Les patacons, une recette pas si cloche

Recette chti du nord les patacons à l'étouffoir

Le patacon était une monnaie utilisée par les Espagnols dans les Pays-Bas quand ils passèrent sous leur domination au XVI° siècle. Cet écu valait quarante-huit patard ou soixante sous tournois. Par imitation ce nom fut donné en patois du Valenciennois, le fameux rouchi, aux rondelles de pommes de terre que l’on faisait griller sur la couverture du poêle.

Pas de patacons sans pommes de terre

D’origine amérindienne et plusieurs fois millénaire, la pomme de terre, importée par les conquistadors, s’est ensuite répandue dans le reste de l’Europe, pays du Nord notamment.
En France, elle est relativement rare mais surtout principalement destinée aux bétails ou consommée par les paysans faute de mieux en période de disette. Le tubercule n’est pas toujours bien considéré. Dans les régions prospères céréalières, il est rejeté. Son absence de gluten l’empêche d’être panifiable.

Sa culture, laissée à la main de communautés religieuses, reste confidentielle jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Son classement botanique dans les morelles (genre Solanum), qui comptent plusieurs plantes toxiques ou destinées à un usage médicinal, ne plaide pas en sa faveur. On soupçonne cette pauvre patate de transmettre des maladies comme la lèpre, la peste ou la fièvre. En 1748, un arrêt du Parlement de Paris en interdit la culture dans le nord de la France, prévention qui ne sera levée par la faculté de médecine de Paris qu’en 1772.

Le « pain du pauvre » de Parmentier

Resté injustement dans la postérité par le hachis du même nom, Antoine Parmentier pharmacien, agronome, nutritionniste et hygiéniste, va lancer la consommation de la pomme de terre dans le pays.
Pharmacien aux armées, il est fait plusieurs fois prisonnier pendant la guerre de Sept Ans. Ses compétences d’apothicaire sont si indispensables qu’il est à chaque fois libéré contre des prisonniers allemands. Pendant ses moments de captivité, sa ration quotidienne est à base de bouillie de pomme de terre, largement cultivée en Prusse. S’il trouve au tubercule un goût plutôt amer, il découvre aussi sa valeur nutritive.
Parmentier va en faire l’un de ses champs de recherche privilégiés, souhaitant par ses travaux remédier aux risques de malnutrition qui affectent la population.
En parallèle de ses recherches, il lance une grande campagne de promotion en organisant des repas avec des personnalités et des savants. Le militaire apothicaire va même faire découvrir « les parmentières » , comme on appelle alors les pommes de terre, à Louis XVI et Marie-Antoinette qui le soutiendront dans ses expérimentations. La légende dit que le roi conquis félicitera Parmentier : « La France vous remerciera un jour d’avoir inventé le pain des pauvres ».
Il faudra cependant attendre les guerres napoléoniennes pour que la patate commence à entrer plus régulièrement dans l’alimentation des Français.

L’étouffoir étouffé par l’oubli

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Cloche à pomme de terre

Après plus de 8 000 ans d’existence, la patate est toujours là. On ne peut pas en dire autant de la cloche à pomme de terre, appelée aussi : étouffoir, truchot, étouffette, cloche à patacons. Sa fabrication s’est arrêtée comme beaucoup d’autres traditions dans les années qui ont suivi le séisme de la fermeture des houillères. 

A l’exemple de tous les objets du quotidien qui plongent dans le passé le plus ancien, on ne connaît pas l’origine de l’étouffoir, apparu probablement sous cette forme à la fin du XIXème. A cet instant, Gustave de Bruyn, fondateur de la manufacture du même nom à Fives, invente un procédé de vernissage sans plomb qui permet un nouvel essor de la poterie culinaire.

On peut bien sûr, trouver ces cloches dans les brocantes, sur Ebay ou Leboncoin, mais le seul endroit où l’on peut en acheter une neuve, c’est à L’homme de fer. Cet incontournable et exceptionnel magasin d’articles ménagers est situé au 93 de la rue de Bellain à Douai.

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Les cloches à Patacons chez L’homme de fer à Douai

Cloche à patacons mode d’emploi

Jusqu’au début du XXème siècle, ce plat en forme de cloche en terre cuite vernissée qui supporte les fortes températures, trônait dans toutes les cuisines du bassin minier. Il servait à couvrir des pommes de terre pour les cuire à l’étouffée sans matière grasse.

Cloche à pomme de terre patacons truchot etouffoir
Une cuisine de mineur au centre historique minier à Lewarde

A cette fin, on dépose sur le feu une tourtière dans la même matière ou bien en émail et plus récemment en métal pour les plaques à induction. Cette méthode, par sa progressivité, donne beaucoup de saveur et de fondant aux pommes de terre.
Les trois anses sur le dessus font office de pieds lorsqu’on retourne la cloche. Elle se transforme alors en saladier, dans lequel on peut servir la préparation.

In a rin laissé dins l’plat

Feu flamand pour la cuisson des patacons
Le feu flamand au centre historique minier de Lewarde

On faisait cuire les patacons sur un feu flamand qui pouvait être un « poêle crapaud » pour les plus petits modèles. Ce foyer était l’élément central de la pièce à vivre, la cuisine, et le seul moyen de chauffage du coron.
On y brulait les célèbres briques de charbon, spécialité locale qu’il fallait, avant de pouvoir les enfourner, casser au marteau. Ensuite, on pouvait laisser mitonner sans trop s’en occuper pendant plusieurs heures les patates sous la cloche.
Les patacons, c’est un peu la « madeleine de Proust » du bassin minier. Beaucoup d’enfants ou petits-enfants de mineurs se rappellent avec nostalgie l’odeur agréable qui se répandait dans la maison. Plus encore, le moment venu, après la longue attente, chacun se souvient de la dégustation qui se terminait par le grattage consciencieux du fonds du plat croustillant parce que bien crâmé : “nous, on les appelait les patates brulées”.

Chacun y va de son souvenir gourmand :

“à la fin de la cuisson ajoute quelques « metka » que l’on pique pour que le gras s’écoule dans les pommes de terre, très très calorique mais un pur délice”

“j’ajoute un petit verre de café préparé le matin pour caraméliser le tout 30mn avant la fin de cuisson”

“mon père me faisait des rondelles de pommes de terre qu’il posait sur la « platine » de la grosse cuisinière au charbon. Au grand dam de ma mère qui adorait que son « dessus de feu » brille comme un sou neuf.”

Et vous ? Quel est votre souvenir des patacons mais surtout quelle est votre recette ?

Une recette chti oubliée et pourtant si moderne

La composition de la pomme de terre

Végétarien, végan, sans gluten, sans matière grasse, local, pas cher, simple, rapide à préparer, peu calorique (85 Kcal pour 100g), cuit avec une cloche fabriquée en France, les patacons cochent toutes les cases de la “modernité” culinaire politiquement correcte.

Ingrédients pour : 6 personnes
Temps de préparation : 10 mn
Temps de cuisson : minimum 1h30
à feu très doux

  • 1 kg de pommes de terre à chair ferme
  • 2 gros oignons
  • 3 gousses d’ail 
  • 4 branches de thym
  • 10 feuilles de laurier
  • sel et poivre

Déroulé

  1. Laver les pommes de terre en laissant la peau, les essuyer et les couper en deux dans le sens de la longueur.
  2. Découper en rondelles deux gros oignons pelés.
  3. Couper l’ail en deux dans le sens de la longueur
  4. Placer les pommes de terre dans la cloche, la peau vers l’extérieur. Alterner une couche de patate, les rondelles d’oignons, l’ail et les herbes.
  5. Saler, poivrer au fur et à mesure.
  6. Placer la tourtière sur la cloche et retourner l’ensemble sur la plaque de cuisson.
  7. Cuire à feu doux au moins 1h30, augmenter la durée en fonction de la taille des pommes de terre.

Bonus Track

Félicitations, vous avez terminé de lire cet article.
Pour vous remercier, on vous offre cette « Delpechade ». Chaude comme une patate à la cloche, elle oscille mystérieusement entre la marche militaire et le spot publicitaire.
Il est noté que cet enregistrement est rare. Les 26 exemplaires produits auraient fini dans un feu flamand.
Pour notre plus grand bonheur, il en reste une trace. Attention de ne pas en abuser, le refrain, comme le goût des patacons, reste longtemps dans la tête.

Michel Delpech – Les pommes de terre – 1969