Un pont… Petipon, patapon… Et pataplouf !

Le Conseil de l’Europe, en créant sa monnaie unique, avait eu l’idée de placer sur les coupures des ponts remarquables de différents pays… Symbolique du libre passage entre les pays qui la composent.

Une idée de pont pour Lauwin-Planque ?

Chez nous un banal pont de Lauwin-Planque – sur l’axe qui lie Douai à l’immense zone commerciale d’Hénin-Beaumont, Lens ou Lille – enjambe une voirie communale traversant le « village » . Banal !

Mais voilà que depuis peu ce pont est l’objet d’un bien étrange feuilleton, digne des scénarios qui, dans le cinéma, ont immortalisé certains de ces ouvrages : Le pont ou Le pont de Remagen ou Le pont des espions ou La fille sur le pont ou encore Un pont trop loin

Pour les douaisinologues, ce pont de Lauwin-Planque, dont la célébrité va bientôt dépasser les œuvres qui précèdent, est devenu une interrogation, un sujet de plaisanterie, de controverse mais surtout un questionnement majeur !

Acte I du feuilleton pontonnier 

Voilà peu, quelques lauwinois remarquent que la hauteur sous le pont est passée en une nuit des 3,5 mètres, jusque-là indiqués sur les panneaux de signalisation, à 4,00 mètres… Sans travaux…
Surpris, ils constatent que cela a été fait de manière économique. Des autocollants ont été placés subrepticement sur les panneaux existants.
Bizarre autant qu’étrange, parce que ce n’est pas l’habitude des gestionnaires de voiries départementales ou rurales de maquiller des panneaux signalétiques.

La presse locale, informée de ce relèvement aussi furtif qu’anonyme, a donc vérifié les dires du premier adjoint familial qui avait affirmé péremptoire que la hauteur de passage était bien de 4 mètres d’un côté et 4,10 mètres de l’autre.

La mesure relevée par le journaliste corrobore l’affirmation. Toutefois, la pose discrète d’autocollants ne change rien au fait qu’en l’état le passage n’est pas conforme à la réglementation qui prévoit une hauteur minimale de passage routier de 4,30 mètres avec une marge de sécurité de 30 centimètres.

Les panneaux à 3,5 mètres prévenaient par prudence les routiers qu’ils ne passeraient pas compte-tenu de l’encaissement de la voie sous l’ouvrage…
Les panneaux autocollés, outre de ne pas être réglementaires, étaient même trompeurs, comme cela s’est vérifié récemment !

Acte II du feuilleton pontonnier 

Loin du pont… A Lille, une importante annonce est faite par un conseiller municipal du « village » , par ailleurs président du département, sans la présence de son Conseil…

Le départ de la deuxième étape du Tour de France 2025 est annoncée à… Lauwin-Planque ! Enfin le « village » capitale de la France, le « village » dans toutes les télés, le « village » célèbre et célébré, le « village » que tout le monde va envier.

La concomitance de l’autocollage avec cette annonce ne manque pas d’expliquer le premier…

On peut s’autoriser à penser qu’une discrète proposition d’accueil a été faite plusieurs semaines plus tôt à Amaury Sport Organisation (ASO), l’organisateur du Tour.
Cette offre devait réclamer une visite préventive quant à la faisabilité du passageLaquelle aurait déclenché avant par précaution l’opération de lifting sus-évoquée.

Peut être aussi fallait-il masquer cette trop prudente réglementation pannelière pour réduire l’effet de faible hauteur que donne ce passage encaissé quand on l’observe de loin.

Acte III du feuilleton pontonnier 

La ville de Douai, tenue comme d’habitude à l’écart, découvre que le Tour passera chez elle au moment même où, comme tous les ans depuis 1530, elle sort ses Géants.

Tradition… Mais que pèsent le Géant d’osier et sa famille créés par les Échevins de l’époque, face aux décisions de l’Échevin absolu actuel ?
Ces Géants déambulent à la vitesse du pas des porteurs quand les vélos décarbonés dépassent la limite des panneaux urbains à 50 km/h !

Outre le fait d’ignorer Douai en amont, pratique désormais instituée, cela posera très certainement un singulier problème de sécurité en mélangeant deux évènements différents, générateurs de foules nombreuses comme d’importants flux de circulation.

Outre ce mélange des genres, l’un peut éclipser l’autre… Ce qui semble sans objet pour l’initiateur local, pourtant parfaitement au fait de la fête douaisienne de tradition multiséculaire.

Acte IV du feuilleton pontonnier

C’est alors que le Conseil municipal de Lauwin-Planque découvre le coût de l’annonce… Il est salé pour le budget d’un « village » de 1 750 habitants. On parle quand même de plusieurs centaines de milliers d’euros.
Un conseiller municipal, bien placé pour l’affirmer, avait même précisé que ni le département, ni Douaisis Agglo ne participeront à la cagnotte Leetchi.

Question subsidiaire, des travaux devront être menés tambour battant ? Non ça c’est à Douai !…

Avec un grand braquet plutôt… A Lauwin-Planque, comme par exemple déjà le probable décaissement sous le pont, la requalification de la voirie du Marais, le lieu d’accueil de la mythique caravane, les aménagements divers pour faciliter l’évènement.

Ils s’ajouteront bien sûr à la facture, ce qui aggravera la balance bénéfice/inconvénient d’une présence nécessairement fugace du peloton dans le « village » .

Que ne ferait-on pas pour la gloire villageoise …

La pilule semble aujourd’hui difficile à avaler localement. Des critiques paraissent même fuser, sur les contraintes, les coûts, la circulation dans le village…

Tant pis le coup est parti, on verra bien

Acte V du feuilleton pontonnier

Il a bien fallu régulariser l’embrouille…

L’édile à la tête de la mairie, qui ne semble pas avoir été associée au processus, n’ayant comme son conseil, rien décidé elle-même dans l’affaire, devait pour apparaître un tant soit peu crédible reprendre la main.
Il fallait légaliser des décisions prises sans mandat du Conseil par un élu désormais de base du fait de la loi sur les cumuls des mandats.

Dura lex, sed lex...

Tout va bien. Un arrêté aurait été voté… Il donnerait mandat à partir du jour de son vote, pour faire ce qui a déjà été fait… C’est un nouveau principe réglementaire… On fait d’abord, on régularise ensuite.

Reste une interrogation sur la manière, dont ceux qui en ont la charge, contrôleront la légalité de cette méthode rétroactive.

D’habitude on vote d’abord, puis on fait… Là, on a fait d’abord mais, parce que ça commençait à piquer, on a voté ? Mais quoi au juste ?

Ces péripéties font sourire, sachant que nous ne sommes qu’au début de ce feuilleton clochemerlesque.

Il y a cependant derrière, comme toujours, des problématiques plus sérieuses.

D’abord les règles légales, évidemment malmenées.
Et, au milieu d’elles, celle qui permet à un conseiller municipal d’agir en toute puissance dans un « village » à la campagne qu’il n’a plus à diriger par la loi.
Quand bien même il serait déjà en campagne par ailleurs.

A briiiiidgee over troubledddd Lauwin-Planqueeeee !!!!!

La poésie lauwinoise, ça existe !

Moulin, mon beau moulin

La machinerie du moulin des Augustins est en danger, faut-il la sauver ? Vaudrait mieux.
On a tant détruit dans cette ville et on laisse tant dépérir les bras ballants qu’on en arrive à se demander, devant ce nouveau défi patrimonial, ce que vont bien pouvoir faire nos chers élus, capteurs de la manne fiscale qui pourtant peut tout.

Le centre-ville alimente la périphérie

Il vient de loin ce moulin. Son emplacement est unique, avec sa perspective et son aplomb de l’écluse, certes aujourd’hui inactive mais si belle.
Sa sévère façade qui surveille le canal est un jalon de notre histoire urbaine.

Depuis les années 1980, les lieux étaient occupés par les célèbres « Papillons Blancs » , association qui s’est spécialisée depuis plus d’un demi-siècle dans l’accueil des personnes en situation de handicap.

En 2019, les résidents sont partis s’installer au Raquet. Ce déménagement démontre en passant que l’écoquartier est plus souvent le bénéficiaire, au détriment du centre ville, d’un banal transfert d’activité.

Dans le Douaisis, rien ne se crée, tout se transforme.

Un joyau caché au yeux de tous

Depuis cinq ans, ce bâtiment était vide, soumis comme toujours aux assauts des squatteurs et au risque d’incendie.
On peut même y ajouter une activité plus ambigüe, l’urbex, dont un site internet illustre les exploits dans la ville et même plus loin.
Remercions toutefois ces « urbexeurs » locaux qui nous donnent l’occasion de juger de l’état de cette magnifique machinerie un an après le départ de l’association gestionnaire.

Parfaitement conservée comme cela avait été exigé lors de la rénovation du moulin, on se demande ce qui a ensuite empêché de l’exposer aux yeux des citoyens et des touristes.
Il est incroyable que cet aménagement – qui ne demandait qu’à être visité – soit resté inconnu de tous. Nous n’en serions probablement pas aujourd’hui à ramer pour sauver ce qui peut encore l’être.

Car, depuis l’abandon, les dégradations n’ont pas manqué, comme les montrent les récentes photos de la Voix du Nord.
C’est sans doute l’urgence – cette course contre la montre n’a pas concerné la seule machinerie du moulin – qui a poussé le propriétaire Norévie, notre célèbre « dodu dormant » , à se débarrasser de cette « friche » pour parler comme les élus municipaux.

La Scarpe rapportait gros

Il est bien triste d’appliquer à ce bâtiment un terme plutôt destiné aux usines déglinguées dont la région est coutumière.
On peut déjà y opposer la qualité de la rénovation réalisée à une époque qui parait aujourd’hui si lointaine, quand l’énergie et les idées ne manquaient pas du côté du pouvoir local.

C’est aussi et surtout le dernier témoin d’un passé glorieux, celui des céréales et de la farine qui ont juste, excusez du peu, créé la ville.
Chaque citoyen et plus encore les élus, fussent-ils escrologistes « gluten free » , doivent se persuader quand ils contemplent le beffroi, Notre-Dame, Saint-Pierre etc. que si ces bâtiments existent, c’est grâce aux moulins de la Scarpe.

Rappelons ces deux miracles, aucunement divins : d’abord la percée du « Pas de Vitry » qui a donné la force hydraulique nécessaire aux machineries et ensuite le droit d’étape qui a réservé à Douai le commerce des grains de toute la région.
En considérant l’ampleur des taxes collectées – sur les 16 moulins de la ville – on saisit toute la dimension économique de ces activités, très supérieure à celle de la draperie qui, de fait, a peu duré.

La Scarpe anastomosée du XVI°, les Augustins sont au milieu après l’entrée des eaux à droite.

Le témoin ultime d’un passé évanoui

Le stockage des grains puis leur transformation ont été, du Moyen-Age jusqu’au XIX° siècle, la clé du rayonnement douaisien.
De fait, la quinzaine de « fariniers » qui tenaient la meunerie locale constituaient une confrérie puissante. Leur taxation, payée en nature au Magistrat, était proportionnelle à la vigueur du courant, d’ailleurs plus importante à l’entrée des eaux qu’à la sortie.

Le Moulin des Augustins, pour cette dernière raison, possède une origine qui remonte très haut.
Elle est plus ancienne que son nom, qui renvoie à l’ordre mendiant installé à côté à la fin du XVI° siècle et qui faisait le pendant avec les Dominicains d’en face.
Un captage en amont – toujours visible – dirigé dans le bâtiment permettait la chute de l’eau qui actionnait la roue et ensuite toute la machinerie.

Le bâtiment actuel est évidemment plus récent. Construit au XIX° siècle, il a été ensuite modernisé, ainsi que le prouvent les installations actuelles.
Ces dernières, pour une grande part, datent des années 1930, ainsi le broyeur de la compagnie chartraine « Teisset-Rose-Brault » dont la rareté patrimoniale a même valu en certains endroits une inscription au titre des monuments historiques.

Pauvre moulin sans protection

Quel pronostic peut-on porter sur l’avenir de cette belle machinerie ?

La communication de la mairie n’annonce rien de bon. On nous sert une sorte de courrier d’attente, de ceux dont l’administration française a le secret.
C’est jouer la montre en espérant l’usure puis l’oubli de l’opinion. Sur un malentendu, ça peut marcher.

Au delà, cette machinerie « ne pourra toutefois pas demeurer en son état d’origine » , le promoteur ayant prévu à cet emplacement l’aménagement de huit logements, c’est bien bête…
Notre responsable de l’urbanisme met en avant l’absence de protection légale qui empêcherait de faire autrement.
La réclamer, comme cela pourrait être l’intérêt de la ville, ne lui vient visiblement pas à l’esprit.

Cette machinerie est donc vouée à disparaitre.

Qui peut croire, quand on connait l’efficacité de notre municipalité, qu’elle puisse être « valorisée » quelque part ? Dans l’église Saint-Jacques ? Dans les salles d’Arkéos ? Au passage Gayant ?
On la mettrait, selon la VDN, « dans les parties communes » mais pas de panique, on prévoit en même temps que « si c’est impossible » elle serait posée dans un autre lieu non précisé dans la ville, c’est à dire nulle part.
Lot de consolation, la roue du moulin serait « conservée » à côté du « local aux déchets » , salut qu’elle doit probablement au tour de force que représenterait son démontage.

Des studios de grand standing rennais ou marseillais

Quant au projet immobilier lui même, on nous donne des détails assez confus, insistant lourdement, comme un nuage de fumée à la Mirabeau, sur les « logements de standing » qui en seraient la clé.
Il est difficile d’attribuer ce critère à la « majorité de T2, et quelques T1 » destinés à la location que nous dévoilent les médias locaux.
On se dit in petto qu’installer dans ces murs « 40 logements » (soit une moyenne par appartement de 50 m2) risque fort de nous donner une bonne vieille concentration d’APL

On va en mettre du populo là dedans, va falloir se battre pour les places de parking…
© bureauvolant.com

Reste enfin, le profil de l’entreprise qui mène le dossier. Outre de savoir le prix de son achat, il serait utile d’en connaître la dimension, sachant qu’il s’avère bien difficile de trouver quelque part la trace précise de cette « Cassiopée rennaise » .

Élément encore plus brumeux, le panneau d’affichage de l’autorisation d’urbanisme, récemment installé, donne un autre bénéficiaire, une curieuse « SASU Tiembleue » qui parait localisée… à Marseille.
Comprenne qui pourra.

Quant aux architectes, ils viennent de Tourcoing et réhabilitent actuellement l’ancienne église du couvent des Clarisses qui n’est pas sans points communs avec le Moulin des Augustins.

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Pour conclure, on ne peut que saluer l’initiative des Amis de Douai qui tentent d’alerter l’opinion sur cette affaire.
Il existe encore dans cette ville des défenseurs du patrimoine urbain. L’impression de labourer la mer doit les saisir quand ils contemplent l’état de ça, ou ça ou encore ça.
Quand disparaitront ces méritants empêcheurs de tourner en rond, les règles de protection des monuments et des paysages s’envoleront à leur tour au nom d’intérêts obscurs toujours plus importants que les traces du passé.

Alors s’évanouira définitivement la beauté de la ville…

Conte (ou comptes) de Noël…

Le Père Noël, rompant avec son habitude de ne venir qu’en fin d’année dans nos contrées, a fait avant le jour de Noël un premier passage furtif à Lambres-lez-Douai.
Son but était de vérifier que la gigafactory chinoise de fabrication de batteries pour véhicules électriques pourrait aussi le fournir en batteries rechargeables pour ses jouets écologiques.

En traineau jusqu’en Chine…

Constatant que la question n’était pas « open » , ce grand barbu au sourire si doux a décidé d’aller d’un coup de traineau jusqu’en Chine rencontrer l’industriel chinois financeur du projet local, pour négocier un accord afin de servir ses clients, enfin ceux qui aiment les cadeaux.

Las, les Chinois (maigres par nature et montrant généralement une mine austère…), n’avaient jamais rencontré un personnage aussi replet, habillé en rouge communiste, qui se déplace comme un missile… Dans un traineau tiré par des rennes…

Un de leurs ballons espions ayant flashé le véhicule à une inquiétante vitesse supersonique, leurs services secrets, circonspects, ont immédiatement adressé une note bleue au Président chinois Xi Jinping, l’informant du projet d’arrivée d’un missile européen labellisé OTAN !

Le président chinois Xi Jinping, homme souriant au demeurant, enfin qui s’y efforce, refusa le visa, avec pour seule explication : 它不会这么做 Tā bù huì zhème zuò , ce qui veut dire en français « Ça va pas le faire » … 

Dépité, mais toujours gaillard notre homme a décidé de rentrer dans le grand Nord, préparer le Christmas-Red/Sunday.

Lauwin-Planque en vélo…

Passant par hasard à Lauwin-Planque, charmant village proche de Douai, il s’est arrêté pour constater que les bois de ses rennes n’accrochent pas sous le pont de la RD qui le traverse…
Son traîneau passé, une idée lui est venue… Pourquoi pas la caravane du Tour de France aussi ?

Apprenant, après coup, que leur village serait un point de départ d’une étape du Tour de France 2025, certains qui, sur place, croient encore au Père Noël, ont pensé qu’il tenait à remercier la municipalité pour son marché de Noël de taille King Size…

Cette explication ne tient pas après constat puisqu’il ne s’est même pas rendu à la Mairie pour l’annoncer…

Tenus à l’écart des négociations qui ont pu se tenir en catimini avec la direction de cet évènement sportif… Les habitants ont découvert dans la presse l’annonce faite à Lille par quelques sommités régionales satisfaites de leur exploit…

Pour les « Vigilants » locaux et autres oubliés de la conférence de presse lilloise, ce « cadeau de Noël » n’en est plus un… Puisque le village déboursera 300 000 € à sa livraison dans la cheminée de la Mairie (soit 15% des charges annuelles de fonctionnement)…

Tenu à l’écart aussi, comme Gayant et sa famille qui seront pourtant de sortie ce jour-là, le Maire de Douai, qui avait enfin nommé correctement son Marché de Noël jusqu’alors Douai d’Hiver, en est resté bouche bée…

Mais qui donc aujourd’hui croit encore au Père Noël ?

Douai en 1900

Vue début XX° prise du beffroi de Douai

Les connaisseurs de l’histoire douaisienne sont familiers des mémoires de Madame Camescasse que nous avons présentés voilà quelques temps.
À la même époque – sans doute  la plus prestigieuse avec le XIII° siècle – d’autres témoins ont évoqué notre ville dans leurs souvenirs ou leurs carnets de voyage. Il n’est jamais inutile de s’y plonger.

On connait ainsi le célèbre Hippolyte Taine qui a fait de brefs séjours à Douai à la fin du Second Empire mais surtout le géographe Raoul Blanchard qui y a résidé à partir de 1900.

Y demeurant deux années scolaires, l’ancien professeur a donné de ce séjour d’intéressants détails sur notre ville à l’aube du XX° siècle.

Une riche carrière universitaire

Né en 1877, Raoul Blanchard était le fils d’un inspecteur des eaux et forêts. Il fut, par leur commune origine orléanaise, proche de Charles Péguy dont il a laissé un beau portrait, éprouvant envers cet aîné des « sentiments dont il se départirait jamais : admiration et soumission » .

C’est sur le conseil du « grand homme » qu’il choisit la voie de l’enseignement et l’École Normale Supérieure où il dévoila des capacités exceptionnelles.
Reçu premier à l’agrégation d’histoire-géographie, il fut, à la suite de ces succès, professeur de lycée à Douai puis Lille, avant de se lancer dans la carrière universitaire.

Disciple de Vidal de la Blache, Raoul Blanchard est un des grands pionniers de la géographie moderne, notamment par sa thèse célèbre « La Flandre » , soutenue à Lille en 1906, somme qu’on peut encore lire aujourd’hui avec profit.

Il se tourna ensuite vers les études alpines après avoir créé la chaire de géographie à la Faculté de Grenoble. Son audience fut rapidement internationale. Après Harvard, il exerça au Québec où « ce père de la géographie montréalaise » laissa un souvenir inoubliable, à tous les points de vue.

A la fin de sa longue existence, Raoul Blanchard, écrivit deux livres de souvenirs (1961 et 1963) dont la précision, un demi-siècle plus tard, est étonnante.
Si notre cité a, comme tant de choses, oublié son court passage, ce témoignage est là pour nous le rappeler.
Il nous offre surtout, par ses descriptions pleines de verve, la belle apparence du « Douai en 1900 » .

Douai vu par un géographe

Blanchard a su saisir les mutations de la cité, certes avec la disparition récente de ses fortifications, mais surtout le vigoureux développement industriel de sa périphérie du fait de l’extraction minière.

D’où une différenciation sociale et spatiale qui s’accuse au début du XX° siècle : « les divers éléments de cet amalgame paraissaient vivre à l’écart les uns des autres. Les magistrats ne frayaient guère qu’entre eux ou avec quelques gros propriétaires fonciers. Les officiers se fréquentaient entre officiers.
Les ouvriers des usines et les travailleurs du charbon vivaient dans les faubourgs. Au nord de l’enceinte, des mineurs occupaient à Dorignies le groupe de corons le plus navrant que j’ai jamais vu » .

La rue principale de Dorignies (aujourd’hui Jean Jaurès) et son célèbre estaminet « Au bon Coin »

L’analyse géographique ne perd pas ses droits. Blanchard livre une description qu’on pourrait avec profit placer dans les actuels manuels scolaires :
« les fonctions urbaines de Douai étaient complexes. Depuis deux siècles, la ville était le verrou arrière du système fortifié de Vauban et, comme tel, entouré d’épaisses fortifications qu’on avait récemment fait disparaître.
Mais il lui en était resté un rôle militaire éminent, avec une forte garnison de deux régiments d’artillerie, des fantassins, un arsenal.

Il est vrai que la ville avait conservé sa cour d’appel, une des plus étoffées de France, qui comportait tout un cortège de magistrats et de gens de la basoche. Le rôle administratif qui avait été longtemps l’apanage de Douai, chef-lieu du département du Nord lors de sa création, n’en était pas moins fortement amoindri.

La palais de justice, ancien Parlement de Flandre, avec sa belle façade XVIII°, œuvre de Lequeux.

Mais la ville avait conquis d’autres qualifications. Établie juste au bord méridional du ruban charbonnier, à distance presqu’égale de la frontière belge et des dernières fosses du Pas-de-Calais, elle était devenue la capitale du bassin houiller. C’est dans ses murs que se réunissaient périodiquement le Comité des Houillères.

Attiré par la proximité du charbon, des usines s’étaient installées dont la plus puissante, qui travaillait les métaux, s’appelait les « Etablissements Cail » et c’était vraiment une grosse affaire. Ainsi la combinaison était elle assez hétéroclite » .

Disparités urbaines et rurales

Après avoir espéré en vain le lycée d’Orléans, le « cacique » de la promotion reçut, faveur de l’administration, un poste à Douai, nomination qui devait en théorie lui permettre de profiter de la proximité de Paris, ce qu’il ne fit pas comme nous le verrons plus loin.

L’ancienne gare de Douai, construite en 1846, a été détruite lors du bombardement allié d’août 1944 qui conduira à la réorganisation complète du quartier de la gare.

Il débarque de la gare accompagné de sa mère pour découvrir juste en face « le haut mur sévère d’une caserne d’artillerie, paysage austère qu’un de mes collègues comparait irrévérencieusement à La Roquette » .

Ce bâtiment, dont une des façades longe la place Saint Jacques (future Carnot) était l’ancien collège des Anglais. Cette « caserne Durutte » sera détruite à la fin de la Grande Guerre.

L’austère façade de la Caserne Durutte de la place Saint Jacques

Pour autant, cheminant vers la rue Saint Jacques, il observe une ville « habitée bourgeoisement, entremêlant des rues commerçantes et des voies aristocratiques.
L’aspect n’en était pas désagréable, d’autant que ces rues étaient soigneusement balayées, à la charge des occupants des immeubles qui devaient nettoyer jusqu’au milieu de la chaussée » .
Il aperçoit ensuite « la rivière de Scarpe (qui) traversait la ville, rivière asservie et enchaînée. Ce n’était guère qu’un large canal sans courant apparent, ligoté entre des quais de pierres mais animé par le continuel passage des péniches. « 

La « rivière Scarpe asservie et enchainée » à l’entrée des eaux …

L’impression que lui laissent les bâtiments est positive. Il apprécie « les fortes maisons d’un ou deux étages (qui) dressaient de hauts toits roux, tout empennés de cheminées. Elles s’aéraient d’une multitude de fenêtres garnies de fins rideaux impeccablement entretenus » .

Il sera ensuite, quand il connaîtra mieux la cité, frappé par la multitude des « édifices publics » dont profite la ville. Il tient à faire une liste qu’il est intéressant de comparer à notre équipement actuel :
« caserne, arsenal, palais de justice, lycée, école de musique, école des industries alimentaires (ancienne université), prison, couvent – dont celui des jésuites anglais – églises, dont certaines d’une architecture estimable et enfin le très noble hôtel de ville érigeant une tour à clocheton du meilleur effet » .

L’hôtel de ville et son célèbre beffroi. Devant, l’entrée inaugurée par Jules Maurice sous le Second Empire

Toujours facétieux, le jeune professeur ajoute à ces remarquables infrastructures l’aménagement suivant : « il est enfin un trait qui m’a frappé dès mes premiers contacts avec la ville : l’abondance des vespasiennes. Il y en avait partout. Mon sens géographique me suggéra aussitôt que la présence de ces édicules était lié à un usage constant et copieux de bière » .

Pour finir, Blanchard ajoute qu’il « estimait d’autant plus la ville que la campagne environnante était atroce. Grand marcheur et géographe, je voulais explorer la contrée et y faire de longues randonnées. J’y renonçais vite, tant le spectacle était peu ragoûtant.
Des routes pavées ou boueuses, d’insipides labours. A l’horizon, les silhouettes grimaçantes des terris voisinant avec les chevalements et les hautes cheminées des sièges d’extraction
.

La fosse 3 des mines de l’Escarpelle à Dorignies

Partout, l’odeur écœurante montant des silos à betterave. Il fallait aller loin jusqu’au marais de la Sensée à Arleux pour trouver une nature modeste mais impolluée, de l’herbe, des joncs, des peupliers, des eaux. Je regrettais le Val de Loire et me retranchais dans la ville » .

Le lycée de Douai

L’enseignement, c’est logique, occupe beaucoup les Mémoires du jeune agrégé. Mais à l’inverse de Taine, trente ans plus tôt, les relations universitaires comme d’ailleurs celles avec la notabilité locale, prennent peu de place dans son témoignage.

La rue de l’Université, laquelle est remplacée – à droite par l’école des industries agricoles

Il arrive en effet une dizaine d’années après le déplacement des facultés à Lille qu’il approuve : « on lui avait enlevé son université pour la transférer à Lille et c’était justice. Mais les Douaisiens en avaient gardé une solide rancœur » . On sait que ce déménagement, en 1887, qui déclencha à Douai une grave crise politique, constituera pour la cité un durable traumatisme.

Avec le ressort judiciaire conservé de justesse, le lycée reste toutefois un des points forts de la ville. D’abord impérial puis royal, il fut longtemps le seul du département.
En 1900, le réseau secondaire s’est diversifié mais le nombre d’élèves qui y accèdent reste limité, à peine 2% des sortants d’école primaire.
Les effectifs sont faibles à Douai. L’année de son arrivée, 400 élèves, de la 6° à la Terminale, en comptant même les candidats à St Cyr (la fameuse « Corniche » ), sont accueillis dans les murs.

Curieusement, en dépit de son importance et alors même qu’elle se déploie à cet instant, Blanchard ne dit pas un mot de la réforme du lycée qui équilibre en 1902 enseignements modernes et classiques, tout en donnant aux bacheliers l’égalité d’accès à toutes les facultés. Cette organisation restera inchangée jusqu’aux années 1970.

« Dès la rentrée, je m’étais rendu au lycée, ample édifice de briques, pourvu de vastes cours, dans l’ensemble pas trop rébarbatif, vraisemblablement un héritage de jésuites » .
Comme le voulaient les usages du temps, il est reçu par le proviseur, Courcout, lequel dirige l’établissement depuis 1898 à la plus grande satisfaction du recteur.
D’une santé fragile, ce dernier disparaîtra brutalement, à quarante ans, avant la fin de l’année scolaire. Blanchard le regrettera sincèrement « d’autant que son successeur ne le valait pas » .

Comme parfois, il ne devait pas être facile de succéder à un collègue aussi estimé. Edouard Carette, précédemment proviseur du lycée Mignet d’Aix, dut sans doute sa nomination en cours d’année à son beau-père secrétaire général de la questure du Sénat. Il dirigea le lycée de Douai jusqu’à sa retraite, peu avant la Grande Guerre.

Blanchard rappelle la façon dont s’est passée son inspection : « il se trouvait que le nouveau proviseur, bien qu’agrégé de grammaire, avait prétendu me donner des conseils sur l’enseignement de la géographie. Je l’avais reçu fraîchement.
Or, à l’issue de l’inspection, Debidour (l’inspecteur général chargé de la visite), écartant le proviseur d’un geste, me prit sous le bras pour une amicale causette dans la cour tandis que le proviseur se morfondait dans un coin. J’étais radieux » .

Son emploi du temps se révèle très chargé « car on me prie instamment d’assurer quelques heures de cours secondaires de jeunes filles (futur Corot), d’ailleurs voisin du lycée » .
Il comprend vite que si cette charge lui demande du travail, elle lui donnera un supplément de traitement non négligeable.
Soucieux d’avoir quelques jours de liberté pour ses études géographiques, il réclame des modifications que le censeur, Charbonniez, un « brave homme » , lui accorde sans difficultés.

Le lycée de jeunes filles, futur Corot

Galerie de professeurs

Blanchard donne des détails savoureux sur ses collègues sans toujours en dévoiler l’identité. Diverses sources permettent toutefois de les deviner.

Il ne trouve qu’un seul normalien, Liber, « sorte de père tranquille devenu propriétaire à Douai et qui s’y était fixé pour toujours » . Adolphe Liber, ancien de l’École, agrégé de grammaire et « officier d’académie » , était alors âgé d’une quarantaine d’années. Originaire de Lille, il prendra effectivement sa retraite à Douai.

Il côtoie aussi « un professeur d’allemand, rude et mal embouché, qui militait dans les rangs radicaux-socialistes. Conseiller municipal, il faisait de l’opposition au maire Bertin, grand seigneur dédaigneux qui détestait en lui tous les professeurs.
Du moins, ce politicien germaniste avait-il obtenu de la ville la création d’une piscine très moderne, dont je profitais largement » .
Ce professeur a laissé une trace. Il s’agit de Jules Limbour, né en 1851, conseiller municipal d’opposition qui jouera un rôle durant la Grande Guerre dont son Journal témoigne. Les « bains douaisiens » sont effectivement en partie son œuvre.

Les bains de la place d’Haubersart construits en 1895. A droite le pignon de l’église Notre-Dame.

Plus loin, « également féru de politique radicale, le professeur de sciences naturelles ne ressemblait pourtant guère à son collègue d’allemand : de visage agréable, vif et enjoué, fort apprécié des femmes et les appréciant, au demeurant excellent professeur, il suscitait invinciblement la sympathie » .
Edouard Lirondelle, père d’André le célèbre slavisant, était conseiller municipal lui aussi. Il est curieux que Blanchard n’ait pas évoqué son décès prématuré, à cinquante quatre ans, en février 1902.

Avec l’absence de « political correctness » qui est la marque de son époque, Blanchard rappelle le souvenir d’Armand Ephraïm : « non moins intéressant était le professeur de philosophie, un petit juif d’une quarantaine d’années, intelligent et courageux, enragé patriote. Lui aussi avait fait de la politique, mais sur une grande scène, à Paris. Il m’avoua un jour qu’il avait eu trois journaux tués sous lui » .
Effectivement, professeur féru de lettres et de journalisme, Ephraïm est célèbre pour avoir été, entre autres, le directeur du périodique « le Cri de Paris » de 1904 jusqu’à sa mort en 1935.

Le « Cri », journal absolument dreyfusard

Le nombre d’enseignants qui exercent au lycée de Douai, plus d’une trentaine, prouve la faiblesse des effectifs par classe qui « étaient peu chargées, vingt à vingt cinq têtes » . On relève aussi, marque de cette période, la part importante d’agrégés parmi ces professeurs, plus des deux tiers.

Quelque soit leur statut, « tous ces hommes prenaient leur tâche au sérieux. Il n’y avait ni cossard ni fumiste » . Ils se partageaient par ailleurs en deux groupes : « les plus nombreux se plaisaient à Douai, ils vivaient en famille, désiraient y faire carrière.
Les autres, plus agités, considéraient Douai comme un marchepied pour atteindre un poste à Paris.

Ils étaient atteints de cette fièvre que j’appelais la « parisianite » dont je me sentais entièrement préservé. Ils faisaient de fréquentes visites à la capitale (deux heures trente par le rapide).
Certains même, y avaient leur vrai domicile et ne passaient à Douai que trois ou quatre jours par semaine. Ils n’en faisaient pas moins consciencieusement leur métier car, sollicitant un avancement, ils tenaient à être bien notés » .

Les commensaux

Dans cette galerie, Blanchard est plus disert sur les trois collègues qui seront ses amis proches, de fait ceux avec lesquels il partagera ses repas.

Un restaurant de la rue St Jacques, trop onéreux pour un jeune professeur : le Grand Cerf

D’abord, Charles Michel, professeur de maths arrivé après lui. La solidarité normalienne l’oblige à apporter une aide à cet « archicube scientifique qui n’était à Douai que depuis deux heures lorsqu’il pénétra chez moi, me sommant de lui trouver une chambre et une gargote.
Bon professeur de « spéciales » , intelligence lucide, Michel avait l’esprit amer et sa verve était volontiers âpre. Je ne l’eusse pas fréquenté s’il n’avait pas été mon contemporain à l’école » .
Né en 1873, Michel arrivait du lycée de Charleville. Il quitta Douai pour Dijon en 1903. Nommé ensuite au lycée Saint Louis, il y resta jusqu’en 1936, mort quasiment en chaire tant son métier était l’unique passion de ce célibataire endurci. Brillant mathématicien, il a laissé une empreinte dans de nombreuses sociétés scientifiques.

Vient ensuite son collègue d’histoire, Vergniol (qu’il orthographie de mémoire « Vergniolle » ) : « court sur patte, rondouillard, teint coloré et cheveux rares, mais l’œil vif et gai. En fait un charmant garçon, bienveillant et réjoui, qui ne manquait pas de talent en tant que critique littéraire.
Au fond plus journaliste que professeur, connaissant tout le monde à Paris et tout le monde à Douai où il ne passait pourtant que trois jours par semaine. Mais il était atteint de parisianiste aiguë et souvent sa bonne humeur l’abandonnait à l’évocation des préventions des inspecteurs généraux à son égard » .
Si sa carrière de professeur s’est, après Douai, toute entière déroulée au lycée de Vanves, Camille Vergniol a publié plus d’une vingtaine d’œuvres et de romans divers.
L’un d’entre eux a reçu une critique élogieuse de Jean Jaurès (« Domenica » en 1900) tandis que d’autres ont été primés par l’académie française. Il est mort à Paris en 1932.

Une des très nombreuses publications de Camille Vergniol (1930)

Apparait enfin sans doute le collègue qui a le plus compté dans son court séjour douaisien, Albert Boblin qui « était un agrégé de l’enseignement moderne (l’École Normale fondée à Cluny par Duruy en 1866 pour former les maîtres de l’enseignement secondaire spécial), il ne cessa de me témoigner de l’intérêt, ce qui me surprend aujourd’hui encore car nous nous ressemblons guère.
Petit, replet, mon aîné de vingt ans
(il est né en 1859), c’était un homme aigri par des déboires conjugaux, atteint d’un léger délire de persécution qui exprimait sa rancœur par une tenue de gala fort peu reluisante, une redingote constellée de tâches , un haut-de-forme aux poils rebroussés. Au demeurant spirituel, grand amateur de plaisanterie amères » .
De fait, Boblin était veuf depuis 1898 après s’être marié à Douai cinq ans plus tôt avec Clémentine Haeuw, une dunkerquoise fille d’un « conducteur des Ponts et Chaussées » . Nommé au lycée en 1881, il y enseigna durant trente huit ans.

Ce spécialiste de Desrousseaux et du P’tit Quinquin a fait l’objet à son décès, en 1922, d’une belle nécrologie dans le bulletin de la « Société d’agriculture » .
Elle fait écho à la description de Blanchard vingt ans plus tôt : « la marche lente, le chapeau haut de forme qui l’aurait fait tenir pour un homme grave, pour un universitaire de l’orléanisme, si la grande barbe largement étalée n’avait aussitôt décelé que, sans règles étroites, il aimait les arts et les artistes » .

Etude d’Albert Boblin sur Desrousseaux dans le Bulletin de la Sasa (1891)

Une péripétie amusante donne une idée de l’ambiance de la rue des Écoles où se trouvaient divers estaminets d’un genre particulier.

Il demande à Boblin « fin connaisseur des aîtres de Douai » de pouvoir partager ses repas. La réponse est évasive, son « restaurant servait une excellente cuisine, et pas cher, mais il comportait un grave inconvénient sur lequel il refusa d’être plus explicite » .

« Avec l’insouciance de la jeunesse, je passais outre et le lendemain j’allais m’asseoir à sa table, dans une salle claire et propre où la chaire en effet était fine et bon marché. J’y emmenais Michel dès son arrivée et nous persuadâmes Vergniol de nous y accompagner.
Nous eûmes ainsi une table de quatre où l’on ne s’ennuyait pas, animée par les mots d’esprit des deux anciens et la verve normalienne des deux plus jeunes » .

« Mais les inconvénients que sous-entendait Boblin ne tardèrent pas à apparaître et à se préciser. D’étranges convives apparurent, parmi lesquels même un nigaud comme moi pouvait reconnaître des proxénètes.
La serveuse et la patronne prirent des attitudes de plus en plus, ou si l’on veut de moins en moins, équivoques. Il nous fallut reconnaître que nous étions tombés dans une maison mal famée » .

Au bout de quelques semaines, « ce fut la déroute » . Tous s’enfuient pour prendre « leurs quartiers dans un restaurant cher à deux francs le repas » .

Un mariage douaisien

Cette fuite de cet estaminet s’accompagna d’une circonstance qui a lié Blanchard à Douai pour toujours : le mariage.
Après avoir épuisé les joies des pensions locales, il se met à chercher un logement plus confortable et plus durable. Il le trouve au 6 rue de la Comédie (aujourd’hui Trannin, cette maison n’existe plus), chez un de ses collègues, professeur d’anglais, Victor de Lauwereyns de Roosendaele, qui offre l’étage à la location.

Il tombe amoureux de la fille de la maison, Jeanne. Après quelques semaines, n’y tenant plus, Blanchard se lance : « je demandais à Mademoiselle de Lauwereyns si elle consentirait à m’épouser. Quelques secondes, puis une réponse timide : oui ! Ce fut tout.
Mais le lendemain matin, la rencontrant par hasard dans un couloir, elle me laissa déposer sur sa joue un baiser respectueux et enthousiaste » .

Son père lui, n’est pas enthousiaste, considérant la dot trop mince mais le fils passe outre. L’union se fera.
Il apprécie cette dynastie de professeurs originaire de Saint-Omer mais aussi, du côté maternel, la tribu des brasseurs Durasnel, « race vigoureuse, de gros mangeurs, colériques, entreprenants et volontaires. (…) Au total, cette famille à laquelle j’allais m’allier où une race artésienne se mêlait à un sang flamand, était robuste et saine » .

Le mariage eut lieu à Douai le 10 avril 1901, solide union qui devait dépasser les noces de diamant. Madame Blanchard est décédé à Sèvres en 1973, à 93 ans, un peu moins de dix ans après son époux.

Après deux années douaisiennes, Blanchard souhaite s’établir à Lille pour se rapprocher de l’université afin de travailler sa thèse. Il se met en congé et obtient une bourse d’étude grâce à l’intervention de Lucien Gallois « maître dévoué » .

Il aime Lille : « d‘abord on vous tâtait. Mais à l’issue de cette épreuve, si vous étiez accepté, c’était du solide. (…) J’éprouvais aussi de l’affection pour le petit peuple, volontiers grossier et ivrogne, fort éloigné de la finesse des populations du Midi mais laborieux et sérieux, tout en déployant lors des fêtes une gaîté débridée » .

« Partout, je trouvais des complaisances infinies, qui sont à l’honneur des gens du pays. On s’ingéniait à me faciliter la tâche » . Soutenu par Charles Barrois et la famille Decroix, il mène ses recherches tambour battant, sur tout le territoire de la Flandre, jusqu’aux confins de la Belgique.

Sa nomination en mars 1905 au lycée Faidherbe sur un poste récemment créé, lui permet de se rapprocher du centre-ville et de se loger dans le boulevard du même nom.

Le fameux Café Jean de l’avenue Faidherbe. Au 3°, fenêtre ouverte, l’appartement de la famille Blanchard. Le bâtiment a été détruit lors de la Grande Guerre.

Sa soutenance, un triomphe, se tient en mai 1906 dans la belle – et bondée – salle des actes de l’université. Il rejoint aussitôt la faculté de Grenoble et sa toute nouvelle chaire de géographie, prélude, comme nous l’avons vu plus haut, d’une carrière prestigieuse.

Pour finir, revenons à notre cité bien aimée en citant notre auteur : « c’est le Douai des années 1900 que j’ai ainsi essayé de décrire. Car je ne l’ai pas revu depuis bientôt cinquante ans.
Or, je sais que la ville a souffert au cours des deux guerres mondiales. Du chemin de fer, j’ai constaté qu’elle avait gardé ses clochers mais c’est tout ce que j’en sais.
En tous les cas, des deux brèves années que j’y ai vécu, je ne m’y suis pas déplu » .

Terminons par cet adage du maître géographe : « Des souvenirs comme ceux-là sont une consolation de la vieillesse » .

Florent-Guiot a bien mérité de la patrie

L’Histoire est une discipline qu’on hésite à qualifier de scientifique même si elle a la prétention de restituer le passé avec le plus de véracité possible.
Une célèbre formule de Ranke résume la chose : elle doit être « wie es eigentlich gewesen » , c’est à dire reconstituer « ce qui s’est réellement passé » en s’appuyant sur des sources vérifiées qui, à l’époque de Léopold, étaient exclusivement écrites.

Au delà de cet impératif bien aidé de nos jours par la science qui les a multipliées, notamment en archéologie, l’étape suivante est celle des « problématiques » . Quand les faits sont assurés, il reste à comprendre pourquoi ils ont eu lieu.

Ces questionnements peuvent être infinis. Par exemple, pour Douai, comment a-t-il été possible, dans cette ville si catholique, de faire disparaitre durant la Révolution la quasi totalité du patrimoine religieux ainsi que tous les ordres monastiques qui pullulaient dans la ville avant 1789 ? Tous ces croyants ne l’étaient donc pas ?

L’homme providentiel

La problématique révolutionnaire nous amène d’ailleurs ici. Moment assez meurtrier en France, il ne le fut pas du tout dans le Nord et encore moins à Douai.
Si on interroge l’homme de la rue, il avancera probablement qu’on a beaucoup guillotiné sur les bords de Scarpe. Ce n’est pourtant pas du tout le cas, à peine une vingtaine de morts, et sans la guillotine. Cette divergence apporte un éclairage original sur la Révolution nordiste.

Il est vrai que dans l’infortuné Pas de Calais, l’œuvre sanglante de Joseph Lebon est connue. La chance du Nord fut Florent-Guiot.
Mettre au crédit d’un seul homme un phénomène historique est toujours hasardeux. Mais, comme nous allons le voir, tout démontre, sur un fond de résistance de l’opinion aux idées radicales, que le représentant en mission ne fut pas pour peu dans la faible « quantité de sang versé » par le département pendant la Révolution.

Son influence sur le cours des choses, comme d’ailleurs celle de Lebon, tient d’abord au pouvoir sans limites que le Comité de Salut Public donnait aux députés missionnés.
En cas de faiblesse des dirigeants civils et militaires, la destitution, souvent suivie d’une exécution, ne trainait pas. Le remplaçant se devait de réussir avec la perspective, en cas d’échec, de connaitre le destin de ses prédécesseurs.
Avec une telle pression, le zèle s’avérait la condition première de l’efficacité.

Le représentant en mission dans le département du Nord

Qui était donc Florent Guiot ? Bourguignon, il était né en 1755 à Semur en Auxois. Son père François, qui fut élu maire de cette ville en 1790, était lui-même fils d’un marchand et fermier prospère, issu d’un tout petit village, Chassey.
Florent, après de bonnes études juridiques, devient avocat puis adjoint du procureur du roi qui n’est autre que son père. Cette fonction consistait, sous l’Ancien Régime, à représenter les intérêts du monarque, de fait ceux du public, devant les parlements.

Adepte des idées nouvelles comme tant d’avocats mais surtout rejeton d’une famille de notables qui comptait dans le bailliage, il est élu député du Tiers aux États Généraux. Pour se distinguer de son collègue qui porte le même patronyme que lui, il choisit alors de s’appeler « Florent-Guiot » en un seul mot, abandonnant par la même occasion l’aristocratique « Guiot de Saint Florent » qu’il utilisait jusqu’alors.
Peu visible lors des débats de la Constituante, il en commente toutefois les péripéties par une centaine de lettres adressées aux patriotes de Semur, qu’il retrouve après la séparation de l’assemblée.
La loi interdisant aux Constituants se présenter à la Législative, il obtient par élection en 1791 la nouvelle charge de procureur-syndic, soit la direction exécutive du district.

Florent-Guiot ne l’assure pas longtemps. Il revient à Paris en 1792 après son entrée à la Convention Nationale. Siégeant sur les bancs de la Montagne, il profite de l’appui de son collègue de la Côte d’Or, Prieur, ancien officier du génie, député de premier plan et membre du Comité depuis août 1793.
C’est avec son soutien qu’il est nommé représentant en mission dans le Nord par décret du 2 frimaire an II (22 novembre 1793), poste qui est loin d’être sans enjeu, ni sans risque.

Depuis la déclaration de guerre à l’Autriche en avril 1792, le salut de la République se joue en effet aux frontières. Après Valmy en septembre et la brève conquête des Pays Bas, les troupes françaises essuient à partir de 1793 de nombreux revers.
Les victoires d’Hondschoote et de Wattignies en septembre puis octobre arrêtent l’ennemi mais quand Florent-Guiot arrive dans le département, plusieurs places (Le Quesnoy, Condé et Valenciennes) sont toujours aux mains des Autrichiens.
L’invasion menace tandis que les désordres, attisés par les excès des « sans-culottes » , s’amplifient.

La Terreur molle du Nord

Attaquée de toutes parts, la Convention met à l’ordre du jour à partir d’août la « Terreur » , mesure considérée comme « nécessaire » pour combattre les ennemis intérieurs et extérieurs.
A l’initiative des Jacobins, activement soutenue par les Montagnards en mission, cette politique impitoyable s’impose partout à partir de l’automne 1793, bien aidée par la proclamation de la loi dite « des suspects » .
Cette dernière, invention de Merlin – de Douai – et de Cambacérès, permet d’arrêter n’importe qui, sans motivation juridique, ni aucune justification d’aucune sorte, le soupçon suffisant.
Quand on connait la modération ultérieure de ces deux magistrats, on se demande ce qui a pu les pousser à prendre une telle initiative.

Cet état d’exception atteint son paroxysme dans le Nord exactement quand Florent-Guiot s’y trouve, de novembre 1793 à septembre 1794.

Dès son arrivée, il s’oppose à « l’hébertisme » , extrémisme que combat Robespierre dans la capitale. Son apparence en novembre 1793 est celle d’une curieuse « armée révolutionnaire du Nord » dirigée par un ancien comédien, Dufresse, qui se signale par diverses exactions contre les « accapareurs » et les « prêtres » .
Cette troupe improvisée liquidée en décembre, toute l’énergie de Guiot se tourne ensuite vers l’élimination d’un de ses collègues représentants, Châles, ancien chanoine, dont le passé parait l’obliger à la surenchère terroriste.

Dans cette situation instable, l’élimination des radicaux n’est pas sans risque car les contre-révolutionnaires relèvent la tête. Paris commence à se demander si leur représentant ne serait pas un dangereux adepte du « modérantisme » .
Au bout d’un mois à peine, Guiot est menacé d’un rappel. Sa chance, une fois encore, vient de son ami Prieur, probablement alerté en sous-main. Envoyé sur place, il conclut rapidement au maintien du représentant.

Châles enfin rappelé à Paris en janvier, Guiot n’en est pas quitte pour autant. Dans le Pas de Calais, son collègue Lebon s’agite beaucoup. Après avoir installé à Arras un tribunal révolutionnaire, il y réussit tant qu’on désire ajouter le Nord à sa mission, ce qu’il refuse au grand soulagement du voisin.

En février, les deux représentants sont rappelés pour rendre compte mais si Lebon retourne à Paris pour s’expliquer, Guiot joue la montre.
Restant sur place, il multiplie les courriers enflammés « contre le despotisme » pour prouver sa foi révolutionnaire mais il ne peut éviter l’envoi de deux députés, Choudieu et Richard, chargés d’en vérifier l’épaisseur. On ignore les arguments présentés mais comme Prieur de la Côte d’Or, ils préconisent le statu quo.

La défense de la Patrie en danger

Résidant habituellement à Lille, Guiot faisait de nombreuses tournées dans le département, s’arrêtant de temps en temps à Douai auquel il a évité la transformation de son tribunal criminel – cadeau de Merlin à sa ville natale – en tribunal révolutionnaire à la Lebon.

Peu intéressé par la traque obsessionnelle des « complotistes » , il se consacre d’abord à la défense nationale, montrant une grande fermeté contre les espions à la solde de l’ennemi, lesquels se confondent avec la contre-révolution émigrée.

Anticlérical sinon antireligieux, Guiot mène aussi un combat résolu contre les « superstitions » mais sur un mode, selon certains témoins, qualifié de « sournois » . Évitant tout excès sanglant, il joue sur la menace avec des arrestations ciblées – souvent suivies peu après de libérations discrètes – politique qui rencontre un certain succès.

Son habileté s’exprime aussi dans l’approvisionnement des armées, en denrées alimentaires et en salpêtre.
Pour les premières, connaissant la richesse agricole du Nord et le peu empressement des paysans à offrir leurs récoltes sans contrepartie, il veille à les indemniser rapidement. Cette stratégie qui ménage les propriétaires voit les grains et les fourrages affluer.
Pour le salpêtre, matériau indispensable pour fabriquer la poudre à canon, la production prend un essor remarquable avec le lessivage systématique des caves. Plusieurs ateliers sont créés dans le département, notamment à Douai où une fabrique est installée dans la chapelle du couvent des Récollets anglais.

S’il est interdit aux représentants en mission de créer des impôts, les emprunts forcés sont possibles. Guiot met en place à destination des notables en janvier 1794 un système qui prévoit le doublement puis le triplement de la ponction en cas de retard. Il récolte dans les délais plus de 2 millions de livres.
Pour autant, outre de rester modéré dans ses demandes, il ne va pas jusqu’à constituer comme Lebon, qui suit scrupuleusement le décret de ventôse, des listes de suspects indiquant leur degré de richesse pour pouvoir plus rapidement confisquer leurs avoirs et éventuellement les guillotiner dans la foulée.

Lebon s’impose dans le Nord

L’action militaire de Guiot, hors les aspects matériels présentés plus haut, reste mineure. Toutefois, quand Landrecies tombe aux mains de l’ennemi le 30 avril, le Comité de Salut Public le charge d’organiser la défense de Cambrai.

Il l’aborde comme à son habitude avec modération, analysant le peu d’empressement des habitants à soutenir le siège comme la conséquence des pillages menés par les troupes républicaines. Il s’efforce de leur rendre justice par diverses indemnités.
Cette prudence suscite la défiance du comité qui envoie sur place le 2 mai deux de ses membres éminents, St Just et Lebas, qui comprennent aussitôt que Guiot n’est pas l’homme de la situation.
Ils en ont un sous la main à proximité, Lebon, qui s’installe dans la ville avec les animateurs les plus énergiques de son tribunal révolutionnaire. Les exécutions s’enchainent immédiatement à un rythme qu’on pourrait qualifier d’arrageois.

Allégorie mettant en scène Lebon et ses œuvres, à Arras et Cambrai : « guerre à tous les agens du crime, poursuivons les jusqu’au trépas »

Conscient du danger, Guiot s’efface. Installé à Lille dans un premier temps, il en est délogé par Choudieu et Richard de retour aux armées du Nord. La distance possédant quelques vertus, il se pose à Dunkerque dans un évident état d’inquiétude quand on considère les désaveux qu’il vient de subir.

La situation militaire mobilise toutes les énergies mais c’est dans cette semi-retraite qu’il assiste à la reprise d’Ypres en mai mais surtout à la victoire de Fleurus le 26 juin, laquelle éloigne durablement la menace ennemie dans les Flandres.
Pour donner des gages au Comité, il joue toutefois les utilités, s’opposant à coups de messages bien sentis aux « modérantistes » comme à la « faction hébertiste qui cherche à renaître de ses cendres » .
Robespierre ayant à Paris liquidé tous ses opposants, Guiot sait que cet été 1794 est le moment de tous les dangers.

Thermidor ou la délivrance

Le renversement de la situation militaire change cependant la donne. Beaucoup de députés, notamment ceux de la Plaine, veulent mettre un terme à la Terreur. L’ennemi est partout repoussé. La République est sauvée. Pourquoi continuer cette dictature sanglante ?
Au grand soulagement des modérés ligués par leur peur commune, c’est chose faite le 9 thermidor (27 juillet 1794) avec l’exécution de Robespierre et de ses alliés, élimination facilitée par les moyens expéditifs de la Terreur.
La nouvelle arrive peu après dans le Nord. La joie de Guiot n’est pas feinte. Dans la proclamation qu’il adresse immédiatement aux communes du département, il affirme sans ambages : « ces vils scélérats ont reçu le prix de leurs crimes » .

En proportion des risques qu’il a courus, il a des comptes à régler, en premier lieu contre Lebon qu’il dénonce et qui est immédiatement mis en état d’arrestation par la Convention.
La roue tourne. Le Comité qui souhaitait rappeler tous les représentants en mission depuis plus de trois mois, n’applique pas cette mesure à Guiot auquel, de surcroit, il donne le Pas de Calais aussitôt épuré des « terroristes » laissés sur place par son ancien collègue.

En septembre 1794, il est enfin rappelé à Paris mais une fois encore, ce qui prouve sa communauté de vues avec la Convention thermidorienne, il est un des rares Montagnards immédiatement renvoyés en mission le 25 frimaire an III (15 décembre 1794) pour le Nord et le Pas de Calais, la Somme étant même ajoutée le 26 nivôse an III (15 janvier 1795).

Cette deuxième mission sera moins risquée que la précédente mais Guiot doit faire face à une situation économique désastreuse, notamment les subsistances qui manquent partout.
Il applique une fois de plus une méthode nuancée, utilisant plutôt la persuasion et ne recourant à la coercition que dans les cas extrêmes, là où les hommes de la Terreur confisqueraient et exécuteraient les récalcitrants.
Son inquiétude, probablement accentuée par le surmenage auquel il est soumis, est celle de révoltes de la faim qui mettraient la République en danger.
Les villes sont pour cette raison l’objet de ses soins extrêmes, ainsi à Douai où il déplore en mars 1795 que les pauvres n’aient que des « pains de fèves » à manger. Il se démène pour que Hazebrouck, qui ne manque de rien, envoie ses grains en surplus.

Du notable napoléonien au régicide proscrit

Guiot quitte le Nord à la fin de 1795 quand est instituée la constitution de l’An III qui fonde le Directoire. Il ne fait pas partie, dans la Côte d’Or, du tiers des Conventionnels qui devaient obligatoirement intégrer les Conseils (Prieur l’est sur liste complémentaire).
Par contre, les électeurs du Nord qui se sont souvenus de sa bienveillante modération l’ont désigné, bel hommage, premier sur la liste principale du département au Conseil des Anciens.
Pour autant, il est élu ensuite, en avril 1798, au Conseil des Cinq-Cents mais cette fois-ci au titre du département natal.

Apprécié par le gouvernement, Guiot avait, avant son élection, été nommé résident auprès de la République des « Trois ligues rhétiques » (ou Grisons) en février. Il y reste jusqu’à son rappel en avril 1799.
Toujours nuancé, il avait soutenu le projet d’un État grison neutre puis, comprenant l’intérêt stratégique, il demanda son rattachement à la République helvétique. D’abord opposé à une intervention militaire française dans la région, l’invasion autrichienne d’octobre 1798 l’obligea à réviser ses plans.

Cette mission diplomatique déboucha sur une autre peu éloignée de son ancienne mission. Il est en effet envoyé en juillet 1799 auprès de la République batave au moment crucial de l’invasion anglo-russe. Il défend vainement la neutralité du gouvernement hollandais « modéré » avant, désavoué, de revenir en France au bout de quelques mois.

Cet instant, nous sommes en novembre 1799, est celui du 18 Brumaire que Guiot soutient mais sans être pour autant un fervent partisan de Bonaparte. Il en reçoit toutefois, en décembre, un siège au Corps Législatif, responsabilité qu’il conservera jusqu’en juin 1814.
Sous le régime, Guiot reste relativement en retrait, recevant en 1806, la charge de secrétaire, puis de substitut au Conseil des prises.

Plusieurs sources indiquent qu’il aurait été mêlé à la conspiration du général Malet en 1812. Toutefois, tout démontre qu’il ne fut que l’hôte de réunions dont il ignorait la teneur comme le prouve l’absence de poursuites à son encontre.

La chute de Napoléon et le retour des Bourbons l’oblige à l’exil comme tous les Conventionnels régicides. Guiot, à l’exemple d’une cinquantaine de ses anciens collègues, s’installe à Bruxelles, hébergé par son ami Cambon qui, en financier averti, avait réussi à préserver sa fortune.
La générosité de son bienfaiteur alla jusqu’à lui attribuer, après sa mort en 1820, « la table, feu et lumière aussi longtemps que celui-ci résidera dans la Belgique » , ce coût étant pris sur sa succession.

La révolution de 1830 permet à Guiot de rentrer en France et de recouvrer ses droits, notamment une pension de 2500 francs reçue quand il prend sa retraite un an plus tard… à 76 ans.
Devenu aveugle, il est recueilli par sa fille, fruit de son union avec Marie Elisabeth Tifon qu’il avait épousée à Paris le 6 nivôse an III (23 décembre 1794). Si cette dernière est décédée dans la capitale en 1842, son époux l’avait précédée quelques années plus tôt.
Florent-Guiot était mort à Avallon le 18 avril 1834.

Un célèbre inconnu de la période révolutionnaire

En conclusion, voilà une nouvelle problématique : comment expliquer l’oubli dont Florent-Guiot fait l’objet ?
Son action modératrice, affirmée au milieu des dangers, son intelligence manœuvrière, sa défense de la patrie, la durée de ses missions auraient du le mettre dans le groupe des grands Conventionnels encore célébrés de nos jours.

Rien de tout cela. Il n’existe même pas une rue, une place, une impasse qui porte son nom, y compris dans son pays natal.

Sans doute, son profil de Montagnard convaincu, mais tout autant de modéré « opportuniste » , lui ont-ils valu des critiques des deux camps qui se sont disputé la mémoire de la Révolution dès la Monarchie de Juillet.

Les historiens légitimistes ont dénoncé les travers sanglants d’une période auxquels Guiot ne pouvait échapper par définition puisqu’il avait voté la mort du roi.
Les Républicains ont défendu à l’inverse l’œuvre révolutionnaire, parfois en exaltant ses aspects violents, la patrie excusant tout. Guiot les a largement atténués.
Le pire a été atteint par les chercheurs marxistes, Mathiez mais surtout Soboul, lesquels assimilaient le jacobinisme au bolchévisme et Robespierre avec Lénine. Ennemi déclaré de « l’incorruptible » , Guiot n’avait aucune chance.

Il est certain qu’il aurait été parfaitement à l’aise dans la France modérée de la III° République, respectueux du droit de propriété et ennemi de tous les excès.

Gageons toutefois que deux évolutions pourraient aider à sortir Florent-Guiot du purgatoire :

D’abord la disparition des passions sur cette période, largement remplacées par celles qui touchent la Seconde Guerre Mondiale, devenue la référence absolue du présent. Citons François Furet : « il est temps d’affirmer que la Révolution est terminée et de la considérer enfin comme un objet de science » . Prenons la donc comme un « bloc » à la Clemenceau et rendons à Florent-Guiot tout ce que la mémoire lui doit.

Ensuite, autre possibilité, se servir de la curieuse évolution de l’Histoire contemporaine dont le rôle parait être, non pas la recherche du passé, mais ce qu’on pourrait qualifier de « réparation mémorielle » quand on exhume un parfait inconnu pour lui attribuer une découverte majeure ou un rôle essentiel dans des évènements importants. Florent-Guiot répond absolument à cette définition.

Pour finir, trêve de bavardages : quand va-t-on enfin baptiser une rue, une avenue, un boulevard de Douai en souvenir de l’action bienveillante de notre représentant en mission dans le département du Nord ? On pourrait le faire au Raquet et même à la Clochette.

En espérant mieux (2/2)

Nous avons laissé Alexandre de Calonne, enfant de Douai, au moment de sa nomination au Contrôle Général, ancêtre de notre redoutable ministère des finances. A ce poste, l’audace sera sa marque, non sans prise de risque avant l’effondrement final.

Keynes avant Keynes

Quoi qu’il en soit, Calonne arrive avec un plan qui n’est pas doctrinaire comme celui de Turgot, ni moralisateur comme celui de Necker.
Sa maîtrise technique sans égale de l’administration s’inscrit dans une stratégie assez proche des futures doctrines keynésiennes. Il faut restaurer le crédit public pour relancer la machine économique donc emprunter à tout va. C’est ce qu’il va faire.

La situation budgétaire n’est pas sans rappeler celle d’aujourd’hui, avec son déficit abyssal et sa répartition défectueuse des impôts.
En 1783, dans un royaume où les plus riches paient très peu, les rentrées d’argent sont évidemment très inférieures aux sorties. De plus, les emprunts exigibles – qui ne sont pas la dette totale – représentent trois fois le volume du budget, notamment du fait du coût de la guerre d’Amérique. La banqueroute menace.

Sans perdre de temps, Calonne attaque tous les sujets. Il modifie le rapport or/argent de la monnaie pour réduire la spéculation sur les métaux précieux et restaure la ferme générale dans son organisation première.
Il crée en août 1784 une nouvelle caisse d’amortissement – future Banque de France – dont l’objectif était de rembourser en 25 ans la moitié des dettes de l’État qui représentent près de deux milliards de livres.
Il lance de concert toute une série de travaux – routes, canaux, ports maritimes – susceptibles de faciliter l’activité économique, tout en prenant des mesures financières, primes ou avances de trésorerie aux établissements, favorisant le développement industriel.
La paix étant faite avec l’Angleterre, Calonne signe, avec ce voisin qu’il admire, un traité de commerce en septembre 1786. Le pari du contrôleur consiste à favoriser outre Manche les exportations françaises, notamment en vins et produits de luxe. En retour, les importations anglaises doivent stimuler l’industrie française, ce qui sera le cas pour les secteurs les plus performants, ainsi la miroiterie.

L’afflux de capitaux permis par le desserrement budgétaire de Calonne débouche sur une frénésie de dépenses, notamment au bénéfice de la famille royale, de la Cour et plus généralement des classes favorisées, aristocratie ou bourgeoisie d’affaires.
Dans la décennie qui précède la révolution, la remarquable floraison des constructions à Paris et en province, comme le renouveau des arts décoratifs dont le sublime « style Louis XVI » , trouvent leur source dans cette manne inespérée.

Arx tarpeia Capitoli proxima

Cette hausse des dépenses ne s’accompagne aucunement d’un accroissement des impôts que Calonne a même tendance à réduire. Toutefois « l’état de grâce » commence à se dissiper. A la fin de 1785, l’opinion se retourne sous la conjonction des facteurs défavorables que le contrôleur général n’a pas réformés d’emblée.
Car seul un traitement de cheval peut soigner les maux dont souffre le budget du royaume, notamment une meilleure répartition de la charge fiscale, c’est à dire son extension à la noblesse et au clergé. En 1786, le déficit, d’ailleurs mal connu, y compris par le contrôle général, est énorme.

Une situation insoluble peut parfois être utile en obligeant à la réforme radicale dont personne ne voulait. Certains historiens estiment que Calonne aurait ainsi sciemment poussé à la dépense pour rendre inévitable la révolution fiscale. Mais dans un pays comme la France, de tous temps et pire encore dans une société d’ordres, il est impossible d’agir quand on a perdu le soutien des gens qui comptent.

Quoi qu’il en soit le ministre propose au roi en août 1786 un projet de « subvention territoriale » perpétuelle, payée par tous les propriétaires sans exception et dont le montant serait calculé par des assemblées locales. Le coup de génie, aujourd’hui banal, est de ne considérer que le terrain et pas le statut de celui qui le tient.
Au delà, à l’exemple de Turgot, il ajoute diverses mesures comme la suppression des douanes intérieures, le remplacement des corvées par une prestation en argent et enfin la transformation de la Caisse d’escompte en banque d’État.

Louis XVI approuve le plan mais, bien que « roi absolu » , il a l’obligation de consulter ses sujets sur une réforme de cette ampleur. L’opposition des parlements étant certaine, Calonne repousse la solution des États Généraux, lente et complexe. Il opte pour un compromis baroque : une « assemblée des notables » , inspirée d’un précédent de 1626. Il est certain que sa capacité de persuasion et la rapidité de la manœuvre triompheront de toutes les préventions.

L’assemblée des notables

Pour la vitesse, c’est raté. Le caractère velléitaire du roi n’a pas permis de pousser les feux. Décidée en août 1786, l’assemblée se réunit à Versailles le 22 février 1787. La pression, extrême, surmène le contrôleur général qui tombe malade, ce qui repousse de deux semaines l’ouverture des débats.

Dans la salle de l’hôtel des Menus Plaisirs montée pour l’occasion, Calonne dut s’interroger sur son prodigieux destin, lui petit noble douaisien à peine français, artisan d’un renouveau institutionnel digne d’un Richelieu ou d’un Sully, assis comme le voulait l’étiquette sur son pliant, face au roi et aux princes du sang.
Il n’a pas dormi, corrigeant jusqu’au matin son projet de discours. Quand vient son tour après les bonnes paroles de Louis XVI, il est égal à lui même. Lors de son exposé d’une heure, son « talent prodigieux » frappe l’assistance, pour autant sourdement inquiète de ce qui peut sortir de ce cerveau singulier.

Tout au long des semaines de débats, la partie s’avère moins facile que prévue. Des 147 personnalités composant cette instance, bien peu – à peine un tiers – soutiennent les innovations envisagées.
L’opposition ne faiblit pas en dépit des efforts de Calonne qui, selon un témoin, « fut en butte à tout ce que la mauvaise volonté, la grossièreté même, purent suggérer, sans qu’il sortit un instant du calme et de la modération la plus parfaite, ni que des questions tumultueuses faites et qui souvent se croisaient, embrouillassent la justesse et la clarté de ses répliques » .

Ces discussions se doublent de polémiques violentes dans l’opinion. Necker combat son ennemi dans les gazettes sur le montant réel du déficit, chiffre immédiatement réfuté dans les mêmes canaux par Calonne.
La Cour, qui ne veut aucune réforme, s’en mêle, ainsi la reine qui n’a jamais apprécié ce ministre sans doute trop intelligent pour elle. Il s’en plaint au roi. Suit une scène incroyable. Convoquée par son mari souverain, Marie-Antoinette est tancée « comme un enfant pris en faute » en présence du plaignant. « Me voilà perdu, se dit Calonne » . Il avait raison.

La disgrâce puis l’exil

Devant l’enlisement des travaux, tous les journaux bruissent du prochain renvoi du contrôleur qui croit encore, en optimiste impénitent, au soutien inconditionnel de Louis XVI. C’était mal apprécier la force de l’ennemi devant la faiblesse du roi absolu.
Se pensant sauvé au soir du 5 avril, Calonne apprend le lendemain son renvoi, associé à celui de son adversaire le plus acharné au conseil, Miromesnil.
Si beaucoup se réjouissent de cette décision, quelques esprits avisés comprennent cependant que cette éviction annonce le pire. Il est résumé d’une belle formule par Chamfort : « on avait laissé tranquille M. de Calonne quand il a mis le feu et on l’a puni quand il a sonné le tocsin » .

Les espoirs de jouer un rôle en coulisses, voire même de revenir aux affaires, sont vite douchés. Installé dans son château de Berny à Fresnes, Calonne reçoit l’ordre de se retirer dans sa terre d’Hannonville en Meuse, qu’il a acquise à son mariage. Sa seule satisfaction est sans doute de savoir que le même sort est réservé à Necker.
Loménie de Brienne, son pire ennemi, devenu ministre d’État, clôt fin mai les travaux d’une assemblée dont il ne sort quasiment rien. Sa disgrâce s’accompagne d’humiliations personnelles (il doit rendre son cordon du Saint Esprit) mais surtout d’une vindicte générale, du peuple qui le hue sur son passage et des parlements qui risquaient gros sous son ministère. Comprenant le danger et soucieux de pouvoir se défendre plus aisément, Calonne s’exile en août en Angleterre.

Le financier des Princes

Dans l’adversité, Calonne dispose de quelques consolations. D’abord l’accueil chaleureux que lui réservent les Britanniques, peut-être plus objectifs que l’opinion française ou plutôt reconnaissants des effets positifs, pour eux, du traité de 1786.
Il peut ensuite compter sur l’appui sans faille de sa maîtresse de longue date, d’ailleurs flamande comme lui, l’admirable Anne Josèphe de Nettine, fille de banquière et épouse du richissime conseiller d’Harvelay.
Veuve en septembre, elle se remarie avec Calonne, lors d’un court séjour en France, en juillet 1788 dans la chapelle du château d’Abancourt. Il y aurait beaucoup à dire sur cette épouse fidèle qui continuera jusqu’au bout à le soutenir dans ses entreprises au péril de sa fortune.

Mariage de Calonne en 1788 au château d’Abancourt, les paraphes des mariés en haut puis ceux du frère, l’abbé, ainsi que de Charles Herries, banquier britannique qui sera un soutien durant l’émigration, père d’un futur Lord of Treasury.

Quoi qu’il en soit, Calonne, de sa luxueuse demeure d’Hyde Park Corner, fait imprimer plusieurs mémoires justifiant sa politique et qui rencontrent l’actualité car la situation budgétaire de la monarchie arrive en 1788 au point de rupture.
Incorrigible, il espère que la préparation des États Généraux lui offriront un retour gagnant. Candidat à la députation dans sa Flandre natale, l’accueil qu’il reçoit est si désastreux qu’il retourne à Londres aussitôt.

L’histoire est facétieuse. Après la prise de la Bastille et l’effondrement de l’Ancien Régime, de nombreux émigrés rejoignent Outre-Manche le ministre disgrâcié.

En dépit des circonstances passées, Calonne, fidèle inconditionnel de la monarchie, est un des artisans, au début des évènements, de la contre-révolution émigrée. Sans rancune quand on considère leur attitude devant ses tentatives de réforme, il met à la disposition des princes, Comtes de Provence et d’Artois, sa capacité d’action et les ressources de sa fortune.
Membre important des conseils royaux de Coblence ou Turin, il voyage à travers l’Europe au gré des victoires révolutionnaires qui compliquent ses parcours en l’obligeant à des détours étonnants.
Reçu en grandes pompes, tel le ministre qu’il n’est plus, par certains souverains, il est aussi renvoyé par d’autres, inquiets de ses initiatives face à une République conquérante.
Il n’est pas impossible que Calonne ait aimé ce retour en grâce particulier, peut être en imaginant, en cas de restauration des Bourbons, d’un retour aux affaires.

Les derniers feux

Couché sur la liste des émigrés dès 1792, les gouvernements qui se succèdent à Paris lui prêtent – d’une manière très exagérée – un rôle central dans les manœuvres des Bourbons contre la République.
De fait, son action apparait de moins en moins influente au fil des ans. Elle est plutôt épistolaire, sinon littéraire, avec de nombreuses publications sur la situation française qui démontrent toujours d’une fine compréhension des enjeux.
Ces prises de position conduiront d’ailleurs à la rupture avec les princes, les comtes de Provence (futur Louis XVIII) et d’Artois (futur Charles X), quand Calonne affirmera l’impossibilité de revenir, en cas de restauration, sur les réformes sociales et fiscales de la Constituante.

Comme toujours, l’ancien Contrôleur dépense l’argent qu’il n’a pas. Son épouse en voyage avait pris, avant de partir, la précaution d’emporter l’argenterie pour rendre impossibles les invitations qu’ils ne pouvaient se permettre. Sans hésiter, Calonne loua tout le matériel de table, sans rogner ensuite sur la magnificence des plats qu’il considérait devoir à ses hôtes.

A ce rythme, comme celui de son éloignement des chefs de l’émigration, sa situation financière devient peu à peu insoluble. Sa collection de tableaux – 360 toiles dont des Rembrandt, Titien, Vinci, Tintoret etc. – saisie à Londres, mal vendue, est dispersée dans toute l’Europe.
A partir de 1795, quand arrive en France le Directoire, Calonne entre dans la période la plus difficile qu’il ait connue, au point d’attaquer, comme le montrent ses courriers, la bonne humeur qui, dans l’adversité la plus noire, ne l’avait jamais quitté.

Retour en France

Avec la Paix d’Amiens en 1800 qui fait suite à l’arrivée de Bonaparte au pouvoir, Calonne réclame sa radiation de la liste des émigrés. Il est à peu près oublié de l’opinion mais pas des gouvernants qui trainent pour accéder à sa requête.
Audacieux comme à son habitude, il débarque à Calais en mai 1802 pour forcer le destin. Il espère, dans la remise en ordre financière menée par le Premier Consul, retrouver un rôle à jouer… à 68 ans.

De fait, il compte sur ses contacts près du nouveau pouvoir. Ainsi Mollien, réfugié à Londres comme son ancien patron sous la Terreur, devenu en 1800 directeur de la Caisse de Garantie et d’Amortissement – future Caisse des Dépôts et Consignation – qui doit apurer la dette française.
On le croit aussi lié à Fouché qui compte l’utiliser contre Talleyrand pour amadouer les milieux royalistes qui commencent à compter à Paris, comme ceux proches des intérêts britanniques.

Calonne rédige dans l’urgence plusieurs mémoires qu’il adresse à Bonaparte, persuadé qu’ils attesteront d’une compétence restée intacte. Il y a dans ces notes des vues pénétrantes, posées comme toujours sur une expertise des finances de haute volée. Le charme est cependant rompu. Si personne ne tient compte de ces écrits, c’est aussi que ses anciens collaborateurs n’ont aucune envie qu’on rappelle leur passé au service de Louis XVI.
A cette fin, le Moniteur publie un commentaire cinglant sur un projet « tellement faux qu’il n’avait pas l’air d’avoir été fait à Paris mais d’être écrit de la Chine » . Napoléon rappelle de Sainte Hélène les conditions de cet accueil hostile. Vingt ans plus tard, il avait gardé en tête l’apparence défectueuse de mémoires « qui étaient raturés, il ne s’était pas donné la peine de les épurer. Ce manque d’égards me choqua. D’ailleurs, je n’entrais pas dans les idées de l’ex-ministre » .

Resté à Paris, Calonne ne désespère pas pour autant mais le destin, cette fois-ci, va contrecarrer ses plans. Se promenant dans le jardin des Tuileries, apercevant une montgolfière s’élevant dans les airs, il se met à courir pour voir de près l’envol de l’engin. Rentré chez lui en nage, il est atteint d’une pneumonie qui l’emporte le 29 octobre 1802.

Destins des Calonne

Ainsi se termine l’existence d’Alexandre de Calonne, sans doute, avec Merlin, la plus célèbre de Douai pour cette période et même au delà. Pour autant, sa disparition y passa inaperçue comme d’ailleurs dans tout le pays. L’heure du ministre était finie, le monde n’avait plus besoin de lui.

Quant à ses proches, leur destin rejoint cette indifférence. Son épouse, qui l’avait assisté jusqu’au bout avec son dévouement habituel, décède en 1813, n’ayant « conservé que 6000 francs de rente et ne se plaignant pas » .
Son fils unique, Charles, n’était déjà plus de ce monde. Officier de chasseurs au service de l’Angleterre, atteint de la malaria, il meurt à Messine en 1808.

Plus singulière sera la destinée de son jeune frère Ladislas. Soutenu par son aîné dans sa carrière ecclésiastique, il lui apporte en retour un soutien sans faille lors de l’émigration, notamment par des contacts innombrables dans toute l’Europe.
En 1799, « l’abbé » s’installe simple prêtre au Canada, sur des terres de l’Île-du-Prince-Édouard qui appartenaient à son frère. Revenu en Angleterre en 1803 pour s’entendre avec les créanciers qui le harcelaient depuis la mort d’Alexandre, il exerce un ministère à Liverpool le temps de régler ces dettes.

L’abbé de Calonne, né à Douai en 1743 et mort à Trois-Rivières en 1822.


Établi au Québec en 1807, ce prélat pourtant habitué au faste vivait en ascète, réservant ses revenus aux plus nécessiteux. Estimé des populations des deux langues et des deux religions, Ladislas est mort en 1822 en « odeur de sainteté » . La tradition orale canadienne a longtemps conservé ce pieux souvenir. En 1962, une vieille ursuline de Trois-Rivières parlait encore de « notre M. de Galonne » comme si elle l’avait connu.

Pour finir, outre ce parcours prodigieux tenant à de rares compétences intellectuelles, retenons quelques traits de caractères qui permettront peut être d’atténuer l’opprobre généralisée dont est victime jusqu’à aujourd’hui notre Contrôleur Général.
D’abord une incontestable générosité qui contredit la cupidité régulièrement attachée à son souvenir. Les sources documentaires, notamment celles de sa période d’émigration, indiquent que toute rentrée d’argent aboutissait pour lui à une immédiate distribution de ces fonds à plus pauvre que lui.

Mais il y a mieux encore. Ainsi cette profession de foi, exprimée par l’intendant Calonne. Elle pourrait être méditée à profit par nos actuels dirigeants : « n’être pas touché de la misère publique, ne pas craindre d’aggraver les charges du peuple, ne pas faire son possible pour en diminuer le poids, ce n’est pas seulement un défaut de mérite dans un administrateur des finances ; c’est à mes yeux une véritable infamie » .

Quand les squats flambent

Phénomène qui a défrayé la chronique nationale quand quelques pauvres proprios se trouvaient dépossédés de leur bien par des margoulins sans scrupules, les squats n’épargnent pas Douai non plus.

La fin du droit de propriété

Ces péripéties, quand on les regarde de près, sont emblématiques de l’actuelle impuissance publique. L’empêchement ne tient d’ailleurs pas à la supposée difficulté de les régler. Il découle de l’invention de droits « supérieurs » à celui de propriété que nos ancêtres avaient pourtant sacralisé en 1789.

Ce glissement juridique est à mettre en face de l’opinion quand on sait que 90% des citoyens interrogés défendent ce vieux principe dans tous les sondages. Le Parlement a légiféré contre le populo proprio, est-ce donc possible ?

Conscient du léger décalage qui existe de nos jours entre ces lois dingues (du DALO au SRU en passant par le sublime Duflot) et l’avis des Français, le gouvernement a inventé voilà peu un pompeux « observatoire des squats » censé donner en temps réel l’état de ces occupations sans titre, histoire de démontrer qu’il est efficace.

La lecture de ce tableau fait sourire (en janvier 2021, sur 124 cas, 17 pour les Hauts-de-France, sur… plusieurs milliers de procédures en France…). Les critères excluent pas mal de situations, notamment celles où le bien concerné n’est pas habité régulièrement, par exemple une résidence secondaire.
De même, pour intégrer cette liste, il faut avoir déclenché avant tous les leviers légaux avec avocats, huissiers et tout le tintouin.

Qu’on se rassure, ces affaires ne disparaitront pas de sitôt sauf dans le cas où le parlement irait jusqu’au bout dans les réformes en cours sur le sujet. Comme on a perdu notre Dimitri, ce n’est pas gagné.

Un marqueur de paupérisation

Les squats sont, quand ils se multiplient dans une ville, un indicateur de la dégradation des valeurs immobilières, résultat de la baisse de sa population – d’où la vacance des biens – cause et conséquence de l’effondrement de l’attractivité économique.
Ce phénomène, qui a été étudié par les urbanistes et les géographes, s’accompagne toujours des mêmes caractéristiques sociales, l’apparition d’une population pauvre et foraine ainsi que la hausse de l’insécurité. Quand on y pense, il y a assez peu de squats à Neuilly ou dans le XVI° arrondissement de Paris.

L’autre conséquence est la mise en péril des bâtiments car le destin d’un squat, très souvent, c’est de se transformer en fumée. Ces incendies peuvent être déclenchés par des branchements électriques bricolés ou, pire, par de bonnes flambées improvisées. Un meuble mis en petits bois bien secs et hop, c’est le feu de camp au milieu de la pièce.

Le vandalisme n’est aussi jamais très loin, excité par la facilité des accessibilités qu’aide une absence généralisée de surveillance. De même, l’abandon et le délabrement sont autant d’invitations aux dégradations selon le principe bien connu du carreau cassé qui veut qu’un de plus ou de moins, après tout…
Terminons enfin par l’impunité. L’anonymat des auteurs est toujours la règle. Quand ce n’est pas le cas, les sanctions sont inexistantes, comme le prouvent les piteuses conclusions policières et judiciaires des exemples qui suivent.

Les squats de Douai

A Douai, les squats prospèrent en silence, qu’ils soient publics ou privés. Dans ce dernier cas, il s’agit surtout de biens en déshérence que plus personne ne gère.

Une balade dans les rues du centre-ville et l’examen attentif de l’état des maisons les plus dégradées peut faire apparaître, ici ou là, des signes évidents d’occupations sauvages. C’est une porte ou une trappe de cave mal fermées, des serrures déglinguées ou encore l’allure bizarre des rideaux ou des ouvrants. On conseille aux lecteurs de s’amuser à observer ces signes lors de leur promenade dominicale.

Dans un mélange public/privé, on peut mettre dans le groupe qui précède les ruelles qui offrent, si on parvient à contrôler les portes d’entrée, une installation discrète dans les maisons qui s’y trouvent, restaurées avec les aides européennes mais officiellement inhabitées.
Ce fut ainsi le cas de la ruelle des Minimes qui donne sur la rue des Foulons, à quelques mètres de la mairie. Les occupants, trop malins, avaient même installé une machine à laver !

Un patrimoine en cendres

Peu de monde défend la qualité architecturale du bâtiment de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) qui se trouve rue de Roubaix. Vu de loin, ce gros truc brutaliste a pourtant belle allure mais quand on le regarde de près, on voit qu’il a pris cher, bien noirci ici ou là.
Désaffecté depuis juillet 2018 après qu’un violent incendie ait détruit une partie de la toiture, il en a connu un autre en janvier 2020 au sous-sol, transformant en chaleur les archives d’une administration depuis évanouie. Il ne manquait plus qu’un peu de flammes entre les deux niveaux déjà cramés, ce qui a été chose faite en décembre dernier.
De l’avis des spécialistes, il y a un lien formel entre son statut de squat et ces incendies à répétition.

Il était beau ce bâtiment… Payé par nos impôts…

Après le feu arrive l’eau. Dans ce cas, rappelons le triste sort réservé à notre ancienne université, squattée régulièrement comme le prouvent les traces d’habitation qu’on voit si on y fait un tour.
En mars dernier, on a découvert fortuitement une fuite dans ses sous-sols, entièrement noyés sur 2,5 mètres de hauteur. L’ampleur de l’inondation a été estimée à près de 1 200 m3. Pour donner un ordre de grandeur, c’est un peu moins que le remplissage de Sourcéane et presque le double de la piscine des Glacis.
Là encore, pas de doute, « l’acte malveillant » est évident comme l’ont reconnu les experts. Nos braves squatteurs devaient avoir soif.

Terminons en beauté par notre ancien IUFM, vainqueur toutes catégories des squats inflammables.
Largement pillé et fréquemment visité, le bâtiment a connu de nombreux « départs d’incendie » depuis sa fermeture définitive en juillet 2010. Un peu énervée, la VDN les égrène dans ses colonnes : ainsi en août 2020 – assez conséquent – puis en octobre et enfin en novembre 2022.
A chaque fois, la source des feux se trouve dans la « partie squattée » , laquelle est située tout à côté des services départementaux, proximité assez amusante quand on sait que ce bâtiment leur appartient.
Plaignons, non pas ce dernier, mais les riverains impuissants devant ces dangereux sinistres.

Oh, non, pas ça !

Que faire ?

Que dire au final ? C’est une affaire compliquée comme toujours à Douai quand l’intervention publique réclame énergie et ressources financières.
Il manque toujours un des deux trucs et même régulièrement les deux.
Tous les désastres cités – on a évité l’Hôpital Général qui est hors concours – reçoivent à chaque fois des excuses, quand on découvre le feu ou la flotte, en forme de projets à venir : « oui, oui, c’est bon, on a prévu un truc, c’est réglé » .
Ces piètres arguments relèvent évidemment de l’effet d’annonce, destiné à éteindre le ressentiment du citoyen, jusqu’au prochain incendie qu’on observera une fois de plus les bras ballants.

En espérant mieux (1/2)

Dernier grand ministre de l’ancien régime, Alexandre de Calonne était un enfant de Douai. Si la postérité n’a pas toujours été tendre avec lui, les historiens ont récemment réévalué sa tentative de réforme de la monarchie avant l’effondrement de 1789.
En dépit de cet échec, le personnage mérite qu’on s’y arrête. Son origine flamande et parlementaire serait en elle même un sujet d’intérêt mais il est surtout, à bien des égards, un prototype de la caste des hauts fonctionnaires qui peuplent aujourd’hui nos administrations.

C’est avec cette idée en tête qu’on doit aborder ce portrait qui sera partagé en deux parties, toutes placées sous la devise géniale de sa famille : « en espérant mieux » .

Une grande famille parlementaire

Calonne qui est né à Douai le 20 janvier 1734 n’était pas le fils de n’importe qui. Son géniteur, Louis, était président du parlement de Flandre. Sa mère, Henriette de Francqueville d’Abancourt, venait d’une noblesse un peu plus ancienne que celle de son époux. Sa famille était de Cambrai. Il en reste des traces, le musée municipal a été installé dans son hôtel.

Revenons au père. Il était né en 1700 à Tournai d’où sortaient les ancêtres de la plupart de ses collègues. Comme eux, il a rapidement rejoint Douai devenue en 1713 capitale de la province. Louis suit les traces de ses père et grand-père en embrassant la magistrature, laquelle leur avait permis l’anoblissement.

Il faut d’emblée préciser que ce terme de « parlement » n’a aucun rapport avec celui que nous connaissons aujourd’hui. Il s’agissait d’instances judiciaires dont les membres – aristocrates – achetaient leurs charges, loin de toute désignation gouvernementale et de toute élection.

Il y a toujours, comme point de départ de ces dynasties locales, des biens fonciers plus ou moins nombreux, fruits de cette remarquable habileté dans les affaires dont a toujours fait preuve – jusqu’à aujourd’hui – l’élite flamande.
Pour les Calonne, ces possessions se trouvent à Merchin, bourg de Lesquin, où leur seigneurie comptait une vingtaine d’hectares associés à un certain nombre de rentes. Se sont ensuite ajoutés d’autres titres puis diverses charges échevinales à Tournai puis Douai.

Des débuts prometteurs

Revenons au jeune Alexandre de Calonne. Envoyé à Paris au célèbre collège des Quatre-Nations, il s’y révèle extraordinairement brillant, décrochant plusieurs prix de grec, de latin et même d’éloquence. Pour autant, c’est à Douai qu’il acquiert ses diplômes de « Droit et de Droit canonique » .
Reçu avocat en 1754, il se forme aux affaires aux côtés de son père. Après quelques années consacrées à la jurisprudence locale dont il devient rapidement expert, il est en 1758 avocat général au conseil provincial d’Artois. C’est une position d’attente. Louis de Calonne, président à mortier depuis 1739, reprend la place de procureur général de Douai en 1757 pour la transmettre toute chaude à son fils préféré.

Hotel dit de Calonne détruit par les Allemands à Douai en 1918
Hôtel de la famille Calonne rue de Bellain en novembre 1918

Le moment est propice car l’équilibre des trois clans qui se partagent les postes du parlement de Flandre vient de se rompre par la mort en 1756 de Charles-Joseph de Pollinchove, président incontesté durant 45 ans.
Les deux familles restantes – Calonne et Blondel d’Aubers – s’opposent sans merci, lutte que n’atténuent pas les liens matrimoniaux. La sœur d’Alexandre, Marie-Anne, est l’épouse d’Eugène Blondel, successeur de Pollinchove en décembre 1756.

Trois ans plus tard, comme prévu, Alexandre succède à son père au poste de procureur général au parlement de Flandre. Cette accession n’est pas régulière du tout mais Louis dispose de soutiens solides à la Cour et surtout la réputation du fils, déjà grande, permettent quelques entorses à la règle.
L’œuvre du procureur de Douai sera à la hauteur des attentes. Il est certes un régional de l’étape, expert des arcanes du parlement local, ce qui l’aide beaucoup, mais sa compétence et son efficacité marqueront les esprits. Aucun de ses successeurs ne parviendra à l’égaler.

L’homme du roi

Il y a un risque, si on entre trop dans les détails de l’action de Calonne à Douai, de perdre nos lecteurs. Retenons simplement qu’elle s’inscrit dans l’antagonisme qu’entretient la monarchie avec ses parlements. Ces derniers s’attachent sans relâche à maintenir, sinon augmenter, leur autonomie devant le pouvoir royal. De cette opposition insoluble sortira la révolution.

Quoi qu’il en soit, paradoxalement, le procureur général sera plutôt du côté du roi contre ses collègues et en premier lieu son beau-frère. Ce dernier a beaucoup de mal à conjurer ses initiatives. Il est vrai que sa capacité de travail, son intelligence stratégique et son culot sont très supérieurs aux compétences du premier président.

Calonne est soutenu par le gouvernement, soucieux de disposer d’un parlement, certes renforcé dans ses prérogatives mais dont les patrons sont loyaux à la monarchie. Dans cette période troublée, l’appui d’une telle instance, même aussi petite que l’est la Flandre des confins, est toujours bon à prendre.

Le procureur général démontre d’un brio sans égal. Il n’y a pas un parlementaire qui lui arrive à la cheville et il le sait. A ce titre, son arrogance est sans limites, alliée à un optimisme excessif. Incapable de rancune, il oublie que ce travers, surtout chez les médiocres, peut être inexpiable.

En 1763, une opposition massive va causer sa perte. Son projet de création d’une « cour des aides » visant à rassembler toutes les exceptions fiscales – innombrables – sous la seule juridiction du parlement de Douai ne passe pas. Parvenu au conseil du roi et pourtant soutenu par le contrôleur général, le dossier est enterré sine die.
Comme de nos jours, la peur de débordements avait conduit le pouvoir à ne rien changer.

Un grand intendant

Comprenant que la cité ne lui sera jamais favorable, Calonne quitte Douai pour acheter, en 1765, un office de maître des requêtes. Ce n’est pas donné, son coût serait aujourd’hui de plus d’un million d’euros, mais il est payant. Cette fonction parisienne met ses titulaires au contact régulier du gouvernement qui peut en distinguer les personnalités les plus prometteuses.
« État que l’on n’embrasse que pour le quitter » selon le mot du chancelier d’Aguesseau, il est le vivier – sorte d’ENA -où la monarchie recrute ses hauts fonctionnaires, ministres, intendants, contrôleurs généraux etc.

Très vite, Calonne se fait remarquer, intervenant en 1765 d’une manière décisive lors de la célèbre affaire de Bretagne. Sa manœuvre dans la procédure – habile mais sans scrupules excessifs – conduit le président La Chalotais à l’arrestation puis l’exil.
Plus encore, il contribue à la rédaction du discours de Louis XV lors de la « séance de la flagellation » au parlement de Paris en mars 1766. Le monarque rappelle – par des mots aussi cinglants que choisis – qu’il est, dans le royaume, la source de toute autorité : « l’ordre public tout entier émane de moi, j’en suis le gardien suprême, mon peuple n’est qu’un avec moi » .

La récompense ne tarde pas. Calonne obtient l’intendance des Trois-Évêchés, suivie en 1778 par celle de son pays natal, la Flandre et l’Artois. Son action, à Metz puis Lille, est remarquable dans ces fonctions assez proches de celles des futurs préfets napoléoniens.
Comme elles touchent beaucoup de domaines, il s’intéresse de près aux innovations agricoles, industrielles ou financières avec un suivi attentif des détails qui fait le succès de la mise en œuvre. L’urbanisme, comme à Douai où il a défendu avec succès contre les échevins le règlement de 1718, est une de ses préoccupations essentielles.
Lille en recevra sa salle de spectacle et un nouvel hôtel d’intendance, réalisés après son départ mais dont le projet, permis par l’astucieux croisement de sources financières auxquelles personne n’avait pensé, est sorti tout entier de son esprit fertile.

Enfin, dans ces positions, Calonne parvient à impressionner la haute noblesse, duc de Broglie ou prince de Condé, qui lui apporte un soutien utile pour la suite. Ce milieu – qui n’est pas celui de la robe – l’attire. L’attraction, réciproque, découle de ses qualités qui épousent celles de la Cour. Spirituel, aimable, fastueux, il aime de plus les femmes qui le lui rendent bien.

Le ministre d’État

Calonne a épousé en 1769 Marie-Joséphine Marquet, riche héritière. La fiancée n’est pas jolie avec « un grand front élevé et un menton en galoche » mais elle est la petite fille de Pâris-Duverney, issue d’une famille de la haute finance qui compte des banquiers, des fermiers généraux ou des receveurs du roi. Ce mariage prestigieux et la fortune qui s’y attache durent peu. Coup du sort, la jeune épouse meurt l’année suivante en couches à vingt ans.

Fidèle à la monarchie tout en sachant faire connaitre à la Cour sa réputation d’habileté, Calonne vise rien moins que le contrôle général des finances. On parle souvent de nos jours de ce fameux « hubris » dont sont affligées certaines personnalités politiques. L’intendant de Flandre répond assez bien au concept. La situation financière du royaume est catastrophique mais il ne doute pas un instant qu’il est l’homme de la situation.

Dès 1781, utilisant ses incontestables talents littéraires, il n’hésite pas à publier sous le manteau un libelle hostile à Necker. Remercié en mai, le banquier suisse, qui en devient un ennemi mortel, est remplacé successivement par deux médiocres, Joly de Fleury puis d’Ormesson, qui se sont mis à dos tous les milieux d’affaires. Calonne profite durant cette période d’une campagne médiatique qui crée en sa faveur une étonnante attente de la part de l’opinion.

Il est vrai que personne n’ignore qu’il peut être, par sa bonne maîtrise de ces sujets, une solution aux deux maux du pays, l’opposition parlementaire et la méfiance de la haute finance.
Le 3 novembre 1783, Alexandre de Calonne est nommé par Louis XVI, qui s’est fait forcer la main par Vergennes, contrôleur général des finances, emploi complété en janvier 1784 par le titre de ministre d’État.

On raconte que dès sa première rencontre avec le souverain, il ose à brûle-pourpoint lui réclamer une très forte somme pour éteindre ses dettes. Surpris, le roi accède toutefois à sa demande, lui donnant des actions d’une compagnie dont la vente devait couvrir le besoin.
Les mauvaises langues ajoutent que le contrôleur général, dont la vie à crédit faisait partie de son prestige, s’est bien gardé de s’en défaire. C’était un « bonus de bienvenue » avant la lettre

La grande période d’Alexandre de Calonne s’ouvre alors, à 50 ans, pour le royaume et pour lui.

Journée Portes Ouvertes

Constat d’abandon pour l’hôpital Général de Douai. Il reste aux citoyens qui l’ont payé de mesurer jour après jour l’évolution d’un patrimoine offert, pour un prix d’ami, à un investisseur efficace.
Pour mémoire, le projet de rénovation en « hôtel Mirabeau » atteindra bientôt la décennie en termes de délai.

Pour conclure ce petit reportage, il est possible comparer l’état de ces bâtiments avec celui de la « journée portes ouvertes » de la Financière Vauban en 2018, pour ceux qui en ont alors profité.
Les façades ont depuis pris de la couleur, le gros œuvre parait tenir. Pour autant, tout monument laissé ouvert à tous les vents est un appel au vandalisme comme au pillage, fréquent dans notre ville paupérisée.
Tout cela finira en bois de chauffage si on n’y prend pas garde. Allez les élus aux idées géniales : remuez vous !

Une tache sur la joue

Tant d’hommes célèbres sont passés à Douai qu’on a parfois du mal à faire du tri dans cette liste prestigieuse. Évoquons celui qui a donné à notre rivale lilloise la citadelle considérée comme la plus belle de toutes : Sébastien Le Prestre de Vauban.

Pour Lille donc, on comprend bien mais quel lien avec notre ville ? En y réfléchissant un peu, on pourrait imaginer qu’une bonne part de ses fortifications sont de sa main. C’est un peu vrai mais globalement faux. D’abord parce que ces constructions, « espagnoles » donc flamandes, étaient bien antérieures à sa naissance et ensuite parce qu’elles ont été continument améliorées après lui.

Mais alors quel lien pouvons nous faire entre Douai et Vauban ? En 1656, il était venu dans la région quand Turenne – pour le roi – et Condé – pour les Espagnols – s’affrontaient pour la possession du Hainaut. Cette année là, c’est en « ingénieur ordinaire » qu’il participe au siège de Valenciennes. Si c’est un succès – la ville est prise parce que les habitants n’avaient plus rien à manger – le futur maréchal dira de cette affaire qu’il « n’est pas concevable combien les Français y firent de fautes. Jamais les lignes ne furent plus mal faites et plus mal ordonnées » .

Dans cette critique radicale s’incarne tout Vauban. La liberté de parole, la vision sans concession et enfin le retour d’expérience. Car ce soldat n’a pas manqué tout au long de sa vie de perfectionner l’art de la guerre et surtout celui de la poliorcétique. Il étudiait sans relâche les exemples qu’il avait devant lui et les échecs qu’il pouvait connaître.

On sait que Sébastien, né en 1633, est issu d’une famille très modeste, à peine noble. Il entre dans les armes tout en bas de l’échelle, du côté des Frondeurs comme le voulait l’époque. Sa famille étant bourguignonne, on suit le gouverneur révolté de la Bourgogne, le prince de Condé. Placé dans l’infanterie, il démontre d’emblée d’éminentes qualités. A la bravoure, trait obligatoire de sa caste, il ajoute le « petit plus » qui change tout : l’intrépidité.

Fait prisonnier lors d’une patrouille, on le fait comparaitre devant Mazarin qui perçoit immédiatement les qualités de ce jeune morvandiau râblé et costaud, plein de vie et d’esprit. Le cardinal dont on oublie souvent qu’il a été militaire avant d’être tonsuré, n’a pas beaucoup de mal à le convertir à la cause royale. Elle sera celle de toute sa vie.

Lieutenant, il rejoint un régiment d’anciens Frondeurs repentis. Sérieusement blessé au siège de Stenay- c’est lui qui allume la mèche qui démolit le bastion d’attaque – il est fait capitaine. Un peu plus tard, comme nous l’avons vu, Vauban est au siège de Valenciennes, passé de l’infanterie au génie, terme qui lui va si bien.
Hors son intérêt pour la science, il avait eu très vite l’intuition que cette arme, mal traitée et tenue par les aristocrates pour secondaire, pourrait être celle de son accomplissement. Il avait raison. Il en sera le premier maréchal de l’histoire.

Pourquoi donc Douai ? Attendez un peu. Après Stenay, apprécié par Mazarin, Vauban participe à de nombreux sièges. Cette expérience, parsemée de blessures, s’ajoute aux travaux de défense des villes conquises. C’est en « ingénieur principal » qu’il est appelé par Turenne, lors de la Guerre de Dévolution, pour diriger les attaques des places fortes que les Espagnols possèdent dans les Flandres. C’est ainsi qu’il participe, en 1667, aux conquêtes rapides de Louis XIV : Tournai (25 juin), Douai (7 juillet) et Lille (17 août).

Nous voilà donc à Douai. Lors du siège de notre ville, comme à son habitude, Vauban est en première ligne. Une de ses innovations consiste à faire progresser les sapeurs et ensuite l’infanterie à l’abri, dans ces fameuses tranchées en zig-zag qu’il a copiées des Turcs.
A force de terrassements, on encercle la place par des « circonvallations » qui empêchent toute sortie et tout secours. Profitant de la Scarpe, les habitants, seuls chargés de la défense comme le veut le mauvais système impérial, « tendent » l’inondation en ouvrant les vannes. Ainsi, noyée sous les eaux, une bonne partie de la ville est infranchissable.

Il reste toutefois des parties plus ou moins à sec. C’est dans ces endroits que se concentrent les attaques, en premier vers la porte d’Esquerchin. La phase ultime est l’assaut – à moins que les assiégés ne se rendent avant, ce qui s’est passé à Douai – souvent précédé par des sapes qui détruisent les murailles. L’ingénieur est toujours en première ligne, près des hommes, vérifiant la mise en œuvre et payant de sa personne. Il faut parfois faire le coup de feu contre les assiégés qui tentent des sorties pour empêcher les travaux de l’adversaire ou les détruire.

C’est dans ces circonstances que Vauban est blessé. Des témoins décrivent l’ardeur des troupes françaises à mettre en place des « boyaux de tranchées, larges et sûrs, creusés avec une telle rapidité qu’une batterie de dix canons fut en état de tirer dès quatre heures du matin » . L’opération est risquée. Les Douaisiens, pourtant peu nombreux, ripostent avec habileté de leurs mousquets et de leur artillerie, cette dernière particulièrement efficace avec un tir « aussi bien ajusté que jamais canon l’eût été » .
Plusieurs officiers sont ainsi touchés. C’est le cas de Vauban alors « capitaine de Picardie, ingénieur fort renommé déjà » . Il est blessé au visage, à la joue gauche mais sans qu’on sache exactement par quoi. Coup de feu, éclat de boulet ou de fauconneau, ricochet quelconque, on l’ignore. Ce qu’on sait en revanche c’est que le maréchal va garder la trace de cette blessure toute sa vie, comme le prouvent ses portraits après Douai.

Ce n’était évidemment pas la plus grave qu’il ait reçue mais incontestablement la plus symbolique, celle qui montrait à tous sa manière de servir et son mépris du danger.
Comme le veut tout sujet historique, des chercheurs – évidemment Belges – ont récemment mis en cause l’origine de cette tache sur la joue. Pour eux, pas de blessure mais une maladie de peau. Grain de beauté, angiome, ils se perdent en conjectures mais sont bien incapables de dire plus, leur hypothèse découlant d’un examen minutieux des portraits du maréchal.

Oui mais bon, va-t-on nous enlever l’honneur d’avoir compté dans sa vie ? Et bien non. Refusons les inventions des démolisseurs de réputations. Gardons cet épisode à la gloire du grand maître des fortifications et aussi un peu à celle de notre ville.
Sébastien Le Prestre de Vauban l’a donnée au royaume de France, c’est ça qui compte, et mettons cette mystérieuse blessure quelque part entre la vérité historique et la beauté de la légende, avec Douai tout au milieu

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