre de sa position de « vieux Douaisien et doyen d’âge », y fit un très long discours décrivant les qualités du héros qui « avait bien mérité de la Patrie » . il insista surtout sur l’histoire de la cité dont ses moments de résistance, leur trouvant des points communs avec l’épopée du « brav’ général » .
Il faut évidemment remettre en perspective cette manifestation de défiance envers la République opportuniste avec le déménagement de l’université à Lille. Le souvenir encore vif de cette décision « inique » explique la popularité de Boulanger dans une cité pourtant connue pour sa modération politique. Pinquet était un des leaders les plus actifs du refus de la disparition des facultés.
Ce dernier trait ne manque pas de piquant quand on considère l’affection que porte Mme Camescasse à son lointain cousin. Son époux, préfet de police de la République naissante, fut un des adversaires les plus résolus des Boulangistes.
Sans doute, faut-il encore une fois en déduire que l’amour de la cité de Gayant prenait le pas, pour ces Douaisiens du temps passé, sur toutes les autres considérations.
Ah ! Quelle belle époque !
L’histoire est sa passion et à Douai, elle est servie. Les détails la passionnent car dans ce cas, il faut bien regarder et tenir le nez en l’air. La ville est belle, il faut la célébrer, tel est son credo.